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Pròsper
Estieu
Lo Romancero
Occitan
AM
TRADUCCION
Entroducclon pel Baron
FRANCEZA
Desazars de Montgalhard
castèlnòudari
Societat
37,
d'Edicion
Occitana
Carrièrà de la Bafa,
MCMXIV
37
����LO ROMANCERO
OCCITAN
3
�Lou
traducin-8. (Bibliotèca de la
Méridionale, Carcasona ) 1895. . . 6 fr.
Terradou, sonets lengadocians, am
cion franceza.
Revue
Flors
—
xn-300 p.
d'Occitania,
traduccion franceza.
queste,
La
L'AUTOR:
DE
OBRAS
sonets en lenga d'Oc, am
— xn-280 p.
in-8. ( J. Mar-
[editor, Toloza) 1906!
Canson
jOcciTANA, [tròbas |en [lenga d'Oc, am
264 p. in-8. (Bibliotèca de
Méridionale, Carcasona) 1908. . 6 fr.
traduccion franceza.
la Revue
6 fr.
—
Drets de traduccion
e
de
reproduccion reservats
per tots païdes.
�Pròsper
Estieu
Lo Romancero
Occitan
AM
TRADUCCION
FRANCEZA
Bntroducclon pel Baron Desazars
de Montgalhard
CASTELNÒUDARI
Societat d'Edicion
37,
Occitana
Carrièra de la Bafa,
MCMXIV
Fons ANDRIU-J. boussac
CIRDOC
C.I.D.O.
bézieiís
oc0008114
�AA6 W6
OAs 21
>/331
\u
�INTRODUCTION
�■
.
�Introduction
près le Romancero général, « mauresque
et espagnol », un des plus curieux monu¬
ments littéraires du XVFsiècle, véritable
qui a si longuement fourni à l'inspiration
de la poésie et surtout du théâtre, en Espagne et
dans to ute l'Europe ; après le Romancero français,
recueil des « romances » des Trouvères, qui nous
offre \uii \choix des plus jolis poèmes chevaleres¬
ques en langue d'Oïl, voici le Romancero Occitan.
trésor
S'il fallait s'en rapporter à ce titre, d'après
les ouvrages précédents, il s'agirait d'une série de
Cansons recueillies {en pays d'Oc et remontant aux
temps féodaux et médiévaux. Mais non. Au lieti
d'une compilation plus oumoins complète,plus ou
moins érudite, au lieu d'une Iliade sans Homère,
nous sommes
en
présence d'une
œuvre
essentiel-
�INTRODUCTION
X
personnelle, quoique s'inspirant des an¬
épopées, d'un Romancero comme celui du
Cid, dans la Légende des Siècles.
lement
ciennes
L'auteur de
Romancero est
Pròsper Estieu,
plus grands poètes de langue d'Oc, bien
connu par ses œuvres de premier ordre comme :
LouTerradou, Flors d'Occitania, LaCanson Occitana
et surtout Bordons Biblics, d'un sentiment si élevé
et d'une forme si parfaite ! Pròsper Estieu a pris
pour sujet de sa nouvelle œuvre poétique la geste
des principaux personnages du cycle Carolin¬
gien ; et, à l'exemple des anciens Trotivères, il a
fait de l'un d'eux le représentant et le type de
totites les nobles idées, de tous les grands senti¬
ments, de toutes les admirations de son temps.
Il nous le montre plein de cœur et d'expension,
de sincérité et de bravoure, de haine pour l'en¬
vahisseur Musulman, de dévouement à l'Empe¬
reur franc, à défaut de sentiment patriotique qui
n'existait pas encore, et, par-dessus tout, de sen¬
timent religieux et chrétien. En de vivants et lumi¬
neux tableaux, il nous rappelle tous les hauts
faits du Paladin avec les traits qui le caracté¬
risent : force du corps, élévation de l'âtne, énergie
et indépendance du caractère, loyauté chevale¬
resque, amour profond et impétueux, foi catho¬
lique.
un
ce
des
Ce noble héros, c'est Guillaume, comte de
Toulouse, duc d'Aquitaine, premier prince d'O¬
range, devenu.,
de l'abbaye de
dans sa vieillesse, moine-fondateur
Gellonne, révéré comme un saint
�INTRODUCTION
XI
donné
bourg qui s'est groupé autour de
l'abbaye qu'il avait fondée et qui est connue au¬
sous
son
le vocable de Saint Guillaume, ayant
an
nom
jourd'hui
sous
enfin
Désert,
le nom de S aint-Guilhèm-duressuscité par les Trouvères et
dans les poèmes
postériejirs à ceux du XIIe siècle. Il était égale¬
ment appelé Guillaume au Court-Nez ( Guilhèm
del Cort-Nas ). Ce surnom lui venait sans doute
de ce que son ne% était largement camus, ce qui
lui donnait une physionomie narquoise qu'accen¬
tuait un rire sar do nique, ainsi que le lui faisait
observer son neveu Bertrand, dans le poème
intitule : La Prise d'Orange. Mais les Trouvères
se sont plu à poétiser cette particularité physique
du visage de Guillaume et ils l'ont attribuée à
l'ablation de son ne%, en im duel épique raconté
dans le poème ayant po ur titre : Le Couronnement
Looys, où le géant sarrasin Corsolt n'avait pu
atteindre avec son épée que la partie du visage
de Guillaume qui n'avait pas été touchée par la
reliqtie du bras de Saint Pierre promenée sur
tout son corps, pour le rendre invulnérable. (r)
devenant Guillaume Fièrebrasse,
Nulle
lui être
figure épique du Moyen Age ne saurait
supérieure, ni celle du Cid Campeador,
(i) Dans la Revue des Langues Romanes (Janvier-Mars 1912), M. J. Acher
le désigne sous le nom de Guilhèm del Corb-Na^ (Guillelmus Curbinasus), d'après un texte latin du XIIe siècle trouvé récemment à
Londres. Nous ne savons jusqu'à quel point cette nouvelle appellation
peut être scientifiquement justifiée. Mais ce qui fait autorité, au point
de vue légendaire et épique — le seul que l'auteur du Romancero
�XII
INTRODUCTION
ni celle de
Rolland,
devancier de quelques
son
années seulement, dont la mort
héroïque eut un
grand retentissement, dans son temps comme
dans les siècles postérieurs, et dont il fut le
si
vengeur.
Malheureusement,
connaître
VIII*
nous
l'histoire du
siècle,
époque. Ce
de
la France
au
ni annales ni mémoires de cette
fut guère l'habitude des Méri¬
par l'écriture le souvenir
ne
dionaux de
n'avons, pour bien
Midi
conserver
des faits dont ils avaient été les témoins. Nous
devons nous en tenir à quelques chroniques caro¬
lingiennes aussi rares que sommaires. Après
avoir rappelé ce que les historiens ont noté de la
vie glorieuse du héros principal du Romancero
Occitan, nous essaierons de dire ce qu'en ont fait
d'abord la légende, ensuite les Poètes épiques des
XT et XIIe siècles.
a) L'Histoire.
Au dire d'Eginhard, Guil¬
avait pour mère Aldane
(Aude), une des trois filles connues de CharlesMartel. Il était donc neveu de Pépin-le-Bref et
cousin-germain de Charlemagne. Quant à son
père, il se nommait Tuderic (Thierry) et était
laume
de
—
Toulouse
Occitan ait voulu envisager — c'est le vieux poème du Couronnement
Looys, qui remonte aussi au XIIe siècle, et où il est dit qu'à Rome
le géant sarrasin Corsolt
.
iiert Guillaume
.
Et de
Maint
son
nés abat le
reprovier
çn
r
someron.
ot puis li frans homs.
(Edition Jonckbloet).
�XIII
INTRODUCTION
duc d'armée
on ne
au
service de
Charlemagne ; mais
wisigoth.
soient pas bien précis à cet
saurait dire s'il était franc on
Quoique les textes 11e
égard, il semble plutôt qu'il était d'origine wisigothique. A une taille gigantesque et à une force
athlétique, Guillaume joignait une âme ardente
et un cœur généreux. Il s'était fait remarquer
dès son enfance par son courage et son intrépi¬
dité. Pendant qu'il était encore tout jeune, Char¬
lemagne le nomma chef de la première cohorte
avec
le titre de
Comte du Palais. Il
ne
devait
par tarder à conquérir la réputation du preux
le plus brave de son temps.
Pour dominer le Midi
avaient tout à la
à
Pyrénéen, les Francs
fois à subjuguer les Vascons et
repousser les Arabes. Pépin-le-Bref avait passé
les dix dernières années de
vie à
conquérir
conquête lui était indispen¬
sable pour réaliser ses desseins, car il n'y aurait
pas eu de France, si le pays entre la Loire et les
Pyrénées eût constitué une unité politique : de
même qu'il n'y aurait pas eu d'Allemagne sans
la conquête de la Saxe. La série des guerres achar¬
nées qui se sont faites à cette époque et qui se sont
terminées par l'annexion de ces deux pays à
l'Empire carolingien a préparé la scission qui
devait s'effectuer entre les Francs Orientaux, dont
elle faisait des Allemands, et les Francs Occiden¬
taux, dont elle faisait des Français.
l'Aquitaine
; et cette
A la mort de
de
sa
nouveaux
Pépin, les Aquitains tentèrent
que Charlemagne
soulèvements,
�XIV
INTRODUCTION
s'empressa de réprimer. Mais ils devaient prendre
leur revanche peu après. Depuis longtemps Charlemagne méditait le projet de continuer l'œuvre
de Charles-Martel et de Pépin-le-Bref contre les
Sarrasins, en profitant de la rivalité qui existait
entre les khalifats de Bagdad et de Cordoue et
affaiblissait le monde musulman, lorsqu'il reçut
à Paderbom la visite de l'émir de Saragosse,
Hussein-al-Abdari, qui s'était révolté contre le
khalife de Cordoue, Abd-el-Rahman. L'occasion
lui parut propice pour exécuter ses projets contre
les Arabes. Il s'empressa de rassembler une forte
armée, lui fit passer les Pyrénées par Saint-JeanPied-de-Port, prit Pampelune, joignit à Sara¬
gosse une autre armée franque qui était venue
par le Roussillon et rétablit Hussein-al-Abdari
dans son gouvernement ; mais il échoua devant
Saragosse.
A moitié vainqueur, il s'en revenait asse\ tris¬
tement, ayant en tête de nombreux projets pour
prendre sa revanche. Il avait repassé sans
encombre les
laissant
de
dans
Pyrénées
son
avec sa
Grande-Armée,
Arrière-Garde bon
nombre
principaux lieutenants et plusieurs grands
personnages de sa cour, tels que Roland, préfet
de la Marche de Bretagne ; Anselme, comte du
Palais ; Eggihard, prévôt de la table royale. Le
/5 août 77<S, l'Arrière-Garde était arrivée à un
passage étroit de la montagne qui domine la
petite vallée de Roncevaux, lorsqu'un bruit for¬
midable se fit tout-à-coup entendre dans le bois
ses
�INTRODUCTION
XV
épais dont cette partie des Pyrénées était alors
couverte.
Des milliers d'hommes
en
sortirent et
jetèrent sur les Francs. C'étaient les Vas cons
qui faisaient cette irruption inattendue. Ils cer¬
nèrent les fiers barons de l'Arrière-Garde dans
l'étroit vallon où ils s'étaient engagés et les égor¬
gèrent jusqu'au dernier. Aussitôt après, les Vascons
se
dispersèrent. Charlemagne ne put les
atteindre et il en ressentit une longue et cruelle
se
douleur.
La
sanglante défaite de Roncevaux et la mort
dramatique de Roland émurent vivement les
esprits. Ce fut un deuil général pour tout l'Em¬
pire franc. Le souvenir de ces événements est
resté pendant des siècles, dans la mémoire des
peuples et dans les chants des poètes, celui de la
plus grande calamité nationale. Il afait l'objet
de la célèbre Chanson de Roland, qui est le plus
important et le plus beau des chants épiques de
la France.
Pour
réparer le cruel désastre de Roncevaux
pour assurer sa domination sur les Vascons,
Charlemagne commença par ériger l'Aquitaine
en royaume particulier et lui
adjoignit la Gothie
ou
Septimanie avec Toulouse pour capitale. Il
mit à sa tête son propre fils, Louis, âgé de trois
ans, qu'il fit sacrer roi en 781, par le pape
Adrien I". Le jeune prince entra solennellement
dans sa capitale, monté sur un petit cheval appro¬
prié à sa taille. Le vieux Château-Narbonnais
s'anima des pompes d'une nouvelle cour où
et
�INTRODUCTION
XVI
dominait
l'esprit guerrier de la race franque.
autorité de Charlemagne et de
Sous la double
fils Louis, neuf Comtes (ou Ducs) furent
chargés d'administrer le pays, et la Marche de
Toulouse fut spécialement confiée à un duc
son
nommé Chorso.
Mais, dans la
poitrine des Vascons,
vivait
toujours l'âme indomptée des Waïfre et des
Hunald. Charlemagne ayant fait mettre à mort
un de leurs ducs, Lupus, à raison de sa rébellion,
une nouvelle levée de boucliers se fit à l'appel
chef vascon, Adalaric. Chorso s'em¬
d'aller réprimer l'insurrection. Battu et
fait prisonnier, il alla, pour reconquérir sa
liberté, jusqu'à jurer à Adalaric qu'il ne porterait
jamais les amies contre lui, quand même l'Em¬
pereur Charles lui en donnerait l'ordre exprès.
Mandé par celui-ci, devant la diète de Worms
(790), pour y rendre compte de sa conduite,
Chorso fut destitué de son gouvernement, et
l'Empereur le remplaça par un membre de sa
famille, son cousin-germain Guillaume, petit-fils
de Charles-Martel. Le nouveau duc devait s'illus¬
trer dans l'histoire sous le nom de Guillaume
d'Aquitaine et surtout de Guillaume de Toulouse.
En ce moment, le roi d'Aquitaine Louis attei¬
gnait sa douzième année, et ce fut Guillaume
qui fut appelé, en réalité, à gouverner en son
nom. Son premier soin fut de pacifier les Vascons.
Il eut bientôt fait, écrit l'Astronome limousin,
de réduire les Vascons par la ruse autant que
d'un autre
pressa
«
�XVII
INTRODUCTION
à cette nation ».
la mort de Roland et la défaite
par la force et d'imposer la paix
Il vengea ainsi
de Chorso.
temps, Abd-er-Rahman avait recon¬
quis tout le pays au sud des Pyrénées. Il s'était
Pendant
ce
emparé d'Husseiti-al-Abdari, protégé de
Charlemagne, et l'avait fait périr dans les sup¬
plices. Le fils d'Ab d-er-Rahman continua l'œuvre
de son père. Profitant de ce que Charlemagne
guerroyait au loin contre les Avares et de ce que
son
fils Louis avait envoyé pour une expédition
en Italie les contingents que VAquitaine avait
pu lui fournir, le khalife Hescham I" proclama
Z'Algihad ou guerre sainte et envoya, en 793, un
de ses lieutenants, Abd-el-Mélek, à la tête d'une
puissante a7~mée s'emparer de la Septimanie et
ravager tous les pays environnants. Depuis le
jour où les hordes sarrasines s'étaient abattues
sur
l'Espagne, avaient pénétré en France et
s'étaient avancées jusqu'aux rives de la Loire, on
n'avait peut-être pas vu une armée aussi nom¬
breuse et aus$i redoutable. En peu de temps, elle
arriva à Narbonne, dont elle brûla les faubourgs.
Elle y fit prisonniers un grand nombre de chré¬
tiens, s'empara d'un énorme butin et se dirigea
vers Carcassonne ; mais elle fut arrêtée dans sa
marche par l'armée d'Aquitaine, à Ville daigne,
même
au
confluent de l'Aude et de l'Orbieu. Le choc
fut terrible. Les soldats de Toulouse étaient beau¬
coup moins nombreux ; mais ils étaient bien
commandés, et Guillaume leur donna l'exemple
3
�XVIII
INTRODUCTION
du courage indomptable et de la résistance opi¬
niâtre. A la tête de quelques braves comme lui, il
frappait à grands coups d'èpèe et faisait tomber
les ennemis comme le faucheur abat le blé dans
les, sillons. Il tua même de sa main un des prin¬
cipaux chefs musulmans ; mais, accablé par le
nombre et se voyant abandonné par la plupart
de ses compagnons, il battit en retraite et quitta le
champ de bataille en si bon ordre, que les Arabes
n'osèrent pas le poursuivre. Bien plus, craignant
pour leur butin, ils se hâtèrent d'aller le mettre
des Pyrénées. Ils 11e
en sûreté de l'autre côté
devaient plus les repasser. On peut donc dire
qu'à Villedaigne Guillaume de Toulouse sauva
la France tout aussi bien que son grand-père
maternel l'avait sauvée à Poitiers.
Désormais, ce furent les armées du roi Louis
qui prirent l'offensive et qui pénétrèrent en Espa¬
gne, pour y combattre les Sarrasins. Elles se
bornèrent d'abord à quelques incursions où elles
s'emparèrent de Lérida, qu'elles détruisirent, et
d'Huesca, dont elles ravagèrent les environs.
Mais, quand vint la diète d'Aquitaine (calendes
de mars 801), sur les conseils et sur les instances
de Guillaume, le roi Louis proposa à l'assemblée
une nouvelle expédition en Espagne, pour s'em¬
parer de Barcelone. Il avait déjà fait de grands
préparatifs en conséquence, et la diète accueillit
sa proposition
avec enthousiasme. Rien ne fut
négligé pour assurer le succès de l'entreprise.
Une puissante armée fut réunie, composée d'A-
�INTRODUCTION
XIX
quitains, de Vascons, de Wisigoths, de Bourgui¬
de Provençaux et de Bretons. Elle fut
en trois
corps. Le premier reçut l'ordre
de marcher sous la conduite de Rostaing, comte
de Girone, et de faire le siège de Barcelone. Le
second fut placé sous le commandement de Guil¬
laume de Toulouse, qualifié « premier porteenseigne de la Couronne », avec mission de
s'emparer des pays environant Barcelone, afin
d'empêcher les Musulmans d'aller au secours de
la ville. Quant au roi Louis, il se mit à la tête
du troisième corps, qui campa en Roussillon,
pour être à portée de secourir les deux autres
corps, selon le besoin.
gnons,
divisée
Le
siège de Barcelone fut long et difficile. Il
prit fin que lorsque Guillaume de Toulouse,
après avoir mis en fuite les Sarrasins qui allaient
au secours de la ville, parvint à renforcer luimême les troupes assiégeantes. Il avait duré deux
ans et sept mois, au
témoignage du chroniqueur
contemporain Ermoldus Niger (Ermold le Noir).
Peu après, le royaume de Toulouse s'augmenta
des comtés d'Ausone (Vich), de Lérida, de Girone,
d'Ampurias, d'Urgel, de Besalu, puis de Pampelune, qui devait devenir la capitale du futur
royaume de Navarre, enfin de Terragone et de
Tortose. Des pays conquis stir les Sarrasins au
Nord de l'Ebre, de Pampelune à Barcelone, fut
formée la Marche d'Espagne. Ce fut comme l'a¬
morce des futurs
royaumes ibériques chrétiens,
qui furent peuplés soit des gens originaires de
ne
�XX
INTRODUCTION
Septimanie, soit des chrétiens fuyant la domi¬
Le pays de Barcelone doit
ainsi au royaume de Toulouse la formation de
sa population catalane,
intermédiaire entre les
Français et les Espagnols proprement dits, et
qui lui emprunta ses mœurs et sa langue.
la
nation musulmane.
Cependant, Guillaume était devenu vieux.
religieux, il aspirait à
renoncer à la carrière des armes, à déposer ses
dignités, à quitter sa famille et à fonder un cou¬
vent où il embrasserait la vie monastique. L'acte
était grave et demandait réflexion. Guillaume
alla consulter son vieil ami Benoît, qui avait
fondé une nouvelle abbaye dans une plaine fer¬
tile, entre Lodève et Montpellier, arrosée par un
affluent de l'Hérault, qu'il avait appelé l'Aniane,
en souvenir de la rivière italienne
l'Anio, où,
dans sa jeunesse, il avait failli périr avec son
frère et où s'était décidé sa vocation religieuse.
Benoît ne chercha pas à dissuader Guillaume
de son projet de se vouer à l'état monastique ;
mais il lui rappela le grand rôle qu'il avait joué
et celui qu'il pourrait accomplir encore, dans
l'intérêt de la monarchie Franque et de la Chré¬
tienté, et il lui conseilla d'attendre l'heure favo¬
rable que Dieu lui indiquerait. Satisfait de la
réponse de Benoît et l'esprit rasséréné, Guil¬
laume quitta Aniane ; mais il songeait toujours
à ses projets et donnait un libre cours à ses pen¬
sées profondes. Tout en cheminant, il avait quitté
les champs de vignes et d'oliviers qui entouraient
Doué de sentiments très
�XXI
INTRODUCTION
Aniane et il était passe sur
la rive droite de l'Hé¬
rault, pour pénétrer dans une région inhabitée,
coupée par de sombres taillis. Une gorge abrupte
était devant ses yeux. Un cours d'eau impétueux
le traversait
et il
se
en
bouillonnant. Il
se
trouva finalement dans un
mit à le suivre
véritable désert
de rochers énormes et
bigarres qui se dressaient
pic le long des berges du cours d'eau et qui for¬
maient, des deux côtés, comme un rempart inac¬
cessible. Continuant sa route, il dépassa une
à
cascade retentissante et
se
trouva, dans le val de
Gellone, qui contrastait par
verdure plantu¬
qui l'entouraient.
Il ne pouvait rêver un endroit plus solitaire et
une nature plus conforme à ses désirs, pour y
bâtir le monastère qu'il avait projeté et y finir
ses jours dans la retraite et la dévotion.
C'est
là, en effet, près du torrent du Verdus, qui se
jette dans l'Hérault comme l'Aniane, mais sur la
rive opposée, à quatre milles de l'abbaye qu'avait
édifiée Benoît, que Guillaume devait, à son tour,
construire le couvent de Gellone, avec l'aide de
reuse avec
Benoît et
Cette
sa
les rochers stériles
sous sa
direction.
construction
ment. Pour
assurer
Guillaume dota
fut poussée très active¬
la subsistance des
religieux,
généreusement le couvent et lui
une charte spéciale des biens consi¬
dérables dans les diocèses de Lodève, de Mague-
assigna par
lone, de Béliers et d'Albi. Les propriétés du mo¬
nastère s'accrurent encore par des donations
nombreuses que fit à Guillaume le roi d'Aqui-
�XXII
INTRODUCTION
taine, Louis. Ce prince lui accorda une grande
il y joignit des ornements
d'église en grand nombre, des calices et des patè¬
étendue de terrain ;
nes
d'or
e
d'argent.
Mandé, à la fin de l'an 805, à la diète qui
devait
tenir à Thionville et où
Charlemagne
fit le partage de ses États entre ses trois fils :
Charles, Pépin et Louis, Guillaume de Toulouse
profita de cette circonstance pour demander à
l'Empereur de le relever de ses fonctions et de
l'autoriser à prendre l'habit religieux dans l'ab¬
baye qu'il avait fondée à Gellone. Cette demande
émut profondément le vieil empereur. Le grand
Charles se jeta au cou de Guillaume et pleura,
à la pensée de perdre son serviteur si fidèle et si
vaillant, qui lui avait rendu tant de services et
qui était encore capable de lui en rendre d'autres
non moins importants.
U11 instant, Guillaume
se laissa émouvoir
par les objurgations de son
souverain ; mais il ne tarda pas à se reprendre
et persuada si bien Charlemagne, que celui-cifinit
par acquiescer à ses désirs et lui donna à son
départ, outre de riches présents, plusieurs reli¬
ques pour le monastère de Gellone, entre autres
une portion de la vraie Croix,
que le patriarche
de Jérusalem venait de lui envoyer. Ayant ainsi
obtenu l'agrément de l'Empereur et surmonté
l'opposition de ses proches et de ses amis, qui
avaient 'également traversé ses desseins, Guil¬
laume fit de nombreuses largesses aux divers
membres de sa famille et donna la liberté à ses
se
�INTRODUCTION
XXIII
serfs. Puis il quitta la cour de Charlemagne. Il
passa par l'Auvergne, dont les peuples étaient
soumis à
autorité, et se rendit à Brioude,
pour y déposer ses armes, dans le sanctuaire de
saint Julien, patron des hommes de guerre. Il se
prosterna devant son tombeau, y laissa son hau¬
bert et son écu, offrit plusieurs autres présents,
et, allant dans le vestibule de l'église, y suspen¬
son
armé d'une grande flèche, son carquois
épée. Puis, il prit l'habit de pèlerin et s'ache¬
mina vers Gellone, pour y faire sa
profession
de foi religieuse. Jusque là, Guillaume avait
voyagé en grand seigneur ; mais, depuis qu'il
avait fait à Dieu le sacrifice de ses armes, il
marchait en simple pèlerin, et c'est ainsi qu'il
arriva au diocèse de Lodève, dont dépendait l'ab¬
dit
et
son arc
son
baye de Gellone. En entrant dans ce diocèse, il
d'austérité, se revêtit d'un cilice et ne
marcha plus que nu-pieds et portant religieuse¬
ment dans sa main le morceau de la vraie Croix,
dont l'Empereur lui avait fait présent. Instruits
de son arrivée, l'abbé et les religieux de Gellone
allèrent processionnellement au-devant de lui,
ce qui fit souffrir sa modestie. Ils le conduisirent
ainsi au monastère où il fut revêtu de l'habit
religieux, le jour de Saint-Pierre, 29 juin de
redoubla
Van 806.
Ce
fut un change7nent de vie complet pour ce
guerrier habitué, dès sa jeunesse, aux mou¬
vements bruyants des camps, aux émotions des
rude
combats aventureux, aux distractions et aux hon-
�XXIV
INTRODUCTION
des
souveraines.
Cependant, l'homme
paraître du vieil homme :
le moine fit complètement oublier l'ancien sei¬
gneur. Il s'étudiait à être le plus humble de ses
neurs
cours
nouveau ne
frères
Ardon
en
laissa rien
religion. L'historiographe d'Aniane,
(Smaradge), raconte qu'on le voyait sou¬
vent, monté sur un âne, porter à boire aux reli¬
gieux occupés dans la campagne aux travaux de
la moisson. Les• habits les plus pauvres étaient
les siens. Il prenait part à tous les travaux des
religieux, les aidant tantôt à pétrir le pain, tan¬
tôt à faire la cuisine. Il était toujours plein de
%èle pour les offices et plein d'ardeur pour la
mortification et la prière. Il se plaisait à coucher
sur la dure ; mais il avait fini
par tomber dans
un tel état d'épuisement, que Benoît l'obligeait à
user d'une couche moins dure, et c'est avec peine
qu'il s'y résignait.
Au printemps de l'an 812 (ou 813), sentant sa
fin approcher, il ne put s'empêcher de se rap¬
peler son ancienne notoriété, et, pour se faire
oublier tout à fait du monde, il prit soin de noti¬
fier lui-même sa mort à tous les monastères de
l'Empire franc. Il mourut, en effet, le 28 mai, en
glorifiant Dieu et en lui demandant sa protection
pour l'abbaye qu'il avait fondée, ainsi que pour
ses frères en
religion.
Le vœu suprême de Guillaume de Toulouse a
été exaucé. Peiidant de nombreux siècles, l'abbaye
de Gellone est restée florissante. Et, lorsque la
canonisation de leur fondateur fut prononcée,
�INTRODUCTION
les moines voulant
donnèrent
XXV
perpétuer
le vieux
nom
son souvenir, aban¬
de Gellone, pour le
remplacer par celui de Saint-Guilhem-du-Dèsert.
Jusqu'à la Révolution de ij8ç, le sanctuaire
pas cessé d'être un lieu de pèleri¬
nage très suivi. On y accourait des pays les plus
éloignés, et tous y venaient révérer la mémoire
de Gellone n'a
de saint
Guilhem, sinon implorer sa protection,
princes, comme les prélats, surtout
les gens du peuple. Il était même
fréquenté par
ceux
qui se rendaient aiLx grands pèlerinages de
Rome et de Saint-Jacques-de-Compostelle
et qui
se détournaient de leur
route, soit à l'aller, soit
au retour,
pour y faire leurs dévotions (z).
les rois et les
b
) La Légende. — La Légende ne pouvait que
s'emparer de la vie si remplie, si considérable et
si diverse de Guillaume de Toulouse
; et elle l'a
fait dans certaines chroniques latines du IX"
siècle, puis dans les romans français de la fin du
XI" siècle et surtout dans
ceux
du XIIe. On trouve
d'abord
quelques renseignements dans
en
latins
vers
en
un
poème
l'honneur de Louis-le-Pieux,
roi
d'Aquitaine, écrit une vingtaine d'années
après la mort de Guillaume par Ernoldus Niger.
Ce clerc aquitain avait été disgracié
par Louis-lePieux et relégué à
Strasbourg. Tel Ovide en son
(1) De l'abbaye de Gellone, il ne reste aujourd'hui que des ruines, sur
lesquelles les siècles ont amoncelé les ronces et les mousses, et son
église, devenue l'église paroissiale du bourg de Saint-Guilhem-duDésert.
�XXVI
exil
INTRODUCTION
les bords du Danube, il ne cessait
d'ac¬
Toulouse, devenu empereur des
Francs, de vers où il implorait sa grâce. Pour
le mieux flatter, il avait composé son panégyrique
en
quatre chants, sous le titre de : Carmina in
honorem Hludovici Pii ; mais il faut avouer, avec
M. Bèdier, que le rôle de Guillaume n'y est guère
sur
cabler le roi de
plus considérable que les divers rôles de ses com¬
pagnons d'armes, quoiqu'il y soit indiqué comme
le
principal chef des troupes aquitaines.
Les
en
poètes ont dû apprendre
ce
qu'ils ont mis
des moines
Gellone, qui en avaient conservé
traditions. Or, ces poètes étaient plutôt ceux
Midi que ceux du Nord. Mais où sont leurs
cantilènes, en
romances ou en cansos
d'Aniane et de
les
du
poèmes Ì Ils n'existent plus, soit qu'ils soient
perdus, soient qu'ils riaient jamais été conservés
par l'écriture. Et, par suite, on n'a pas manqué
de dire que, si le Midi a eu de nombreux poètes
lyriques, il n'a jamais eu de poètes épiques en
langue d'Oc. Quoi qu'il en soit, il n'est pas dou¬
teux que la légende de Guillaume de Toulouse
expulsant les Sarrasins de la région occupée par
les Wisigoths riait été profonde et universelle.
Cette diffusion est attestée par le biographe de
Guillaume, qui vivait au début du XII* siècle et
qui nous l'apprend en ces termes : « Quels sont
les chœurs de jeunes gens, quelles sont les assem¬
blées du peuple, quelles sont surtout les réunions
de chevaliers et de nobles, quelles sont les veilles
religieuses qui ne fassent doucement retentir, qui
�INTRODUCTION
ne
chantent
vocibus ?
son
histoire
Evidemment, il
XXVII
cadence, modulatis
en
s'agit point ici de
effet, n'a jamais
été chantée en chœur par toute une nation: elle
est bien trop longue et trop compliquée, et tous
les termes du biographe de Guillaume ne con¬
viennent réellement qu'à des chants courts, vifs,
populaires, mélodiques, mi-narratifs et mi-lyri¬
ques, — des cantilènes enfin. L'Épopée ne vint
que plus tard.
chants
»
ne
épiques. Une épopée,
en
c) Les Épopées. — E11 s'inspirant des chants
primitifs, habituellement fort courts, en les déve¬
loppant et en leur donnant la forme épique, les
Trouvères se sont particulièrement distingués.
C'est ainsi que, au lieu de faire, comme les
Latins avec l'Ỳnéide, des épopées artificielles, ils
o nt fait comme les Grecs avec /'Iliade et l'Odyssée,
des épopées naturelles et vraiment nationales.
Ces épopées, il est vrai, sont bien inférieures à
/'Iliade et à /'Odyssée ; mais c'est surtout parce
que les Trouvères n'avaient pas à leur disposi¬
tion une langue aussi formée et aussi complète
que la langue grecque, au temps d'Homère. Elles
n'en sont pas moins remarquables, malgré leurs
longueurs, leurs banalités désespérantes, leurs
répétitions. Mais, si le style en est trop souvent
médiocre, à quelle hauteur, parfois, ne s'élève pas
la pensée des poètes inconnus qui les composè¬
rent ! Ces chants épiques lsoiit habituellement
désignés sous le nom de « chansons de geste »
(gesta, actions, exploits: gesta Dei per Francos).
�XXVIII
INTRODUCTION
Leurs
sujets, comme nous le fait remarquer le
Jehan Bodel, se réduisent à trois prin¬
cipaux :
trouvère
Ne sont que
De
trois matières à nul homme entendant :
France, de Bretagne et de Rome la Grant.
La « matière de France » renferme les poèmes
qui racontent les exploits de Charlemagne et des
héros associés à sa gloire. La « matière de Bre¬
tagne » comprend les romans qui racontent les
hauts faits d'Arthus, roi de la Grande-Bretagne,
et des chevaliers de la Table-Ronde. Enfin, la
matière de Rome » embrasse les différents poè¬
mes qui ont trait à Vantiquité grecque et latine.
