Explorar los documents (3 total)

Alranq5.jpg
Claude Alranq

Ce 23 avril 2022, le Centre Culturel Occitan Rochegude (Albi) programmait son festival annuel de théâtre occitan amateur. Claude Alranq – auteur de deux ouvrages  : Théâtre d’oc contemporain – les arts de jouer du Sud de la France (Editions Domens, 1995) et Répertoire du Théâtre d’oc contemporain (Editions Domens, 1996) était chargé d’ouvrir la rencontre par une causerie sur ce thème.

Mes recherches sur ce que l’on nomme «  le Théâtre d’oc  » s’en tiennent à la période 1936-1996, bien qu’elles m’aient conduit à creuser bien en amont de cette période. Elles s’interrompent à la fin du XXe siècle, même si j’ai poursuivi jusqu’à aujourd’hui mon métier d’acteur-conteur-auteur-metteur en scène. Il est vrai que ces recherches auraient pu aller au-delà de 1996 si elles avaient rencontré un contexte favorable.   Malheureusement ce ne fut pas le cas et c’est pourquoi le propos que je vais tenir mériterait d’être actualisé.*

Deux chemins possibles mais le plus souvent un seul acheminé.
Le souci d’une compagnie à la recherche d’une pièce à jouer n’est pas le même que le souci d’un chercheur en quête d’un répertoire caractérisant toute une période de créations. Les uns s’en tiennent surtout à cibler un genre (comique, dramatique…), un sujet attractif, un nombre de personnages possibles (féminins, masculins, de tel ou tel âge…), une scénographie ou un décorum à portée de ses moyens  : l’opportunité est immédiate.

Les chercheurs ne sont pas dans l’urgence d’une opportunité mais dans la problématique qui donne un sens à une période précise sur un espace-temps déterminé. L’idéal serait que ces deux démarches communiquent et s’enrichissent, la réalité n’est pas aussi évidente. C’est pourquoi je tiens à préciser ma position : j’avance sur les deux voies et je prends le risque d’insatisfaire les uns comme les autres.

Sur la période citée, mon souci fut de contribuer à éclairer les choix concrets et pertinents qui rendent au théâtre méridional la pleine conscience de sa spécificité et de ses enjeux sans perdre de vue les limites que les moyens conjoncturels imposent. Ce pari agit sur le présent sans négliger les questions qu’il doit adresser à l’histoire et à l’anthropologie des arts vivants de l’ici et de l’ailleurs. Cet exercice peut sembler excessif, néanmoins il est nécessaire si l’on veut donner une dramaturgie à l’action théâtrale projetée.

L’identité du théâtre d’oc.
La langue d’oc semble être le pilier fondamental de ce théâtre. Il y en a d’autres : l’accent méridional, le bilinguisme occitan et français, le sujet traité, les références impliquées, les lieux porteurs, les formes récurrentes… et aussi l’état de la lenga nòstra dans la situation contemporaine. Le théâtre en langue française est constitutionnellement établi, ce n’est pas le cas pour  le théâtre de la langue d’oc qui ne jouit pas d’une reconnaissance officielle, donc des avantages considérables associés à cet état de droit  : le subventionnement d’État, l’inscription dans un cadre institutionnel  assurant la formation, l’édition, la médiatisation, la critique dramatique, les réseaux de diffusion centralisés ou décentralisés, la protection professionnelle (académique, syndicale, francophone)… bref  : tout ce qui fonde une culture dite dominante.

Le théâtre d’oc n’échappe pas à la condition dite minoritaire, c’est-à-dire  : à tous les avatars linguistiques, sociaux et psychologiques qui pèsent sur une expression non officielle, vouée à toutes sortes de discriminations  : la diglossie, la glottophobie, la marginalisation… tout ce qui contribue (consciemment ou inconsciemment) à dévaloriser, minoriser ou complexer les acteurs de ce contexte qualifié de  «  provincial  », «  dépassé  », «  folklorique  », «  primaire  », «  bon enfant  », «  sans avenir  »… par les décideurs   et maîtres de la communication.