Chacun de ces groupes de poèmes est désigné
sous le nom de « cycles », comprenant le groupe
des poèmes qui offre le développement de la mê¬
me légende et dont le héros principal occupe le
centre. Tel est le Cycle carolingien, qui se subdi¬
vise lui-même en trois gestes. Le trouvère inconnu
à qui nous devons le roman de Doon de Mayence
dit, en effet, qu'il n'y eut que trois gestes au
royaume de France : la première, celle de Pépin
( autrement dite la Geste du Roi ) ; la seconde,
celle de Garin de Mont glane ( ou des Méridio¬
naux) ; la troisième, celle de Doon de Mayence
( ou des hommes du Nord).
«
La
signification poétique de ces trois gestes
indiquée par le trouvère Bertrand de
Bar (Bar-sur-Aube), dans son roman de Girard
de Viane. Il prétend, en effet, avoir « trouvé à
Saint-Denis, dans un livre de grande antiquité,
nous
est
�INTRODUCTION
XXIX
qu'il y a trois gestes de France : la geste du Roi,
qui est la plus riche en prouesses et en chevalerie,
la mieux
fournie de richesses et de châteaux ; la
de Doon de Mayence, à la barbe fleurie,
lignée fière et hardie, qui eût conquis toute la
seigneurie de France, si quelques-uns de ses
membres, Ganèlon par exemple, n'eussent mon¬
tré tant de ruse et de félonie ; enfin, la geste de
Garin de Montglane, dans laquelle il n'y eut ni
lâche ni traître, et dont tous les héros furent
sages, nobles guerriers et hardis chevaliers ; ils
travaillèrent sans repos à aider leur légitime
seigneur en même temps qu'à augmenter hono¬
rablement le nombre de leurs fiefs ; mais ils
mirent constamment par-dessus tout l'intérêt de
la Chrétienté, en confondant et détruisant les
geste
Sarrasins
».
D'après une tradition qui ne paraît pas remon¬
plus haut que le XIIP siècle et due à l'ima¬
gination des poètes épiques, Charlemagne, Doon
de Mayence et Garin de Montglane naquirent le
même jour et à la même heure. En ce moment
ter
solennel, toute la nature se troubla. Le soleil
devint rouge comme du sang, la terre trembla,
une
tempête épouvantable se déchaîna sur le
monde et, particulièrement, sur l'Espagne ter¬
rifiée, où plus de cent châteaux sarrasins s'écrou¬
lèrent sous les coups de l'orage. Puis, trois grands
coups de tonnerre retentirent et la foudre tomba
en même
temps devant le palais de Pépin, roi de
France, devant celui du duc d'Aquitaine et devant
�XXX
INTRODUCTION
celui où allait naître Doon de
Mayence, en creu¬
grands trous d'où sortirent
trois beaux arbres verdoyants et fleuris qui
devaient vivre autant que les trois chefs des trois
grandes familles épiques. La foule se demanda
si la fin du monde n'allait pas arriver ; mais, en
réalité, tous ces prodiges annonçaient la perte
des Sarrasins et le salut de la Chrétienté, la
victoire de l'Eglise et la gloire de la France ... En
attendant, trois nouveau-nés dormaient paisi¬
blement dans les bras de leur mère. Ils s'ap¬
pelaient : Charles, Doon et Garin.
sant dans le sol trois
C'est à la geste
méridionale de Garin de Montglane que se rattache Guillaume au Court-Ne
et voici sa généalogie d'après les poètes épiques.
Son père est Aimeri de Narbonne, le preux et le
vaillant, l' « Aymerillot » de la Légende des Siè¬
cles ; son grand-père est Hernaut de Beaulande,
le fidèle et le noble ; son aïeul est Garin de Montglane, fils de Savari, le sage et le saint (1). Et
tous appartiennent à l'Aquitaine, berceau de la
famille.
Guillaume
a six frères : Ber¬
Comarcis, Hernaut
de Gironde, Garin d'Anséune, Aimer le Chétif,
Guibelin d'Andrénas, tous rudes aux Sarrasins
et pleins de prud'hommie, et cinq sœurs, toutes
alliées à des héros, et dont l'une, Blanchefleur,
au
Court-Ne%
nard de Brebant, Beuve de
(i) Telle est, du moins, la généalogie indiquée par le poème d'Aimeri
de Narbonne.
�INTRODUCTION
XXXI
épouse l'empereur Louis. Guillaume n'est pas
l'aîné : il n'est que le troisième ; mais sa haute
personnalité domine de bonne heure celle de tous
ses frères. C'est l'habitude des
temps légendaires
de préférer les cadets de famille aux aînés et de
les représenter comme les plus intelligents et de
meilleur
cœur.
La Geste de Guillaume s'étend à
ses
frères, à
fils de ses frères et de ses sœurs,
ainsi qu'à leur descendance. Tous, jusqu'au
der¬
nier, Galien le Restauré, sont les défenseurs de
la terre de France et de la Chrétienté, notam¬
ment Vivien, l'héroïque fils de son frère Garin
d'Anséune. Les Chansons dont se compose la
Geste de Guillaume sont au nombre de
vingtquatre et ne comprennent pas moins de cent trente
mille vers ! Sept d'entre elles constituent l'essen¬
ses
neveux,
tiel de
son
i° Les
histoire. Ce sont:
Enfances
Guillaume
consacrées
à
ses
premiers exploits, du vivant de Charlemagne,
qui l'arme chevalier et prévoit qu'il deviendra
le grand soutien de son vaste empire ;
2° Le Couronnement
Looys, où Charlemagne,
se
sentant
mourir, confie son fils Louis à Guillaume,
avec mission
de le défendre contre les ennemis
du dedans et du dehors, et où il lui promet, en
récompense, son invincible épée Joyeuse, qui lui
vient de Clovis, le premier roi chrétien. Guil¬
laume s'acquitte courageusement de cette mis¬
sion.
Il met lui-même la
couronne
de
Charle-
�INTRODUCTION
XXXII
magne sur
ses
la tête de Louis et délivre celui-ci de
vassaux
rebelles ;
j° Le Charroi de Nîmes et 4° la Prise d'Orange
Guillaume, déguisé en marchand,
son neveu Bertrand, en charretier, pénètrent
disent comment
et
dans Nîmes
avec
leurs chevaliers cachés dans des
s'emparent de cette ville, puis d'O¬
où Guillaume fait la conquête de la belle
princesse sarrasine Orable, qu'il convertit à la
religió il chrétienne, à laquelle il fait prendre
au baptême le nom de Guibourc et qu'il épouse
tonneaux,
range,
ensuite ;
50 Le Covenant Vivien et 6° Aliscans racontent
grande défaite de Guillaume par les Sarrasins,
Villedaigne-sur-Orbieu, comme Roland avait
été défait à Ronceveaux, et la revanche glorieuse
qu'il prend, peu après, en chassant les Sarrasins
de Barcelonne et de tout le nord de l'Espagne.
C'est le point culminant de l'épopée de Guil¬
la
à
laume ;
70 Le Moniage Guillaume montre le vieux guer¬
rier ayant perdu sa compagne
de ses nombreuses et longues
Guibourc, fatigué
que son Souverain est en
ment, y mourant en odeur de
danger, et, finale¬
sainteté.
aventures, se reti¬
rant pieusement dans un cloître, mais en sortant
pour reprendre fièrement ses armes, toutes les
fois
La
grande idée poétique qui domine toute ces
ce n'est pas seulement la glorification
personnelle d'un héros : c'est surtout la nécessité
Cansos,
�INTRODUCTION
XXXIII
religieuse et patriotique de délivrer les pays méri¬
dionaux de la domination « païenne », c'est-à-dire
musulmane, et d'assurer ainsi la puissance de
l'Empire franc et le triomphe de la Chrétienté.
A cet effet, les Trouvères commencent par attri¬
buer à Guillaume au Court-Ne% toutes les quali¬
tés nécessaires pour arriver à son but : la force,
la loyauté, la fidélité à la royauté et à la patrie
commune.
Et ils montrent toutes ces qualités
physiques et morales pénétrant, grâce à lui, dans
les populations méridionales et les rattachant
ainsi à l'Empire franc. C'est la première générali¬
sation, et elle est con forme à la vérité historique.
En second lieu, les Trouvères font représenter
par Guillaume au Court-Ne\ la vocation provi¬
dentielle octroyée à la France méridionale, ainsi
préparée, de triompher des Sarrasins qui avaient
déjà conquis l'Espagne et envahi l'Empire franc.
En conséquence, notre héros est chargé symboli¬
quement de combattre sans trêve pour la civili¬
sation européenne et pour la religion du Christ.
Ce fut la seconde généralisation : elle conserve
encore la vérité historique, mais elle lui donne
un
plus libre développement.
Enfin, les Trouvères font intervenir une influ¬
que l'on pourrait appeler sociale, conforme
ence
aux mœurs
de la société
aux
XIIe et XIIIe siècles.
Inspirés par le principe de l'hérédité des charges
et des devoirs féodaux, ils font prédominer dans
l'épopée l'idée d'hérédité de certaines missions
providentielles, la succession, de génération en
5
�XXXIV
INTRODUCTION
génération, de devoirs héroïques. D'où la for¬
mation de plusieurs cycles chevaleresques repo¬
sant
sur
l'idée de famille, mais comprenant non
seulement
qui sont unis par les liens du
sang, mais ceux qui accomplissent les exploits
propres à une race, qui obéissent à une même
mission civilisatrice, qui partagent, en un mot,
l'activité héroïque, chétienne ou politique imposée
aux chefs d'une famille épique.
Si de
ceux
généralisations nous passons aux
sept Cansos que nous venons de citer,
nous voyons que deux seulement sont basées sur
des faits historiques particuliers et certains : la
bataille de Villedaigne-sur-Orbieu (Aude), deve¬
nue dans la Légende la bataille iTAliscans, que la
Canso ne situe jamais, et le Moniage Guillaume,
qui rapporte la conversion, la sainteté et la mort
du grand duc d'Aquitaine à l'abbaye de Gellone.
ces
détails des
Mais
historien ni
chroniqueur ne
conquérant Nîmes,
non plus que délivrant Narbonne et s'emparant
d'Orange. Si ces villes furent libérées des Sar¬
rasins, c'est qu'après la bataille de Villedaigne,
ceux-ci se hâtèrent de repasser les Pyrénées, pour
ne plus reparaître en France. Et les Trouvères
ont attribué cette délivrance à Guillaume, qui,
en
réalité, continua ses exploits non plus en
France, mais en Espagne.
nous
aucun
ont montré
Ce
aucun
Guillaume
qui a rendu populaire la bataille de
Villedaigne-sur-Orbieu, c'est qu'elle eut lieu
dans les mêmes conditions que celle de Poitiers.
�INTRODUCTION
En
XXXV
l'Empire franc avait été
par une armée immense de Musulmans,
et les plus graves intérêts étaient en jeu. Les
Arabes avaient Vambition de s'emparer de l'Em¬
pire franc, comme ils s'étaient emparés de l'Es¬
pagne, et d'y faire triompher l'étendard du Pro¬
phète. Les Chrétiens avaient donc à défendre
793, comme en 732,
envahi
contre eux leur religion, leurs institutions, leurs
propriétés, leur vie même. Pour eux, il ne s'agis¬
sait de rien moins que
du salut de leur patrie
franque et de la destinée de la foi Chrétienne. La
victoire de
mais
due
grâce à
Poitiers, attribuée à Charles-Martel,
surtout à Eudes, duc d'Aquitaine,
habiles manœuvres avec ses fantassins
aguerris, a été hautement célébrée par les His¬
ses
toriens, tandis qu'ils se sont moins occupés de
la
bataille
de
Villedaigne. Les Trouvères, au
une importance capitale
à celle-ci. Ils y ont été incités par les nombreux
chants populaires, militaires et religieux qu'elle
avait inspirés et qui s'étaient conservés jusqu'à
eux. Ils se sont ainsi montrés plus conscients de
la vérité. Si la bataille de Villedaigne-sur-Orbieu
ne
fut pas une victoire, elle eut des résultats plus
définitifs que la bataille de Poitiers. Non seule¬
ment elle obligea les Arabes à repasser précipi¬
tamment les Pyrénées, mais elle permit au roi de
Toulouse d'aller les combattre jusqu'en Espagne
et de s'emparer de Barcelone et de toute la Cata¬
logne. C'est pourquoi, de même que l'Histoire a
exalté, aux dépens d'Eudes, le nom seul de Charcontraire, ont attaché
�INTRODUCTION
XXXVI
les-Martel à l'occasion de la victoire de Poitiers,
de même le nom de Guillaume est le seul qui
soit resté
au
définitivement attaché, dans la Légende,
de l'expulsion définitive des Sar¬
du territoire franc.
souvenir
rasins
Ce
qui
laume
au
aussi aidé à la popularité de Guil¬
qu'à sa valeur mili¬
taire et aux services patriotiques et religieux
qu'il a rendus sont venus se joindre une auréole
de sainteté que n' ont j amais eu ni Eudes ni Char¬
les-Martel et son culte dans un lieu de pèlerinage
crée par lui et fréquenté par de nombreux pèle¬
rins. La Légende est allée plus loin encore. Elle a
fini par attribuer à Guillaume tous les exploits
que ses émules avaient pu accomplir contre les
Arabes. C'est ainsi qu'on retrouve, dans les poè¬
mes qui lui ont été consacrés, le souvenir
de la
prise de Narbonne par Alsamak, en 721, la vic¬
toire que le duc Eudes remporta, cette même
année, sur les Musulmans aux portes de Tou¬
louse, les conquêtes de Carcassonne et de Nîmes
par les Arabes, en 724, et, vers la même époque,
l'attaque d'Arles qui fut si fatale aux Chrétiens.
Et tous ces exploits historiques ont été groupés
si arbitrairement qu'ils ont fini par se synthétiser
sur une seule personnalité, celle de Guillaume
au Court-Neet se cantonner dans deux régions
particulières : le Narbonnais et la Provence.
a
Court-Nec'est
Mais il faut y joindre
bien d'aiitres faits géné¬
qui ont influencé ces récits particuliers,
tels que les progrès de la féodalité, les violences
raux
�INTRODUCTION
des
hauts barons et
la
XXXVII
faiblesse des derniers
empereurs Carolingiens
que les Chansons nous
montrent tour à tour soutenus ou humiliés par
Guillaume
par les membres de sa famille.
Enfin, aux exploits personnels de celui-ci furent
ajoutes ceux de tous les Paladins ayant porté le
nom
de
ou
de Guillaume. Ces Paladins sont
treize. Mais
au
on ne peut citer avec
nombre
certitude
que Guillaume I", comte de Provence, en 961, et
Guillaume I" dit Tcte-d'Etoupe, duc d'Aquitaine,
de 950
à 963.
Ces
confusions ou plutôt ces amalgames
paraissent avoir été tout d'abord l'œuvre des
nombreux pèlerins qui, pendant plusieurs siè¬
cles, se sont rendus aux grands sanctuaires d'Es¬
pagne ou d'Italie et s'arrêtaient à ceux de .la
France méridionale qui se trouvaient sur leur
passage ou qui se recommandaient tout particu¬
lièrement à leurs dévotions. A leur retour dans
leur pays, les récits qu'ils y faisaient, plus ou
moins exacts, plus ou moins amplifiés, servaient
de thème à de nombreux poètes. Il y a même cela
de
remarquable que la plupart des héros chantés
ainsi ont exécuté leurs exploits dans les pays
traversés par les
méridionaux. On
pèlerins et portent des noms
a même dit qu'il y avait des
cours hospitalières, telle celle
d'Ermengarde de
Narbonne, au XII' siècle, où étaient particuliè¬
rement célébrés les héros de l'indépendance méri¬
dionale et où parfois se fabriquaient de toutes
pièces des généalogies rattachant le présent au
�XXXVIII
INTRODUCTION
passé et rappelant les noms de seigneurs locaux
eii
exercice, pour les flatter, tels notamment
ceux
d'Aimeric II et de sa fille Ermengarde,
portés par le vicomte et par la vicomtesse de
Narbonne et donnés arbitrairement au père et à
la mère de Guillaume
au
Court-NeMais il est
aujourd'hui établi
que la légende
Narbonne est antérieure à la vie et
d'Aimeric de
aux exploits
d'Aimeric II, qui dirigea deux expéditions con¬
tre les Maures : l'une en n 14-1116 avec son frère
utérin Raymond-Bérenger, marquis de Barce¬
lone, contre les îles d'Yviça et de Majorque, et
l'autre en 1134, de concert avec Alphonse-Jour¬
dain, comte de Toulouse, pour aller au secours
d'Alphonse I", roi d'Aragon, qui faisait le siège
de Fraga occupé par les Arabes.
d
Entre toutes ces données
Légende, Pròsper Estieu
avait à choisir. S'il avait opté pour l'Histoire,
nous aurions eu un Guillaume de Toulouse
plus
et
plus
complet
authentique, car il nous l'aurait
montré triomphant des Vascons avant de com¬
) Le Romancero.
de l'Histoire et
—
de la
battre les Arabes et faisant de Toulouse le
prin¬
cipal boulevard de la Chrétienté contre l'Isla¬
misme, après en avoir fait un des domaines les
plus importants de l'Empire franc. Mais, en
revanche, il lui aurait enlevé tout ce que la
Légende lui a prêté de chevaleresque et de pit¬
toresque. Comme l'a dit Victor Hugo, entre
Hérodote qui a fait l'Histoire et Homère qui a
fait la Légende, 011 ne saurait dire qui doit être
�INTRODUCTION
préféré. La poésie
XXXIX
grand avantage tantôt de
historique, tantôt de la
deviner. Elle rend mieux que l'histoire la couleur
du temps et l'esprit des civilisations passées. C'est
de l'Histoire écoutée aux portes de la
Légeiide.
On ne saurait donc reprocher à
Pròsper Estieu,
qui, avant tout, est un poète, sa préférence pour
la Légende.
condenser
Mais,
la
a ce
réalité
optant pour celle-ci, il n'a pas cher¬
qu'elle est, sa beauté
est incomparable, et y toucher trop arbitraire¬
ment eût été une profanation. Il n'a pas même
en
ché à la refaire, car, telle
voulu
éblouir outre
mesure
notre
imagination
par des spectacles étranges, ni solliciter notre
esprit et notre cœur par des recherches curieuses
d'érudition savante ou par un
enchaînement
rigoiireux de vérités psychologiques. Il s'est
borné
et c'était bien suffisant — à interpréter
à sa manière, à évoquer plutôt la Légende de
Guillaume au Court-Ne% telle qu'elle a été con¬
sacrée par les Trouvères ; il s'est contenté de
puiser à plein cœur à « cette mer de poésie »,
selon l'expression de Victor Hugo, comme celuici avait puisé son Mariage de Roland dans Girard
de Viane et son Aymerillot dans Aimeri de Narbonne. Et c'est ainsi que, par une heureuse sélec¬
tion des nombreux épisodes légendaires relatifs
à Guillaume au Court-Neç, il a composé la plus
grande partie du Romancero Occitan.
—
Mais
—
ce
n'est pas tout.
auxquels il
a
donné
A ces épisodes épiques
relief saisisant qu'il
un
�INTRODUCTION
XL
trouver toujours dans les
joint des cantilènes lyriques
comme : Los
Planhs del Maure (Les Plaintes du
Maure), l'ode à Las tres Espazas (Les trois
Epées), Lo Lais d'Amor d'Ermengarda (Le Lai d'A¬
mour d'Hermengarde), Lo bèl Cabalher (Le beau
Chevalier), La bêla Orabla (La belle Orable),
La Canson dels Joglars (La Chanson des Jon¬
serait
difficile de
anciens textes
—
il
a
gleurs), La Tristor de Guilhèm (La Tristesse de
Guillaume), Victoria ! (Victoire !), etc., qui con¬
trastent harmonieusement avec les
ques et
récits héroï¬
les tumultueux échos des combats.
Cependant, nous ne sommes pas ici en pré¬
sence de pièces détachées et composées au hasard
de l'inspiration. Le Poète a synthétiquement
groupé tout cela et en a fait une œuvre ayant sa
parfaite unité, sans constituer un poème épique
suivant les formules
tombées
en
classiques actuellement bien
désuétude. Et cette
œuvre
est d'autant
plus variée. Elle ressemble à une mosaïque oùchaque pièce a sa forme propre et sa couleur
distincte, mais où les formes et les couleurs se
fondent dans l'ensemble, pour faire un tout
homogène ayant son caractère particulier.
Ajouterons-nous qu'un souffle puissant et
personnel, tour à tour épique et lyrique et se prê¬
tant aux mille nuances de l'inspiration, parcourt
et anime tout
ce
livre ? Le lecteur
convaincu et sentira vibrer en
vite
lui les accents de
en sera
poésie tantôt pleine d'élan, de fougue, de
passion, tantôt contenue dans le développement
cette
�INTRODUCTION
de
XLI
la
Cela
pensée et dans le cadre de l'exécution.
peut manquer, il est vrai, de certaines fiori¬
tures modernistes et décadentes ;
mais, incontes¬
tablement, on y entend de belle musique où la
trompe de bronze domine quelqiiefois la flûte
de Pan et la lyre d'Orphée. Du reste, chaque
époque a sa manière de penser et de s'exprimer,
et les
Trouvères, ces Primitifs admirables,
n'écoutaient battre letir cœur que pour de gran¬
des causes et non pour suivre dans le bleu ou
dans le noir, dans l'air calme ou dans le vent,
le vol capricieux de leurs rêves ... Ils célébraient
de preux chevaliers poussés par un idéal de
guerre, de conquête et de victoire, pour la plus
grande gloire de la race qui créa la France et
qui fit le triomphe de la Croix sur le Croissant.
Pròsper Estieu s'est inspiré de ces sentiments
et
a
mis
sa
Muse
en
harmonie
avec
leurs modes
d'expression. Ses poèmes sont le reflet exact de
la société féodale aux XP et XIP siècles. Ils rap¬
pellent tantôt les formes simples, naïves, parfois
même brutales, du Couronnement Looys, du Char¬
roi de Nîmes, rf'Aliscans, du Moniage Guillaume,
tantôt les formes plus adoucies, plus savantes,
plus littéraires des Enfances Guillaume et de la
Prise d'Orange. Son Romancero est une des plus
belles
œuvres
de
la
Renaissance
méridionale
actuelle, d'abord par la langue sélectionnée dont
il a usé, que nul, sauf son émule et ami Antonin
Perbosc, n'a maniée avec autant de pureté et de
maîtrise, et où il semble s'être surpassé lui6
�xlii
introduction
qu'il a traités en
ardent patriote de la
même, et ensuite par les sujets
impeccable artiste et en
France
Occitane à
l'honneur de cette France
qu'il aime par-dessus tout, parce qu'elle est,
Michelet, le pays de ceux qu'il
a le plus aimés.
suivant le mot de
Baron Desazars de Montgailhard
.
�SUR
LA
PRONONCIATION
OCCITANE
�-
/
•
.
.
'
�Sur la
prononciation Occitane
i.
—
VOYELLES
i° La voyelle a garde en général le son alphabé¬
tique, quelle que soit sa place dans le mot. Cepen¬
dant, a final atone se prononce, dans plusieurs pro¬
vinces du Midi de la France et en particulier dans le
Haut-Languedoc, complètement fermé, entre a et o.
Ex. : porta (porte), prononcer : porto ; — clastra
(cloître),
2° Il
pr. :
clastro.
occitan. La voyelle e
simple se prononce comme é fermé français. Ex. : pel
(poil), pr. : pèl. La voyelle e surmontée d'un accent
grave se prononce comme é ouvert français. Ex. : pèl
(peau),
n'y
pr. :
d'e muet
a pas
en
pèl.
3° La voyelle
o
simple
a
le
son
fermé (semi-son¬
nant) et
se prononce comme en français ou moyen
dans couleur. Ex. : mon (mon), pr. : moun. La
voyelle
o
surmontée d'un accent grave a le son ouvert
�XLVI
SUR LA
PRONONCIATION OCCITANE
(pleni-sonnant)
comme o
beau), pr. : cros.
français. Ex. : cràs (tom¬
4° La voyelle u a le même son qu'en français,
lorsqu'elle est précédée d'une consonne. Ex. : luna
(lune), pr. : luno ; — segur (sûr), pr. : ségur. Elle
a le même son qu'en
latin ou en italien et se pro¬
nonce donc comme en français ou fermé dans fou,
lorsqu'elle est précédée d'une voyelle avec laquelle
elle forme diphtongue. On a ainsi les diphtongues
au, eu, eu, iu, ou, qui se prononcent : àou, éou,
èou, ìou, òou. Ex. : trauc (trou), pr. : tràouc ; —
beu (il boit), pr. : béou ;— lèu (bientôt), pr. : lèou ;
riu (ruisseau), pr. : riou ; —nòu (neuf), pr. :
—
nòou.
5° Les groupes ai, ei, èi se prononcent aussi en
seule émission de voix, en conservant à chaque
une
voyelle le son qui lui est propre, mais en appuyant
sur la première. :
Ex. : paire (père), pr. : pài-ré ;
—
legeire (lecteur),
pèi-ro.
pr. :
lé-géi-rê; — pèira (pierre),
pr. :
II.
—
CONSONNES
redouble
jamais en occi¬
conséquent, elle a toujours le son dur,
comme dans sable, passer. Ex. : pasat (passé), pr. :
passat. Dans les mots où s a le son doux, comme
dans rose, on écrit toujours z, qui a le même son
qu'en français. Ex. : r'o^a (rose), pr. : ro\o.
i° La
tan.
Par
consonne
s
ne
se
�sur la prononciation
occitane
nlvii
a) Lorsqu'un mot finit par s et que
voyelle, on fait la
liaison. Dans ce cas, s a le son doux de z. Ex. : los
òmes aimables (les hommes aimables), pr. : lou%
remarques :
le mot suivant commence par une
omé% àimablés.
b) Lorsqu'un mot est terminé par s et que le mot
suivant commence par une des consonnes fortes c, p,
t, l's finale du premier mot conserve le son dur. Ex. :
los cants (les chants), pr. Ions cants ; — los prats
(les prés), pr. : lous prats ; — las taulas (les
tables), pr. : las tàoulos.
c) Mais, si le mot suivant commence par une con¬
autre que c, p, t, l's finale du premier mot se
vocalise en i. Ex. : los biòus (les bœufs.), pr. : loni
biòons ; — los mainats (les enfants), pr. : loni
mainats ; — las dents (les dents), pr. : lai dents ;
las fédas (les brebis), pr. : lai fédos ; — los
libres (les livres), pr. : loui libres ; — las fèlhas
(les feuilles), pr. : lai fèillos.
2° La consonne v, souvent imposée par l'étymosonne
—
espagnol, le son de b, dans plu¬
régions occitanes, notamment en Haut-Lenguedoc, en Gascogne et en Guyenne. Ex. : vida (vie),
pr. : bido.
logie,
a, comme en
sieurs
3° Le groupe ch ne se prononce jamais comme en
français. Il se prononce tch, comme dans le mot espa¬
gnol muchacho. Ex. : gauch (joie), pr.
s'emploie après les consonnes
leur donner le son mouillé. En consé¬
le groupe lh se prononce comme en fran-
4° La consonne h
1 et
n
pour
quence,
\
-.gàoutch.
�SUR LA PRONONCIATION OCCITANE
XLVIII
çais ///, et le groupe nh, comme
palha (paille),
pr. :
III.
pr. :
paillo
;
français gn, Ex. :
banhat (mouillé),
en
—
bagnat.
CONSONNES
—
ÉTYMOLOGIQUES
MUETTES
Les
l'étymologie
en
général
ou
(aimer),
(avoir),
pr. :
pr. :
(chanteur),
—
r
de l'Infinitif des verbes. Ex.
àimà;— finir (finir),
abé.
La finale
or et en er.
mestiè;
par
pas
:
i° La finale
2°
finales suivantes, requises
la dérivation, ne se prononcent
consonnes
Ex.
pr. :
r
:
des substantifs
flor (fleur),
cantadou;
pr. :
—
primier (premier),
pr.
et
-.fini
des
flou;
;
:
aimar
—
aber
adjectifs en
cantador
—
mestier (métier), pr.:
pr. :
primiè.
3° La finale t des substantifs et des adverbes
ment ainsi que
des participes
en
en
ant, int, eut. Ex.
:
jurament (serment), flacament (faiblement), tro¬
bant (trouvant), finint (finissant), recebent (rece¬
vant), pr. : juramén, flacamén, trouban, flnin,
rccébén.
4° La finale
des substantifs
in, en, on,
des adjectifs en on. Ex. : pan (pain), vin
(vin), beu (bien), tron (tonnerre), bon (bon), pr. :
pa, bi, bé, tron, bou. Cette lettre a un léger son
ainsi que
n
en an,
�sur la prononciation
occitane
xlix
nasal dans
dans la
d '11
quelques régions ; mais elle était muette
langue des Troubadours et portait le nom
caduc.
iv.
_
ACCENT
TONIQUE
Il y a lieu, quant à l'accent tonique, de
consi¬
dérer deux groupes de mots, suivant que ces mots se
terminent par une voyelle ou par une consonne.
i° Les mots terminés par une
des voyelles a, e, i,
du pluriel ou
finale d'une désinence verbale, ont l'accent tonique
sur l'avant-dernière
syllabe. Ex. : porta, libre,
cementèri ; au pluriel : portas, libres, cementèris;
cànta (il chante), que cante (qu'il chante), cànti
(je chante) ; avec une s : càntas (tu chantes), que
même suivies de la
consonne
s, marque
—
càntes (que tu
chantes).
remarques : a) Les mots terminés par la diph¬
tongue ia suivent généralement la même règle. Ex. :
glòria (gloire), istbria (histoire), victòria (victoire),
pregària (prière). Mais avec les autres diphtongues
terminales, l'accent tonique est sur la première
voyelle de la diphtongue. Ex. : agradtu (agréable),
cantarài (je chanterai).
h) Dans les mots terminés par une triphtongue,
tonique est sur la seconde voyelle de la
triphtongue. Ex. : iòu (œuf), biòu (bœuf), cantariài
(je chanterais).
l'accent
7
�sur
L
la
prononciation occitane
a) L'usage veut, mais fautivement,
quelques substantifs en ia aient l'accent tonique
la première voyelle de cette diphtongue termi¬
exceptions :
que
sur
nale. Ex.
:
patria (patrie),
au
lieu de
:
pàtria.
b) Quelques formes verbales terminées par les
voyelles a, /, seules ou suivies de la consonne s, ont
l'accent tonique sur la dernière syllabe. Dans ce cas,
la voyelle accentuée est toujours marquée d'un accent
Ex. : cantarà (il chantera), cantarià (il chan¬
terait), cantaràs (tu chanteras), cantariàs (tu chan¬
terais). Il en est de même de quelques rares mots
invariables terminés par î ou o. Ex. : aici (ici), aisò
(ceci), acò (cela).
grave.
2°
Les
mots
terminés par une consonne ont en
général l'accent tonique sur la dernière syllabe. Ex. :
poton (baiser), trobador (troubadour), glorios (glo¬
rieux), libertat (liberté), cantam (nous chantons),
cantarem (nous chanterons), que cantem (que nous
chantions), cantat% (chantez), cantaret£ (vous chan¬
terez), que cant et£ (que vous chantiez).
remarques: a) Lorsque le mot terminé par une
n'a pas l'accent tonique sur la dernière
consonne
syllabe, la voyelle accentuée est toujours marquée
d'un accent grave. Ex. : càntan (ils chantent), cantàbem (nous chantions), que cànten (qu'ils chantent).
?
b) Les mots terminés
au
singulier
par as,
pren¬
la voyelle accentuée, afin
de ne pas être confondus avec d'autres mots au plu¬
riel ayant la même forme. Ex. : solàs (soulagement),
nent un
accent grave sur
�SUR LA PRONONCIATION
à
de solas
(seules), fangàs (bourbier), à
fang as (boues), etc.
cause
de
OCCITANE
c) Les participes passés
indiqué exceptionnellement
promès (promis).
\
en es ont
LI
cause
l'accent tonique
aigu. Ex. :
par un accent
��I
ALS
PALADINS
�Als
Paladins
dins lo
campèstre e fugint ciutadins,
d'antan al fonze de sa clastra,
Ai pastat aicest pan poètic dins ma mastra,
Per reviudar la vostra Gèsta, ò Paladins !
erdut
Tal
un
monge
Vostres grands faits, los reveiretz aici-dedins.
Se, de còps, la Dolor foguèt vostra sorrastra,
Dins los miunis bordons
E
vos
mostri tals
qu'ètz
vostra
:
eròs
e
valor
s'enclastra,
campardins !
Cercant, l'espaza al punh, la Glòria perdurabla,
Vostra Aimada ajès nom : Auda, Ermengarda, Orabla,
Degun non vos valguèt, per la Gruèrra e l'Amor.
Quantis n'abètz trucats, de félons verinozes !
E, lauzant per acò vostre bras venjador,
Vos vòlon per Aujòls mos Raibes ufanozes !
�Paladins
Aux
PERDU dans la campagne
et fuyant lhuche,
es citadins,
poétique dans
tel
moine d'antan
un
j'ai pétri
ce
pain
faire revivre votre
au
fond de
ma
son
cloître,
pour
Geste, ô Paladins !
les reverrez. Si, parfois,
mauvaise, votre valeur
s'enchâsse dans mes vers, et je vous montre tels que
vous êtes : héros et francs lurons !
Vos hauts
la Douleur
faits, ici
fut votre
vous
sœur
Cherchant, l'épée au poing, la Gloire immortelle,
que votre Aimée eût nom : Aude, Hermengarde,
Orable, nul ne vous valut, pour la Guerre et l'Amour.
Combien
vous en
avez
pourfendus, de venimeux
félons ! Et, louant pour cela votre bras vengeur, mes
rêves d'homme fier vous veulent pour Aïeux !
�'
.
�II
LO
PALET
DE
ROLAND
s
�Lo
Palet de Roland
bant
Sus
d'anar
son
en
Espanha
destrier Valentiu,
Roland
pasèt un estiu
Negra-Montanha.
debià se regalar
casa del singlar,
Subre la
Com
A la
De La Val-Dots à
Narbona,
De Narbona à La Val-Dots !
�Le
Palet de
Roland
AVANT d'al er en Espagne sur son destrier Vaillantif, Roland
passa un
Noire. Comme il devait
chasse du
sanglier,
De La Valdoux à
Valdoux !
été sur la Montagneprendre plaisir à la
Narbonne, de Narbonne à La
�6o
LO
ROMANCERO
OCCITAN
Riu
plazent de Comba-Escura,
Paladin, quantis còps
L'as mirat prenent sos òps,
Lo
De l'albeta à nèit
escura
!
De qun aire triomfant
Embocaba l'olifant,
De La Val-Dots à
Narbona,
De Narbona à La Val-Dots !
Encara
De
sos
se
vei la trasa
dits subre los ròcs.
Per
jogar als siunis jòcs,
plus d'aquela rasa.
Quand mandaba lo palet,
Lo cambiaba en embelet,
Ne nais
De La Val-Dots à
Narbona,
De Narbona à La Yal-Dots !
Lo bèl
palet qu'acò èra !
rocàs de frejal
Que 1' Valent am Durandal
Arranquèt d'una peirièra.
Un tal bruch sos còps fazian,
Que s' resons se n'auzisian,
Tot
un
�LO
PALET
DE
61
ROLAND
Agréable ruisseau de Combescure, combien de fois
ébats, de la prime aube
attitude de triomphe il
embouchait l'olifant,
vis le Paladin prenant ses
à la nuit noire ! Avec quelle
tu
De La Valdoux à Narbonne,
de Narbonne à La
Valdoux.
On voit
encore
sur
les rochers la
trace
de
doigts. Il n'en naît plus de sa race, pour jouer à
jeux. Quand il lançait le palet, il le changeait
éclair,
De La Valdoux à
ses
ses
en
Narbonne, de Narbonne à La
Vadoux !
Le beau
palet que c'était ! Tout un gros rocher
granit qu'avec Durandal le Vaillant arracha d'une
carrière. Ses coups faisaient un tel bruit, que son
écho s'entendait,
de
�62
LO
ROMANCERO
De La Val-Dots à
OCCITAN
Narbona,
De Narbona à La Val-Dots !
Pèi, Roland faguèt la guerra
E
vers
Ronsas-Vals moric
...
en fasa d'Alaric,
palet quita plus terra ;
Mas, la nèit, los pets de tron
Fan brembar son jòc feron,
Ara,
Son
De La Val-Dots à
Narbona,
De Narbona à La Val-Dots !
�LO
PALET
De La Valdoux à
DE
ROLAND
Narbonne, de Narbonne à La
Valdoux !
et mourut à Ronceface du mont Alaric, son
palet ne quitte plus le sol ; mais, la nuit, les éclats
du tonnerre remémorent son jeu furieux,
Puis, Roland fit la
vaux
...
Maintenant,
De La Valdoux à
Valdoux.
guerre
en
Narbonne, de Narbonne à La
�r
/
—
�III
LAS TRES
ESPAZAS
9
�Las
Tres
Espazas
tres, Espazas encantadas,
Que 's Paladins et 1' grand Emperador
An fait luzir subre l'Aude et lAdor,
OS-AUTRAS
Per
un
Felibre siatz cantadas !
Cari, d'Olivier, de Roland,
Qu'abètz trucat sus la maldita Rasa
Qu'en terra d'Oc venguèt com una aurasa
Portar Mahom e Tarvagant !
Al bras de
�Les
Trois
Épées
Vous trois, Épées enchantées, que les Pall'Aude
adins
et le
grand Empereur ont fait luire sur
l'Adour, soyez chantées par un Félibre !
et sur
Au bras de
Charles, d'Olivier, de Roland, comme
frappé sur la maudite Race qui, tel un ou¬
ragan, vint en terre d'Oc, pour y porter Mahomet et
Tarvagant !
vdus avez
�68
OCCITAN
ROMANCERO
LO
Turpin de Rems vos abià benezidas ;
Vostre poder vos avenia del Cèl,
Pramor qu'abiatz dins lo vostre pomèl
Relicas
raras
e
cauzidas.
Èra garit per sempre de tot mal
Lo que de vos recebià blesadura,
E
perfendiatz d'una lama
segura
Lo cabalher et lo cabal.
Qunis combats vejèt la Val-de-Danha
Entre los Francs e 1' Pòple mescrezent !
Aquí calguèt, Espazas, que 1' Creisent
Se revirèse vers l'Espanha !
Miratz l'ufan del rei
Mas Olivier
a
Justamondur !
levât Auta-Clara,
E 1' cap del rei qu'a tant maurèla cara
Tomba com un espic madur.
Maugrabins desfizant las Espazas,
qu'ètz estats emprudents !
Ètz trasmudats en cadavres pudents,
O
Es subre-clar
Dont
totas
las combas
son razas.
�LAS
TRES
ESPAZAS
69
Turpin de Reims vous avait bénies ; vous teniez
puissance, parce que vous aviez dans
votre pommeau des reliques rares et choisies.
du Ciel votre
Il était
de
vous
guéri
recevait
toujours de tout mal, celui qui
blessure, et vous pourfendiez d'une
pour
sûre lame le cavalier
et
le cheval !
Quels combats vit le Val-de-Daigne entre les
et le Peuple mécréant ! Là, il fallut, Épées,
que le Croissant reprît le chemin de l'Espagne !
Francs
Admirez la fierté du roi
Justamondur! Mais Oli¬
Hauteclaire, et la tête du roi qui a si brun
visage tombe comme un épi mûr !
vier
a
O
levé
Maugrabins défiant les épées, il est bien clair
que vous fûtes téméraires ! Vous voilà changés en
cadavres puants, dont toutes les vallées sont pleines !
�LO
7°
Maure
Ailas !
ROMANCERO
Tamiz, al combat
sus
as
tu Durandal lèu
OCCITAN
grand
vam
s'abaisa
!
E, subre 1' prat ensannozit te laisa
Dobèrt corn un grelhant aglam !
Acò
's, segur, una bêla mesclada.
Quantis crezian reveze l'Iëmen,
Per i tastar los plazers de l'imen,
Que son tombats, la cara asclada !
Dempèi La Mèca, abian vist fòrsa lòcs ;
Mas non sabian qu'en terra de Narbona
Èra un acier d'una trempa tant bona
Que fazià brèca subre 's ròcs
...
Aquel acier sens pauza rega l'aire.
Que 's Paladins son bèls, l'espaza al punh !
Son afanats com dalhaires en Junh,
E la sang raja de tot caire.
Auzisètz
Cari, qu'a lo front en suzor !
Barons, trucatz subre 's Pagans ! Montjòia !
E sa Joioza aucis am bèla jòia
—
Lo rei cordoban Al-Manzor !
—
�LAS
TRES
Maure Tamiz, tu
as
ESPAZAS
grande ardeur
Hélas !• Durandal s'abaisse bientôt
pré ensanglanté, te laisse ouvert
qui germe !
sur
71
au combat !
toi et, sur le
comme un
gland
Sûrement, c'est une belle mêlée. Combien cro¬
yaient revoir l'Yémen, pour y goûter les plaisirs de
l'hyménée, qui sont tombés, le visage fendu !
Depuis La Mecque, ils avaient vu de nombreuses
ils ne savaient pas qu'en terre Narun acier d'une si bonne
trempe qu'il
contrées ; mais
bonnaise était
ébréchait les rochers
...
Cet acier sillonne l'air
sans trêve. Que les Pala¬
beaux, l'épée au poing! Ils se hâtent comme
les faucheurs en juin, et, de toutes parts, le sang
dins
sont
coule.
Entendez
sueur
Et
sa
Charles, dont le front est mouillé de
Barons, frappez sur les Païens ! Montjoie ! —
Joyeuse occit en grande joie le roi de Cordoue
!
Al-Manzour !
*
�LO
72
ROMANCERO
Glòria immortala à las
Ven de
cantar un
Gloria als
OCCITAN
Espazas qu'ara
Trobaire occitan !
grands noms de la Gèsta d'antan :
Durandal, Joioza, Auta-Clara !
�LAS
TRES
Gloire immortelle
vient de chanter !
Geste ancienne
:
aux
Gloire
ESPAZAS
73
Épées qu'un Poète occitan
grands noms de la
Durandal, Joyeuse, Hauteclaire !
aux
��IV
LOS PLANHS
DEL
MAURE
�Los
Planhs del
TAL, agonizant,
Fa resontir sos
—
Per
mostrar mon
me
Abaisa-te
res
Se reveziai
Pramor que
qu'un
mon
bèl
Maure
lo calif Al-Manzor
planhs subre la terra Audenca
bèl
palais
e sa
'splendor,
moment, serra nevenca !
palais,
non
moririai,
d'el m'arribarià la dots de vida.
Aquel palais comol de luts qu'à Cordob ai
Als èlhs dels òrbs torna còp-sec flamba escantida.
�Les
INSI,
tir
—
Plaintes
Maure
agonisant, le kalife Al-iManzour fait retenplaintes sur la terre Audoise :
ses
Pour
me
montrer mon
deur, abaisse-toi,
geuse !
Si
du
pour
un
beau
palais et sa splen¬
instant, montagne nei¬
je revoyais mon beau palais, je ne mourrais
de lui me viendrait la source de vie.
pas, car
Ce
palais plein de lumière que j'ai à Cordoue ral¬
soudain aux yeux des aveugles la flamme
disparue.
lume
�7»
LO
ROMANCERO
OCCITAN
mal, fa debrembar tot ben.
Qu'es, prèp d'el, la bèltat de las joves cantairas ?
Fa debrembar tot
Mai que l'Amor, mai que lo vin, fa pèrdre 1' sen,
Tant montan dels sius òrts embriaïgantas flairas !
Es
E
plus aut que Sedir, plus aut que Cavarnac,
jamai rei Persan n'ajèt tala demora.
Sentisi que per
a tant
Que,
veze
se
O
mon
E
me
el mon còr
lo reveziai, creiriai
Palais, ès
veici
Ailas !
,
d'estac
l'Auròra.
terrèstre paradis,
morent, dins un païs estrange.
un
plazer uman n'es gaire duradis
Qu'es lènh mon bòsc ont tant s'amadura l'irange !
Era
...
aquí lo miu cèl mai bèl que los sèt cèls,
el, nèit e jorn, triomfaba la Luna.
E subre
Aqui venian, seguidas pels esclaus fidèls,
Mas cent molhers, e recebiai bais de caduna.
Mas
perleja à mon front la darrièra suzor.
vida de calif aici finigue
Cal que ma
...
�LOS
PLANHS
DEL
MAURE
79
Il fait oublier tout
mal, il fait oublier tout bien.
Qu'est, auprès de lui, la beauté des jeunes chan¬
teuses ?
Plus que l'Amour, plus que le vin, il fait perdre
raison, tant les parfums enivrants montent de ses
jardins !
la
Il
est
plus haut
que
Sédir, plus haut
que
Kavar-
nak, et jamais roi de Perse n'eut semblable demeure.
le
Je sens que mon cœur lui est si attaché
revoyais, je croirais voir l'Aurore.
O
mon
Palais, tu
voici mourant
en
pays
le Paradis
étranger.
es
que,
si je
sur terre, et me
Hélas !
plaisir humain n'a pas grande durée
Qu'il est loin mon bois où si bien mûrit l'orange !
...
Il était
et sur
là, mon ciel plus beau que les sept cieux,
lui, nuit et jour, la Lune triomphait.
Là venaient, suivies des esclaves fidèles, mes cent
épouses, et je recevais le baiser de chacune.
Mais
mon
front est mouillé de la
Il faut que ma
sueur
vie de kalife s'achève ici !
dernière.
�8o
LO
ROMANCERO
OCCITAN
Ara, s'atuda lo bèl astre d'Al-Manzor !
Allah es grand ! Sò qu'es escriut que se compligue !
�LOS
PLANHS
DEL
MAURE
81
Maintenant, le bel astre d'Al-iManzour s'éteint !
est grand !
Que ce qui est écrit s'accom¬
plisse ! —
Allah
��V
LO
CORN
*
�Lo
entre
Am
A
que
son
Corn
Carl arriba prèp La Grasa
adejà belcòp lasa,
armada
Ronsas-Vals, Roland
Pauza
Los
E lo
so
còrn
e
bufa
monts son
reson
subre
tant que
pòt
pòd.
son
auts, e lo son se perlonga,
n'arriba à Serra-Longa.
♦
�Le
Co-r
i
Tandis que Charles arrive près de La Grasse avec
son
A
souffle
armée
Roncevaux, Roland
tant qu'il peut.
Les monts
son
déjà très fatiguée,
sont
écho arrive à
a
embouché
hauts, et le
Serrelongue.
«
son se
son
cor
et
prolonge, et
�86
LO
ROMANCERO
Lo Rei l'auzis
Barons !
—
Sò
—
:
—
OCCITAN
l'a batalha apramont,
Mas lèu li
respond Ganelon :
Dit per un autre,
qu'auzisètz
es
Pracò, Roland
am pena e
Torna bufar dins
Subre
acò serià mesorga !
lo bruch d'una sorga ! —
grand afan
blanc olifant.
son
pòt la sang fa 'na rajada
E, prèp son front, a 'na vena crebada.
son
S'en va tant lènh lo
grand son de son còrn,
Que Carl l'auzis resontir dins son còr.
Naimes tant-ben auzis
E, pracò, l'òst
E lo Rei dis
:
—
Sonarias pas,
Mas Ganelon
Abètz
es en
cauza parièra,
plena Corbièra.
Es ton
s'abias
pas
còrn, ò Roland !
perilh grand ! —
Sire, non i'a batalha !
pel blanc, lo vièlhum vos trabalha !
Parlatz,
ma
:
—
fe !
com
s'èretz
un
enfant !
Non coneisètz vostre nebot Roland ?
�Le
Roi
barons !
—
—
l'entend
:
—
Cependant, Roland
Sur
de
sa
ses
va
si
nouveau
dans
avec
son
peine et grand effort
blanc olifant.
lèvre le sang coule et,
veines est rompue.
près de
son
front,
cœur.
Naimes aussi entend semblable
dant, l'armée est
Et le Roi dit
sonnerais pas,,
:
en
chose, et,
pleine Corbière.
—
C'est
ton cor,
si tu n'étais
Mais Ganelon
avez
son
loin, le grand son de son cor, que Charles
l'entend retentir dans
Vou-s
y a bataille,
répond :
cela serait mensonge ! Ce
entendez, c'est le bruit d'une source ! —
souffle de
Il
Là-haut, il
Mais Ganelon bientôt lui
Dit par un autre,
que vous
une
«7
CORN
LO
:
—
les cheveux
pas en
cepen¬
ô Roland ! Tu
grand péril !
ne
—
Sire, il n'y a point bataille !
blancs, la vieillesse vous nuit !
Vous parlez, ma foi ! comme si vous étiez un en¬
fant! Ne connaissez-vous point votre neveu Roland?
�88
LO
ROMANCERO
Cornarià 'n
Non
vos
an
res
faguetz,
OCCITAN
lèbre !
el, venir la fèbre !
que per una
per
A-n-aicesta ora, es am los siunis pars
Darrier 'n izard
déjà mòrt als tres quarts
E
qu'a perdut demest qualqua bruscalha
Qual auzarià l'atacar en batalha ?
Cabalcatz donc
La Fransa
es
sens
lènh !
...
vos cracinejar !
Perque tant landrejar ?
—
Roland
pels pòts fa la sang à rajadas
E, prèp son front, a las venas crebadas.
Am dolor
Bufa
granda et majorai afan
totjorn dins son blanc olifant.
E Cari
—
l'auzis,
e
Mos auzidors
Dis
l'Emperaire.
Roland
batalha,
's Francezes l'auzison
non
—
sens
...
motiu bruzison !
—
Es lo còrn de Roland !
perilh es grand !
e son
Montjòia ! adonc, contra la gent Pagana !
E grand félon es aquel que
m'engana ! —
�LO
Il cornerait
de
lui,
ne vous
A cette
d'un izard
Et
un
CORN
89
pour un seul lièvre ! A
an
cause
rendez point malade !
heure, il
déjà mort
est avec
aux
ses
pairs à la poursuite
trois quarts
qu'il a perdu parmi quelque broussaille
l'attaquer résolument ?
...
Qui
oserait
Chevauchez donc
France est loin !
Roland
près de
son
a
sans
Pourquoi
vous
mettre en
peine ! La
tant perdre votre temps? —
des ruisseaux de sang sur ses
front,
ses
lèvres, et,
veines sont rompues.
Avec grande souffrance et
grand effort il souffle
toujours dans son blanc olifant.
Et Charles
—
l'entend,
Mes oreilles
Dit
ne
l'Empereur.
land combat !
est
celui
qui
C'est le cor de Roland
péril est grand !
—
et son
Montjoie ! donc
félon
et les Français l'entendent...
bourdonnent pas sans motif ! —
contre la gent
me
! Ro¬
Païenne ! Et grand
trompe !
13
�LO
go
ROMANCERO
OCCITAN
II
L'Emperador
a
fait
E l' flam de guerra
Cade baron
Los
sonar sos còrns,
aluca tots los còrs.
l'èlme
met
e
pren
gonfalons autant rojes
Los blancs
com
Las lansas
qu'an
nèu
e
l'espaza
que
los blaus
un margue
;
braza,
com
azur,
de bòsc dur
E 's
grands escuts formilhejan per òrta.
Los cabalhers d'aquela òst subre-fòrta
Dizon entre
—
Ah !
se
els, los pèds dins cade estriu
encara viu,
Farem amb el
E
un
plan mai qu'ara
E Cari
—
:
trobam Roland
famós
mortalatge
aurem
gauch sui vizatge !
a dit à son fidèl
Begon :
Que, 'ncadenat, lo Judas-Ganelon
—
�LO
CORN
91
II
L'Empereur a fait sonner ses cors, et l'ardeur de
enflamme tous les cœurs.
la guerre
Chaque baron met le heaume et prend l'épée. Les
gonfalons aussi rouges que braise,
Les blancs
comme
neige et les bleus
comme azur,
les lances emmanchées de bois dur
Et les
grands écus fourmillent dans la
cette armée puissante
campagne.
Les chevaliers de
Disent entre eux, les pieds dans
nous trouvons Roland encore
Ah ! si
Nous ferons
et
bien
visage !
plus
les étriers
en vie,
:
—
compagnie un fameux massacre
maintenant nous aurons joie sur le
en sa
que
—
Et Charles
a
dit à
son
chaîné, Ganelon le Traître
fidèle
Bégon
:
—
Qu'en¬
�LO
92
ROMANCERO
OCCITAN
Seguigue l'òst juscas à Saragòsa !
Per li pagar sa
felonia atròsa,
Lo rei Marsil l'atend segurament...
E ieu tant-ben li debi pagament !
De far
son
compte ai pas lo temps, per ara
En atendent, escrachi sus sa cara ! —
...
�LO
Suive
son
atroce
Le
roi
cette
compte
...
93
l'ost
jusqu'à Saragosse ! Pour lui
félonie,
Marsile l'attend certainement
aussi, je lui dois
A
CORN
son
...
payer
Et moi
salaire !
heure, je n'ai pas le loisir de lui faire son
En attendant, je lui crache au visage ! —
��VI
AIMERIC DE NARBONA
�Aimeric de Narbona
arl
voldrià
plan prendre Narbona ; mas, ailas !
barons li dis qu'ara es
trop las.
E Cari, auzint acò, dona 1' vam à
son ira :
Companhs, òc vezi ! sò que lènh d'aici vos tira,
Acò 's l'amor del cap-foguier,
l'amor del lèit !
Fugisètz donc de mon entorn, abant la nèit !
Pietat ! ara qu'es mòrt Roland lo
Triomfaire,
La Crestiantat n'a
plus que ieu per aparaire !
Cadun de
sos
—
Fugisètz, Borguinhons ! Fugisètz, Francimans,
Angevins, Peitavins, Mancèls, Bretons, Flamans
E non
creguetz qu'aicest comand sià galejada !
Tots los qu'an paur d'aber la
pèl
ensannejada,
!
�Aimeric
de Narbonne
CHARLES voudrait bien prendre Narbonne ; mais,
barons lui dit
qu'il se sent
fatigué, à cette heure... Et, entendant
cela, Charles donne un libre cours à sa colère : —
Compagnons, je le vois ! ce qui vous attire loin d'ici,
c'est l'amour du coin du feu, l'amour du lit ! Fuyez
donc loin de moi, avant la nuit ! Quelle pitié ! main¬
tenant que Roland le Victorieux est mort, la Chré¬
tienté n'a plus que moi pour défenseur ! Fuyez, Bour¬
guignons ! Fuyez, gens de France, Angevins, Poite¬
vins, Manceaux, Bretons, Flamands ! Et ne croyez
point que cet ordre soit une plaisanterie ! Tous ceux
qui ont peur d'avoir la peau ensanglantée, je ne les
hélas ! chacun de
ses
trop
13
�98
LO
ROMANCERO
OCCITAN
Los vòli pas, per sant
Firmin d'Amiènez !
sol, demorarai al païs Narbonez
E, sol, conquistarai aquela bèla terra !
Ah ! n'abètz pron, dels grands rambalhs d'aicesta
guerra
Eh ben ! fe d'Emperaire ! aici sejornarai
Vint longs mezes, s'òc cal, e, s'òc cal, vint de mai,
Juscas qu'i aji 'n palais am pintrura autant bèla
Qu'aquela qu'es dins mon palais d'Ais-la-Capèla !
E, quand seretz tornatz al païs d'Orlean,
En terra de Laon o jol cèl Alaman,
Se qualcun, estonat de vos veze, demanda :
Ont es donc lo rei Carl, que lo Ponent comanda ?
Es que, pr'azard, l'aurian vincut los Sarrazins ?
Cap acatat e de vergonha carmezins,
Li respondretz, Barons, qu'abètz l'ama felona :
Tot
—
—
—
L'abèm abandonat al sièti de Narbona !
Mas Arnaut de Baulanda esclata
—
jos l'afront:
el, se non abiai rufas al front,
Prendriai e gardariai aquela bèla vila ;
Mas s'à mon filh volètz ne faire òfra civila,
Crezi, fe de Crestian ! que, sens tròp lo vantar,
Malgrat sa joventut, podrà vos contentar !
Aimeric es son nom.
Am sa cara de filha,
Car n'a res que vint ans, Aimericòt se quilha
Dabant l'Emperador e li dis umilment :
Que lo Dius qu'a son tròne al mièch del firmament
Garde lo Rei de Sant-Danis, lo Rei de Fransa,
E lo gandigue per totjorn de malauransa !
Auzisètz-me, gent Emperaire ! Aicest païs
M'agrada fòrt, e, com ni baron ni marquis,
—
Sire ! dis
—
—
�AIMERIC
DE
NARBONA
99
saint Firmin d'Amiénois ! Je demeu¬
au pays Narbonnais et, seul, je con¬
querrai cette belle terre ! Ah ! vous en avez assez,
des grands tracas de cette guerre ! Eh bien ! foi d'Em¬
pereur ! je séjournerai ici vingt longs mois, s'il le
faut, et, s'il le faut, vingt de plus, jusqu'à ce que j'y
aie un palais avec aussi belle peinture que celle qui
est dans mon palais d'Aix-la-Chapelle ! Et', quand
vous serez revenus au pays d'Orléans, en terre de
Laon ou sous le ciel d'Allemagne, si quelqu'un, étonné
de vous voir, demande : — Où est donc le roi Charles,
qui gouverne l'Occident? Est-ce que, par hasard, les
veux
rerai
pas, par
tout seul
Sarrasins l'auraient vaincu ?
moisis de
avez
la félonie dans
donné
au
Mais
front
honte,
vous
l'âme
:
siège de Narbonne !
Hernaut
de
tête basse
—
et
cra¬
lui répondrez, Barons, qui
—
Nous l'avons aban¬
—
Beaulande
éclate
sous
l'af¬
Sire, dit-il, si mon front n'était pas si ridé,
je prendrais et je garderais cette belle ville ; mais,
si vous en faites offre civile à mon fils, malgré sa
jeunesse et sans trop le vanter, celui-ci, foi de Chré¬
tien ! pourra vous satisfaire ! Aimeric est son nom.
Avec son visage imberbe comme celui d'une fille,
car il n'a
que vingt ans, Aimerillot se dresse devant
l'Empereur et lui dit humblement : — Que le Dieu
qui a son trône au milieu du firmament garde le Roi
de Saint-Denis, le Roi de France, et pour toujours le
préserve d'infortune ! Écoutez-moi, bel empereur ! Ce
pays me plaît fort, et, comme ni Baron ni Marquis,
—
:
—
�100
LO
ROMANCERO
OCCITAN
A sò que vezi à-n-aicesta ora, non
s'enchauta,
Fasètz-me ne l'autrech, e lo prendrai sens fauta
! —
dizent, l'enfant s'es mes d'agenolhons.
Cari li respond : — Al còr m'as fait de gratilhons,
Sire Aimeric ! Pòs prendre e la vila e la terra !
E vos-aus tots, Barons, ò nòblas gents de guerra,
Debrembatz ma colèra e mon parlar brozesc !
Acò
Com la tristor
a
fait dins
mon
còr òrre cresc,
Dezempèi qu'Olivier e Roland n'an plus vida !
Mas, ara, vezètz plan qu'ai l'ama regaudida,
Que l'estrambòrd me torna e que tot m'es plazent !...
Sus lo
vèspre, Aimeric venciguèt lo Creisent.
�AIMERIC
d'après
DE
NARBONA
IOI
je vois à cette heure, ne s'en soucie,
l'octroyer, et je le prendrai sûrement !
Disant cela, l'enfant s'est mis à genoux. Charles
lui répond : — Tu as chatouillé mon cœur, sire Aimeric ! Tu peux prendre et la ville et la terre ! Et vous
tous, Barons, qui êtes nobles gens de guerre, oubliez
ma colère et mon rude
langage ! Comme la tristesse a
fait dans mon cœur affreuse croissance, depuis qu'Oli¬
vier et Roland sont morts ! Mais, maintenant, vous
voyez bien que j'ai l'âme réjouie, que mon enthou¬
siasme est revenu et que tout me fait plaisir !... —
veuillez
ce
que
me
—
Sur le
soir, Aimeric vainquit le Croissant.
��VII
CARCAS
SALUDA
�Carcas
Saluda
'Emperador qu'a la barba florida
Torna
A
Ronsas-Vals,
d'Espagnha am la
sos
Gloria immortala
dotze Pars
cara
amagrida.
son morts.
à-n-aquels subre-fòrts !
Prèp de la mar, ven de balhar Narbona
A-n-Aimeric, que l'a trobada bona.
Mas
Eginhard : — Sire, non abètz res,
Carcas, ciutat que ne val tres !
Sense
�Carcas
Salue
L'Empereur à la barbe fleurie revient d'Espagne
avec
A
le
visage défait.
Roncevaux,
Gloire immortelle à
ses
ces
douze Pairs
héros !
sont morts...
il vient de donner Narbonne à
Aimeric, qui l'a trouvée bonne à prendre.
Près de la mer,
Eginhard lui dit : — Sire, vous
Carcassonne, cité qui en vaut trois !
Mais
sans
n'avez rien
i*
�io6
LO
ROMANCERO
Acò 's la clau que
Sense Carcas, que
OCCITAN
dorbis l'Aquitània !
val la Sètimània ? —
Cari li
respond : — Clerc, as bêla
bèl-còp l'aire de ta canson !
Aimi
razon
Un bèl
jovent ven de prendre Narbona
L'Emperador prendra ben Carcasona !
Am ! menatz-me
Cintatz-me donc
!
:
Tencendur, mon cabal !
Joioza ! e, peraval,
Barons, mostratz sò qu'es la sang de Fransa !
Los Sarrazins
van
aber malauransa !
—
Long-temps, ailas ! lo grand Emperador
Dabant Carcas demora esperador.
Dóna Carcas
E dins
son
es una
cap
Lo sièti dura, e
Ten à
De
mai d'una
engana
landra
la fièra Ciutat
probar qu'a 'ncara milh e blat.
sos
Que,
vièlha mandra,
se
una truèja grasa
crebant, mostra gran e repasa.
merlets tomba
...
�SALUDA
CARCAS
C'est la clef
Septimanie,
107
qui ouvre l'Aquitaine ! Que vaut la
Carcassonne ?
sans
Charles lui
répond: — Clerc, ta raison est bonne !
J'aime bien l'air de ta chanson !
Un
bonne
jeune homme vient de prendre Narl'Empereur prendra bien Carcassonne !
beau
:
Allons !
amenez-moi Tencendur, mon destrier !
Ceignez-moi Joyeuse ! et,
par
là-bas,
Barons, montrez ce qu'est le sang de
Sarrasins vont avoir du malheur ! —
France ! Les
Longtemps, hélas ! le grand Empereur attend
devant Carcassonne.
Dame Carcas est
ruse
traverse son
Le
qu'elle
De
se
une
esprit
vieille matoise, et plus
d'une
...
siège dure, et la fière Cité tient à prouver
a encore maïs et blé.
ses
murailles tombe
crevant, montre
une
truie grasse
grain et farine.
qui,
en
�I08
LO
E Cari
Los
a
dit
ROMANCERO
:
—
Maugrabins
A
veze
OCCITAN
lor
bestial,
grand mal
encara an pas
E vivon pas de ròs com las cigalas
Perdem plus temps ! Barons, à las
Tots los barons
Déjà
se son
en
!
escalas !
ufanos rambalh
afanats à l'asalh.
s'ensaja, e s'esquinta.
Qun fum de gents dabant la torre Pinta !
Cadun trabalha, e
Mas l'auta torre
es
E crèma tant que
aflambada lèu
deven
un
grand flèu.
Sus l'òst de Cari l'auriu fòc la
S'entre-dorbis
com
madura
degrana,
milgrana,
Pèi s'espotis, dins un gèst sobeiran..
Atal Carcas saludèt Cari lo Grand !
—
�CARCAS
Et Charles
a
dit
:
—
SALUDA
109
A voir leur bétail, les Mau-
grabins n'ont pas grand mal encore
de rosée comme les cigales ! Ne
perdons plus notre temps ! Barons, aux échelles ! —
Et
ne
Tous
vivent pas
les barons
en
fier empressement se sont
déjà rués à l'assaut.
Chacun travaille, et s'essaie, et
foule, devant la tour Pinte !
se
harasse. Quelle
Mais la haute tour est bientôt toute
et brûle tant
qu'elle devient
un
Le feu sauvage l'égrène sur l'ost de
s'entr'ouvre comme une grenade mûre,
Puis s'écroule
que
en
flammes
grand fléau.
Charles, elle
souverain... C'est ainsi
Carcas salua Charlemagne !
en un
geste
�.
'
.'
■
■
�VIII
MARIDATGE
D'AIMERIC
�Lo
Maridatge d'Aimeric
vòl aber per molher Ermengarda,
Sòrre de Bonifàs qu'es lo rei dels
Lombards,
IMERIC
Com ten Narbona
E manda à Bonifàs
dempèi
pauc,
gelós, la garda
mesatgers bragards.
Demest aicestis, que son tots d'un aut paratge,
l'a Gui de Mont-Pensier, Girard de Roselhon,
sos
Ugò de Bargalena am son reguèrg caratge
Allaum, que ten lo gonfalon.
Aimeric lor a dit :
Sabi joventa bèla
Qu'en ciutat de Pavia a granda set d'amor.
Demandatz donc per ieu la man de la piuzèla
Que, de tant lènh, a mes lo miu còr en cremor !
E lo valent
—
—
�Le
Mariage d'Aimeriç
AIMERIC veut épouser Hermengarde, sœur de
Boniface, qui est roi des Lombards. Comme il
tient Narbonne depuis peu, jalousement il la
garde et envoie à Boniface ses hardis messagers.
Parmi ceux-ci, qui sont tous de haut parage, il y a
Guy de Montpensier, Girard de Roussillon, Hugo deBargalenne au sombre visage et le vaillant Alleaume,
qui tient le gonfalon. Aimeric leur a dit : — Je con¬
nais une belle jeune fille qui, en la cité de Pavie, a
grande soif d'amour. Demandez pour moi la main de
la pucelle qui, de si loin, a enflammé mon cœur ! —
i5
�LO
ii4
IS
ROMANCERO
OCCITAN
*
-
Los Narbonezes
Destriers rabents
e
'
B
partits. An bonas lansas,
son
subretot bèls
marcs
d'argent.
Tot
caminant, an amermat las esperansas
De Savari, gros Alaman trop emprudent...
Pèi, sus l'èrba, en cantant, an eisugat lors lamas,
E los vaqui lèu-lèu enta 1' rei Bonifàs.