A contrario, le non-statut des expressions «  minoritaires  » invite à aller voir dans l’histoire et l’anthropologie de leurs origines, de leurs répertoires inachevés et des témoignages méconnus qui révèlent un tout autre intérêt, civilisationnel s’il en est.

 «  L’angle mort  » du champ visuel répertorié.
Ce regard sur le rétroviseur des recherches me fait découvrir 1000 ans de littérature dramatique occitane. Ce regard est indispensable même s’il n’est pas l’objet central de cette causerie. Nous nous y risquons cependant pour retenir quelques particularités qui importent au théâtre d’oc d’aujourd’hui, à sa critique comme à son intérêt. J’en viens à ces particularités non pas pour rivaliser - à coup d’œuvres et d’auteurs - avec le répertoire de langue française, mais pour signaler des déterminismes, desquels on ne peut se libérer qu’au prix d’une conscience claire, capable d’évaluer les deux aspects de la question  : les périls et les avantages d’un phénomène qui s’impose à nous parce qu’il est celui d’une ethno-culture minoritaire du domaine national français.

Alors que la raison d’être des arts officiels d’un régime dominant devenait la nouveauté à tout prix, la survivance d’une culture minoritaire reposait sur la notion de tradition. Il a fallu attendre la charte de l’UNESCO (2003-2006) sur les «  patrimoines culturels immatériels  » pour que ce mot de tradition échappe aux gémonies qui le confondaient avec le mot  : conservatisme (conservatisme linguistique, stylistique, sociétal, politique…) Eh bien non  ! La tradition évolue.

Sa problématique invite même à différencier le domaine largement culturel et le domaine étroitement artistique, même si l’un ne va pas sans l’autre.

La culture totalise toutes les façons d’être, de penser, de manger, de se vêtir, d’habiter, de vivre et de mourir  : elle est un héritage collectif. Les arts ne totalisent que la somme des ateliers particuliers qui influencent la culture commune à partir d’initiatives plus personnelles ou privées. En territoire officiel,  les arts voudraient supplanter la culture au point de faire croire qu’ils en sont le moteur. En position de dépendance, les arts minoritaires ont moins d’ambitions  : ils gardent une vocation plus collective et s’en tiennent souvent au chantier existentiel de la communauté, à partir de matrices prioritaires plus que d’écoles esthétiques.

Un des rares historiens du théâtre provençal (Étienne Fuzellier – 1965) a repéré les trois matrices qui lui paraissent essentielles dans la tradition méridionale  : la sacrée (religieuse ou commémorative), la comique (d’origine farcesque ou licencieuse), la littéraire (à vocation universelle mais souvent en «  retard  » ). J’ajouterai qu’en matière artistique, la tradition regarde moins aux frontières disciplinaires (théâtre/danse/musique…) que ne le fait la création institutionnelle, publique ou privée. Sa fonction festive ou rituelle ou civique l’invite à faire feu de tout bois pour un bonus privilégiant la transmission et l’initiation intergénérationnelle locale.

Si dans les arts officiels occidentaux , ce sont les écoles esthétiques (classicisme, romantisme, symbolisme…) qui emportent le mouvement créatif, dans les arts minoritaires ce sont plutôt des cycles temporels qui dialectisent l’évolution à la fois esthétique et culturelle de la société ambiante. Des cycles longs de maintenance alternent avec des cycles courts de transgression. Ainsi a-t-on vu dans l’histoire millénaire du théâtre d’oc, trois temps dits transgressifs (lo trobar médiéval, lo baròc renaissantiste e lo felibrenc du milieu du XIXe siècle) subvertissant des temps de maintenance (les XIV-XVe, les XVII-XVIIIe, le XIX-XXe du repli félibréen…).

À noter également que les temps transgresseurs co-habitent avec des événements civilisationnels que l’on pourrait qualifier de  mondiaux  : l’émancipation courtoise dans l’amour chrétien féodal, la Renaissance impliquant Réforme et Contre-réforme,  l’éveil des nationalités européennes et latino-américaines au XIXè siècle. Notons finalement que ces temps courts ou longs des cycles minoritaires témoignent d’une évolution de l’affirmation identitaire qui apparaît diverse, voire contradictoire  : «  hérétique  »  (XIIIe) ou «  libertine  » (XVI-XVIIe) , ou bien se complaire dans «  l’ethno-type  » induit par le pouvoir dominant (XIXe), ou bien s’ériger en «  contre-pouvoir  » rouge ou blanc (XIX-XXe), ou bien encore se proclamer «  contre-culture  » ou «  anti-capitales  » (XXe) face au centralisme hégémonique.