Aicest, que non coneis sò que bulh dins lors amas,
Los convida à
sa
taula.
—
Abèm d'aur mai que
n'as,
E pagarem nostre ostalher, en Lómbardìa !
Grand mercès, Rei ! — dizon en còr los Cabalhers.
Lo
Rei, tre los auzir, es comol de furia
fornhers, tavernhers, mazelhers
De vendre al prètz major las provezions de boca.
Acò destorba pas los vasals d'Aimeric.
Pagan cent marcs un biòu, vint liuras una cloca,
E se mòstran atal d'un païs subre-ric.
E comanda als
Novèl ordre del Rei
:
—
A tots
es
fait defensa
De vendre lenha als cabalhers mal embocats !
—
Sètimans, non s'enchautant de la despensa,
Crompan, per faire fòc, anaps escrincelats.
Enfin, qu'un es lo vent que vers aisi vos mena,
Senhors ?
a dit lo Rei, mai que jamai renos.
Alavets parla atal Ugò de Bargalena :
Los
—
—
—
Nostre
comte
Aimeric, filh d'Ernaut l'Ufanos,
Te fa saber que per molher cauzis ta sòrre
E que, s'al siu voler metes empachament,
De sa man de valent periràs de mal òrre !
Mentrestant, de
sa
part, te fau lo jurament
�LO
MARIDATGE
D'AIMERIC
115
Les Narbonnais
sont partis. Ils ont bonnes lan¬
destriers rapides et surtout beaux marcs d'ar¬
gent. Chemin faisant, ils ont amoindri les espérances
de Savary, gros Allemand trop imprudent...
Puis,
sur l'herbe, en chantant, ils ont
essuyé leurs épées,
et les voilà bientôt chez le roi Boniface. Celui-ci,
ignorant ce qui bout en leurs âmes, les convie à sa
ces,
table.
Nous
de l'or
plus que toi, et nous paierons
Lombardie ! Grand merci, Roi ! —
disent en chœur les Chevaliers. A ces mots, le Roi
entre en grande fureur et ordonne aux fourniers,
taverniers et bouchers de vendre au plus haut prix
les provisions de bouche. Cela ne trouble point les
—
notre
avons
hôtelier,
en
d'Aimeric. Ils payent cent marcs un bœuf,
vingt livres une poule couveuse et montrent ainsi
qu'ils sont d'un très riche pays. Nouvel ordre du
Roi :
Il est interdit à quiconque de vendre du bois
aux Chevaliers impertinents !
— Les Septimaniens,
ne
se
préoccupant guère de la dépense, achètent,
pour faire du feu, des hanaps ciselés. — Enfin, quel
est le vent qui vous amène ici, Seigneurs ? — a dit
le Roi, plus que jamais hargneux. Alors s'exprime
ainsi Hugo de Bargalenne :
vassaux
—
Notre
Aimeric, fils d'Hernaut le Fier,
qu'il choisit ta sœur pour épouse et
que, si tu mets empêchement à sa volonté, de sa
main de vaillant tu périras d'affreuse mort ! Cepen¬
dant, de sa part, je te fais le serment qu'Hermengarde
—
te
comte
fait savoir
�LO
ROMANCERO
OCCITAN
Qù'Ermengarda la Bêla aurà 'n polit doari
En païs Narbonez e 'n païs Aquitan,
E que l'Espanha aurà tant-ben, s'es necesari...
Ara, aici sèm pr'auzir ta vots de bon Crestian !
Lo
Rei-i- tot trebolat.
Ma
vers sa sòrre
s'abansa
—
:
sòrre',-escotatz-méj Vos ai trobat pr' espos '
e fòrt, e som
segur :d'abansá
Que vos agradarà ! — Fraire car, taizatz-vos !
Sabètz que pér mai d'un foguèri demandada ;
Qu'ai refüzat lo.Dòge e Savari lo Rie...
Aprenètz donc qu'aimariai mai èstre cremada
Qu'espozar un baron, se non es Aimeric ! —
Ma sòrre" ! es Aimeric que vostra man demanda !
Es Aimeric ? M'abètz dobèrt lo Paradis,
E belèu morirai d'aber jòia tant granda !
Qu'Aimeric vengue lèu dins aiceste païs ! —
—
Un baron ric
—
—
�KO
la Belle
MARIDATGE
D'AIMERIC
beau douaire
117
pays Narbonnais
Aquitain, et qu'elle aura aussi l'Espagne,
si c'est nécessaire... Maintenant, nous sommes ici
pour ouïr ta voix de bon Chrétien ! —
et en
aura
un
en
pays
Le
Roi, bouleversé, s'avance
vers sa sœur :
Ma sœur, écoutez-moi ! Je vous ai trouvé pour
époux un baron riche et fort, et je suis sûr d'avance
qu'il vous plaira ! — Frère cher, taisez-vous ! Vous
savez que
par plus d'un je fus demandée ; que j'ai
refusé le Doge et Savary le Riche... Aprenez donc
que j'aimerais mieux être brûlée qu'épouser un baron,
si ce n'est Aimeric !
Ma sœur ! c'est Aimeric qui
—
—
demande votre main !
vez
prouver
en ce
le
—
C'est Aimeric ? Vous m'a¬
Paradis, et je mourrai peut-être d'é¬
joie si grande ! Que bientôt Aimeric arrive
pays ! —
ouvert
�.
P'-
.
'
�IX
LO LAIS D'AMOR D'ERMENGARDA
�Lo
Lais
d'Amor
INS una
d'Ermengarda
clastra,
en
Lombardia,
Abiai cregut trobar ma via ;
Mas lo dius Amor me soris...
Qu'Aimeric
Te
Per
E carirai
vengue
vau
lèu dins aiceste païs !
laisar, bèla Italia,
anar
dins l'Occitanxa
Que l'Sarrazin endoloris,
aquí lo que tant me caris !
�Le
Lai
d'Amour
d'Hermengarde
Dans un cloître, en Lombardie, j'avais cru trou¬!
ver
rit...
voie ; mais le dieu Amour me sou¬
Que bientôt Aimeric arrive en ce pays
ma
Je vais te quitter, belle Italie, pour aller
d'Oc que le Maure ravage, et, là, je
qui tant me chérit !
pays
celui
dans
ce
chérirai
16
�LO
122
ROMANCERO
OCCITAN
Sabi que 1' Dòge
E dirà qu'ai pr'el
A
Car la flor
aurà furìa
felonìa.
grand tòrt d'aimar qui l'orris,
de mon còr, non es pr'el que floris !
Que pòd
me far sa gelozia !
Ai set de la dosa ambrozia
E,
com
Que del grand mal d'Amor garis !
ieu, d'aquel mal mon Aimeric moris !
Am
gauch cambiarai de patria,
alegria.
sofris,
vendra lèu dins aiceste païs !
Per que mon còr tròbe
Se com lo|miu son còr
Aimeric
�LO
Je sais
LAIS
D'AMOR
D'ERMENGARDA
123
le Doge sera furieux et m'accusera de
grand tort d'aimer qui le déteste, car la
fleur de mon cœur, ce n'est pas pour lui qu'elle s'é¬
panouit !
félonie. 11
que
a
Que m'importe sa jalousie ? J'ai soif de la douce
qui guérit du grand mal d'Amour! Et, com¬
moi, mon Aimeric meurt de ce mal !
embroisie
me
Avec
joie je changerai de patrie, pour que mon
allégresse. Si son cœur souffre comme
mien, Aimeric viendra bientôt en ce pays !
cœur
le
trouve
��X
L'ENFANTESA
DE
GUILHÈM
�L'Enfante sa de Guilhèm
IMERIC
de Narbona
Cade an,
li dona
uros. Sa molher,
filh que serà Cabalher.
es
un
Bernat, Garin, Ernaut, Guilhèm, Beuve grandison,
Mentre que 's Sarrazins vers l'Espanha fugison.
Pèi, cinq filhas vendran. Quand aurà lo pel gris,
una
Blanca-Flor
emperairis !
Ne veirà
—
—
Déjà, sos bèls mainats, dins son palais de marbre,
Semblan, à son entorn, los regrelhs d'un bèl arbre.
�L'Enfance
de
Guillaume
Aimeric de Narbonne est heureux. Chaque année,
sa compagne
valier.
lui donne
un
fils qui
sera
Che¬
Bernard, Garin, Hernaut, Guillaume, Beuve gran¬
dissent, tandis que les Sarrasins s'enfuient vers l'Es¬
pagne.
Puis, cinq filles viendront. Quand il aura les che¬
gris, il en verra une — Blanchefleur — impé¬
veux
ratrice !
Déjà, ses beaux enfants, dans son palais de mar¬
bre, ressemblent, autour de lui, aux surgeons d'un
bel arbre.
�128
LO
Mas sò
Es de
ROMANCERO
OCCITAN
qu'ara à
veze
son còr de paire es lo mai
l'ardor de Guilhèm l'Ufanos.
Aicest n'a que setze ans, e
Maures aucits o trasmudats
Malgrat qu'aje quatre
Comanda
com
un
ans
rei à
son
dos,
raiba
en
de
que batalha,
varletalha.
mens que son
ainat,
fraire Bernat.
S'èra mèstre, còp-sec
partirià per Aurenja,
E, gracia à-n-el, la Crestiantat aurià revenja !
Ailas ! deu
plegar dabant son paire car
Que lo vòl adobat Cabalher pel grand Cari.
se
L'ira
E
qu'a dins lo còr, cal, ara, que la domte
s'enangue à Paris am sos fraires e 1' Comte...
Atal
ne
fa comand l'eiretier de
Pr'un mesatger montât
Pépin,
subre un miòl sarrazin.
�l'enfantesa
Mais
de
guilhèm
129
qui est le plus doux à son cœur de père,
c'est de voir l'ardeur de Guillaume le Fier.
ce
Celui-ci n'a que
taille, Maures occis
seize
ou
réduits
Quoiqu'il ait quatre
il commande
ans, et
comme un
en
il ne rêve
servitude.
que
ba¬
ans de moins que son aîné,
roi à son frère Bernard.
S'il était le maître,
il partirait tout de suite pour
Orange, et, grâce à lui, la Chrétienté aurait revanche!
Hélas ! il doit s'incliner devant
veut le
voir armé Chevalier par
A cette
a
dans le
et le
heure, il faut qu'il dompte la colère qu'il
et parte pour Paris avec ses
frères
cœur
Comte...
Ainsi
un
père cher qui
le grand Charles.
son
l'ordonne,
messager monté
de l'héritier de Pépin,
mulet de race sarrasine.
au nom
sur un
17
��XI
LA
CONQUISTA DE BAUCENT
�La
Conquista de Baucent
filhs, que tots an bêla mina
Devers Paris En Aimeric camina
mbe sos
aprèp la ciutat de Beziers
subre lors destriers
Venon d'Aurenja. Aquí, la rèina Orabla,
Qu'a pel negros e la cara agradabla,
Lor a promés d'èstre lèu la molher
Del fier Tibaut que rènha en Arabia.
Uèi, per Guilhèm, es un jorn d'alegria.
Pel primier còp, es sui prat batalher
E va poder, sens èstre Cabalher,
Faire rajar un pauc de sang pagana...
E tròba,
Un fum de Turcs que,
—
Veiretz lèu-lèu que som
E que, malgrat que
Non som nascut per
n'aji
de vostra grana
pas alberc,
com un clerc
viure
!
—
�La
Conquête de Baucent
Avec ses fils, qui ont tous belle apparence, Aimeric chemine
vers Paris et trouve, après la
Béziers, une foule de Turcs qui, sur
leurs destriers, viennent d'Orange. Là, la reine Orable
aux cheveux noirs et au visage séduisant leur a pro¬
mis d'être bientôt l'épouse du fier Thibaut qui règne
en Arabie. Ce jour, pour Guillaume, est un jour de
grande joie. Pour la première fois, il est sur le pré
de bataille, et, sans être encore Chevalier, il va pou¬
voir faire couler un peu de sang païen...
cité de
—
Vous
et que,
verrez
bientôt que
je suis de votre race
quoique je n'aie point haubert, je ne suis pa s
vivre comme un clerc ! — Ainsi Guillaume
né pour
�LO
134
ROMANCERO
Atal Guilhèm
OCCITAN
parla à son paire
còsta
Que fièrament
el es cabalcaire.
Pèi, dins sa man n'ajent qu'un tròs de pal,
ara
Tomba suis Turcs
e
los
met en
Lo bèl combat ! Mas los Turcs
E los Crestians
non son
grand mal.
sèt mila,
son
belèu sèt cents.
Quantis d'aicests veiran la granda Vila ?
Çjuantis sui prat demoraran jazents ?
Déjà lo Comte es pres, ò malauransa !
Que devendran, dis el, los mius enfants,
Que Cari espèra^al dos païs de Fransa ? —
Guilhèm respond : — Seran tots triomfants !
E lo siu pal fend los caps com milgranas.
Espaventats, los Turcs viran talons,
Abandonant armas et gonfalons
E de lors mòrts cobriguent monts e planas.
—
—
Mas, sautant rius com un auzèl, praval,
Qu'es clone aquel tant afogat cabal ?
Dejos la sèla
Son mòrs
es
a cobèrta brodada ;
d'aur e val mila bezants...
Acò's Baucent,
Manda
—
E
en
qu'ai Prince dels Pagans
prezent Orabla la Mannada.
Lo bèl destrier !
ne
farai
mon
Rabentament
Lo monta
e
sosca
companh,
:
—
—
Me 1' cal
la vida ! —
la brida,
Vaqui lo miu cabal ! —
l'aganta
dis
Guilhèm.
per
per
�LA
CONQUISTA
DE
BAUCENT
135
parle maintenant à son père qui fièrement chevauche
près de lui. Puis, en sa main n'ayant qu'un tronçon
d'épieu, il court sus aux Turcs et les met en grand
mal.
Le beau combat ! Mais les Turcs
sont sept
mille, et les Chrétiens ne sont pas, peut-être, sept
Combien, parmi ceux-ci, verront la grande
Ville ? Combien sur le pré demeureront étendus ?
Déjà, ô malheur! le Comte est prisonnier! —Que de¬
viendront, dit-il, mes enfants, que Charles attend au
doux pays de France ? — Guillaume lui répond : —
Tous seront triomphants ! — Et son épieu entr ouvre
cents...
les têtes
comme
grenades. Épouvantés, les Turcs s'en¬
fuient, abandonnant armes et gonfalons et
morts couvrant monts et plaines.
de leurs
Mais, là-bas, franchissant les ruisseaux comme
oiseau, quel est donc ce cheval si fougueux ? Il a,
sous la selle, une housse brodée ; son mors est d'or
et vaut mille besants... C'est Baucent, qu'Orable la
Belle envoie en présent au Prince des Païens. —Quel
un
destrier ! songe Guillaume. — Il faut qu'il
m'appartienne ! et j'en ferai mon compagnon, pour
la vie !
Rapidement, il le saisit par la bride, l'en¬
beau
—
fourche et dit
:
—
Voilà
mon
cheval !
—
��XII
CARL
E
GUILHÈM
�Cari
e
Guilhèm
Guilhèm es arribat à Sant-Danis,
un rei
vincut, que subre lo parvis
De la Grand-Glèiza, dabant
Cari, porta Joioza.
Non podent mestrejar son ama coleroza,
Lo buta am son gròs punh e li dis rudament
;
Aprèp Cari, es à ieu que Joioza aparten !
Vaqui per tu ! — Subre una ancola de capèla
A resquitat un pauc la reiala cerbèla.
RE
que
A vist
—
E Cari
a dit :
Lo damaizèl fa bon debut !
Serà pros cabalher, se non es Belzebut !
En
atendent,
—
de ma vista disparegue ! —
Guilhèm respond: — Que Cari me 'n cregue!
que
Plan rezolgut,
�Charles
et
Guillaume
DÈS que Guil aume est arrivé à Saint-Denis,Neil
parvis de la
Basilique, devant Charles, porte Joyeuse.
pouvant maîtriser sa colère, il le pousse avec son
gros poing et lui dit rudement : — Après Charles,
c'est à moi que Joyeuse appartient! Voilà pour toi ! —
Sur le contrefort d'une chapelle a giclé un peu la
cervelle royale. Et Charles a dit : — Le damoiseau
a
vu
un
débute bien ! Il
Belzébuth !
yeux
!
—
roi vaincu qui, sur le
sera preux
En attendant,
chevalier, s'il n'est
qu'il disparaisse à
Bien résolu, Guillaume répond :
—
pas
mes
Que
�140
Portar
LO
ROMANCERO
Joioza dabant ieu
es
OCCITAN
aber tòrt !
Lo que
d'aisi m'arrancarà, lo vezi mòrt ! —
L'Emperador potent qu'a vincut tantis reizes
E que jamai n'a conegut los grands desreizes,
Aquel que fa fugir Normans e Sarrazins,
Que fa dels riuzes clars de riuzes carmezins
E que segurament ten dins sa man la Bòla,
Tant-lèu qu'auzis Guilhèm, com lo fèlhum tremola.
Bèl Emperaire, dis aicest, som colèric.
Perdonatz-me ! Ai dins lo còr sang d'Aimeric ! —
Es lo filh d'Aimeric, jovent? Qu'adonc t'abrasi !
Sentisi que lo gauch dins mon còr fa 'n aigasi
E que seras de mon Empèri lo pilher ! —
—
—
Atal Guilhèm per
Cari foguèt fait Cabalher.
�CARL
E
GUILHÈM
141
Charles m'en croie ! Porter
Joyeuse devant moi, c est
qui m'arrachera d'ici, je le vois
mort !
Le puissant Empereur qui a vaincu tant
de rois et qui jamais n'a connu les grands désastres,
celui qui met en fuite Normands et Sarrasins, qui
change les ruisseaux clairs en ruisseaux cramoisis
et tient sûrement le Globe en sa main, tremble
comme
feuillage, dès qu'il entend Guillaume. — Bel
Empereur, dit celui-ci, je suis irascible. Pardonnezmoi ! J'ai dans le cœur sang d'Aimeric ! — Tu es le
fils d'Aimeric, jeune homme? Que je t'embrasse ! Je
sens que la joie tombe à verse en mon cœur et
que tu
seras le pilier de mon Empire
! —
avoir tort ! Celui
—
Ainsi Guillaume fut fait Chevalier par
Charles.
��XIII
DELIBRANSA
DE
NARBONA
�La
Delibransa de Narbona
EMPÈI
qu'Aimeric
Los Turcs
Tibaut d'Arabia
Am
un
una
Pietat !
ciutat,
molher
com
ara,
qu'a
es anat en
tornats e
Fransa,
venjansa.
vòlon
dabant Narbona
òst de Turcs
La fòrta
Es
es
son
qu'an
cara
ferona.
qui la garda ?
Ermengarda.
nom
faras, Dóna sètimana,
?
Per fòrabandir la Rasa pagana
�La
Délivrance de Narbonne
Depuis qu'Aimeric est allé en France, les Turcs
sont revenus et
Thibaut d'Arabie
ost
de Turcs
au
veulent
est
se
venger.
devant Narbonne
avec
un
visage farouche.
Qui garde, maintenant, la forte Gité ? Ce n'est
qu'une épouse qui s'appelle Hermengarde.
Hélas ! comment
pour
chasser la
race
feras-tu, Dame de Septimanie,
païenne ?
19
�LO
ROMANCERO
OCCITAN
Aquel fier Tibaut, qu'a 'spozat Orabla,
Es vengut te far guerra espaventabla.
Arriba 1'
reson
de
ta
malauransa
Jusc'à Sant-Danis, qu'es
Al
en
dosa Fransa.
dezesper grand la Cort s'abandona ;
non pèrd lo cap Guilhèm de Narbona.
Mas
—
Sire, dis à Cari lo grand Emperaire,
vos quitar ! Pr'aval, ai afaire ! —
Me cal
Pèi, à-n-Aimeric : — Vos, mon valent paire,
Podètz demorar prèp de l'Emperaire !
Vos espantetz pas ! S'abètz pres Narbona,
Vos la gardarà mon espaza bona ! —
E
Guilhèm, lo còr comol d'esperansa,
Quita Sant-Danis, qu'es en dosa Fransa.
Es subre
Que,
Baucent, e tant l'esperona,
esclaire, arriba à Narbona.
com un
Tre que vei aquí Tibaut d'Arabia,
Truca sus son cap am bêla furia.
�DELIBRANSA
LA
Ce fier Thibaut,
faire
une
qui
épouvantable
a
NARBONA
147
épousé Orable, est
venu te
DE
guerre.
La nouvelle de ton infortune arrive
jusqu'à Saint-
Denis, qui est en douce France.
La Cour s'abandonne
au
grand désespoir ; mais
Guillaume de Narbonne reste calme.
—
que
je
Sire, dit-il au grand empereur Charles, il faut
vous quitte ! Par là-bas, j'ai affaire ! —
Vous, mon vaillant père,
rester près de l'Empereur !
Puis, à Aimeric :
vous
pouvez
Ne
vous
bonne,
ma
—
épouvantez point ! Si vous avez pris Nar¬
bonne épée saura vous la garder ! —
Et, le cœur plein d'espoir, Guillaume quitte SaintDenis, qui est en douce France.
Baucent, et tant il l'éperonne,
il
arrive
à Narbonne.
éclair,
Il est
un
Dès
tête
sur
que,
tel
qu'il voit Thibaut d'Arabie, il le frappe à la
avec
belle fureur.
�148
LO
Tibaut
es
ROMANCERO
blesat,
Los Turcs fan
son
vers
OCCITAN
òst s'espaventa,
mar
fugida rabenta
Guilhèm, triomfant, fugir los regarda ;
Pèi, va abrasar sa maire Ermengarda.
Aimeric
Narbona
pòd plan demorar en Fransa
sens el a
'gut delibransa !
:
�LA
Thibaut
fuient
va
DELIBRANSA
DE
NARBONA
149
blessé, son ost s'épouvante, les Turcs
rapidement vers la mer.
est
Guillaume, triomphant, les regarde fuir ; puis, il
sa mère Hermengarde.
embrasser
Aimeric
bonne
a
peut bien séjourner en France : Nar-
été délivrée
sans
lui !
�'
■
.
.
: ;
�XIV
LO
DELS
DESPARTIMENT
ENFANTS
D'AIMERIC
�Lo
dels
Despartiment
Enfants d'Aimeric
i
Aimeric à son entorn a sos sèt filhs
Que, totis sèt, se tenon muts e plan umils.
Lor paire va parlar, e lor maire
Ermengarda
pel darrier còp los baiza e los regarda.
RA,
Belèu
Filhs !
(parli
pas per vostre fraire Guibelin,
tròp jove e qu'es mon Benjamin)
En demorant aici, non fazètz cauza bona !
Sabètz que n'abiai res, quand prenguèri Narbona,
E que non som pron ric per vos enriquir tots.
Bernat, mon car ainat, escota plan ma vots,
E que lèu-lèu ma bêla espéra sià complida !
—
Qu'es
encara
�La
des
Séparation
Enfants d'Aimeric
i
Maintenant, Aimeric autour de lui a ses sept
fils
qui, tous les sept, gardent le silence et
bien humbles. Leur père va parler, et
leur mère Hermengarde les couvre de baisers et les
contemple peut-être pour la dernière fois.
sont
Fils, (je ne parle pas pour votre frère Guibelin,
qui est encore trop jeune et qui est mon Benjamin)
il n'es pas bon que vous restiez ici ! Vous savez que,
quand je pris Narbonne, je ne possédais rien et que
je ne suis pas assez riche pour vous enrichir tous.
Bernard, mon cher aîné, écoute bien ma voix, et que
—
20
�LO
154
ROMANCERO
Lo ric duc de Brebant
Es
mon
a
'na filha polida.
amie. Vai à Brebant
Se la filha
OCCITAN
e
fai-te aimar !
plai, la te caldrà 'spozar ! —
N'ajent, per tot deque, res qu'una espaza bona,
Bernat subitament es partit de Narbona.
Aurà lèu per molher la filha de Brebant
E, la primièra nèit, engendrarà Bertrand,
Bertrand lo Paladin qu'espantarà lo Maure,
Quand fonsarà subre el am la furor d'un taure.
te
II
Ara, Aimeric à son entorn a sos sièis filhs
Que, totis sièis, se tenon muts e plan umils.
Lor
paire va parlar, e lor maire Ermengarda
pel darrier còp los baiza e los regarda.
Belèu
—
pel sedós negreja jos ton nas !
fortuna, en Lombardia n'as !
l'i querre ! Ton Grand es lo rei de Pavia.
Garin,
S'aici
Vai
non
com
as
N'a ni filhas ni filhs. Adiu !
e
bona via !
Mas debrembi
quicòm... Com te sabi pron viu,
Castiga un pauc ta lenga, e, tornamai, adiu ! —
per tot deque, res qu'una espaza
Garin subitament es partit de Narbona.
N'ajent,
bona,
Quand aurà pres Anseuna als Turcs, lo pros enfant
un polit dròlle : Vivian,
Vivian lo Valent, qu'aurà jamai la canha
E que, pietat ! morirà jove à Vila-Danha...
Aurà d'Eustasa
�LO
bientôt
ce
que
de Brebant
a
155
DESPARTIMENT
j'espère s'accomplisse ! Le riche duc
une
fille belle. C'est mon ami. Va à
Si la fille te plaît, il fau¬
Brebant et fais-toi aimer !
dra
que tu
l'épouses !
—
N'ayant,
pour tout
bien,
qu'une bonne épée, Bernard soudainement est parti
de Narbonne. 11 aura bientôt pour femme la fille de
Brebant et, la première nuit, engendrera Bertrand,
Bertrand le Paladin qui épouvantera le Maure, quand,
tête basse, il fondra sur lui comme un taureau.
II
Maintenant, Aimeric autour de lui a ses
six fils
qui, tous les six, gardent le silence et sont bien hum¬
bles. Leur père va parler, et leur mère Hermengarde
les couvre de baisers et les contemple peut-être pour
la dernière fois.
—
poil soyeux et noir se mon¬
! Si tu n'as pas de la fortune ici, tu
Lombardie ! Va l'y chercher ! Ton grand-
Garin,
comme un
tre sous ton nez
en
as
en
père est le roi de Pavie. Il est sans postérité. Adieu !
et bon voyage ! Mais j'oublie quelque chose... Com¬
me je te sais assez violent, châtie un peu ta langue,
et, de nouveau, adieu ! — N'ayant, pour tout bien,
qu'une bonne épée, Garin soudainement est parti de
Narbonne. Quand il aura pris Anséune aux Turcs,
le preux enfant aura d'Heustace un fils joli : Vivien,
Vivien le Vaillant, qui jamais ne connaîtra la mol¬
lesse et qui, hélas ! mourra jeune à Villedaigne...
�I5&
LO
ROMANCERO
OCCITAN
III
Ara, Aimeric à son entorn a sos cinq filhs
Que, totis cinq, se tenon muts e plan umils.
Lor paire va parlar, e lor maire Ermengarda
Belèu pel darrier còp los baiza e los regarda.
Ernaut, l'auzèl qu'a pluma a lèu fòranizat !
faguèron tos ainats, lo mez pasat.
De viure sens fa res quora auràs donc vergonha ?
—
Atal
Am ! sias lèu arnescat, per anar en Gasconha
Lo comte de Gironda a déjà lo pel gris.
Es
mon
amie. Sa filha bêla
Delibra-lo dels
Turcs,
Ernaut subitament
es
e
es
!
Beatris.
ta fortuna es bona !
—
partit de Narbona !
IV
Ara, Aimeric à son entorn a quatre filhs
Que, totis quatre, aquí son muts e plan umils.
Lor
paire va parlar, e lor maire Ermengarda
pel darrier còp los baiza e los regarda.
Belèu
Guilhèm, Beuve, Aïmer, seretz paures barons,
la Narboneza aurà de Turcs ferons ! —
N'ajent, per tot deque, res qu'una espaza bona,
—
Tant que
�157
III
Maintenant, Aimeric autour de lui a ses cinq fils
qui, tous les cinq, gardent le silence et sont bien
humbles. Leur père va parler, et leur mère Hermengarde les couvre de baisers et les contemple peutêtre pour la dernière fois.
Hernaut, quand l'oiseau est emplumé, il sort
Ainsi, le mois passé, firent tes deux
aînés. Quand donc auras-tu honte de vivre sans rien
—
bientôt du nid !
faire ? Allons ! sois bientôt équipé, pour aller en
Gascogne ! Le comte de Gironde a déjà les cheveux
gris. C'est mon ami. Béatrix est sa fille belle. Déli¬
vre-le des Turcs, et tu auras grande fortune ! — Her¬
naut soudainement est parti de Narbonne !
IV
Maintenant, Aimeric autour de lui a quatre fils
qui, tous les quatre, sont là silencieux et bien hum¬
bles. Leur père va parler, et leur mère Hermengarde
les couvre de baisers et les contemple peut-être pour
la dernière fois.
—
Guillaume, Beuve, Aïmer, vous serez piètres
barons, tant que la Narbonnaise aura
rouches !
N'ayant, pour tout bien,
—
des Turcs fa¬
qu'une bonne
�158
Los
LO ROMANCERO OCCITAN
tres
fraires
còp-sec
son
partits de Narbona.
que se sentis una ama de lion,
Aurà la fìlha e lo reialm del rei Ion ;
Beuve,
Aïmer combatrà contra 's Maures
E farà lèu de Sauramonda
sa
d'Espanha
companha.
Per quant al pros Guilhèm, à Paris es tornat.
Es el que salvarà tot sol la Crestiantat
E que saurà tenir am bêla aseguransa
Joioza, qu'es
encara
al punh de Cari de Fransa !
Ara, Aimeric al costat d'el n'a res qu'un filh.
Es Guibelin, que se ten mut e plan umil.
Son paire parla plus, e sa maire Ermengarda,
Soscant als enanats, lo baiza e lo regarda.
�LO
DESPARTIMENT
159
épée, les trois frères soudain sont partis de Narbonne. Beuve, qui se sent une âme léonine, aura la
Yon. Aïmer luttera contre
prendra Sauremonde pour
épouse. Quant à Guillaume, il est revenu à Paris.
C'est lui qui sauvera tout seul la Chrétienté et qui
saura tenir avec une belle hardiesse Joyeuse, qui est
encore au poing de Charles de France !
fille et le royaume du roi
les Maures d'Espagne et
qu'un fils.
qui est silencieux et bien humble. Son
père ne parle plus, et se mère Hermengarde, son¬
geant à ceux qui sont partis, le couvre de baisers et
Maintenant, Aimeric auprès de lui n'a
C'est Guibelin,
le
contemple.
��XV
SUPLICI
DE
GUIBELIN
si
�Lo
Suplici de Guibelin
i
EMPÈI que son partits los sièis filhs d'Aimeric,
Se mòstran tornamai los Turcs d'Ab-el-Melik.
La rabia dins la sang e la cara ferona,
Enròdan com un fum la ciutat de Narbona.
Belèu
qu'aiceste còp triomfaran, enfin !
se fa vièlh, plan jove es Guibelin...
Aimeric
Guibelin, per segur, n'a que dotze
Mas déjà dins son còr la Valor se
ans
à
pena ;
remena.
�Le
Supplice de Guibelin
i
Depuis que les six enfants d'Aimeric sont partis,
les Turcs d'Abd-el-Mélik
se
montrent de
nou¬
veau.
La rage
dans le
sang et
tourent comme une nuée la
Cette
le visage furieux, ils
en¬
cité de Narbonne.
fois, peut-être, ils triompheront, enfin ! Aivieux, Guibelin est bien jeune...
meric devient
Guibelin, pour sûr, n'a à peine que douze ans ;
déjà dans son cœur la Valeur se démène.
mais
�IÓ4
ROMANCERO
LO
OCCITAN
Quand vei jos las parets las cornas del Creisent,
Se sentis grand azir pel Pòple mescrezent.
mèstre, estretament lo garda ?
qu'atal òc vòl la comtesa Ermengarda.
Perque lo clerc,
Pramor
D'èstre
Un
com un
jorn, truca
son
esclau, lo mainat n'a lèu pron.
mèstre al bèl mitan del front,
son
Emponha fièrament una espaza luzenta
E tomba
com un
tron
sus
la gent mescrezenta.
per semenar à son entorn la Mòrt,
Son bras d'enfant, pietat ! encara es pas pron
Pracò,
fort.
Que Guibelin es bèl am sos longs pelses saures !
Mas lèu, dins la mesclada, es prezonier dels Maures...
II
Aimeric,
sus
Son tant
car
torre, es palle.
Guibelin en crots
sa
Qu'a donc vist ?
Jezus-Crist !
com
�LO
SUPLICI
DE
GUIBELIN
Quand il voit sous les murailles les cornes du
Croissant, il se sent grande haine pour le peuplç
mécréant.
Pourquoi le clerc, son maître, le garde-t-il étroi¬
qu'ainsi le veut la comtesse Hermengarde.
tement? Parce
D'être
Un
comme un
jour, il frappe son maître au beau milieu du
Saisit fièrement
me
esclave, le bel enfant en a assez.
un
tonnerre sur
une
front,
luisante épée et tombe com¬
la gent
mécréante.
de lui, son
assez fort.
Pourtant, pour semer la Mort autour
bras
d'enfant, hélas ! n'est
pas encore
Que Guibelin est beau avec ses longs cheveux
bientôt, dans la mêlée, il est prison¬
blonds ! Mais
nier des Maures...
II
Aimeric, sur sa tour, est pâle, Qu'a-t-il donc vu
Son si cher Guibelin en croix comme Jésus-Christ.
?
�i66
LO
Pels Turcs,
£
—
se pauzan
ROMANCERO
cruzificar
Maldita Rasa, per
Valon
un
atal de la
encara mens
OCCITAN
dròlle
guerra
es
òbra santa,
alasanta...
la quala los Crestians
la rasa dels cans !
que
Lo pez de ma dolor va 'spotir mai d'un morre
Atal clama Aimeric quilhat subre sa torre.
!
III
Paladins eroïcs à Ronsas-Vals tombais,
Gautier, Turpin, Roland, Olivier,
agaitatz !
Agaitatz Aimeric que sortis de Narbona
E que la set de la venjansa ara enfurona !
Demest los
Maures, Aimeric se fa 'n camin
Devers la crots ont,
pantaisos,
es
A lèu fait d'arrancar los clabèls
E d'embrenicar Turcs
com
Guibelin.
sanguinozes
de clòscas de
nozes.
—
�LO
SUPLICI
DE
GUI BELIN
Turcs, crucifier un enfant est œuvre
sainte, et c'est ainsi qu'ils se reposent de la guerre
Pour les
accablante...
Maudite Race, pour
—
lent
encore
Le
seau
!
laquelle les Chrétiens va¬
des chiens !
moins que la race
ma douleur va écraser plus d'un mu¬
Ainsi clame Aimeric dressé sur sa tour.
poids de
—
III
héroïques tombés à Roncevaux, Gau¬
thier, Turpin, Roland, Olivier, regardez !
Paladins
Regardez Aimeric qui sort de Narbonne et que la
rend maintenant furieux !
soif de la vengeance
Parmi les
vers
Il
Maures, Aimeric se fraie un chemin
pantelant.
la croix où Guibelin est
a
bientôt arraché les clous
les Turcs
comme
des coques
sanglants et broyé
de noix.
�i68
LO
Ara,
a
ROMANCERO
OCCITAN
pauzat son filh subre Son grand escut
un
pauc mai content que n'es vengut.
E s'entorna
De
lènh, l'òst dels Pagans, espantat, lo regarda...
es lèu sui faudal d'Ermengarda !
E Guibelin
�LO
Maintenant,
et
s'en
SUPLICI
sur son
retourne un
peu
DE
GUIBELIN
169
grand écu il a posé son fils
plus content qu'il n'est venu.
De
loin, épouvanté, l'ost des Païens le suit des
yeux... Et Guibelin est bientôt sur le giron d'Her-
mengarde !
11
��XVI
CORONAMENT
DE
LOIS
�Lo
Coronament
Loïs
dins sa barba florida,
Que devendran Fransa carida
E tot l'Empèri, quand, colcat dins lo tombèl,
Non podrai traire ma Joioza del forrèl,
Per far demorar siaus los pòples tant nombrozes
Que d'èstre ajogatats se sentison febrozes ?
Qui sab se mos barons non espèran ma mòrt
E non emplegaran lo vièlh dret del plus fòrt
Contra mon filh Loïs, jovent de cara palla,
Pauruc e flac, que non arriba à mon espalla ?
Qu'ensajaran los Maiencezes en furor
Contra Loïs, quand lo veiran Emperador ?
Com aicest portarà la pezuca corona
Que, de l'Elbe à l'Ador, del Tibre à la Garona,
ARL, en pasant
S'es demandat
la
de
:
man
—
�Le
Couronnement
de
Louis
En promenant la main dans sa barbe fleurie, Char¬
les
s'est demandé
Que deviendront ma
l'Empire, quand, couché
dans la tombe, je ne pourrai plus tirer ma Joyeuse
du fourreau, pour tenir apaisés les peuples si nom¬
breux qui, parce que soumis, se sentent enfiévrés ?
Qui sait si mes barons ne désirent pas ma mort et
n'emploieront point le vieux droit du plus fort contre
mon fils Louis, jeune homme au pâle visage, peureux
et faible, qui n'arrive pas à mon épaule? Qu'essaie¬
ront les Mayençais furieux contre Louis, quand ils
le verront Empereur ? Comment celui-ci portera-t-il
la lourde couronne qui, de l'Elbe à l'Adour, du Tibre
:
France chère et tout
—
�LO
174
ROMANCERO
OCCITAN
Saisons, Francs, Lombards e félons ?
A-n-aquel soscadis, monta los escalons
Fa tremolar
—
De la Dolor l'ama de Carl lo Triomfaire.
Enfin, s'es dit :
—
Ara, ai trobat sò que cal faire !
—
Dabant Loïs, que tant li cauza son torment,
Dins La Capèla-d'Ais Carl ten grand parlament.
Aquí, son los barons aimats de l'Emperaire,
Quaranta abats, quatorze bisbes e 1' Sant-Paire.
L'emperiala Corona es al mièch de l'autar.
Degun, sens tremolar, non la pòd agaitar.
l'Apostòli sant mesa granda es cantada.t
Agenolhat, Loïs a l'ama espaventada.
E Carl s'es arborat, e, de sa fòrta vots,
Per
A
son
flac eiritier dis aisò dabant tots :
Miu filh
carit, se te sentises aziransa
grands pecats ; s'es en Dius sol ton esperansa ;
Se vós fugir Lutsuria e Felonia ; s'as
Pron fòrsa per luchar contra lo Satanas ;
Se debes, tant qu'auràs la béluga de vida,
Aparar l'orfanèl, la veuza adolentida,
E se jamai non vòs trahir ton jurament,
Pren aicesta Corona ! Es a tu qu'aparten !
Si-que-non, laisa-la ! —
—
Pels
Auzint
A cent
—
aquel troneire,
lègas d'aquí Loïs voldrià se veire.
Miu filh
carit,
se te
sentises
pron
d'ufan
�LO
CORONAMENT
DE
LOIS
175
à la
Garonne, fait trembler Saxons, Francs, Lom¬
A cette pensée, l'âme de Charles
le Triomphant monte les échelons de la Douleur...
bards et félons ?
—
Enfin, il s'est dit
faut faire !
:
—
Maintenant, je sais
ce
qu'il
—
Devant
Louis, qui est la grande cause de son
Charles tient cour plénière dans La Chapelle-d'Aix. Là, sont les barons aimés de l'Empe¬
reur, quarante abbés, quatorze évêques et le SaintPère. La Couronne impériale est placée au milieu
de l'autel. Nul, sans trembler, n'ose la regarder. Par
VApostole saint la grand' messe est chantée. Age¬
nouillé, Louis a l'épouvante dans l'âme. Et Charles
s'est levé, et, de sa forte voix, dit ceci devant tous à
tourment,
son
faible héritier
:
Mon fils chéri, si tu te sens haine pour
les grands
si ton espoir est en Dieu seul ; si tu veux fuir
Luxure et Félonie ; si tu es assez fort pour lutter con¬
tre Satan ; si, tant que tu auras une étincelle de vie,
tu dois défendre l'orphelin et la veuve affligée, et si
tu ne veux jamais trahir ton serment, prends cette
Couronne ! C'est à toi qu'elle appartient ! Sinon, n'y
touche pas ! —
—
péchés
;
Entendant
ce
tonnerre,
Louis voudrait
se
voir à
cent lieues de là.
—
Mon fils
chéri, si tu te
sens assez
de fierté pour
�LO ROMANCERO
176
Per comandar
un
OCCITAN
òst d'emperaire roman ;
las aigas de Gironda
qu'es tant larga e prigonda,
Pr'anar vencir lo Turc al païs d'Iemen,
Pren aicesta Corona ! Es à tu qu'aparten !
Si-que-non, laisa-la ! —
Se raibas de pasar
E l'Oceana Mar,
Loïs
Que se crei arribat à son ora
—
a
tant
flaquièra,
darrièra.
vòs èstre juste e bon,
glòria, acatar lo felon,
Glèiza, conortar la valentiza
carit,
Miu filh
es que
Ausar lo pros en
Servir la
E
castigar com òc se deu
l'ensolentiza ?
Valensa te manten,
Pren aicesta Corona ! Es à tu qu'aparten
Se n'es atal
e se
Si-que-non !...
—
Mas Loïs,
E, blanc autant que
—
Non ès
!
mon
à-n-aquels mòts, trantòla
nèu, sui paziment redòla.
filh ! Acó se vei subre ton
front !
colquèt ambe qualque capon !
Non ès mon filh, te dizi ! Autrament, de ta boca
La pròba sortirià qu'ès branca de ma soca !
Abatz ! prenètz cizèus, tondètz aquel bastard !
Serià pecat de faire un rei d'un tal coard !
Mas espéras dins el serian espéras vanas...
Que sià monge al mostier e sone las campanas ! —
Ta maire
se
Los bisbes e
's barons
son en
grand espavent
�LO
commander
CORONAMENT
DE
LOIS
177
d'empereur romain ; si tu rêves
de passer les eaux de Grironde et la Mer
Océane, qui
est si large et si
profonde, pour aller vaincre le Turc
ost
un
pays d'Yémen, prends cette Couronne ! C'est à toi
qu'elle appartient ! Sinon, n'y touche pas ! —
au
Louis
heure
se
est
sent
si
faible, qu'il croit
que sa
dernière
arrivée.
Mon fils
chéri, veux-tu être bon et juste, éle¬
gloire, abaisser le félon, servir l'ɬ
glise, réconforter la vaillance et châtier l'insolence
—
ver
le preux en
elle le mérite? S'il
comme
lance
te
Mais, à ces
neige, roule
—
front !
est
ainsi
et
si
Vail¬
soutient, prends cette Couronne ! C'est à toi
qu'elle appartient ! Sinon...
la
en
—
mots, Louis titube et, aussi blanc que
sur
les dalles.
Tu n'es pas mon fils ! Cela se voit sur
Ta mère se coucha avec quelque
lâche
ton
! Tu
n'es pas mon fils, te
dis-je ! S'il en était autrement,
la preuve que tu es branche de ma souche sortirait
de tes lèvres ! Abbés ! prenez des ciseaux et tondez ce
bâtard ! Ce serait
Mon
péché de faire un roi de ce poltron !
lui serait un vain espoir... Qu'il soit
moûtier et qu'il sonne les cloches ! —
espoir
moine
Les
au
en
évêques et les barons
sont dans
une
grande
»3
�i78
lo
romancero
occitan
E tremòlan autant que
Dizon entre els
Caler copar
:
—
las fèlhas al vent.
Ailas ! qun malastros
lo pel al filh de l'Emperaire !
afaire !
—
Mentrestant, l'ambicios Ernaut l'Orleanez
S'abansa e dis à Cari : — Sire, vostre filh n'es
qu'un mainat bon per servir la mesa.
N'a que quinze ans, non a finit son enfantesa,
E n' faire uèi un emperaire es pas aizit.
Encara
Sire, veirem acò, quand aurà mai grandit.
ans ! Dins tres ans, lo refondi !
Ne fau un Cabalher bon e pros, e n' respondi ! —
L'Emperaire à-n-Ernaut anaba dire : Oc,
Fizatz-me-lo tres
Quand Guilhèm de Narbona intra dins lo Sant-Lòc.
D'un còp de punh, aucis Ernaut, pren la Corona,
L'enfonza jusc'al còlh de Loïs, e, ferona,
Sa vots atal dins la capèla resontis :
Auzisètz tots un Cabalher que non mentis !
Ernaut èra un félon, e n'a 'gut malauransa !
Es ieu sol que serai lo grand Baile de Fransa ! —
—
Alavets, Cari, plorant de gauch, à Guilhèm dis :
Ieu mòrt, auràs Joioza, espaza de Clovis ! —
—
�LO
CORONAMENT
DE
LOIS
179
épouvante et tremblent comme les feuilles au vent. Ils
disent entre eux:— Hélas ! quelle malheureuse affaire!
Falloir couper la chevelure au fils de l'Empereur ! —
Cependant, l'ambitieux Hernaut l'Orléanais
et dit à Charles : — Sire, votre fils n'est
vance
s'a¬
en¬
qu'un enfant bon à servir la messe. Il n'a que
quinze ans, il est encore dans l'enfance, et en faire
core
aujourd'hui
n'est pas facile... Sire,
cela, quand il aura un peu plus grandi.
un empereur, ce
nous verrons
Confiez-le-moi pendant trois ans ! En trois ans, je le
transforme ! J'en fais un Chevalier bon et preux, et
j'en réponds ! — L'Empereur allait dire : oui ! à Her¬
naut, quand Guillaume de Narbonne entre dans le
Saint-Lieu. D'un coup de poing, il tue Hernaut,
prend la Couronne, l'enfonce jusqu'au cou de Louis,
et, furieuse, sa voix retentit ainsi dans la chapelle :
Entendez tous un Chevalier qui ne ment point !
Hernaut était un félon, et cela lui a porté malheur !
C'est moi seul qui serai le grand Bailli de France ! —
—
—
Alors, Charles, pleurant de joie, dit à Guillaume :
Après ma mort, tu auras Joyeuse, épée de Clovis ! —
��XVII
MORT
DE
CORSOLT
�La
Roma,
Mòrt
de
Còrsolt
dins tots los païzes latins,
qu'un clam : « Los Sarrazins ! Los Sarrazins !
Los filhs de Mahomet, tala una mar que monta,
An envazit l'Euròpa, ont degun non los domta.
Tenon l'Espanha e tot lo terraire Aquitan,
E 's clar per tots que lor triomfe es plan certan.
Ara, desbarcan suis ribatges d'Italia
Galafre e Tenebrèu, reizes dont la fúria
Espaventa còp-sec tota la Crestiantat.
A lor sèla de caps son penjats, ò pietat !
Que son de lors vincuts una orresca despolha.
Déjà, son prezoniers Gaifier, rei de la Polha,
Son òst nombros, sa filha bèla e sa molher.
La santa Glèiza es en perilh. Lo cabalher
S'auzis
com
»
�La
Mort
de
Corsolt
ARome, comme dans tous les pays latins, onSarra¬
n'en¬
Les Sarrasins ! Les
Mahomet, telle une marée
montante, ont envahi l'Europe, où nul ne les domp¬
te. Ils tiennent l'Espagne et tout le terroir d'Aqui¬
taine, et il est clair pour tous que leur triomphe est
bien certain. Maintenant, débarquent sur les rivages
d'Italie Galafre et Ténébré, rois dont la sauvagerie
épouvante soudain toute la Chrétienté. 0 pitié! à leur
selle des têtes pendent, qui sont l'horrible dépouille de
leurs vaincus. Déjà, sont prisonniers Gaifier, roi de
Pouille, son ost nombreux, sa fille belle et son épouse.
La sainte Église est en péril. Le cavalier qui annonce
tend
sins !
qu'un cri
»
: «
Les fils de
�184
LO
ROMANCERO
Qu'anoncia acò dins Roma
es
OCCITAN
auzit
pel Sant-Paire.
Es que
Mahom, ò Crist ! pòd èstre triomfaire?
aicest, en enautant los èlhs al cèl.
A dit tant-ben :
Engarda-nos d'afros mazèl !
Ajuda-nos e fai miracle, ò Dius de glòria !
E que Roma crestiana
aje granda victòria !
Finis à pena sa
pregaria, quand Guilhèm
—
—
A dit
—
—
Intra
Es
e
una
dis
:
—
granda
Mahom
Paire-Sant, sò que tots dos volèm
causa,, e cal que se compligue !
es
Satanàs, e 's grand temps que perigue !
l'ajuda de Dius, es ieu que 1' vencirai,
E podètz creire
que, pr' acò, pron valor ai !
Non ajetz desconòrt ! Lo
qu'amont senhoreja
Am
Saurà
mostrar à
qui
son
asistensa autreja.
Sant-Paire, ajem fe granda à-n-aquel
Per azard, som vengut
E pregar per Loïs,
aici
per
faire
que tot
un
pòd !
vòt
serà rei de Fransa,
granda malauransa
! Fizatz-vos à-n-aicest bras !
que
E veici que
Vos
m'an dit
amenasa
que
Aicest bras de Guilhèm de
s'apauzar es las.
Los Maugrabins lo sentiran subre lor
closca.
Se lo veziatz asclar
cerbèls, clamariatz : Osca !
Dizon que lor gigant Còrsolt aurà ma
pèl.
Oc sabi pas ; mas es
segur que serà bèl
Nostre combat. Espèri plan
que, s'abètz leze,
faretz l'onor d'anar lo veze
E que, quand triomfant de Còrsolt
m'auretz vist,
Sant-Paire,
me
Voldretz dire mercès per ieu à
Jezus-Crist !
L'endeman, l'Apostòli
es anat à
—
'Spramonte
�MORT
LA
DE
cela dans Rome est ouï par
omphant ?
a
le Saint-Père.
Mahomet, ô Christ ! peut être tri¬
dit celui-ci, en levant les yeux au ciel.
Est-ce que
—
Il
185
CORSOLT
a
dit aussi
:
—
Préserve-nous d'un affreux
car¬
! Aide-nous et fais un miracle, ô Dieu glorieux!
Rome chrétienne ait grande victoire ! — Il
peine sa prière, lorsque Guillaume entre et
dit :
Saint-Père, ce que, tous deux, nous voulons,
c'est une grande chose, et il faut qu'elle s'accom¬
plisse ! Mahomet est Satan, et il est grand temps de
l'anéantir! Avec l'aide de Dieu, c'est moi qui le vain¬
crai, et vous pouvez croire que, pour cela, j'ai assez
d& courage ! N'ayez point inquiétude ! Celui qui trône
là-haut saura montrer à qui il accorde son appui...
Saint-Père, ayons foi absolue en Celui qui peut tout !
Par hasard, je suis venu ici pour faire un vœu et prier
nage
et
que
finit à
—
pour Louis, qui sera roi de France. Et voilà qu'on
m'a dit qu'un grand malheur vous menace ! Fiez-vous
à ce bras ! Ce bras de Guillaume est las de ne rien
Maugrabins le sentiront sur leur nuque.
voyiez écraser les cervelles, vous crieriez:
bravo ! Ils disent que leur géant Corsolt aura ma
peau... Je n'en sais rien ; mais ce qui est sûr, c'est
que notre combat sera beau. J'espère bien que, si
vous
avez loisir, Saint-Père, vous me ferez l'hon¬
neur d'aller le voir et que, quand vous m'aurez vu
triompher de Corsolt, vous voudrez bien dire merci
pour moi à Jésus-Christ ! —
faire. Les
Si
vous
Le
le
lendemain, VApostole est allé à
Aspramonte
»4
�186
LO
Ont Guilhèm
Subre
ROMANCERO
e
OCCITAN
Còrsolt combaton. Cal que monte
serra, per seguir, plan atentiu,
grand duèl qu'es, per la Glèiza, deciziu.
Orror ! que vei ! Guilhèm blesat ! Son cap sanneja !
Pracò, trantòla pas e bèlament maneja
L'espaza qu'à son punh es grifa de lion.
Còrsolt lo Maugrabin, montât subre Alion,
Ven de trencar son èlme e 'n pauc de sas nazicas...
Ailas ! quand sus son corps pasèron las relicas,
una
Lo
Los bisbes trop presats debrembèron son naz...
Maldit Pagan ! clama Guilhèm, ara
pron n'as
!
E, d'un sol còp, copa lo cap del potent Maure ;
Pèi, lo pòrta al Sant-Paire e dis : — Guilhèm es paure
Mas, quand dona à la Glèiza, es pas d'arracacòr ! —
—
Los Romans
an
cantat \o
Te Deum
en
còr.
;
�LA
où
Guillaume et
MORT
DE
187
CORSOLT
Corsolt combattent.
Il faut qu'il
suivre
pour
attentivement le
grand duel qui, pour l'Église, est décisif. Horreur !
que voit-il ! Guillaume blessé ! Sa tête est couverte
de sang ! Pourtant, il ne chancelle pas et manie su¬
perbement l'épée qui, à son poing, est griffe de lion.
Corsolt le Maugrabin, monté sur Alion, vient de
trancher son heaume et un peu de ses narines
Hélas ! quand sur son corps ils passèrent les reli¬
ques, les évêques trop affairés oublièrent son nez...
Maudit Païen ! clame Guillaume, tu en as assez,
maintenant !
Et, d'un seul coup, il coupe la tête
du terrible Maure ; puis, il l'apporte au Saint-Père et
dit :
Guillaume est pauvre ; mais, quand il donne
à l'Église, ce n'est pas à regret ! —
monte sur une
colline,
...
—
—
—
Les Romains
ont
chanté 1 e Te Deum
en
chœur.
�■
'
'
;
'
'
M.
.
#
il
.
�XVIII
LO
DE
MARIDATGE
GUILHÈM
DEL
CORT-NAZ
�Lo
de
Maridatge
Guilhèm
OMA
es
en
del
Cort-Naz
fèsta. Ambe la filha de Gaifier
En Guilhèm del
La blesadura
Cort-Naz, aicest jorn, se marida.
qu'à son naz recebèt ier,
N'i'a per pron temps, abant qu'à fons siague
Mas non i sosca lo valent Triomfador
garida
Qu'ara balha lo bras à Promeza carida.
La santa Glèiza
'gut dins el son salvador,
Car, Còrsolt mòrt, los Sarrazins son en fugida,
E l'autar de Sant-Pèire es en granda esplendor.
a
;
�Le
de
Mariage
Guillaume
au
Court-Nez
Rome est en fête. En ce jour, Guil aume au CourtNez
se
blessure
marie
qu'il
avec
la fille du roi Gaifier. La
reçut hier à son nez,
Il y en a pour assez
tout
lant
sa
longtemps, avant qu'elle soit
guérie ; mais il n'y songe guère, le vail¬
Triomphateur qui, maintenant, donne le bras à
à fait
Promise chère.
La sainte Eglise a eu en lui son sauveur, car, Corsolt mort, les Sarrasins sont en fuite, — et le maîtreautel de Saint-Pierre est splendidement ornée.
�LO ROMANCERO OCCITAN
192
L'union de Guilhèm
princesa grazida
alegria a mes tot lo pòple roman,
l'Apostòli sant l'aura lèu benezida.
am
En
E
Mesa
comensa, e, déjà, dins sa man
l'anèl d'aur qu'ai dit de son Aimada
granda
Guilhèm
a
Va li balhar lo dret d'èstre
un
uros
uman.
La filha de
Gaifier, prèp d'el agenolhada,
Espéra 1' Sacrament, quand per dos cabalhers
La porta de la glèiza es còp-sec alandada.
Espantant, aicest clam fa reson suis pilhers :
Cari, lo grand Cari es mòrt dins son Ais-la-Capèla,
E Loïs es trahit per tots sos familhers ! —
—
Dins los dits de Guilhèm l'anèlet d'aur
Quna pallor
a
Pietat ! Amor
trampèla.
1' vencidor dels Sarrazins !
per el non farà la nèit bèla...
Loïs es en perilh, e som aici-dedins ?
Romans, fazètz-me plasa, o veiretz mortalatge !
E vos, Sant-Paire, estalbiatz donc los mòts latins !
—
�LO
MARIDATGE
L'union de Guillaume
GUILHÈM
DE
avec une
a mis en grande joie
le saint Apostole l'aura
princesse qui lui
peuple de Rome,
agrée
tout le
et
bientôt bénite.
La
193
commence, et, déjà, Guillaume a
main l'anneau d'or qui, au doigt de son Ai¬
grand'messe
dans
sa
mée,
va
lui donner le droit d'être
un
humain heureux.
Gaifier, agenouillée auprès de lui,
Sacrement, quand par deux cavaliers la
porte de la basilique est ouverte soudain.
fille de
La
attend le
Terrifiant, ce cri retentit sous la voûte: — Char¬
les, le grand Charles est mort en son Aix-la-Chapelle,
et
Louis est trahi par tous ses
L'anelet d'or tremble
ne
—
doigts de Guillaume.
a le vainqueur des Sarrasins
fera pas pour lui la nuit belle...
Quelle pâleur
Amour
aux
favoris !
Louis est
! Hélas !
péril et je me trouve ici? Romains,
place, ou vous verrez massacre ! Et vous,
Saint-Père, économisez donc les mots latins !
—
en
faites-moi
55
�194
LO
ROMANCERO
OCCITAN
Se maridar, lo naz en
Pèi, èstre
en
sang? Non
gauch, quand à Loïs
Non i soscatz ! Volètz adonc
me
es
l'uzatge !
es fait afront
faire otratge ?
A Dius siatz totz ! De tot aisò n'ai mai que pron
Acò dizent, Guilhèm s'arbora e, trist, potona
La filha de Gaifier castament
Atal lènh de tots dos
sus
lo front.
fugiguèt l'Ora bona.
?
!
—
�LO
Se
MARIDATGE
marier, le
nez
DE
GUILHÈM
195
ensanglanté? Ce n'est pas l'usa¬
quand à Louis on fait affront?
Voulez-vous donc m'outrager?
ge ! Puis, être en joie,
Vous n'y songez pas !
A Dieu soyez tous
—
Disant
! J'ai plus qu'assez de tout ceci!
se lève et, attristé, baise
cela, Guillaume
chastement
sur
le front la fille de Gaifier.
Ainsi loin de
tous
deux s'envola l'Heure bonne.
�'
,
�XIX
GRAND
BAILE
DE
FRANSA
�Lo
grand Baile de Fransa
os
Del
trahidors
an
triomfat ! Lo flac Loïs
Dins lo mostier de Tors
un mez
Acelin lo
son
poder emperial
Mas Guilhèm
dempèi
Normand, ajudat per
es ara l'uzurpaire.
lènh. Auzisètz-lo
déjà !
cerbèl, vos lo farai rajar
Jusc' als talons ! Acò 's atal qu'auretz corona !
—
E
A
non
languis.
paire,
es
Félons ! vostre
va
—
salvar Loïs En Guilhèm de Narbona !
còps de pèd, à còps de punh, fòrabandis
del mostier ont languisià Loïs,
d'Acelin, estabozis son paire
Los monges
Ascla 1' cap
E dis al filh de Carl
:
—
Encara ès
l'Emperaire !
—
�Le
grand Bailli de France
Les traîtres ont triomphé ! Le faible Louis lan¬
guit depuis
mois dans le monastère de
Normand, aidé de son père,
l'usurpateur du pouvoir impérial.
un
Tours. Acelin le
est
maintenant
Mais Guillaume n'est pas loin. Entendez-le déjà
Félons ! votre cervelle, je vous la ferai couler
! —
jus¬
qu'aux talons ! C'est ainsi
—
que vous aurez couronne !
Et Guillaume de Narbonne va sauver Louis ! A
de pied, à
coups de
moûtier où Louis
poing, il chasse les moi¬
languissait, fend la tête
d'Acelin, étourdit son père et dit au fils de Charles :
Tu es encore l'Empereur !
coups
nes
—
du
�LO
200
Mas,
ROMANCERO
OCCITAN
camparòls fòlhs, dins tots los terradors
espelits los vasals trahidors :
Amaronde à Bordèus, Dagobert à Belcaire,
E Julian à Sant-Gili, e d'autres de tot caire.
Ara
com
son
Guilhèm los vencis tots. Acò li pren tres ans.
E, quand son acabats aquels trabalhs presants,
L'Alcid novèl, qu'ai còr del Rei met alegransa,
Non l'es res que de nom, lo grand Baile de Fransa !
�LO
GRAND
BAILE
DE FRANSA
201
champignons vénéneux, mainte¬
les terroirs les vassaux
traîtres : Amaronde à Bordeaux, Dagobert à Beaucaire, et Julien à Saint-Gilles, et d'autres un peu par¬
tout... Guillaume les vainc tous. Il y emploie trois
ans. Et, quand ces urgents travaux sont finis, le nou¬
vel Alcide, qui met l'allégresse au cœur de son Roi,
ne l'est pas que de nom, le grand Bailli de France !
Mais, tels des
nant
se
montrent dans tous
��XX
LA
CANSON
GARIN
D'ANSEUNA
�La
Canson
Garin
de
d'Anseuna
i
UBRE
's camps
Garin
batalhers, abià la lansa bona
d'Anseuna, filh d'Aimeric de Narbona.
que lo Valent aje fait son degut,
Sèt reizes sarrazins, un vèspre, l'an vincut.
Malgrat
L'an vincut
e
l'an
mes
dins la prezon escura
Ont lo ròc
es
Mas lo rei
Marlotez, que coneis sa valor,
e planhe sa dolor.
mofut, tant
Es anat l'atrobar
a
granda frescura.
�La
de
Chanson
d'Anséune
Garin
i
SUR les champs de batail e, il avait bonne lance,
Garin
d'Anséune, fils d'Aimeric de Narbonne.
Quoique le Vaillant ait fait ce qu'il devait, sept
sarrasins, un soir, l'ont vaincu.
rois
Ils l'ont vaincu et l'ont mis
où le
roc est
moussu, tant
Mais le roi
est
allé le
il
a
en la prison obscure
grande fraîcheur.
Marlotez, 'qui connaît sa vaillance,
plaindre sa douleur.
trouver et
�2o6
—
LO
Al
nom
ROMANCERO
d'Allah !
OCCITAN
Garin, se vos te faire Maure,
dels pèds al cap te daure !
Vòli que tot mon aur,
Mas doas filhas
seran
las tiunas doas
E tornaràs luchar subre 's camps
Se vòs l'Andalozia ambe
molhers,
batalhers.
capitala,
L'auràs, tant-lèu sortit de ta prezon mortala !
—
sa
—
Taiza-te, Marlotez ! A tos bens agradius,
jamai ! Lo Crist sol es mon Dius !
I tastarai
Tas filhas sian
Mon Aimada
Auzint
Sortis
pels de ta
es
en
rasa caresadas !
Fransa ont vòlan mas
pensadas !
acò, lo Rei, de granda ira enrabiat,
ten, sèt ans, lo Valent engabiat.
e
II
—
Santa
Tre que
Vierge ! perque, defora, aquel tapatge?
vòli dormir, cal que quicòm m'empache !
—
�—
LA
CANSON
Au
nom
DE
GARIN
D'ANSETJNA
d'Allah ! Garin, si tu veux te
Maure, je veux que tout mon or te dore
207
faire
des pieds à
la tête !
Mes deux filles
combattras de
Si
tu veux
dès
ras,
—
biens
seront
nouveau sur
tes
deux épouses, et tu
les champs de
bataille.
avec sa capitale, tu l'au¬
sorti de ta mortelle prison ! —
lAndalousie
que tu seras
Tais-toi, Marlotez ! Je ne goûterai jamais
agréables ! Le Christ seul est mon Dieu !
à tes
Que tes filles soient caressées par ceux de ta race !
Aimée est en France où mes pensées s'envo¬
Mon
lent !
—
Entendant
de, sept
ans,
cela, le Roi, fou de colère, sort et gar¬
le Vaillant dans sa prison.
II
—
Sainte
Vierge ! pourquoi, dehors, tout ce ta¬
dormir, il faut que quelque
page ? Dès que je veux
chose m'en empêche !
�2o8
LO
ROMANCERO
OCCITAN
Belèu que se marida una filha del Rei !
Belèu que vau morir ! Que grand es mon
E
desrei !
Garin, dins l'escur trigosant sas cadenas,
qu'es vengut lo jorn que finirà sas penas.
Crei
—
Garin !
non
a
picat l'ora de ton trespàs,
se marida
pas !
E la filha del Rei uèi
Es ton giulher que parla, e sa vots non
t'engana.
Es fèsta dins la vila : es la Pascor pagana.
Subre lo
planai grand, s'arbora un taulador
en van ensaja
sa valor.
Ont cade Maure
Jusquas
ara, degun non l'a virat de
E Marlotez es fòlh o se n' manca de
A dit
:
—
Tant que
Veicì sò
—
Me
Se
Poparan plus los mainats al trosèl,
lo taulador sera dret jos lo cèl ! —
qu'ai giulher Garin
ton
caire,
gaire.
ven
de respondre
Mèstre volià los sius Maures
:
confondre,
permetrià d'èstre, un moment, cabalcador
Subre 1' cabal que me preguèt long de l'Ador.
—
�LA
CANSON
DE
GARIN
D'ANSEUNA
20Ç
Peut-être, une fille du Roi se marie ! Peut-être,
vais-je mourir ! Combien grand est mon trouble ! —
Garin, traînant ses chaînes dans l'obscurité,
venu le jour qui finira ses peines.
Et
croit
—
qu'est
Garin ! l'heure de ton
aujourd'hui, la fille du Roi
trépas n'a
ne se
pas
marie
sonné, et,
pas
!
geôlier qui parle, et sa voix n'est nulle¬
trompeuse ! La ville est en fête : c'est la Pâques
C'est ton
ment
païenne.
Sur la
grand' place,
un
tablador (*) s'élève, où
chaque Maure essaie en vain sa valeur.
Encore, nul ne l'a renversé, et Marlotez est
fou
survie point de le devenir.
ou
Il
dit
a
:
—
Les enfants
au
maillot
ne
téteront
plus, tant que le tablador sera droit sous le ciel !
Voici
ce
—
qu'au geôlier Garin vient de répondre :
Si ton Maître voulait confondre tous ses Maures,
—
Il
permettrait de chevaucher, un moment, le
qu'il me prit le long de l'Adour...
me
cheval
(i) Tréteau élevé contre lequel, les jours de fête, les Maures combattaient
a
cheval
avec
la lance.