Cette action de l’histoire et de l’anthropologie importe à l’attention que nous devons porter sur le répertoire du théâtre occitan et sur sa pertinence à tel ou tel moment de sa prise en compte. Tout «  minoritaire  » soit-il, il entretient avec la culture et les arts officiels des liens réciproquement fondateurs. En ce sens, il participe à la culture nationale. Et à ce titre, il mériterait une place reconnue par la Constitution.

Pour une maîtrise plus raisonnée du choix offert par le répertoire.
Libre à chaque compagnie de piocher dans le labyrinthe. Dans la période 1936-1996, le répertoire est constitué de quelques 250 auteurs et de quelques 1200 œuvres théâtrales occitanes et bilingues (occitan-français). Beaucoup sont manuscrites ou polycopiées, accessibles ou non . Cette précarité est aussi le signe de la réalité dite minoritaire. N’oublions pas qu’une partie de ces oeuvres faillit être emportée par le pourridié quand le CIDO (anté-CIRDOC) ne possédait à Béziers que des locaux humides malgré la bataille que des pionniers – comme Yves Rouquette – livrèrent pour réunir et conserver les premiers fonds. Pour ma part, je n’oublie pas combien fut compliquée la course qui me mena aux quatre coins de la grande Occitanie pour retrouver les dépositaires, auteurs vivants ou héritiers des pièces recherchées et menacées de disparition.

Entrons dans la période contemporaine. Elle vérifie la série cyclique précédemment décrite. Après la maintenance que le  félibrige assume sur la fin du XIXe et le début du XXe siècle, le réveil occitaniste  précipite deux temps courts  transgresseurs : celui autour de la seconde guerre mondiale qui revendique contre le  populisme félibréen  une graphie et une tenue littéraire de qualité universelle («  la fe sens òbra mòrta es  ») et la génération 1968 qui radicalise ce réveil («  per salvar la lenga, cal salvar lo pais  »). Avec les années 1990 se redéploie un temps long, mainteneur (nous y sommes encore)  : celui d’une mondialisation dénoncée mais pas suffisamment combattue. Le théâtre d’oc (amateur comme professionnel) ne se donne plus les moyens d’une solidarité d’action et de réflexion collectives. Il n’empêche que le répertoire de cette période témoigne d’une belle variété d’expressions.  

Considérons à présent l’ensemble contemporain sous l’effet des deux impulsions transgressives et de son retour à la maintenance. Sans perdre de vue les trois matrices proposées par Fuzellier  :

1936… Avant-guerre avec la Nèit d’estiu (Clardeluna) et durant-guerre avec la Crotz erbosa (Marcel Fournier) s’inaugure une forme tragique qui s’apparente à l’ethno-drame, si l’on veut bien comparer, à travers les déchirements et les détrônements familiaux, l’enjeu historique du mas familial et celui du pais  ethno-culturel. Une variation  de cette dramaturgie apparaît dans  lo teatre paisan promu par le courant des Henry Mouly, Juliette Cransac-Artous,  Ernest Vieu… Il garde l’analogie du mas et du pays mais il la décline dans la comédie de mœurs où la question de l’héritage et de ses tricheries s’amuse des mentalités sans perdre l’enjeu  : le devenir du mas-pais.
  Tout aussi novateur est le burlesque qui s’empare de la galéjade post-félibréenne pour tripler son savoir-faire  : l’enjouement avec Charles Galtier ou Panazô, le surjouement   (Catinou et Jacouti) avec Charles Mouly ou Francis Gag (Tata Vitourino) et le déjouement avec Frédéric Cayrou ou Paul Marquion.