27
�210
E
veirià,
Sò
Lo
—
—
—
LO
ROMANCERO
tant-ben,
se,
qu'es Garin, quand
me
OCCITAN
tornaba
ma
lansa,
contra un taulador
giulher es anat parlar à Marlotez :
Rei, Garin vòl sortir de la prezon ont
Garin
lansa !
se
es
!
—
—
sortirà, tant qu' aurà 'n buf de vida !
Rei,, l'ama de Garin es de valor claufida !
non
—
—
—
—
Garin
es
un
vincut ! Garin
Rei, Garin dis
que
es
un
giaor !
—
vòl crebar lo taulador !
—
III
Sus
cabal de guerra e dins lo punh sa
Vers lo rei Marlotez lo Paladin s'abansa.
—
—
son
lansa,
Garin, te creziai mòrt ! — T'enganabas, ò Rei ! —
Garin, pareises flac ! — Es fort lo qu'ai Crist crei !
Acò
disent, Garin s'es sinhat, e, pecaire !
Còp-sec lo taulador resquita de tot caire !
—
�LA
DE
CANSON
GARIN
D'ANSEUNA
211
Et il
ce
verrait, s'il voulait aussi me rendre ma lance,
qu'est Garin, quand il se lance contre un tabla¬
dor !
—
Le
geôlier est allé parler à Marlotez
sa prison ! —
:
—
Roi,
Garin veut sortir de
de vie !
—
Garin
—
—
ne sortira pas, tant qu'il aura un souffle
Roi, l'âme de Garin est pleine de valeur ! —
Garin
—
est un
vaincu ! Garin est
Roi, Garin dit quil veut
crever
giaour !
—
le tablador !
—
un
III
Sur
cheval de guerre et sa lance au
Paladin s'avance vers le roi Marlotez :
—
et,
a
poing, le
Garin, je te croyais mort ! — Tu te trompais,
Garin, tu parais faible ! — Il est fort, celui
foi au Christ ! —
ô Roi !
qui
son
—
Parlant ainsi, Garin a fait le signe de la croix,
pitié ! le tablador vole soudain en éclats !
�212
LO
Los Maures
an
ROMANCERO
clamat
:
—
OCCITAN
Gos de
Crestian, à mòrt
Mas lèu viran talons dabant lo Subrefòrt.
La lansa de Garin dins los Maures
E, dins
un res
se
planta
de temps, n'aucis mai de milanta.
Pèi, à galaup, lo Valent torna al siu païs
de La que tant caris !
Ont tròba los potons
Subre 's camps batalhers, abià la lansa bona
Garin
d'Anseuna, filh d'Aimeric de Narbona.
�LA
CANSON
DE
Les -Maures ont crié
mort
!
—
GARIN
:
—
d'ANSEUNA
2x3
Chien de Chrétien, à
Mais ils s'enfuient bientôt devant le Héros.
La lance de Garin s'enfonce dans les Maures et,
en
peu
de temps,
Puis,
où il
au
trouve
Sur les
en
occit plus de mille.
galop, le Vaillant revient dans son pays
les baisers de Celle qu'il chérit tant !
champs de bataille, il avait bonne lance,
d'Aimeric de Narbonne.
Garin d'Anséune, fils
�■
�XXI
BÈL CABALHER
�Bèl
Lo
O
Cabalher
bèl Cabalher arriba
Ont
A
a
batalhat
d'Espanha
contra
's Sarrazins.
tròt, òm vei que non a la canha
destrier val mila rosins.
Que n'a fait, de mòrts, darrier la montanha,
son
E que son
Lo bèl Cabalher !
Tre
qu'es aribat dins la ciutat fòrta
Ont, dempèi sèt ans, Eustasa languis,
Vòl saber sulcòp s'aicesta es pas mòrta.
La guerra es finida, al lèntan païs !
Qun gauch per sa Miga ! E tusta à sa porta
Lo bèl Cabalher.
�Le
Beau
Chevalier
Le beau Chevalier arrive d'Espagne où il a com¬
battu contre les Sarrasins. On
voit, à son trot,
indolence et que son destrier vaut
mille roussins. Qu'il en a
fait, des morts, derrière la
montagne, le beau Chevalier !
qu'il n'a
pas
Dès
ans,
qu'il arrive dans la cité forte où, depuis sept
Heustace languit, il veut savoir sans tarder si
celle-ci n'est pas morte. La
guerre est
tain pays !
à sa porte,
finie, au loin¬
Quelle joie pour son Amie ! Et il frappe
le beau Chevalier.
�2Ï8
LO
ROMANCERO
OCCITAN
Quand auzis tustar, la Bêla, estonada,
Desbarra
porta e
sa
l'entre-dorbis.
Jès ! sul moment, crei que s'es enganada.
Es plan El, pracò, qu'aquì li soris !
Mas, se reculant, fuch la potonada
Del bèl Cabalher.
Ma
—
Miga,
perque me
fas trista
cara
?
Garin, lo fìlh d'Aimeric !
m'as vist, antan, mens amagrit qu'ara,
Som
Se
ton car
Mon còr
d'amor sempre ric.
qu'ès miuna e que som encara
per tu
es
Oh ! dis-me
Ton bèl Cabalher !
—
Res que
Te rizes de
—
La
E
masca
de te veze, acò se devina :
ieu, non m'ès plus fidèl !
a parlat ! E 1' cap me bronzina,
m'es pezuc fardèl,
Dempèi qu'ès l'espos d'una Maugrabina,
mon
paure amor
Félon Cabalher !
—
Que lo Satanàs d'una arpia ferona
en Infern la que t'a mentit !
Tu sòla, ès ma Dóna, e seràs barona,
—
Enfonze
qu'aurai pasat l'anèl a ton dit
Sosca que, per tu, refuzèt corona
Aicest Cabalher !
Tre
—
!
�LO
BÈL
CABALHER
219
Quand elle entend frapper, la Belle, étonnée, dé¬
la porte et l'entr'ouvre. Jésus ! sur l'instant,
elle croit qu'elle s'est trompée... C'est bien Lui, pour¬
tant, qui là lui sourit ! Mais, se reculant, elle fuit les
barre
baisers du beau Chevalier.
Ma
Mie, pourquoi as-tu pour moi triste visage?
Je suis ton cher Garin, le fils d'Aimeric ! Si, autre¬
fois, tu m'as vu moins amaigri qu'à cette heure, mon
cœur est toujours riche d'amour pour toi. Oh ! dismoi que tu es mienne et que je suis encore ton beau
—
Chevalier !
—
En te voyant,
cela se devine : tu te moques de
moi, tu ne m'es plus fidèle ! La sorcière a parlé ! Et
ma tête bourdonne, et mon pauvre amour est pour
moi un fardeau bien pesant, depuis que tu es l'époux
d'une Maugrabine, félon Chevalier ! —
—
Qu'avec sa furieuse griffe ISatan enfonce en
qui t'a menti ! Toi seule,, tu'es ma Dame,
et tu seras baronne, dès que j'aurai passé l'anneau
à ton doigt ! Songe que, pour toi, il refusa une cou¬
ronne, ce Chevalier-ci ! —
—
Enfer celle
�LO
220
ROMANCERO
OCCITAN
S'acò n'es atal, fai-me una abrasada
vai, sens muzar, querre un capelan !
Ara, la mala ora es enfin pasada !
—
E
Vòli dabant Dius te balhar
E per tu,
ma man
Garin, èstre caresada !
L'uros Cabalher !
—
�LO
BÈL
CABALHER
221
ainsi, embrasse-moi et, sans tarder, va
chapelain ! Maintenant, la mauvaise heure
est enfin passée ! Je veux t'accorder ma main devant
Dieu et par toi, Garin, être caressée ! — L'heureux
S'il
en
chercher
est
un
Chevalier !
��XXII
PREZA
DE
NIMES
�La
Preza
de
Nimes
i
1' rei Loïs
Guilhèm, aprèp grand parladis,
Com aiceste podrà, dins la terra Occitana,
Vencir los Maures qu'aqui fan granda pavana ?
Urozament qu'amb el es son nebot Bertrand
Que, tot sol, val un òst, tant son coratge es grand.
Adonc, l'oncle e 1' nebot cabalcan cap à Nimes,
Sens desclabar las dents, tot-ben que sian entimes.
Soscan. Jamai non venciran aquel Otrant
Qu'en ciutat Nimezenca es ara sobeiran !
Maladiccion ! los Sarrazins sont trop nombrozes,
M
los dos mila cabalhers que
A balhats à
E 's combats dels Crestians
van
èstre malastrozes...
�La
Prise
de Nîmes
i
roi Louis
Avec les deux mil e chevaliers que lediscussion,
Occitane,
après grande
pourra-t-il, en terre
vaincre les Maures qui font là grande rumeur ? Heu¬
reusement, il a auprès de lui son neveu Bertrand, qui,
tout seul, vaut un ost, tant son courage est grand.
Donc, l'oncle et le neveu chevauchent vers Nîmes,
sans mot dire, quoiqu'ils s'aiment beaucoup. Ils son¬
a
donnés à Guillaume,
comment
celui-ci
gent. Jamais ils ne pourront vaincre cet Otrant,
maintenant, est souverain dans la cité Nîmoise !
lédiction ! les Sarrasins sont en trop
et les
qui,
Ma¬
grand nombre,
désastreux...
combats des Chrétiens vont être
»9
�226
LO
ROMANCERO
OCCITAN
Mas, tot d'un còp, Bertrand n'es plus en pensament
E, tot rizeire, dis : — Bèl oncle, del moment
Que non sèm los plus forts, s'emplegabem la ruza ?
Se mon idèia non val res, vos fau escuza ! —
Parla, Bertrand ! — Eh ben ! que diriatz d'un carrech
De mercadiers plan provezits qu'aurian autrech
D'intrar dins Nimes?
Que n' diriai ? Que lor cabensa
Serià mai granda que n'es granda ta valensa ! —
E se, nos-aus, podiam nos faire mercadiers ? —
I som, Bertrand ! Anam vencir los arlandiers !
—
—
—
—
—
II
Vers Nimes
van
tot dosament nombrozes
carris.
Son cargats
de tonèls e s'arrèstan jols barris.
Qui los mena ? Eh ! per Dius ! dos gaujozes lurrons
Que serià malaizat de prendre per barons !
Que vendètz, mercadiers ? — dizon en còr los Maures.
Per nos crompar tot sò qu'abèm, ètz plan
trop paures!—
Lor respondon Guilhèm e son nebot Bertrand.
Abèm de tot : d'encens, d'alun e de safran,
De pebre, d'argent-viu, de cuèr e de candèlas,
De drap burèl, de drap porprat e de gonèlas !
Abèm encara : èlmes, albercs, lansas, escuts
E 'spazas que non son espazas de vincuts !
Laisatz-nos donc intrar, e jos vòstras parpèlas,
Senhors, espandirem aquelas cauzas bêlas !
—
—
—
—
�LA
PREZA
DE
NIMES
227
Mais, soudain, Bertrand n'est plus attristé et, tout
souriant, dit : — Bel oncle, puisque nous ne sommes
pas les plus forts, pourquoi n'emploierions-nous pas
la ruse ? Si mon idée ne vaut rien, je vous demande
pardon ! — Parle, Bertrand ! — Eh bien ! que diriezd'un charroi de marchands bien
approvisionnés
qui pourraient entrer dans Nîmes? — Ce que j'en di¬
rais ? Que leur bonne fortune serait plus grande que
ta grande vaillance ! — Et si, nous, nous pouvions
nous faire marchands ?
J'y suis, Bertrand ! Nous
allons vaincre cette race de pillards ! —
vous
—
II
tranquillement de nombreux
chargés de tonneaux et s'arrêtent sous
les remparts. Qui les conduit ? Eh ! par Dieu ! deux
joyeux compères qu'il serait malaisé de prendre pour
barons !
Que vendez-vous, marchands ? — disent en
Vers
Nîmes
vont
chars. Ils sont
—
chœur les Maures.
—
Pour
nous
acheter tout
ce
que
avons, vous êtes bien trop pauvres ! — leur ré¬
pondent Guillaume et son cousin Bertrant. — Nous
avons de tout:"]de l'encens, de l'alun et du safran,
du poivre, du vif-argent, du cuir et des chandelles,
du drap de bure, du drap pourpré et des cottes d'ar¬
mes ! Nous avons encore : heaumes, hauberts, lances,
écus et des épées qui ne sont pas épées de vaincus !
Laissez-nous donc entrer, et, Seigneurs, nous dé¬
ploierons sous vos yeux toutes ces belles choses ! —
nous
�228
LO
ROMANCERO
OCCITAN
III
Los carris
son
intrats dins Nîmes !
Un son-de còrn s'auzis tres
còps
Alavets,
las parets
la grand plasa
sus
E de tots los tonèls que son sus
Sortison cabalhers fazent un bruch d'aurasa.
Montjòia ! dis Guilhèm, dementre que Bertrand
Ajusta : — Pels Pagans va i' aber mercat grand ! —
Am alegria cada espaza tusta e trenca...
L'òst dels Crestians a pres la ciutat Nimezenca !
—
�LA
PREZA
DE
NIMES
229
III
Les chars sont entrés dans Nîmes !
de
cor
retentit trois fois
sur
Alors,
un son
les murailles et de tous
qui sont sur la grand'place sortent des
qui font un bruit de tempête. — Montjoie !
dit Guillaume, tandis que Bertrand ajoute : — Il va
y avoir grand marché pour les Païens ! — Avec
allégresse chaque épée frappe et tranche... L'ost des
Chrétiens a pris la cité Nîmoise !
les
tonneaux
chevaliers
��XXIII
BÊLA ORABLA
�La
Bêla Orabla
RABLA, la molher de Tibaut d'Arabia,
Es rèina dins
Aurenja e n'a gaire alegria.
Dempèi qu'a vist lo fòrt Guilhèm
Pr' el
son
còr
es
rozent
Guilhèm d'amor per ela
E,
per
d'un
dins
a son ama
la conquistar, farià don de
son
bèl
òrt,
subrefòrt.
amor
claufida,
sa
vida.
Qu'es bêla aquela Sarrazina ! e que sos èlhs
Negres e vius son plan ondrats de longs parpèlhs !
Guilhèm ! demora
Es pron solida" vai !
—
am
e
ieu ! Ma torre Glorieta
pica qui s'i fréta.
�La
Belle
Orable
O RABLE, femme de Thibaut d'Arabie, est reine
dans
Orange et n'a guère allégresse.
Depuis qu'en son beau jardin elle a vu le fort
Guillaume, son cœur brûle pour lui d'un indomptable
amour.
Guillaume
pour
a
l'âme emplie
d'amour
pour
elle, et,
la conquérir, ferait don de sa vie.
Que cette Sarrasine est belle ! et que ses yeux
longs cils !
noirs et vifs sont bien adornés de
—
Guillaume ! demeure avec moi.!
Gloriette est
assez
solide et pique
Va !
ma tour
qui s'y frotte...
3°
�LO
234
Guilhèm !
es
E t'aber per
Se
mon
ROMANCERO
res que tu que vòli
per espòs,
companh de lèit me serià dos !
senhor Tibaut s'entorna
M'apararà contra el
E,
se
OCCITAN
ta
d'Arabia,
geloza furia.
de t'agradar, Guilhèm ! lo bon ur ai,
plazer, Crestiana me farai ! —
Per te faire
Quand Orabla a parlat, Guilhèm la potoneja,
E son còr, jos l'alberc, de grand gauch pataqueja.
Los Turcs
Lo pros
En
E
pòdon venir ! Auran à qui parlar !
Guilhèm es prèst à 's desgargamelar !
atendent, la bêla Orabla es batizada
novèl espos li fa granda abrasada.
son
A
'gut per batistèri 'n larg e prigond dore
E porta, ara, lo nom de Comtesa Guiborc.
Trobaires
e
De Guilhèm
joglars, entonatz la lauzenja
e Guiborc que s'aiman dins Aurenja !
�LA
Guillaume !
ce
mari, et t'avoir
BELA
ORABLA
n'est que
toi
que
pour compagnon
235
je
de lit
veux
me
pour
serait
doux !
Si mon seigneur Thibaut revient d'Arabie, ta
jalouse fureur me défendra contre lui.
me
Et, si j'ai le bonheur de te plaire, Guillaume
ferai Chrétienne, pour te faire plaisir ! —
! je
Quand' Orable a parlé, Guillaume la couvre de
baisers, et, sous le haubert, une grande joie fait pal¬
piter son cœur.
venir ! Ils auront à qui parler !
Guillaume est prêt à leur couper la gorge !
Les Turcs peuvent
Le preux
En
nouvel
attendant, la belle Orable est baptisée et son
époux lui fait grand embrassement.
pour baptistère une jarre large et pro¬
fonde et, maintenant, elle porte le nom de Comtesse
Guibourc.
Elle
a
eu
Troubadours et
jongleurs, entonnez le los de Guil¬
qui s'aiment dans Orange !
laume et de Guibourc
w
��XXIV
LA
CANSON
DELS
JOGLARS
�La
Canson
INS
dels
Joglars
l'aire siau tinda,
Per
Canson,
qu'agradivas sian las oras
E dins los còrs trobatz reson,
Rebècs, violas, mandoras !
Los
perfums de las flors
S'espandison per òrta ;
Renaison las amors,
Quand la fredura
Dins l'aire siau
Per
es
mòrta.
tinda, Canson,
qu'agradivas sian las
oras
E dins los còrs trobatz reson,
Rebècs, violas, mandoras !
!
�La Chanson
R
Jongleurs
dans l'air
calme, Chanson, pour qu'a¬
gréables soient les heures ! Et trouvez écho
dans les cœurs, rebecs, violes, mandores !
ETENTis
Les
les
des
parfums des fleurs s'exhalent par les champs ;
renaissent, quand la froidure est morte.
amours
dans l'air
calme, Chanson, pour qu'a¬
gréables soient les heures ! Et trouvez écho dans les
cœurs, rebecs, violes, mandores !
Retentis
�240
LO
ROMANCERO
L'auzèl bastis
Dins lo
OCCITAN
son
nids
ramut
E lo tristum
brancatge,
fugis
De cade fresc
caratge.
Dins l'aire siau tinda, Canson,
Per qu'agradivas sian las oras !
E dins los còrs trobatz
reson,
Rebècs, violas, mandoras !
Lo
riu, subre
L'èrba tendra
sos
bòrds,
caresa
;
Raja de
tots los còrs
La dots
d'embrïaigesa.
Dins l'aire siau
Per
tinda, Canson,
qu'agradivas sian las oras
E dins los còrs trobatz
reson,
Rebècs, violas, mandoras !
Vidalbas als garrics
Fan milanta abrasadas ;
Per aimadors africs
Dònas
son
caresadas.
!
�LA
CANSON
L'oiseau bâtit
et
son
DELS
JOGLARS
241
nid dans les branches
la tristesse s'enfuit de
feuillues,
chaque frais visage.
Retentis dans l'air calme, Chanson, pour qu'a¬
gréables soient les heures ! Et trouvez écho dans les
cœurs, rebecs, violes, mandores !
Sur
la
ses
source
bords, le ruisseau
caresse
d'ivresse coule de tous les
l'herbe tendre
;
cœurs.
Retentis dans l'air
calme, Chanson, pour qu'a¬
gréables soient les heures ! Et trouvez écho dans les
cœurs, rebecs, violes, mandores !
Les clématites font
ments ; par
ardents
aux
chênes mille embrasse-
amoureux
dames sont caressées.
31
�242
LO
ROMANCERO
Dins l'aire siau
Per
OCCITAN
tinda, Canson,
qu'agradivas sian las
oras
E dins los còrs trobatz reson,
!
Rebècs, violas, mandoras !
La sang non raja plus
Dins las pradas d'Aurenja ;
Jol cèl
en
La Pats
a
grand trelus,
pres revenja.
Dins l'aire siau
Per
tinda, Canson,
qu'agradivas sian las
oras
E dins los còrs trobatz reson,
!
Rebècs, violas, mandoras !
Nostre Comte novèl
A pauzat son espaza,
E, dins lo siu castèl,
Dóna Guiborc l'abraza...
Dins l'aire siau
Per
tinda, Canson,
qu'agradivas sian las
oras
E dins los còrs trobatz reson,
Rebècs, violas, mandoras !
!
�LA
CANSON
DELS
Retentis dans l'air calme,
JOGLARS
243
qu'a¬
gréables soient les heures ! Et trouvez écho dans les
cœurs,
Chanson,
pour
rebecs, violes, mandores !
Le sang ne coule plus dans les plaines d'Orange ;
le ciel éclatant, la Paix a pris sa revanche.
sous
Retentis dans l'air calme,
Chanson, pour qu'a¬
gréables soient les heures ! Et trouvez écho dans les
cœurs, rebecs, violes, mandores !
Notre
son
Comte
a déposé son épée, et,
château, dame Guibourc l'embrase...
nouveau
Retentis dans l'air
en
calme, Chanson, pour qu'a¬
gréables soient les heures ! Et trouvez écho dans les
cœurs, rebecs, violes, mandores !
�244
LO
ROMANCERO
OCCITAN
La Comtesa
qu'abèm
qu'es plus Sarrazina,
Jols potons de Guilhèm,
E
De viu
plazer frezina...
Dins l'aire siau tinda, Canson,
Per qu'agradivas sian las oras !
E dins los còrs trobatz reson,
Rebècs, violas, mandoras !
�LA
Notre
CANSON
DELS
JOGLARS
Comtesse, qui n'es plus Sarrasine,
baisers de Guillaume frissonne de
245
sous
les
plaisir...
Retentis dans l'air calme,
Chanson, pour qu'a¬
gréables soient les heures ! Et trouvez écho dans les
cœurs,
rebecs, violes, mandores !
��XXV
VOT
DE
VIVIAN
�Lo
ilh
Lo
Vòt
de Garin d'Anseuna
jovejVivian
Ambe tos
Serà lèu
sos
es dins
cozins
nebot de
e
Guilhèm,
plazer estrèm
—
:
n'a 'na ribambèla
e
Cabalher, dins Aurenja la Bèla.
Lo solelh de Pascor
Los
de Vivian
casa
1' temps
Maugrabins
ibèrnal.
festanal.
l'aire !
son siaus. I'aurà bèl
Auzisètz los trinhons que regaudison
La comtesa Guiborc
Intran dins la
e
Guilhèm
son
aimaire
grand glèiza e, jos los auts arcèls,
Son lèu seguits per cabalhers e damaizèls.
Déjà, dabant l'autar ont lo bisbe oficia,
—
�Le
Vœu
de Vivien
Fils de Garin d'Anséune et neveu de Guil aume,
le
jeune Vivien ressent un plaisir extrême : avec
cousins
et il en a un grand nombre
sera bientôt
Chevalier, dans Orange la Belle.
tous ses
—
il
—
Le soleil de
Pâques chasse le temps d'hiver. Les
Maugrabins sont calmes. La fête sera belle. La com¬
tesse
Guibourc et
son
ardent Guillaume
entrent
dans
la
basilique, et, sous la haute voûte, sont bientôt sui¬
vis des chevaliers et des damoiseaux. Déjà, devant
l'autel où
l'évêque officie, Vivien, à
genoux, promet
3»
�2
LO
50
ROMANCERO
OCCITAN
Vivian, à genolhs, promet am cortezia
Que sempre apararà la veuza e l'orfanèl
E serà de la Glèiza
un
servidor fidèl ;
Pèi, Guilhèm li fa don de l'èlme e de l'espaza,
E Vivian sentis qu'a de gauch l'ama raza.
Èlhs virais vers Guilhèm, man dèstra vers la Crots,
Lo novèl Cabalher arbora atal la vots :
—
Auzisètz-me, bèl Oncle à qui grand respèct debi !
Aicesta espaza, es de tot còr que la recebi,
E fau lo vòt sacrat, dabant Dius e los Sants,
jamai recular dabant Turcs o Persans ! —
respond : — Nebot, dizes fadeza,
Car recular, quand cal, es cauza plan permeza !
Se vòs sempre tenir un parier jurament,
De
Lo Comte li
Me caldrà lèu
anar
à ton enterrament !
—
s'es vertat que venèm d'auzir mesa,
Juri, pel segond còp, que tendrai ma promesa ! —
—
Bèl Oncle,
Filh de Garin d'Anseuna
e
nebot de Guilhèm,
Ton vòt te metrà lèu dins lo malaize estrèm ;
plagas en ribambèla
rajar plors, dins Aurenja la Bèla !
Auràs subre ton corps
E faràs
�LO
courtoisement
VOT
DE
VIVIAN
251
qu'il défendra toujours la
veuve
et
sera un fidèle serviteur de l'Eglise ; puis,
Guillaume lui fait don du heaume et de l'épée, et
l'orphelin et
âme est emplie de joie. Les yeux
Guillaume, la main droite vers la Croix,
le nouveau Chevalier parle ainsi : — Ecoutez-moi,
bel Oncle à qui je dois grand respect ! Cette épée,
c'est de tout cœur que je la reçois, et je fais le vœu
sacré, devant Dieu et les Saints, de ne jamais reculer
Le Comte lui répond :
devant Turcs ou Persans !
Neveu, tu parles follement, car reculer, quand il
le faut, est chose bien permise ! Si tu veux tenir tou¬
jours un pareil serment, il faudra que j'assiste bientôt
Bel Oncle, s'il est vrai que nous
à tes funérailles !
venons d'ouïr la messe, je jure, pour la seconde fois,
Vivien sent que son
tournés
vers
—
—
—
je tiendrai ce que j'ai promis !
que
Fils de Garin d'Anséune et
ton vœu te mettra
de Guillaume,
bientôt dans le malaise extrême ;
de plaies, et tu feras couler
larmes, dans Orange la Belle !
toi corps
des
neveu
sera couvert
��XXVI
BATALHA
DE
VILA-DANHA
�La
Batalha de Vila-Danha
i
INS
aquel jorn, à Vila-Danha-subre-Orbiu,
Guilhèm demorèt viu.
Sol de tot l'òst crestian,
Per que Tibaut pògue à Guilhèm raubar Orabla,
Los Sarrazins van faire guerra espaventabla.
Se brembant de Peitiers
L'idèia del revenge
e
de Cari lo Martèl,
escalfa lor cerbèl.
L'emir Abd-el-Melik, que non crenh los desreizes,
Ven de mandar sos brèus als sius trenta-e-tres reizes.
�La
Bataille
de.
Villedaigne
i
E n ce jour, à Vil edaigne-sur-Orbieu, seul de tout
l'ost chrétien,
Guillaume survécut.
Pour que Thibaut puisse ravir Orable à Guil¬
laume, les Sarrasins vont faire une guerre épouvan¬
table.
Se souvenant de Poitiers et
de
l'idée de la revanche échauffe leur
L'émir Abd-el-Mélik,
tes, vient
d'envoyer
ses
qui
ne
brefs à
Charles-Martel,
cerveau.
craint
ses
pas
les défai¬
trente-trois rois.
�256
LO
Tots
son
Que,
per
ROMANCERO
OCCITAN
Es tot l'Islam
vencir lo Crist, arriba com un lamp.
venguts à son rampèl.
Subre la còsta
Narboneza, quantas vêlas !
Aquí i'a mai de |Turcs qu'ai cèl non i'a d'estelas.
Aquels de l'Arabia ambe los Sirians
An fait la pats, e son seguits per los Persans.
Que
Se
vas
non
donc devenir, ò terra de Narbona,
ora, espazabona?
t'apara, à-n-aicesta
Urozament que
L'ardor
Vivian a dins la|sang
qu'empacha de sentir l'espiu al flanc !
Autant fièr que 1'
Lo còr de Vivian
—
garric, qnand sus la forèst venta,
coneis l'espaventa.
non
Gerard, Gui, Uc, Guichard, Gautier, Gaudin, Bertrand,
cozins, ajetz coratge grand !
O miunis sèt
Es per
lo Crist, e per Narbona, e per Aurenja
Que, contra 's Maures, nos cal uèi bêla revenja !
Atal dis
E tot
son
Vivian, jqu'a sang cauda cora foc,
òst de bèls jovents li respond : Oc !
—
�BATALHA
LA
A
qui,
son
pour
DE
appel, tous sont
VILA-DANHA
venus.
C'est tout l'Islam
vaincre le Christ, arrive comme un éclair.
Sur la côte
les ! Il y a
Narbonnaise, que de nombreuses voi¬
là plus de Turcs que d'étoiles au ciel.
Ceux de l'Arabie ont fait la
et
257
paix
avec
les Syriens,
ils sont suivis des Persans.
Que vas-tu donc devenir, ô terre de Narbonne,
à
si, cette heure, une bonne épée ne te défend ?
Heureusement, Vivien
a
dans le
l'ardeur qui
flanc !
sang
empêche de sentir les coups d'épieu au
Aussi fier que
la
le chêne, quand le vent souffle sur
forêt, le cœur de Vivien ne connaît pas l'épou¬
vante.
Gérard, Guy, Hue, Guichard, Gautier, Gaudin,
Bertrand, ô mes sept cousins, ayez grand courage !
—
C'est pour le Christ, et pour Narbonne, et pour
Orange que, contre les Maures, il nous faut aujour¬
d'hui belle revanche !
—
Vivien, dont le sang est aussi chaud que
feu, et tout son ost de beaux jeunes hommes lui
répond : oui !
Ainsi dit
le
33
�258
LO
ROMANCERO OCCITAN
Alavets, lo valent, l'espaza al punh, am jòia,
Intra dins la mesclada, al bèl clam de : Montjòia !
A-n-aquel clam, lo pros Gerard de Comarcis
Espandis rete-mòrt Yal-man^or Margaris.
E Gautier lo Valent contra Gaifier
se
lansa
E, d'un sol còp, li trauca 1' fetge ambe sa lansa.
Mas lo rei Cariòt
a
blesat
E 1' nebot de Guilhèm
Acò
es
Vivian,
tot
banhat de sang.
l'espanta, tot d'un còp ; de rabia plora,
se venjar, abant sa darrièra ora.
Tant voldrià
Jos l'èlme, dis: — Oncle Guilhèm, me planguetz pas,
Se, tantis Maures vius, vau tant lèu al trespas ! —
E
Li
Gerard, que còsta el bèlament batalheja,
parla atal : — Maladiccion ! ton front sanneja
Jamai podrem vencir ! Sèm dins perilh estrèm !
Mon bèl cozin, faguem venir l'oncle Guilhèm ! —
—
Li
aquel castèl, Gerard, subre la serra ?
respond Vivian. Anem-z-i ventre à terra ! —
Vezes
!
�BATALHA
LA
DE
VILA-DANHA
259
Alors, le vaillant, l'épée au poing, entre avec al¬
légresse dans la mêlée, au beau cri de : Montjoie !
A
mort
ce
cri, le
preux
Gérard de Comarcis étend roide
Val-man^or Margaris.
Et Gautier le Vaillant contre Gaifier
et,
d'un seul
coup,
lui troue le foie
Mais le roi Cariot
a
blessé
avec sa
Vivien, et le
Guillaume est tout
baigné de
Sur le coup,
tant il voudrait
venger, avant sa
Sous le
heaume, il dit
précipite
lance.
neveu
de
sang.
cela l'épouvante
se
se
;
il pleure de rage,
dernière heure.
— Oncle Guillaume,
ne
de
plaignez point, si, tant
Maures encore vivants,
je vais si tôt au trépas ! —
:
me
E
Gérard, qui magnifiquement combat auprès de
lui, lui parle ainsi : — Malédiction ! ton front saigne !
Nous
en
jamais vaincre ! Nous sommes
grand péril ! Mon beau cousin, appelons l'oncle
ne
pourrons
Guillaume !
château, Gérard, sur la colline ? lui
répond Vivien. Allons-y ventre à terre ! —
—
Vois-tu
ce
�2Ò0
ROMANCERO
LO
Traucant l'òst dels
OCCITAN
Pagans, dont fan
un
grand mazèl,
Los cabalhers crestians arriban al castèl.
sang a rajat, en plana e subre
E Vivian es tot cobert de blesaduras...
Que de
Mentrestant,
—
auturas !
gaujos e dis ara à Gerard :
donc l'oncle Guilhèm, que se fa tard !
es
Vai querre
II
es, pr'aval, lo qu'am
Acò 's Guilhèm d'Aurenja
Quai
Joioza tant rambalha ?
intrant dins la batalha.
Subre Baucent, que fa de sauts
Lo Paladin, enquièt, clama : —
Com
De
bras
de trenta pèds,
O nebot, ont ès ?
potent e sa lama luzenta !
lènh, Abd-el-Melik l'agaita am espaventa.
son
Am l'escut
S'enfonza
en
com
es
e lo front en suzor,
cunh dins los Turcs en furor.
abant
un
—
—
�BATALHA
LA
DE
2ÓI
VILA-DANHA
Trouant l'ost des
massacre,
Païens, dont ils font un grand
les chevaliers chrétiens arrivent au châ¬
teau.
Comme le sang a coulé, dans la plaine et sur les
hauteurs ! Et Vivien est tout couvert de blessures...
Cependant, il est joyeux et dit maintenant à Gé¬
:
Va donc chercher l'oncle Guillaume, car il
rard
—
est tard !
—
II
Quel est, là-bas, celui qui tant se démène avec
Joyeuse? C'est Guillaume d'Orange entrant dans la
bataille.
le
Baucent, qui fait des sauts de trente pieds,
Paladin, inquiet, clame : — O mon neveu, où es-
tu
?
Sur
—
Comme
sante
! De
son
bras est
puissant et
son
épée lui¬
loin, Abd-el-Mélik le regarde avec épou¬
vante.