L’impératif littéraire souhaitée par les occitanistes de l’époque ne jouit pas de la ferveur populaire qui accompagne les exemples précédents, il n’en est pas moins évident qu’un théâtre des poètes surgit pour se frotter à tous les horizons de la théâtralité (Max Rouquette, Max Philippe Delavouët, René Nelly, Robert Lafont, René Jouveau, Léon Cordes, Antoine Dubernard…) Dommage que ce courant littéraire n’ait pas souvent accès à  des créations qui l’auraient enrichi de l’expérience scénique utile à la vitalité de l’action dramatique.
1968… Sur les barricades d’une jeunesse qui monte à l’assaut de tous les interdits jaillit de façon inattendue, un teatre de liberacion, en occitan et en français, qui mêle promptement les thèses décolonisatrices ou décentralisatrices de Robert Lafont ou de Félix Castan aux revendications tiers-mondistes, féministes,  pacifistes, écologistes internationales. De la Nòva Cançon Occitana au Teatre de la Carriera, tout un mouvement culturel (Action Jeune Théâtre, Accion Culturala Occitana, Discs Ventadorn et Revolum, Edicions Quatre Vertats…) envahit villes et campagnes pour regreffer aici e ara la langue au pays («  Òme d’òc as drecht a la paraula, parla  !  »)
 Dans la luxuriance des formes explorées, la tradition (méconnue par la génération entrante) refait surface et se fond dans l’imaginaire underground porté par  l’air du temps. Compte d’égale façon l’expérience scénique acquise dans cet «  oeuvrage  »: le choix des sujets traités, leur adéquation aux contextes environnants, leur enrichissement par les références locales, le rôle dévolu à la mise en scène et à l’interprétation, la traque d’une gestualité inscrite dans le terreau qui la réclame.

Désormais s’impose une évidence  : le savoir-faire scénique compte autant que le répertoire. C’est pourquoi nous n’épiloguerons pas sur le répertoire de ces années-là, ni sur la pérennité des nombreuses oeuvres qu’elles enfantent. Nous retiendrons seulement l’importance de la pratique théâtrale et des auteurs-metteurs en scène (au féminin comme au masculin) qui en émergent malgré le ressac que les années 1980 imposent à cette embellie.
1984-aujourd’hui… C’est au titre de la maintenance que se répertorie présentement cette mouvance qui a bien du mal à transmettre un savoir-faire durement acquis et bougrement utile à la survie du théâtre d’oc. Répertorier cette maintenance post-félibréenne et post-occitaniste exige plus qu’un répertoire. Associons à ce répertoire (non complété) les observations qui commentent son itinéraire.

Pour un observatoire des possibles  :
Après l’espérance des années 1970, le jeune théâtre d’oc qui parvient à se professionnaliser ( sept à huit troupes) doit affronter des contraintes qui le réduisent à quatre troupes professionnelles (Théâtre de la Rampe-TIO, Centre Dramatique Occitan de Provence, Théâtre des Carmes et Compagnie Gargamela) durant les années 1990. Cependant son intérêt suscite des recompositions et des reconversions sur les voies que sa pratique a désignées comme possibles. Les vocations suscitées peuvent difficilement se professionnaliser sauf sur des projets qui recoupent précisément ces nouvelles pistes. Nombre d’initiatives sont alors portées par un théâtre que l’on nommerait amateur s’il n’avait été dynamisé par des professionnels ou des gens d’expérience. Confrontons leurs initiatives aux trois paradigmes notés par Fuzellier. Ce type de repérage contribue encore une fois à discerner les évolutions qui animent ce cycle de la maintenance (ou de la résistance) contemporaine.

Le sacré  : Il maintient la longue tradition des pastorales provençales mais, sous la plume des Roger Pasturel, Pierre Pessemesse, Yves Garric, Claude Alranq…, elle ne cesse de s’actualiser en replantant, dans la sacralité, la mythologie méditerranéenne et les enjeux des questions environnementales.

Ledit sacré s’enrichit également de l’évolution du théâtre historique qui inspira la génération 1936 puis la génération 1968 en faisant entrer «  l’autre histoire  » (la minorisée) dans la dramaturgie contemporaine. Ainsi la question «  identitaire  » apparaît dans le champ traditionnellement réservé au religieux. Loin de renier la valeur du «  sacré  », l’idéal laïque et communaliste que «  l’autre histoire  » contient,  renouvelle sa portée spirituelle. Le théâtre occitan apparaît alors à l’avant-garde des nombreuses initiatives (son et lumières, visites théâtralisées, reconstitutions historiques) qui créent - dès les années 1990 - un véritable engouement des publics pour les commémorations festives autour d’un site, d’un événement, d’un métier ou d’un grand personnage. Tous les auteurs occitans de cette période collaborent à ce phénomène (Yves Rouquette, Jean Larzac, Anne Clément, André Neyton, André Benedetto, Guy Vassal, Marceau Esquieu, Jan dau Melhau, Raoul Nathiez, Christian Pastre, Jean-Claude Audemar, Yves Garric, Roger Pasturel, Patrick Pezins, Michel Cordes, Jean-Louis Roqueplan…)

Le succès populaire est tel que les politiques locaux découvrent ce qu’ils nomment  «  le  marché du tourisme culturel  »  que les lobbies du multi-media (d’une part) et des projets localistes (d’autre part) s’empressent d’occuper au détriment de sa véracité historique et ethno-culturelle. Les auteurs occitans en course sur ce terrain doivent réinventer des formes plus interactives avec le présent (Claude Alranq-Théâtre la Rampe-TIO) ou avec les variétés (Bernard Cauhapé-Comedia dell’Oc) ou avec des festivités «  communalistes  » ( Jean-Louis Roqueplan-Teatre de l’Alauda) ou avec la poésie narrative (Michèle Stenta…) pour maintenir un fondement d’authenticité ou de parodisation qui sauve le clin d’œil de l’histoire ou de l’esprit.

Plus récemment encore - et avant même que les institutions ne parlent de «  patrimoine culturel immatériel  » - entrent dans cette sacralité les fêtes saisonnières traditionnelles (Sant Blasi-Carnaval, Sant Joan d’estiu, Martror, Nadal ) que Théâtre des Origines, Saboï, Teatre  Baug…plongent dans leur anthropologie pour retrouver leur sens  , leur santé et leurs dimensions participatives et transdisciplinaires. La musique, la danse, les arts plastiques et scénographiques concourent à ces productions avec la participation d’associations locales impliquées dans cette dynamique. Il ne s’agit plus de présence illustrative ou figurative mais d’intégration créatrice (Christian Coulomb, Véro Valéry, Jérôme Dru, Perrine Alranq, Isabelle François, Marie Gaspa, Ania Wisnianka …)

Le comique  : De par ses capacités linguistique, gestuelle et humoristique, il reste le référent le plus «  mainteneur  ». Les solistes ont donné le ton avec des personnages comme Padena (Robert  Marti), Lucette (Daniel Vilanova), Lenga de Pelha (C. Alranq)… jusqu’à ce qu’une nouvelle vague de contaires e cantatrizs déborde le champ comique, redécouvre la littérature orale occitane  entretenue par des  conteurs de pays (André Lagarde, Marceau Esquieu, Léon Cordes, Georges Gros, Michel Chadeuil, Marinette Mazoyer, Jean Guers…) et la  ressource dans l’imaginaire contemporain (Roland Pécout, Daniel Lhomont, Thérèse Canet, Alain Rouch, Jean-Louis Courtial, Gisèle Pierra, Yves Durand, Delphine Aguilera, Lise Gros, René Huré, Clamenç (André Clément), Gilles Buonomo, Monique Burg, Florant Mercadier, Marie Coumes, Fabien Bages…)
 Moins connue et toute aussi intéressante est l’évolution de la comédie de mœurs qui fut la bien-aimée du félibrige.  Elle eut beaucoup de mal à sortir de sa ruralité velléitaire mais c’est peut-être cette singularité qui  fait apprécier maintenant ( à l’heure de l’uniformisation à grande échelle)  sa  capacité à marier l’enracinement et la fiction, à confronter la fantaisie (faussement) naïve aux postulats modernistes et arrogants, non plus seulement à l’horizon du clocher mais de ce qui façonne l’ample de l’ethno-comédie que des auteurs et metteurs en scène comme Gaston Beltrame, René Moucadel, Fulbert Cant, Yves Garric-Bernard Cauhappé, Marceau Esquieu, Raoul Nathiez , Florian Vernet-André Neyton,  Mireille Loubet, Hubert Lux, Jean-Marie Rami, Gilbert Narioo, Jean-Claude Audemar, Frédéric Vouland… surent engendrer.