L'écu
fonce
en
avant et
comme
un
le front couvert de sueur,
coin dans les Turcs furieux.
il s'en¬
�2Ó2
Es
LO
tant
ROMANCERO
acarnasit subre los Turcs
Qu'am lor
sang
Ven d'aucir
ferojes,
cambia lèu prats verts en bèls prats rojes.
Mas que vòl
Guilhèm vei
dire aisò? Al mièch de la mesclada,
son cap una espaza levada.
sus
just lo temps de
E vei
qu'es Vivian,
Levant
—
e Bruiant d'Arguemor
d'Auquetin, filh de Cador.
Tempestèu
E fa dos tròses
A
OCCITAN
son
èlme
Per Dius !
del còp mortal,
lo saluda atal.
se parar
que
d'aur, li dis
bèl nebot,
mon
am sa vots
non
i
vas
de
fòrta
man
:
mòrta !
Perdonatz-me, bèl Oncle ! Es lo sang qu'ai perdut,
Que cauza un pauc que non vos ai reconegut !
—
Ai lo
Son
vejatz ! mas entralhas
barrejadas bèlcòp tròp am mas ferralhas...
ventre
Altorn de
Car
—
—
mon
dobert e,
mon
alberc
destrier
sus
vos
las cal estacar,
tot acò
pòd trabucar !
—
Mas, dins un tal estat, Vivian, que vòs faire? —
Non recular, per èstre al Cèl lèu triomfaire ! —
—
�BATALHA
LA
leur sang
sur
263
les Turcs farouches,
rouges.
Tempesté et Bruyant d'Argued'Auquetin, fils de Ca-
Il vient d'occire
et
mor
VILA-D'ANHA
qu'avec
il change bientôt les prés verts en beaux
11 est si acharné
prés
DE
il fait deux tronçons
dour.
Mais que signifie ceci ? Au milieu de la
Guillaume voit une épée levée sur sa tête...
Il
a
peine le temps de parer le coup mortel, et
c'est Vivien, qui le salue ainsi.
à
voit que
Levant
sante :
mêlée,
—
son
heaume
Par Dieu !
de main morte !
d'or, il lui dit de
mon
voix puis¬
n'y vas pas
sa
beau neveu, tu
—
Pardonnez-moi, bel Oncle ! C'est le sang que
j'ai perdu, qui cause un peu que je ne vous ai pas
—
reconnu
!
J'ai le ventre ouvert et, voyez ! mes entrailles
beaucoup trop mêlées à mon armure...
sont
les attachiez autour de mon hau¬
destrier peut trébucher sur tout cela ! —
Il faut que vous
bert,
car mon
—
Mais, dans
Ne pas
dans le Ciel ! —
faire ?
—
tel état, Vivien, que veux-tu
reculer, pour triompher bientôt
un
�264
LO
ROMANCERO
OCCITAN
Tornamai, al combat va lo filh de Garin,
E son bras poderos aucis mant Maugrabin.
Entristezit
e fièr, dabant parier coratge,
(juilhèm, mai que jamai, de Turcs fa mortalatge.
Ailas ! aicestis
son
E Guilhèm n'a lèu
Tal
milhers,
qualques cabalhers !
encara cent
plus
que
lion, al fum dels Maures se barreja,
E, juscas solelh colc, son espaza lauceja...
un
Dins
aquel jorn, à Vila-Danha-subre-Orbiu,
crestian, Guilhèm demorèt viu.
Sol de tot l'òst
�LA
BATALHA
VILA-DANHA
DE
2b5
le fils de Garin va au combat, et
puissant tue maint Maugrabin.
De nouveau,
son
bras
Attristé et fier devant
fait, plus
que
jamais,
Tel
un
lion, il
plus
se
tel courage,
un carnage
Hélas ! ceux-ci sont
laume n'a bientôt
un
encore
que
Guillaume
de Turcs.
cent
mille, et Guil¬
quelques chevaliers !
mêle à cette nuée de Maures, et,
jusqu'au soleil couchant,
son
épée brille comme un
éclair...
En
ce
jour, à Villedaigne-sur-Orbieu, seul de tout
l'ost chrétien, Guillaume survécut.
34
�'
�XXVII
TRISTOR
DE
GUILHEM
�La
Tristor
de
Guilhèm
d'Aurenja atal es lagremaire :
l'jorn on,t sortiguèri de ma maire
INCUT, Guilhèm
—
Maldit sià
Maldit sià lo Solelh que,
Maldita, aicesta nèit !
e
dempèi, me fa lum !
maldit, l'estelum !
Dius potent, Dius unie que l'Univers adòra,
Fai que los miunis èlhs non revejen l'auròra
Belèu,
me vos
punir, ò Senhor subre-naut,
D'aber pres per molher la molher de Tibaut !
!
�La Tristesse
de
Guillaume
VAINCU, Guil aume d'Orange se lamente ainsi :
—
Maudit soit le
jour où je sortis de
ma
mère !
Maudit soit le Soleil
qui, depuis, m'éclaire ! Mau¬
dite, cette nuit ! et maudits, tous les astres !
Dieu
puissant, Dieu unique adoré par l'Univers,
revoient plus l'aurore !
fais que mes yeux ne
Peut-être, veux-tu me punir, ô très haut Seigneur
d'avoir pris pour femme la femme de Thibaut !
�LO' ROMANCERO
270
O tu, que m'as permés
Dius tant bon ! perque
A
OCCITAN
de delibrar Narbona,
donc ta bontat m'abandona ?
'Spramonte, Còrsolt non foguèt lo plus fort...
valgut qu'aquì foguèsi mòrt !
Com aurià mai
Sabes
E
me
qu'ai aparat la religion Crestiana,
la rasa Pagana !
veici vincut per
Venes de far que,
de tot l'òst, demori sòl !
Demest tantis de mòrts, com non aber trebol ?
Dempèi
lo Solelh esclaira aicesta terra,
jamai vist tant malastroza guerra !
que
Non s'èra
E vòli, mentrestant, sens demandar pietat,
JM'aclinar umilment dabant ta volontat.
Tu, qu'ès lo Sobeiran qu'à son dit ten los astres,
Debes saber perque_delargas los malastres !
D'abòrd que fas la lei à las constellations,
Es que pòs t'enganar sui sòrt de las nacions ?
Descadenas la mar, balhas fòc à l'esclaire,
Fas tremolar los monts, ès lo grand buf de
l'aire,
�TRISTOR
LA
O
DE
GUILHÈM
271
toi, qui m'as permis de délivrer Narbonne, Dieu
pourquoi ta bonté m'abandonne-t-elle ?
si bon !
A
Aspramonte, Corsolt
ne
fut
Comme il aurait mieux valu que
pas le plus fort...
là je fusse mort !
Tu sais que j'ai défendu la religion Chrétienne,
vaincu par la race des Païens !
et me voici
Tu viens de faire que,
seul !
de tout mon ost, je reste
Parmi tant de morts, comment ne pas avoir
grand trouble ?
Depuis
jamais
que
le Soleil éclaire cette terre,
si désastreuse !
on
n'avait
vu une guerre
Et
je veux, cependant, sans demander
cliner humblement devant ta volonté.
pitié, m'in-
Toi, qui es le Souverain qui tient les astres à
doigt, tu dois savoir pourquoi tu donnes libre
cours aux catastrophes !
son
Puisque tu fais la loi aux constellations,
le sort des peuples ?
pour¬
rais-tu te tromper sur
Tu déchaînes la mer, tu donnes
le feu à l'éclair,
le grand souf¬
fais trembler les montagnes, tu es
fle de l'air,
tu
�LO
2"]2
E
A
ROMANCERO
comprendriai
Vila-Danha,
Sò que
Que
sa
OCCITAN
la rasa dels Pagans,
vincedora dels Crestians ?
perque
es
fas es plan fait ! E la miuna ama tròba
dolor prezenta es per ela una espròba...
mon còr mai potent que mon
Ai fe dins tu ! E fai de ieu sò que voldràs
Senhor, vòli
bras !
!
�LA
Et
à
TRISTOR
DE
GUILHÈM
je comprendrais pourquoi la
race
273
Païenne est,
Villedaigne, victorieuse des Chrétiens ?
Ce que tu
que sa
fais est bien fait ! Et mon âme trouve
douleur présente est pour elle une épreuve...
Seigneur, je veux mon cœur plus puissant que
bras ! J'ai foi en toi ! Et fais de moi ce que tu
mon
voudras !
35
�■
.
�XXVIII
MORT
DE
VIVIAN
�La
A
nèit
Mòrt
es
de Vivian
arribada,
e
Guilhèm, à l'azard,
Subre Baucent cobèrt d'escruma
Demest los
es
cabalcaire.
mòrts, tròba Bertrand, tròba Gerard,
longament, tot lagremaire.
E los abrasa
Mas
qu'es donc devengut son nebot Vivian,
Qu'a vist, blesat à mòrt, tornar dins la mesclada ?
O comtesa Guiborc, vos, que l'aimàbetz tant,
Quand conestretz sa fin, corn seretz dezolada ! —
—
�La
Mort
de
Vivien
La nuit est venue, et Guil aume chevauche au
hasard
Parmi
sur
Baucent
les morts,
Gérard, et, les
couvert
d'écume.
il trouve Bertrand, il trouve
pleurs, il les embrasse lon¬
yeux en
guement.
Mais
a
vu,
—
quand
solée !
qu'est donc devenu son neveu Vivien, qu'il
blessé à mort, revenir dans la mêlée ?
O comtesse
vous
—
Guibourc, vous, qui l'aimiez tant,
sa fin, comme vous serez dé¬
connaîtrez
�278
LO
Tot d'un
Acò 's
ROMANCERO
OCCITAN
còp, entrevei quicòm prèp una font.
bèl nebot, qu'es jazent jos un arbre.
son
Es
mòrt, segurament. l'a qu'à veze son front,
Son blanc front de jovent, qu'es mai fred que lo marbre.
Sus
alberc
son
E subre
sos
sanglent sas doas mans fan la crots
a rajat sa cerbèla.
dos èlhs
Alavets, de Guilhèm s'auzis atal la vots :
Ara, mon bèl nebot, al Cèl as vida bèla !
—
Mas
com
farai,
Qu'èras brabe
Perque
Faziàs
me
e
sens
cal te
encara
tu, per vencir los Pagans ?
e de tu pauc vantaire !
valent
veze
mòrt, mòrt à vingt
ans
?
tant bezonh à ton terraire !
Jamai subre un destrier montèt un tal baron !
Ailas ! quand, l'an pasat, te balhèri l'espaza,
Sosquèri que jamai non te veiriai barbon,
Tant l'amor dels combats te fazià l'ama raza !
O gauch
Bolèga
! à-n-aquels mòts, Vivian fa 'n sospir,
lo cap e dis d'una vots flaca :
un pauc
—
�LA
MORT
DE
VIVIAN
279
Soudain, il entrevoit quelque chose, près d'une
son beau neveu, qui
est couché sous
fontaine... C'est
un
arbre.
Il est mort, certainement. Il n'y a qu'à voir son
front, son blanc front d'adolescent, qui est plus froid
que le marbre.
Ses deux mains
glant et
sa
cervelle
sont
a
croisées
coulé
sur son
sur ses
heaume
deux
san¬
yeux.
Alors, la voix de Guillaume retentit ainsi : —
Maintenant, mon beau neveu, tu as belle vie dans le
Ciel !
Mais
Païens ?
ans
ferai-je, sans toi, pour vaincre les
Que tu étais bon et vaillant et modeste !
comment
Pourquoi faut-il que je te voie mort, mort à vingt
? Ton pays avait encore tant besoin de toi !
Jamais sur un destrier ne monta un tel baron !
quand, l'an passé, je te donnai l'épée,
Hélas !
Je songeai que jamais je ne te verrais vieux, tant
l'amour des combats emplissait ton âme ! —
O joie ! à ces mots, Vivien
la tête et dit d'une voix faible
soupire, agite
:
un peu
�28o
lo
romancero
occitan
Sentisi que per
l'autre Monde vau partir...
Que partiriai content, s'abiai l'ama sens taca !
—
—
A ieu confesa-te
Mon bèl nebot !
—
Bèl Oncle,
com
à-n-un
Qu'es donc acò
—
capelan,
que te tracasa
?
li respond tristament Vivian,
vezètz sol à-n-aicesta plasa,
Pramor que me
Dabant los Turcs ai
Mea
—
culpa ! Que Nòstre-Senhe
Vivian
Es
me
perdone !
Mon bèl nebot, non as
Demora siau ! E
E
reculat, segurament !
sa
es
bêla
—
trahit ton jurament !
etèrna
glòria
Dius te done ! —
garit del remords escozerit,
ama al Cèl monta esperdigalhada.
déjà mièja-nèit. Guilhèm subre Baucent
Fa, prèp son nebot mòrt, la funèbra velhada.
—
�LA
MORT
281
VIVIAN
DE
Je sens que je vais partir pour l'Au-Delà ! Que
je partirais content, si j'avais l'âme sans tache ! —
—
Confesse-toi à moi
—
beau
neveu
Bel
vous
!
à
chapelain, mon
Qu'est-ce donc qui te chagrine ? —
comme
un
Oncle, lui répond tristement Vivien, puisque
voyez seul en cet endroit,
me
J'ai reculé devant les Turcs, c'est bien certain !
culpa ! Que Notre-Seigneur me pardonne ! —
Mea
Mon
—
ment
!
beau neveu, tu
Sois tranquille !
gloire éternelle !
Vivien est
Et
n'as
que
trahi ton ser¬
Dieu te donne la
pas
—
guéri de son cuisant remords et
au Ciel, toute joyeuse.
sa
belle âme monte
Il
laume
est
déjà minuit. Près de
sur
son neveu mort,
Baucent fait la veillée funèbre...
Guil¬
��XXIX
LA
FUGIDA
DE
GUILHÈM
�La
Fugida de Guilhèm
AUCENT, à punta
d'alba, anilha fièrament.
destrier, dis Guilhèm, non es dins l'espavent.
E, ieu, tremolariai ? S'ai perdut la partida,
Ai encara lo temps de far bêla fugida !...
O ma cara Guiborc ! qun grand malcòr
auretz,
Quand, aicest vèspre, dins Aurenja me veiretz
Intrar sol, lo cap bas, e la rabia dins l'ama !
Mas raibem plus, qu'a set de sang ma bona lama !
—
Mon
—
E, tot d'un còp, Baucent fa 'n espectaclos saut.
Esmerèl, qu'es lo filh d'Orabla e de Tibaut,
Ven de traucar
son
flanc d'un
mèstre-còp de lansa.
�La
Fuite
de
Guillaume
A la prime aube, Bauçent hennit fièrement. — Mon
destrier, dit Guillaume, n'est pas épouvanté,
et, moi, je tremblerais ? Si j'ai perdu la partie,
j'ai encore le temps de faire une belle retraite!... O
ma chère Guibourc !
quelle grande tristesse vous aurez,
quand,ce soir, vous me verrez entrer dans Orange,
seul, la tête basse, et la rage dans l'âme ! Mais ne
rêvons plus ! car ma bonne lame a soif de
sang ! —
Soudain, Baucent fait un saut extraordinaire. Esmerel, qui est le fils d'Orable et de Thibaut, vient
de trouer
son
flanc d'un
maître-coup de lance. Guil-
�286
LO
ROMANCERO
OCCITAN
Guilhèm l'a vist. Sarrant las dents, subre
E 1' manda lèu al paradis de Mahomet.
Danebier dabant el
el
se
lansa
presenta : li met
de fer trencant à travers la garganta.
Enfin, Abd-el-Roflan, qu'a 'na espaza giganta,
Subre 1' prat apareis, montât sus Folatis :
Gaujozament, Guilhèm en dos lo despartis.
se
Un pauc
Mas lo paure
De lo
Baucent pèrd
veze morent com
son sang e trantòla.
Guilhèm se dezòla !
E, pracò, cal fugir ! Lavets, al rei vincut
Guilhèm arranca l'èlme e l'alberc e l'escut,
Fa de tot acò bèl sa novèla armadura,
Laisa Baucent e pren Folatis per montura.
Ara, es salvat ! Clama : —Mahom e Tarvagant!
Los Sarrazins lo prenon per Abd-el-Roflan
—
E dabant el aclinan vite lor caratge.
Veni d'aucir Guilhèm ! lor dis dins lor
lengatge,
pensi plan qu'aurai Aurenja, abant deman ! —
Qun gauch pels Turcs ! Mas lèu es clar per mant Pagan
Qu'es Guilhèm que fugis e cèrca delibransa.
Alavets, dins tot l'òst, s'auzis qu'un clam : « Venjansa ! »
Lo rei Baudus lo perseguis. Acò 's en van :
Guilhèm es déjà lènh, e Folatis a vam !
—
E
�LA
laume l'a
vu.
FUGIDA
DE
GUILHÈM
287
Serrant les dents, il s'élance sur lui et
l'envoie bientôt
paradis de Mahomet. Danebier se
présente devant lui : il lui met un peu de fer tran¬
chant au travers de la gorge. Enfin, Abd-el-Roflan,
qui a une épée géante, monté sur Folatis, apparaît
sur le
pré : joyeusement, Guillaume le coupe en deux.
au
Mais le pauvre Baucent perd son sang et
celle. Comme Guillaume se désole de le voir
chan¬
mou¬
! Et, cependant, il faut fuir ! Alors, Guillaume
arrache au roi vaincu le heaume, le haubert et le bou¬
rant
clier, fait de tout cela
Baucent et
monte
sauvé ! 11 crie
:
—
sa
nouvelle
armure,
abandonne
Folatis. Maintenant, il est
Mahom et Tarvagant ! — Les Sar¬
sur
rasins le prennent pour
leur visage devant lui.
Abd-el-Roflan et inclinent
Je viens d'occire Guillaume ! leur dit-il en leur
langage, et je pense bien que j'aurai Orange, avant
demain ! Quelle joie pour les Turcs ! Mais, pour
maint Païen, il est bientôt évident que c'est Guillaume
qui fuit et cherche délivrance. Alors, dans tout l'ost,
on n'entend qu'un cri : « Vengeance ! » Le roi Baudus se met à sa poursuite. C'est en vain : Guillaume
est déjà loin, et Folatis a belle ardeur !
—
��XXX
COMTESA
GUIBORC
�La
Comtesa
Guiborc
i
XJILHÈM, dabant Aurenja, a dit d'una vòts fòrta :
Amic portier ! à ton Senhor dorbis la
porta !
Som lo comte Guilhèm! Abaisa donc lo
pont ! —
Lo portier, li vezent èlme vert sus lo
front,
Lo pren per un Pagan e ten
pòrta barrada.
Mentrestant, a sentit qu'a l'ama trasvirada
E va dire à Guiborc :
Comtesa, un mescrezent
Montât subre un destrier autant bèl
que Baucent,
Prèp lo pont-levadis, demanda retirada !
A l'espaza à la man, e
gaire non m'agrada.
Es tot cobert de
sang ! Enfin, dis qu'es Guilhèm !
Crezi qu'aurem
grand mal, Comtesa, se 1' crezèm !
—
—
—
�La
Comtesse
Guibourc
i
Devant Orange, Guil aume a dit d'une voix
forte
:
—
Ami
portier !
Seigneur! Je suis le
donc le pont !
sur le
front, le
ouvre
la porte à ton
comte Guillaume! Abaisse
Le portier, lui voyant heaume vert
prend pour un Païen et laisse la porte
bien fermée. Cependant, il se sent saisi d'une
grande
frayeur et va dire à Guibourc :
Comtesse, un mé¬
créant, monté sur un destrier aussi beau que Baucent, près le pont-levis, demande asile ! Il a l'épée
—
—
à la main
et ne me plaît
guère. Il est tout couvert
! Enfin, il dit qu'il est Guillaume ! Je crois
qu'il nous adviendra grand mal, Comtesse, si nous
de sang
�LO
zg2
La
comtesa
E, dins
Sa
Guiborc
un res
vots a
ROMANCERO
Ma
tota
trebolada
de temps, suis merlets s'es quilhada.
:
Que demandas, vasal ? —
resontit
Guilhèm l'auzis
—
es
OCCITAN
Guiborc,
e
—
fortament li dis atal
som
Tot l'òst d'Abd-el-Melik
Dorbisètz vite !
:
Guilhèm ! Alandatz-me la porta !
me
fa marrida
escorta
!
Mescrezent, intraras pas !
qu'à Guilhèm ! Non ès Guilhèm, ailas ! —
Comtesa, abètz grand tòrt de non voler me creire !
Som seguit pels Pagans, e lèu los anatz veire ! —
Jamai n'ai vist Guilhèm aber paur dels Pagans !
Guilhèm sab mai que tu los mòts embrïaigants ! —
—
Dorbirai
—
—
Al fonze de
son
còr,
E l'òst dels Turcs
Mas Guilhèm trai
com
Guilhèm se dezòla !
e la terra n' tremola...
s'abansa,
son
èlme
dis
:
Me crezètz pas
?
Guiborc, agaitatz donc mon naz ! —
Guiborc lo reconeis e va dorbir la pòrta,
Quand, còp-sec, vei pasar, gemegaires per òrta,
Dos cents Crestians que los Turcs menan al trespas.
Alavets, dis : — Non ès En Guilhèm del Cort-Naz,
D'abòrd que 1' sang non se revira dins tas venas,
Quand vezes de Crestians que trigòsan cadenas ! —
Vòl m'esprobar, sosca Guilhèm, e non a tòrt !
Vau li mostrar que som sempre Guilhèm lo Fort! —
Torna estacar son èlme e, brandisent sa lama,
Tomba suis Maugrabins, jos los èlhs de sa Dama.
Qun mortalatge bèl ne fa, dins un moment !
Trauca escuts, fend albercs, semena l'espavent
E fa tant qu'als captius balha la delibransa.
Guiborc, subre sa torre, es en granda alegransa.
Eh ben !
—
cara
e
—
�LA
COMTESA
GUIBORC
293
le croyons
! — La comtesse Guibourc est dans un
grand trouble et, immédiatement, monte sur les crénaux. Sa voix a retenti :
Que demandes-tu, vas¬
sal ?
Guillaume l'entend et fortement lui répond
ainsi :
Ma Guibourc, je suis Guillaume ! Ouvrezmoi la porte ! Tout l'ost d'Abd-el-Mélik est à ma
poursuite ! Ouvrez vite ! — Mécréant, tu n'entreras
pas ! Je n'ouvrirai qu'à Guillaume ! Tu n'es pas Guil¬
laume, hélas ! — Comtesse, vous avez grand tort de
ne pas vouloir me croire ! Les Païens me
poursuivent,
et bientôt vous les verrez !
Je n'ai jamais vu Guil¬
laume avoir peur des Païens ! Guillaume sait plus
que toi les mots qui enivrent ! —
Comme, au fond de son cœur, Guillaume se dé¬
sole ! Et l'ost des Turcs s'avance, et le sol en est
—
—
—
—
ébranlé... Mais Guillaume ôte
Vous
son
heaume
et
dit
:
—
pas? Eh bien ! chère Guibourc,
regardez donc mon nez ! — Guibourc le reconnaît et
va ouvrir la
porte, quand, soudain, elle voit passer,
gémissant dans la campagne, deux cents Chrétiens
que les Turcs conduisent au trépas. Alors, elle dit : —
Tu n'es pas Guillaume au Court-Nez, puisque
le
sang ne se retourne pas dans tes veines, quand tu
ne me
croyez
vois des Chrétiens enchaînés !
Elle
m'éprouGuillaume, et elle n'a pas tort ! Je vais
montrer que je suis
toujours Guillaume le Fort !
—
veut
ver, songe
lui
—
11 rattache
tombe
les
son
heaume et,
brandissant
son
épée,
Maugrabins, sous les yeux de sa Dame.
Quel beau massacre il en fait, en un instant ! Il troue
écus, fend hauberts, sème l'épouvante et fait tant
qu'il délivre les captifs. Sur sa tour, Guibourc a
sur
�LO
294
ROMANCERO OCCITAN
Ne descend lèu
e dis :
Guilhèm es plan atal !
E, tre qu'aiceste torna, alanda lo portai.
—
—
II
Dementre que
los Turcs s'abansan
Al còlh de
Guilhèm Guiborc
son
vers Aurenja,
long-temps se penja.
Pèi, lo despelha e dis, en cambiant de color :
Segur, mon bèl Amic, abètz granda dolor !
E vezi que, malgrat vostra estranja armadura,
—
Non arribatz aici salvat de blesadura...
Leialament
espozèri dabant Dius
baizes agradius ;
Es per l'amor de vos que non som plus Pagana,
E, s'òc cal, morirai per la grand Fe crestiana !
Mas una cauza, ara, me met en grand trebol :
Es, per vos faire intrar, d'aber trait lo ferrol !
S'èretz Guilhèm, seriatz seguit de vostra armada !
Veiriai à vostre entorn la joenesa aflambada,
Vostres nebots : Bertrand lo Pros e Guinemant,
Gerard e Gui lo Brun, subretot Vivian !
Non ètz Guilhèm d'Aurenja, e ne som espantada ! —
Per sant Pèire e la Vierge ! acò 's vertat
probada
Que d'èstre tornat sol me fa granda dolor...
Tant-ben, vos parlarai sens cap de biscontor :
A Vila-Danha, es mòrt mon jove
parentatge !
Non demora que ieu d'aquel fièr baronatge !
E recebèri
—
vos
vostres
�LA
COMTESA
GUIBORC
295
grande joie. Elle en descend bientôt et dit : — Guil¬
laume est bien ainsi !
Et, dès que cèlui-ci revient,
elle ouvre la grand porte.
—
II
Pendant que les
Guibourc se suspend
Turcs s'avancent vers Orange,
longtemps au cou de son Guil¬
laume. Puis, elle le déshabille et lui dit, toute pâle :
Sûrement, mon bel Ami, vous avez grande dou¬
leur ! Et je vois que, malgré votre armure étrange,
vous n'arrivez pas ici sans blessures... Je vous épou¬
sai loyalement devant Dieu et je reçus vos baisers
agréables ; c'est parce que je vous aime que je ne
suis plus Païenne, et, s'il le faut, je mourrai pour la
grande Foi chrétienne ! Mais, à cette heure, une
chose cause mon grand trouble : c'est d'avoir ôté la
barre pour vous faire entrer! Si vous étiez Guillaume,
vous seriez suivi de votre armée ! Je verrais autour
de vous les jeunes hommes enflammés, vos neveux :
Bertrand le Preux et Guinemant, Gérard et Guy le
Brun, et surtout Vivien ! Vous n'êtes pas Guillaume
d'Orange, et j'en suis épouvantée ! — Par saint
Pierre et la Vierge ! il est bien vrai que j'ai grande
douleur d'être revenu seul... Aussi, je vais vous par¬
ler sans feinte: à Villedaigne, toute ma jeune parenté
est morte ! De tous ces fiers barons, il ne reste que
—
�296
LO
ROMANCERO
Vergonha sul miu
Los Turcs
Auzint
Pèi,
a
an
nom
triomfat...
OCCITAN
! Lo Dius bon m'a maldit !
e
me som
enfugit !
—
acò, Guiborc pel sòl reta es tombada.
clamat : — Santa Maria coronada,
Entrestant que per
ieu tantis jovents son morts,
Prenètz-me, se vos plai, dins los celestials òrts !
Fazètz que siai lèu mòrta e siai lèu enterrada,
Per que de ma dolor siai vite delibrada !
—
Dins
Aurenja
e Narbona, ara, i'a malcòr grand.
Gerard, Gautier, Vivian e Bertrand !
Mòrts tant-ben : Joserant, Gaudin de
Pèiralada,
Guichard e Guielin... Qun dòl per l'encontrada !
Son mòrts
:
Pracò, Guiborc
—
Amie ! dis à
de
prigond esmai.
Guilhèm, dezesperem jamai !
reven
son
Los raises del solelh m'an tornat esperansa...
Per aber bona ajuda, anatz còp-sec en Fransa !
I veiretz grands barons, vostre paire
Aimeric
Emperaire, qu'es tant rie ! —
Comtesa, me cargatz d'emposibla bezonha !
Anar e Fransa, ieu, pr' i mostrar ma
vergonha ?
E subretot
nostre
—
Non i
Aquel
soscatz
! Vezètz Guilhèm lo
Vencidor,
de Còrsolt foguèt triomfador,
Lo fìlh d'Aquel que, tot jovent, prenguèt Narbona,
Lo Comte del Cort-Naz, enfin, èstre en
persona
A Sant-Danis e dire aquí, lo roje al
front,
Que los Turcs l'an vincut ? Pasarià per capon !
I mandarai un mesatger, s'òc vos
agrada... —
Es tu qu'i anaràs, o serai malcorada !
que
—
—
�LA
COMTESA
GUIBORC
moi ! Le Dieu bon m'a maudit ! Les Turcs
omphé... et je
me
suis enfui !
297
ont
tri¬
—
Entendant cela, Guibourc est tombée raide
sur
le
sol.
Puis, elle a crié : — Sainte Marie couronnée,
puisque pour moi tant de jeunes gens sont morts, pre¬
nez-moi, s'il vous plaît, dans les jardins célestes !
Faites que je sois bientôt en terre, pour que
je sois
vite délivrée de
ma
souffrance !
—
Dans Orange et Narbonne, maintenant, il
y a
grande tristesse. Sont morts : Gérard, Gautier, Vi¬
vien et Bertrand! Morts aussi : Josserant, Gaudin de
Pierrelée, Guichard et Guielin !... Quel deuil pour
le pays !
Pourtant, Guibourc revient de son profond émoi.
Guillaume, ne désespérons jamais !
Les rayons du soleil m'ont rendu espoir... Pour avoir
grand secours, allez tout de suite en France ! Vous
y verrez de puissants barons, votre père Aimeric et
surtout notre Empereur,
qui est si riche ! — Aller en
France, moi, pour y montrer ma honte ? Vous n'y
songez point ! Voyez-vous Guillaume le Vainqueur,
celui qui triompha de Corsolt, le fils de Celui qui,
tout jeune,
prit Narbonne, le Comte au Court-Nez,
enfin, être en personne à Saint-Denis et, là, dire, le
rouge au front, que les Turcs l'ont vaincu ? On le
prendrait pour un lâche ! J'y enverrai un messager,
si cela vous agrée... — C'est toi qui vas
y aller, ou
je serai dans la tristesse ! — Je partirai donc ! Mais
—
Ami! dit-elle à
38
�298
LO
ROMANCERO
Partirai donc ! Mas
OCCITAN
faretz, cara molher,
de cabalher ? —
Per m'aparar, as dit ? Am las veuzas nombrozas
Dels que son mòrts dins tas batalhas malastrozas,
N'aurai pron, apren-z-òc ! pr' aparar mon castèl
E faire, jols merlets, chapladis subrebèl !
Enfin, corn es vertat qu'ai novèla crezensa,
—
Per
plan
com
vos aparar, sens cap
—
Pr' acalhausar los Turcs aurai mascla valensa !
—
III
Al pros comte Guilhèm, qu'en Fransa va partir,
Guiborc dis ara :
Auriai grand gauch de te seguir.
—
Oc
pòdi pas. Me cal gardar la Ciutadèla ;
pòs èstre certan que te serai fidèla !
E tu'? Belèu que, quand seràs à Sant-Danis,
Trobaràs, per t'aimar, barona o balairis...
Debrembaràs Guiborc, que non es de ta rasa,
E non tornaràs plus aici prendre ta plasa ! —
Mas
Lo
Comte, qu'es segur d'èstre un espos fidèl,
Escampa tantis plors, que n' banha son forrèl.
Taizatz-vos, genta Amiga ! e non ajetz tracases !
N'abrasaran jamai que vos los miunis brases !
Per sant Pèire de Roma, aici fau jurament,
Auzisètz plan ! de non cambiar de vestiment,
De non beure de vin, de non manjar pebrada,
—
�LA
comment
vous
COMTESA
ferez-vous, chère
défendre,
sans
nul
GUIBORC
compagne,
Chevalier ?
défendre,^as-tu dit ? Avec les
299
—
nombreuses
pour bien
Pour me
veuves
de
qui sont morts dans tes combats désastreux, j'en
aurai assez, apprends-le ! pour défendre mon châ¬
teau et faire, sous les créneaux, un beau massacre !
Enfin, comme il est vrai que j'ai nouvelle foi, pour
lapider les Turcs j'aurai mâle vaillance ! —
ceux
III
Au preux comte Guillaume, qui va aller en France,
Guibourc dit maintenant : — J'aurais
grande joie de
te
suivre.
Je
le peux. Il faut que je garde la Cité ;
être certain que je te serai fidèle! Et toi?
Peut-être, quand tu seras à Saint-Denis, tu trouve¬
ras, pour t'aimer, baronne ou ballerine... Tu oublie¬
ras Guibourc,
qui n'est pas de ta race, et tu ne revien¬
dras plus prendre ta place ici ! —
ne
mais tu peux
Le^Comte, qui est sûr d'être un époux fidèle, vers e
de pleurs, qu'il en mouille le fourreau de son
épée. — Taisez-vous, gente Amie ! et n'ayez nul
tant
souci! Mes bras n'embrasseront
jamais que vous! Par
Rome, je fais ici le serment, écou¬
! de ne pas changer de vêtement, de ne pas
vin, de ne pas manger poivrade, de ne pas
saint Pierre de
tez-bien
boire du
�LO
3°°
De
non
dormir
E de laisar
Juscas
que
Guiborc
ma
ROMANCERO
sus
pluma
boca
veuza
o
OCCITAN
jos cortina ondrada
bais,
de tot
siai tornat dins aiceste palais !