Le littéraire  : 
Il échappe progressivement aux dangers que l’écrit dramatique fait courir au jeu théâtral et à la fascination que le modèle  national (ou mondial) inflige à la créativité locale. En créant le TIO (Théâtre Occitan Inter-régional), le Théâtre de la Rampe se propose, dans les années 1990, de créer un service public de la langue d’oc fondé sur la restitution du patrimoine théâtral occitan et sur la formation de jeunes acteurs capables d’interpréter ce répertoire. En 2000, la première licence professionnelle artistique en France ( Acteurs-Sud) créée par Claude Alranq à l’Université de Nice  aurait pu concourir durablement au projet du TIO. L’hostilité du monde universitaire à la professionnalisation et à la pluralité des cultures de France, met un terme à cette tentative qui essaya de se recycler dans les schémas de formation professionnelle que les Régions ont mission d’accomplir. Cinq années de dossiers conséquents, de créations significatives et de démarches tenaces ne parviennent pas à concilier le statut des postulants à cette formation et les conditions administratives.
 Parallèlement à cette recherche d’une issue institutionnelle, le théâtre d’oc à vocation littéraire trouve dans l’occitanitude une inspiration convenant à ces temps de maintenance.  L’occitanitude est à la personne ce que l’occitanité est à la collectivité.  Ce repli vers la subjectivité n’est pas un enfermement, il multiplie les centres d’intérêt qu’une émotion poétique éprouve face au sablier de son existence. Qu’elle touche au souvenir, à l’utopie, au regard intérieur ou au ressentiment, cette occitanitude se faufile à travers les trois dernières générations qui, recherchant l’infiniment prés sur la grava del camin, voyagent dans l’infiniment loin (Max Rouquette,  Ferdinand Deleris,  Jean-Pierre Tennevin,  Anne Clément, Maurice Andrieu, Roland Pécout, Alain Surre-Garcia, Dominique Lautré,  Jean-Louis Roqueplan-Hervé Marcillat, Jean-Claude Forêt, Jean-Michel Hernandez …).

Autres temps, d’autres axes  :
Le théâtre pour enfants, le théâtre des femmes et aussi le théâtre des minorités (quand il brandit la conscience qu’il a de lui-même et sa vision du monde) sont des genres qui n’apparaissent pas dans la nomenclature de Fuzellier, bien que enfants, femmes ou minoritaires de tout poil transparaissent dans les matrices qu’il propose au répertoire d’oc dès 1965.  Depuis, ces aspirations ont gagné leurs propres espaces.


Lo teatre pels dròlles ne cesse de gagner du terrain depuis que Jean-Louis Blénet et Bruno Cécillon-Théâtre de la Rampe, et les écoles de las Calandretas, ont lancé ce défi. Il est devenu un des maillons essentiels du théâtre contemporain. ART-Compagnie, Gargamela-Teatre, Théâtre de la Loue, Théâtre des Origines et bien des auteurs-auteures concourent à sa pérennité.

Lo teatre de las femnas que lo Teatre de la Carriera  (Anne Clément, Catherine et Marie-Hélène Bonafé) ont initié à partir de 1980 s’est peu multiplié en tant que tel mais les femmes auteures ou metteurs en scène sont de plus en plus présentes et performatrices d’un théâtre se dégageant des limites académiques pour se réinventer dans d’autres espaces, avec d’autres arts, en expérimentant d’autres fonctions (ludiques, thérapeutiques, pédagogiques, civiques), sous des formes organisatrices qui essaient de dépasser les clivages entre âges, métiers, associations.

Lo teatre de las minoritats s’est transformé. L’engagement des années 1970 qui le définit comme un teatre de liberacion s’en tient aujourd’hui à la langue. La lenga nòstra est redevenue le critère central du théâtre d’oc. Est-il suffisant pour assurer les lendemains  ? Il n’a pas suffi au théâtre félibréen, suffira-t-il à un théâtre occitaniste qui se cherche depuis la fin du cycle court où il concourut fortement à induire et à représenter l’idée, l’image et l’action du pais que vòl viure (Claude Marti)  ?

Pour un répertoire vivant et de transmission expérimentale  :
Aussi positif puisse être le compte-rendu des répertoires cités ci-dessus, une évidence s’impose  : las òbras ne suffisent plus à entretenir la fe. Les œuvres n’ont pas fait défaut, certains diront qu’elles ne furent pas assez géniales. Généralement ceux qui entonnent ce chapitre son pas aqueles qu’an susat la camisa per l’acaminar. Basta per las òbras  ! Trabalhon pas soletas. Les écrits doivent être édités, lus et repris par des troupes, produits-mis en scène-interprétés, créés-médiatisés-diffusés, vus par des publics, des critiques, des élus, confrontés aux bouillonnements d’une époque… Autant de conditions devenues difficiles dans le monde du théâtre français en général et des langues de France en particulier.

Ajoutons une autre condition, catégorique celle-là  : le théâtre indépendant ou minoritaire  ou populaire ne peut plus aujourd’hui atteindre ses objectifs s’il n’a pas aussi un débouché sur les arts de l’image. Le XXè siècle méridional (1929-1944) avait bien innové en la matière avec des cinéastes-producteurs comme Pagnol à Marseille, Couzinet à Bordeaux. Puis l’impasse  : Paris  ! Grâce à des réalisateurs comme Jean Fléchet, René Allio, Amic Bedel, Francis Fourcou, Òctele…, la porte d’un audiovisuel occitan s’est entr’ouverte à nouveau, mais le cinéma coûte cher et les investissements qui franchissent ces portes sont réservés excessivement à des projets qui ne retiennent de la grande Occitanie que ses paysages, ses figurants et les subsides locales. Même l’accent est banni ou assorti à des ethno-types éculés.

Alors - tout compte fait - le théâtre d’oc n’a manqué ni de fe, ni d’òbras. C’est presque miraculeux qu’il ait pu survivre à ses 1000 ans d’histoire. Il lui manque  (surtout) ce qu’il lui a toujours manqué  : Que ses œuvres écrites puissent être jouées  ! Que ce jeu théâtral soit transmis  ! Et que cette transmission se fasse dans tous les langages nécessaires pour exprimer son être  : langue d’oc, langue d’oïl, corps, esprit…
 Je l’ai indiqué en préalable à cette causerie  : les langages qui nous constituent ne sont pas reconnus par la République française, même s’ils ont toujours concouru à son histoire et à sa civilisation. Et cet interdit ne fait qu’accroître bien d’autres obstacles, mondiaux comme locaux, professionnels comme personnels. En parler est devenu politiquement incorrect, culturellement communautariste et artistiquement désuet, culpabilisant ou ennuyeux... Bref  ! Que chacun(e) juge selon sa conscience.

En ce qui me concerne, je constate que le climat actuel conduit à une «  maintenance  » durable avec le risque d’un dangereux naufrage. Cependant, j’ajouterai qu’il n’y a pas de ce naufrage-là sans son contraire. Et ce contraire est déjà apparent, alternatif, suffisamment fécond pour mériter d’être renforcé. Depuis une cinquantaine d’années, nous avons été de ceux qui n’ont jamais cessé de l’annoncer sans être écoutés. Ce contraire est dans l’interculturalité communale, dans la transdisciplinarité artistique, dans la priorité aux projets dits territoriaux, patrimoniaux, expérimentaux, avec des partenaires de proximité ou de fraternité, aux convictions qui ne se mesurent plus à l’aune  du suivisme,  du carriérisme, du succursalisme,  de l’électoralisme, du centralisme… mais à l’enracinement, au vivre-ensemble, à la mutualité des savoir-faire, à la gestation d’une créativité de pays, avec toutes celles et tous ceux qui ont pris le parti d’y vivre, de partager et de transmettre. Ce contraire annonce un autre «  temps court  », transgressif, cohabitant avec un air du temps international qui s’inquiète de…