—
plora de gauch, d'amor e d'esperansa,
es partit per la terra de Fransa.
E Guilhèm
�LA
dormir
ma
sur
plume
bouche
veuve
pas revenu
dans
Guibourc
COMTESA
ou sous
de tout
ce
GUIBORC
301
courtine ornée et de laisser
baiser, tant que je ne serai
palais !
—
pleure de joie, d'amour et d'espoir, et
parti pour la terre de France.
Guillaume est
�-■
'
■
%t
■
.
:ì
�XXXI
LOS
DOS
FRAIRES
�Los
Dos
Fraires
QUEL fièr cabalher que com un embelet
Ven de sortir d'Aurenja e fa lo molinet
Am
son
Acò 's Guilhèm
qu'ai solelh es tant luzenta,
Folatis, bèstia rabenta.
espaza
sus
Pren lo camin de Fransa
e
s'enva
com
lo vent.
Per òrta, qui lo
Cor lo jorn, cor
vei a còp-sec espavent.
la nèit, jamai res non l'arrèsta.
Sa lama, dins son punh, sempre al combat s'aprèsta
Pracò, n'aucis degun, juscas à Orlean.
Mas, aquí, an grand tòrt de 1' tratar de bregand,
E balha mal de mòrt à cinquanta ensultaires...
Tots los de la ciutat son anats, suplicaires,
Trobar dins
E li
an
dit
:
son
—
castèl lor bon senhor Ernaut
Un Turc
ven
de
nos
faire
asaut
!
�Les
E
Deux
fier chevalier
comme
un
Frères
qui vient de sortir d'Orange
éclair
et
fait le moulinet
avec
son
épée qui brille tant au soleil, c'est Guillaume
sur
Folatis, bête rapide. Il prend le chemin de France
et va comme le vent.
Qui le voit à travers la cam¬
pagne a soudain épouvante. Il court le jour, il court
la nuit, jamais rien ne l'arrête. Dans son
poing, sa
lame est toujours prête au combat. Pourtant, il n'occit personne, jusqu'à Orléans. Mais, là, on a
grand
tort de le traiter de
brigand, et il met en mal de mort
cinquante insulteurs... Tous ceux de la cité sont allés,
suppliants, trouver en son château leur bon seigneur
Hernaut
et
lui ont dit
:
—
Un Turc vient de
39
nous
�3°6
De
LO
nos
Es fort
ROMANCERO
mazelar
com un
Venjatz-nos,
tots
lion
per
lo crezèm
e
belèu
pietat !
OCCITAN
plan capable !
qu'es lo Diable !
—
Ernaut, tre los auzir,
còr comol d'azir.
l'espaza levada,
Va vers Guilhèm, qu'abià représ sa cabalcada.
Filh de Mahom ! li dis, vas périr de ma man ! —
Guilhèm respond : — Belèu que morirai deman ;
Mas, uèi, es tu que vas à Dius rendre ton ama ! —
E li porta, en rizent, un tant bèl còp de lama,
Que lo descend, com un pelhòt, de son cabal !
Espatarrat, Ernaut, pracò, non a grand mal ;
Mas sentis que son front es roje (de vergonha...
Coneisi qu'un baron qu'aje una tala ponha :
Acò 's Guilhèm lo Fort, qu'es mon fraire tant car ! —
Atal a dit. Guilhèm repren : — Cal s'esplicar !
A ton parlar, ai plan comprés qu'èras mon fraire ;
Vaqui perque t'ai solament virat de caire ! —
Se sentis per lo Turc un
Monta sus son destrier e,
—
—
Subre.'s prats
Los dos fraires
d'Orlean per la Lèira arrozats,
se son longament abrasats.
�LOS
DOS
FRAIRES
assaillir ! Nous le croyons bien
sacrer tous ! Il est fort comme
c'est le Diable !
"Vengez-nous,
307
capable de
nous mas¬
un
lion et,
peut-être,
par
pitié !
—
Dès
qu'il les entend, Hernaut sent que son cœur
s'emplit de haine pour le Turc. Il monte sur son
destrier et, l'épée haute, va vers Guillaume, qui
avait repris sa chevauchée. — Fils de Mahom ! lui
dit-il, tu vas périr de ma main ! — Guillaume lui ré¬
pond : — Je mourrai peut-être demain ; mais, aujour¬
d'hui, c'est toi qui vas rendre ton âme à Dieu ! —
Et, en riant, il lui donne un si beau coup d'épée, qu'il
le descend de son cheval, comme une loque ! Étalé
sur le sol, Hernaut,
pourtant, n'a pas grand mal ;
mais il sent que son front est rouge de honte... —
Je ne connais qu'un baron qui ait une telle poigne :
c'est Guillaume le Fort, qui est mon frère si cher ! —
Il a dit ainsi. Guillaume reprend : — Il faut s'expli¬
quer ! A ton parler, j'ai bien compris que tu étais mon
frère ; voilà pourquoi je t'ai seulement renversé ! —
Sur les
deux frères
prés d'Orléans arrosés par la Loire, les
se
sont embrassés
longuement.
��XXXII
GRANDA
DE
COLÈRA
GUILHÈM
�La
Granda Colèra
de
Guilhèm
i
Sant-Danis, an dit à Guilhèm lo Baron
Que Loïs e sa Cort son partits per Laon
E qu'aqui Blanca-Flor dèu èstre coronada
Emperairis, abant la fin de la jornada.
Donc, Guilhèm vers Laon cabalca vitament
E sentis dins son cap un grand rebulhiment.
Com serà recebut per Loïs l'Emperaire ?
Ambe grand gauch, segur, pramor qu'es son bèl-fraire.
Pracô, quand se dirà vincut pels Sarrazins,
Belèu plan qu'à Lois vendran qualques frezins ;
Mas aiceste sab plan que, se pòrta corona,
Es gracia subretot à Guilhèm de Narbona...
�La
Grande
Colère de
Guillaume
i
A Saint-Denis, on a dit à Guil aume le Baron que
Louis
et sa Cour sont partis pour Laon et que,
là, Blanchefleur doit être couronnée Impéra¬
trice, avant la fin de la journée. Donc, Guillaume
chevauche à la hâte vers Laon et sent un grand trou¬
ble en son esprit. Comment sera-t-il reçu par l'em¬
pereur Louis ? Avec grande joie, certainement, puis¬
qu'il est son beau-frère. Pourtant, quand il s'avouera
vaincu par les Sarrasins, peut-être bien que Louis
sentira quelque frisson ; mais celui-ci sait bien que,
s'il a été couronné, c'est surtout grâce à Guillaume
�LO
312
Am !
Ont
ROMANCERO
OCCITAN
Guiborc, pacientatz ! Vendra lèu aquel jorn
bèl òst Guilhèm prèp vos farà retorn !
am
Sa sòrre Blanca-Flor
Vers el tota la Cort
va
va
li faire abrasada !
venir
apreisada ;
joglars,
Per el resontiran las violas dels
E
tots
aquels
onors
à
son
còr
seran cars
!
Mas
qu'es acò ? Déjà, lo veici dins la vila,
E degun non li fa saludacion civila !
Degun n'es afanat pr' èstre son escudier,
Quand, dabant lo palais, descend de son destrier !
Antan, pracò, quantis venian li prendre rennas
E li faire 1' bèl-bèl, dementre que las fennas
A las fenèstras brandisian los mocadors !
Uèi, dabant el tots los varlets son fugidors...
E quala Dóna, per mirar son arribada,
En ciutat de Laon s'es
Guilhèm sentis
com
un
pauc desrengada ?
grand fòc dins son cerbèl
un
E, sol, estaca Folatis à-n-un ormèl.
A
—
—
—
parlan atal, los curïozes :
Jès ! qui 's aquel ? — Es lo baron dels pezolhozes !
Se crei que 1' recebran, am tal arnescament ! —
Belèu qu'es un malaut qu'a plus son sentiment ! —
son
entorn
Guilhèm anaba
castigar los maldizeires
còp com freules veires,
Quand, de la part del Rei, venon li demandar
Qual es e sò que vòl. —
Esclau ! vau m'esplicar !
Dis alavets Guilhèm am sa vots la plus fòrta.
Ton Mèstre m'a laisat ensultar à sa porta !
E los embrenicar d'un
—
�LA
GRANDA
de Narbonne... Allons !
viendra
dra
ce
COLÈRA
313
Guibourc, patientez ! Bientôt
avec un bel ost, Guillaume revien¬
! Sa sœur Blanchefleur va l'embrasser ;
jour où,
vers vous
empressement toute la Cour va s'avancer vers
lui ; pour lui retentiront les violes des jongleurs, et
tous ces honneurs lui seront chers! Mais qu'est ceci?
avec
Déjà, le voici dans la ville, et nul ne le salue civi¬
Nul ne s'empresse pour être son écuyer,
quand, devant le palais, il met pied à terre ! Autre¬
fois, pourtant, qu'ils étaient nombreux, ceux qui
venaient prendre les rênes de son destrier et lui
prodiguaient mille flatteries, tandis que les femmes
agitaient leurs mouchoirs aux fenêtres ! Aujourd'hui,
tous les varlets fuient à son approche... Et quelle
Dame, pour admirer son arrivée, s'est un peu déran¬
gée, en la cité de Laon ? Guillaume sent comme un
grand feu sous son front et, seul, attache Folatis à
lement !
un ormeau.
Autour de
lui, les curieux parlent ainsi : — Oh !
quel est donc celui-là ? — C'est le baron des pouil¬
leux !
S'il croit qu'on le recevra, avec un tel accou¬
trement !
C'est peut-être un malade qui n'a plus
—
—
sa
raison !
—
Guillaume allait châtier les insolents
d'un coup comme
de fragiles
verres,
et
les briser
quand, de la
part du Roi, on vient lui demander qui il est et ce
qu'il veut. — Esclave ! je vais m'expliquer ! dit alors
Guillaume
de
plus grosse voix. Ton Maître a
permis qu'on m'insulte à sa porte ! Va donc lui dire
sa
♦
40
�LO
3i4
ROMANCERO
Vai donc li dire
E que,
ieu,
som
OCCITAN
qu'es capon o beligas
Guilhèm, lo comte del Cort-Naz !
II
La fèsta del Coronament
es
arribada.
Dins la sala d'onor del
palais, comolada
drap d'aur lo plus rie,
Prèp Lois l'Emperaire es lo vièlh Aimeric,
Prèp Blanca-Flor se ten la comtesa Ermengarda
Que, malgrat son pel blanc, es encara bragarda.
E son aquí : Bernat, Beuve, Ernaut, Guibelin,
De cabalhers vestits del
Ambe lors Dònas dins la seda
Dels encensiers
montan
Pensadas de cadun
non
vapors
son
e
dins lo lin.
embrïaigantas,
estomagantas,
E 1'
rire, jos la vota, esclata en cent resons,
's joglars fan tindar lors cansons.
Enfin, tot cala, e Blanca-Flor, agenolhada,
Per l'Emperaire Emperairis es coronada.
Dementre que
Pracò, prèp de la porta e darrier un pilher,
Se ten, mut e soscaire, un afros cabalher.
Qu'a degut batalhar ! La sang lo taca encara
Un èlme
vert
Sarra
una
E
còr bat
son
de Sarrazin
espaza
jos
sus
sa
cara
;
;
pelhandros mantèl,
l'enclutge lo martèl.
Dabant la gaujoza asemblada,
com
Acò 's Guilhèm !
es
son
sus
—
�LA
GRANDA
COLÈRA
315
qu'il
est un lâche ou un niais et que, moi, je suis
Guillaume, le comte au Court-Nez !
—
II
La fête du Couronnement est arrivée.
Dans la
salle d'honneur du
palais, emplie de chevaliers vêtus
du plus riche drap d'or, près de
l'empereur Louis est
le vieil Aimeric, près de Blanchefleur se tient la
comtesse
Hermengarde qui, malgré ses cheveux
blancs, est encore belle. Et sont là : Bernard, Beuve,
Hernaut, Guibelin, avec leurs Dames dans le lin et
la soie. Des vapeurs enivrantes montent des encen¬
soirs, les pensées de chacun ne sont guère tristes, et,
sous la
voûte, les éclats de rire retentissent nom¬
breux, pendant que les jongleurs font entendre leurs
chansons. Enfin, tout se tait, et Blanchefleur, à
genoux, est couronnée
Impératrice
Cependant, près de la
se
tient,
Comme il
de sang ;
muet
a
et
par
l'Empereur.
porte et derrière un pilier,
songeur, un
dû combattre ! Il est
chevalier affreux.
encore
tout souillé
un heaume vert de Sarrasin est sur son
visage ; il serre une épée sous son manteau en gue¬
nilles, et son cœur bat comme le marteau sur l'en¬
clume. C'est Guillaume! Devant la joyeuse assemblée,
�LO
3l6
ROMANCERO
OCCITAN
Sentis que non pód plus tenir boca clavada.
Tot d'un còp, furïos, s'abansa vers Lois,
Lènh d'el jita son èlme, e veicì sò que dis :
garde long-temps en santat, cara Maire !
garde tant-ben, ò mon valoros Paire !
E vos-aus, Fraires, demoratz galhards e bons,
Sens jamai vos fizar als coronats félons !
—
E
Dius
vos
vos
Ah ! los félons ! Aici los vezi ! Aici los teni !
!
!
còr tant cambiadis ?
Es per los castigar qu'ara dabant els veni
Lor cara deven palla, an grand treboladis
E perque donc servan un
Reiòt Loïs, te brembas plus,
à-n-aicesta ora,
D'aquel que te balhèt ajuda salvadora,
Quand lo grand Cari, volià faire copar ton pel !
Qu'abià razon de non te "creire nascut d'el !
S'èras lo filh de Cari, non te fariai vergonha !
Te cal soscar qu'ai costat d'el n'ès res que ronha !
Reiòt Loïs, n'ès qu'un bastard e qu'un capon !
Oc dizi clarament, en ciutat de Laon !
E tu, ma Sòrre, se compren que siàs ligada
A-n-aquel estequit, dont lo vici t'agrada !
Per èstre dinna d'el e meritar son bais,
M'as laisat ensultar dabant aicest palais !
Oc sabi, tombi mal, demest vostra ondradura ;
Per intrar à la Còrt, ai paura vestidura ;
Abètz lo roje al front de m'aber per parent,
Pramor que mèrqui mal e que som sens argent...
Mas vos caldrià saber que, subre la planeta,
Es propre e bèl aquel qu'a la conciensa neta !
La miuna l'es ! A Vila-Danha-subre-Orbiu,
�LA
il
sent
qu'il
il s'avance
et
voici
ce
GRANDA
COLÈRA
317
plus se taire. Soudain, furieux,
Louis, loin de lui jette son heaume,
qu'il dit :
ne peut
vers
Dieu vous garde en santé, Mère chérie ! et vous
garde aussi, ô mon valeureux Père ! Et vous, Frères,
soyez toujours bons et vigoureux, sans vous fier
jamais aux félons couronnés ! Ah ! les félons ! Ici,
je les vois ! Ici, je les tiens ! C'est pour les châtier
que, maintenant, je me présente devant eux ! Leur
visage pâlit, ils sont dans un grand trouble ! Et pour¬
quoi donc gardent-ils un cœur si versatile ? Petit
roi Louis, tu ne te souviens plus, à cette heure, de
Celui qui te donna aide puissante, quand le grand
Charles voulait faire couper ta chevelure ! Comme il
avait raison de croire que tu n'étais pas né de lui !
Si tu étais le fils de Charles, tu n'aurais pas honte
—
de moi ! Il faut que tu songes que tu
n'es qu'un drôle,
auprès de lui ! Petit roi Louis, tu n'es qu'un bâtard
et qu'un pleutre ! Je le dis clairement, en la cité de
Laon ! Et toi, ma sœur, je comprends que tu sois
unie à cet avorton, dont le vice te plaît ! Pour être
digne de lui et mériter son étreinte, tu m'as laissé
insulter devant ce palais ! Je le sais, j'arrive en
importun au milieu de toutes vos parures ; pour
entrer à la Cour, j'ai de pauvres habits ; le rouge
vous monte au front, quand vous songez que je suis
votre parent, parce que je suis mal équipé et que je
suis
sur
sans
vous
faudrait savoir que,
terre, est propre et beau celui dont l'âme est
souillure ! La mienne l'est ! A Villedaigne-sur-
cette
sans
fortune... Mais il
�LO
ROMANCERO
OCCITAN
Ai fait sò
qu'ai pogut, e, sol, n'arribi viu !
solas, ai vòstras minas trufandièras !...
Qun fum de Maures, de la Mar à las Corbièras !
Tots mos nebots son mòrts! Mòrt, Gerard!
Mòrt, Bertrand!
Morts, Gautier, Uc e Gui ! Mòrt, ailas ! Vivian !
N'ai plus d'òst ! e, malgrat la miuna espaza bona,
Los Turcs intraran lèu dins Aurenja e Narbona !
Acò vos es égal ! Qu'enchautan Sarrazins,
Per tot
S'abètz bêlas
amors
e
se
bebètz bons vins !
Aval, en terra d'Oc, joves barons perison :
Aicî, las gents de Cort nèit e jorn se gaudison !
A. vos-aus los plazers que vos an
pauc costat, <
E que Guilhèm salve tot sol la Crestiantat !
Acò pòd plus durar, al reialme de Fransa !
Non ès ma sòrre, Blanca-Flor! xMe cal
venjansa!...—
A-n-aquels
probant que pensa sò que dis,
gèst d'aucir l'Emperairis ;
Mas Ermengarda dabant el s'es arborada,
E l'espaza luzenta en l'aire es demorada...
Guilhèm
a
mots,
fait lo
III
Com
un
rai de solelh traucant
Al mitan de la
una
Cort, qu'es dins un
apareis, Aelis la joventa.
Dabant Guilhèm furios, en plorant
nibol,
grand trebol,
Aelis
se prezenta
�LA
GRANDA
CÓLÈRA
319
Orbieu, j'ai fait ce que j'ai pu, et, seul, j'en arrive
tout réconfort, j'ai vos airs moqueurs!...
Quelle nuée de Maures, de la Mer aux Corbières !
Tous mes neveux sont morts ! Mort, Gérard ! Mort,
Bertrand ! Morts, Gautier, Hue et Guy ! Mort, hélas !
Vivien ! Je n'ai plus d'ost ! et, malgré ma bonne
épée, les Turcs entreront bientôt dans Orange et
Narbonne ! Cela vous est égal ! Que vous importent
les Sarrasins, si vous avez belles amours et si vous
buvez bons vins ! Là-bas, en terre d'Oc, les jeunes
barons meurent : ici, les gens de Cour nuit et jour
sont en joie ! A vous tous, les plaisirs qui ne
vous
ont coûté guère ! et que Guillaume sauve tout seul
la Chrétienté ! Cela ne peut plus durer, au royaume
de France ! Tu n'es pas ma sœur, Blanchefleur ! et
je veux me venger !... —
A ces mots, prouvant qu'il est sincère, Guillaume
a fait le geste de tuer l'Impératrice ; mais Hermengarde s'est dressée devant lui, et la luisante épée est
vivant ! Pour
demeurée
en
l'air...
III
Tel
de soleil trouant une nuée, au
Cour, qui est dans un grand trouble,
apparaît, Aélis la jouvencelle. Devant Guil¬
furieux, elle se présente en pleurant et dit : —
un
milieu de la
Aélis
laume
rayon
�LO
320
E dis
ROMANCERO
OCCITAN
:
Bèl Oncle, de ma maire ajetz pietat !
'gut tòrt, s'a rigut, quand vos an ensultat ;
Mas largatz contra ieu vostra colèra auriva !
Se non volètz m'aucir, fazètz-me cremar viva
O dins païs lentan mandatz-me à l'abandon,
—
A
E que ma
Maire, vostra Sòrre, aje perdon !
Agenolhada als pèds de Guilhèm, la mainada,
lagremants, atend sa destinada.
Los èlhs tot
—
Bêla
neboda, dis Guilhèm,
en
l'abrasant,
Arboratz-vos ! e, per sant Pèire, lo grand Sant!
N'ajetz plus marriment ! Fau gracia à vostra maire
E fau gracia tant-ben à Loïs l'Emperaire !
Mas, sens vos, plan segur, me faziai lor borrèl ! ...—
E Guilhèm
a
remés
son
espaza
al forrèl.
�LA
GRANDA
COLÈRA
321
Oncle, ayez pitié de ma mère ! Elle a eu tort,
a ri, quand on
vous a insulté ; mais déchaî¬
nez contre moi votre grande colère ! Si vous ne voulez
pas m'occire, faites-moi brûler vive ou exilez-moi
en un pays lointain, et que ma Mère, votre Sœur, soit
pardonnée ! —
Bel
si elle
Agenouillée
en
aux
larmes, attend
sa
pieds de Guillaume, la fillette,
destinée.
nièce, dit Guillaume, en l'embrassant,
saint Pierre, le grand Saint !
n'ayez plus du chagrin ! Je fais grâce à votre mère
et je fais grâce aussi à l'empereur Louis ! Mais, sans
vous, sûrement, je les exécutais !... —
—
Belle
relevez-vous ! et, par
Et Guillaume
a
remis
son
épée
au
fourreau.
41
��XXXIII
CANT DE VICTORIA
�Cant
de Victòria
OGLARS, entonatz cansons
!
—
de victòria !
Guilhèm s'es cobèrt d'immortala glòria
Am l'òst valoros que
De Maures
A revist
a
fait
Guiborc,
un
a
ten de Loïs,
bèl chapladis.
revist Aurenja,
revenja.
Contra Abd-el-iMelik a pres sa
E l'Emir vincut
Am
a fugit sus mar
granda furor e malcòr amar.
�Chant
de Victoire
JONGLEURS, entonnez chansons de triomphe! Guil¬
laume s'est couvert d'immortelle
—
fait
Avec l'ost valeureux
un
Il
a
gloire !
qu'il tient de Louis, il
a
de Maures.
beau
massacre
revu
Guibourc, il
a revu
Orange, il
a
pris
sa
revanche contre Abd-el-Mélik.
Et l'Émir
vaincu
a
fui
fureur et tristesse amère.
sur
la
mer
avec
grande
�326
LO
ROMANCERO
Guilhèm l'a
Ambe, dins
seguit juscas Barcelona
punh, son espaza bona.
son
Tantis Turcs
Mas,
ara,
OCCITAN
son
morts,
salvada
es
qu'es
una
pietat...
la Crestiantat !
Non tornaran plus en terra Occitana
Aquels Turcs venguts de terra lentana !
Non los veiretz
plus, los òrres Pagans,
Vos escalabrar, monts Pireneans !
O
Cari, enterrat à-z-Ais-la-Capèla,
certan qu'as venjansa bêla !
Pòs èstre
Asiauza Olivier ! Asiauza Roland !
*
Dis-lor que
Guilhèm
ara es
triomfant !
Aprèp Ronsas-Vals, la batalha granda,
Per los Mescrezents, veici la desbranda !
Auta-Clara,
Maures,
Als
Mas
e
tu, fòrta
segur,
Durandal,
faguèretz grand mal
;
l'Espaza qu'es la mai vincedora,
Es la que
Guilhèm ten, à-n-aicesta
ora
!
�CANT
Guillaume
bonne
épée
C'est
Mais,
l'a suivi
VICTORIA
jusqu'à Barcelone
327
avec
sa
poing.
pitié de voir que tant de Turcs sont morts...
la Chrétienté est sauvée !
ores,
Ils
Turcs
au
DE
ne
reviendront
venus
d'une
plus dans la terre Occitane, ces
terre
lointaine.
Ces affreux Païens, vous ne les
escalader, monts Pyrénéens !
verrez
plus vous
qui es enseveli à Aix-la-Chapelle, tu
être certain que tu as été bien vengé !
O Charles,
peux
Tranquillise Olivier ! Tranquillise Roland ! Dis¬
maintenant, Guillaume a triomphé !
leur que,
Après Roncevaux, la grande bataille, voici la
défaite des Mécréants !
Hauteclaire, et toi, forte Durandal, vous fîtes,
sûrement, grand mal à tous ces Maures ;
Mais
l'Épée la plus victorieuse, c'est celle
Guillaume
tient, à cette heure !
que
�328
LO
Joioza
a
ROMANCERO
OCCITAN
vincut enfin l'Al-Coran,
Grand-mercès al bras de Guilhèm lo Grand !
Atal
an
tindat
cansons
de victòria
Per Guilhèm cobert d'immortala
glòria.
�CANT
Joyeuse
a
DE
ont
329
vaincu enfin le Coran, grâce
de Guillaume le Grand !
Ainsi
VICTORIA
au
bras
—
retenti chansons de
laume couvert d'immortelle
triomphe
gloire.
pour
Guil¬
��\
XXXIV
MONGE
DE
GELLONA
�Lo
Monge de Gellona
lo
pòple e qual es lo reialme
dit la valor al combat
Del Paladin que non ajèt espalme,
Quand per Còrsolt son naz foguèt trencat ?
Tots an lauzat En Guilhèm de Narbona,
Aquel baron, dont l'espaza tant bona
Auciguèt tantis Sarrazins !
UAL es
Que
A
son
Plan
non an
entorn, tal lo chuc dels razins
jos los pèds del mostaire,
riuzes carmezins,
abià lo talh copaire.
Com batalhèt suis ribals de l'Orbiu,
Contra Abd-Allah-Melik, l'emir auriu,
escrazats
La sang fazià de
Tant son espaza
E
sa
cordilhada de Maures !
�Le
Moine
de
Gellone
Quel est le peuple et quel est le royaume qui
n'ont pas
dit la valeur guerrière du Paladin
qui n'eut pas défaillance, quand son nez fut
tranché par Corsolt ? Tous ont loué Guillaume de
Narbonne, ce baron, dont la si bonne épée massacra
tant de Maures !
Autour de
lui, tel le jus des raisins jbien écrasés
pieds des fouleurs, le sang coulait en ruis¬
seaux cramoisis,
tant son épée avait le tranchant
aiguisé. Comme il combattit, sur les bords de l'Orbieu, contre Abd-Allah-Mélik, l'émir farouche, et sa
sous
les
ribambelle de Maures !
�LO
334
ROMANCERO
OCCITAN
Dempèi bèl temps, n'abià plus pelses saures,
E, sempre fòrt, mostraba als Maugrabins
Que de valor bons Crestians non son paures,
Tant qu'an contra els cobejozes vezins.
Mas lo Creisent fuch Aurenja e Narbona,
Pasa la mar, pèrd enfin Barcelona...
Guilhèm dis adiu als combats.
Pics
e
Tots
sos
patacs, per el, son acabats.
nebots subre los
prats de guerra
à son caire tombais ;
Guiborc es mòrta, e l'an portada en terra
l'a plus de Turcs, per ne faire mazèl...
Adonc, Guilhèm va conquistar lo Cèl
Son
un
per un
Dins lo monastier de Gellona.
Carl lo
Grand, qu'uèi
a
celèsta
corona
E fa belèu la guerra à Belzebut,
Ven d'aparestre à Guilhèm de Narbona,
Mentre
—
Al
Car
as
qu'aicest dins son lèit es jagut.
Cèl, li dis, prèp ieu auràs ta plasa,
vencit la mescrezenta Rasa
E
venjat
mon
nebot Roland !
—
;
�LO
MONGE
DE
GELLONA
335
Depuis beau temps, il n'avait plus cheveux blonds,
et, toujours fort, il montrait aux Maugrabins que
bons Chrétiens ne sont jamais pauvres de vaillance,
qu'ils ont contre eux des voisins envieux. Mais le
Orange jet Narbonne, il passe la mer,
perd enfin Barcelone... Guillaume dit adieu aux
tant
Croissant fuit
combats.
Coups donnés et reçus, pour lui, sont finis. Tous
neveux, sur les champs de bataille, sont, l'un
après l'autre, tombés à ses côtés; Guibourc est morte,
et on l'a portée en terre ; il n'y a plus de Turcs, pour
en faire massacre... Donc, Guillaume va conquérir
ses
le Ciel dans le monastère de Gellone.
Charles le
Grand, qui, aujourd'hui, a la couronne
peut-être la guerre à Belzébuth, vient
d'apparaître à Guillaume de Narbonne, pendant que
celui-ci repose dans son lit. — Au Ciel, lui dit-il, tu
auras ta place près de moi, car tu as vaincu la Race
mécréante et vengé mon neveu Roland ! —
céleste et fait
�336
LO
ROMANCERO
Ara, pèds nuts,
un
OCCITAN
ciri dins la
man,
Lo pros Guilhèm pauza son armadura
Subre 1' tombèl del màrtir sant Julian.
Son èlme
Subre
d'aur, qu'a manta embotidura,
front non l'estacarà plus.
sa glòria aje celèst trelus,
son
Vòl que
E
va se
cobrir d'un cilici.
Dins lo
mostier, Guilhèm, fraire novici,
foguèt eròs grand.
Agenolhat, tant que dura l'ofici,
Sempre junant, se confesant, pregant,
Lo cap razat en forma de corona,
La nèit e 1' jorn, lo Monge de Gellona
A debrembat que
Trabalha à devenir
un
Sant !
�LO
MONGE
Maintenant, pieds
DE
nus,
GELLONA
un
337
cierge à la main, le
preux Guillaume dépose son armure sur le tombeau
du martyr saint Julien. Son heaume d'or, qui a mainte
bosselure, il ne l'attachera plus sur son front. Il veut
que sa gloire ait le céleste éclat, et il va se couvrir
d'un cilice.
Dans le moûtier,
Guillaume, frère novice, a ou¬
grand héros. Agenouillé, tant que
l'office dure, toujours jeûnant, se confessant, priant,
la tête rasée en forme de couronne, le Moine de Gellone travaille, nuit et jour, à devenir un Saint !
blié
qu'il fut
un
43
��ENSENHADOR
��ENSENHADOR
Introduction
Sur la
vu
prononciation Occitane
xliii
X.
Als Paladins
53
ii.
Lo Palet de Roland
57
m.
Las Tres
65
iv.
Los Planhs del Maure
75
v.
Lo Còrn
83
vi.
Aimeric de Narbona
vil.
Carcas saluda
viii.
Lo
ix.
Lo Lais d'Amor
x.
L'Enfantesa de Guilhèm
Espazas
95
103
Maridatge d'Aimeric
d'Ermengarda
ui
...
119
125
�LO ROMANCERO
342
OCCITAN
Conquista de Baucent
xi.
La
XII.
Cari
XIII.
La Delibransa de Narbona
143
XIV.
Despartiment dels Enfants d'Aimeric.
Lo Suplici de Guibelin
161
XVI.
Lo Coronament de Loïs
171
XVII.
La Mòrt de Còrsolt
181
XVIII.
Lo
189
xix.
Lo Grand Baile de Fransa
XX.
La Canson de Garin d'Anseuna
XV.
e
131
Guilhèm
137
Maridatge de Guilhèm del Cort-Naz
151
197
.
.
.
203
XXI.
Lo Bèl Cabalher
215
XXII.
La Preza de Nimes
223
XXIII.
La Bêla Orabla
xxiv
La Canson dels
XXV.
Lo Vòt de Vivian
XXVI.
La Batalha de Vila-Danha
253
xxvil.
La Tristor de Guilhèm
267
231
Joglars
237
247
xxvill.
La Mòrt de Vivian
275
xxix.
La
XXX.
La Comtesa Guiborc
283
289
xxxi.
Los dos Fraires
xxxii.
La Granda Colèra de Guilhèm.
xxxill.
Cant de Victoria
323
xxxiv.
Lo
331
Fugida de Guilhèm
Monge de Gellona
303
.
.
.
309
�ACABAT
D'ESTAMPAR
lo
VII de
Julhet MCMXIV
subre las prensas
d'Edicion
Societat
37,
de la
Occitana
Carriéra de la Bafa,
A
CASTÈLNÒUDARI
37
����
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Patrimoine écrit occitan:imprimés
Description
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Ce set contient les imprimés numérisés par le CIRDÒC issus des collections des partenaires d'Occitanica
Libre
Item type spécifique au CIRDÒC : à privilégier
Région Administrative
Midi-Pyrénées
Variante Idiomatique
Languedocien
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Lo romancero occitan / Prosper Estieu ; am traduccion franceza, entroduccion pel Baron Desazars de Montgalhard
Alternative Title
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Lo romancero occitan / Prosper Estieu ; am traduccion franceza, entroduccion pel Baron Desazars de Montgalhard
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Estieu, Prosper (1860-1939)
Source
A related resource from which the described resource is derived
CIRDÒC - Mediatèca occitana, CAC 921
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Societat d'Edicion Occitana (Castelnòudari)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1914
Date Issued
Date of formal issuance (e.g., publication) of the resource.
2017-07-03 Gilles Bancarel
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Subject
The topic of the resource
Poésie occitane
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol. (LI-342 p.)
Language
A language of the resource
oci
Type
The nature or genre of the resource
Text
monographie imprimée
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
http://occitanica.eu/omeka/items/show/16589
FRB340325101_ CAC 921
Temporal Coverage
Temporal characteristics of the resource.
19..
Contributor
An entity responsible for making contributions to the resource
Desazars de Montgailhard, Marie-Louis (1837-1927). Préfacier, etc.
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