J’arrête pour ne pas tomber dans l’incantation. On m’a demandé de parler répertoire. J’ai répondu en proposant un observatoire des œuvres et des pratiques qui discernent des possibles. Ces possibles sont plus un vivier qu’un répertoire. Ce vivier est en création et c’est cette vitalité créatrice qui s’emparera des anciens répertoires pour qu’ils puissent concourir enfin au théâtre dont nous avons besoin. Lo país que vòl viure chante en nous et c’est cet enchantement qui nous rend curieux des répertoires et qui en trouve la clé. Qui disait  « Quau ten la lenga ten la clau de si cadena se desliura »  ? Aujourd’hui ne faudrait-il pas ajouter  : Qual s’encanta del pais ne troba la clau e se desliura  ?
                                                                                                        Claude Alranq




* Question actualisation  : nous voulons parler des plus récentes initiatives qui, mêlant souvent théâtre, contes, chants, musiques, danses, peintures, arts plastiques et audio-visuels, jouant de la langue d’oc et d’autres langues, s’exposant à d’autres milieux, s’auto-organisant de façon différente… sont à la recherche de nouveaux langages qui mériteraient d’être confrontées au répertoire dont je me fais l’écho dans cette causerie. 
(Cf  : Collectif Sirventès, Théâtre du Petit Pain, Théâtre des Origines, Teatre Baug, Banda Sagana, Cie GdRA,  Fabrique Sauvage, Cherguy Théâtre,  Cia Calame Alen, Cie Dis Israe, Cie du Parler Noir,  Cie Nordack, Collectif Çi, AELOC, Cie Lilo, Cie CKC, Cie Rêve, Djé Baleti, le TàD, Soccarel, Cie Hecho, Dahucollectif, K.O.P., Cie Maayan, Collectif Ça-i, Fe-M Collectiu…  : voir le catalogue de la production occitane du CIRDOC  : Tè  !)


dictada.jpg
Entraînement à la Dictada - Extrait 2: "La Monina e lo Palhassa", de Claude Alranq
Claude Alranq

La monina e lo palhassa

 

Un còp èra, un clown, un palhassa que disèm en cò nòstre. Èra pas un comic de la sanflorada, pasmens sabiá un pauc far rire, un pauc far paur... Ça que la, un brave palhassa al trefons de son còr !

 

Aviá una monineta. La sonava Mon Còr. Aquela èra mai que polideta, bograment intelligenta e bograment coquinassa a l'encòp. Lo palhassa l'aimava plan sa monineta.

 

Quand fasiá caud, èra Mon Còr qu'anava quèrre d'aiga ; quand fasiá fred, èra Mon Còr qu'alucava lo fuòc. Fin finala, èra pas tant aissabla qu'aquò, la Mon Còr...

Pasmens se rabalava la tissa de las tissas : cada còp que la luna èra redonda dins lo cèl, voliá montar cap a ela, a tota bomba voliá sautar sus ela, plorava, s'encapriciava, bramava qu'èra lo palhassa que la voliá pas daissar anar sus la luna.

 


Deveniá impossible e lo paure palhassa deveniá malurós, tan malurós que las gents disián :

« Qu'es triste aquel palhassa ! Pas possible, es un patiràs ! »

Lèu-lèu, lo palhassa s'encorissiá en cò de la marchanda de grimaças, monas e reganhons. Ne crompava plen sas pòchas. S'entornava dins son circus, ne cargava una sus son morre, s'escampava sus la pista, palhassava tant e mai que las gents picavan de las mans...

 


Extrach tirat de : Alranq, Claude, La monina e lo palhassa, I.E.O.-Aude, Quillan, 1996. 

pelican-couv-vignette.jpg
Claude Alranq
Fred Cot
Johan Hannequin, photographe
Lo 19 de mai de 2012, un animal totemic novèl nais dins l'oèst erautés, lo Pelican de Puègserguièr, a l'iniciativa dels Goulamas'K. Aqueste « dorsièr del patrimòni cultural immaterial » tòrna prene los diferents temps de l'eveniment.