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Mas-Felipe Delavouët, désirs de l’Œuvre : de Pouèmo à Pouèmo
Jean-Yves Casanova, Université de Pau et des Pays de l’Adour
PLH – ELH, Université de Toulouse Jean Jaurès
Tout est une affaire de nombre, tout tient dans une marque du singulier ou du pluriel
renvoyant Pouèmo à l’ambiguïté voulue et assumée, à ce qui préfigure une geste poétique
inégalée pour les lettres d’oc, mouvement ascensionnel du poème, élévation inspirée par un
« mysticisme de la terre ». On pourrait également concevoir a contrario cette œuvre comme
une fragmentation poétique de ces voix multiples habitant le poète et l’homme ; Pouèmo,
au singulier ou au pluriel, définirait alors ce qui est de l’ordre d’une unité, d’une convergence
et d’une élévation ou ce qui demeurerait à jamais brisé, éparpillé, ce qui décrirait
l’émiettement de l’homme et de sa parole. Levons d’entrée de jeu l’ambiguïté : pour nous,
ce Pouèmo est nécessairement ascensionnel, conjonction d’éternité d’une poésie accédant
dans son acmé à la somme que constituent ces cinq volumes publiés de 1971 à 1991, mais
initiés par un cheminement poétique trouvant son origine dans une trajectoire biographique
singulière et ses premiers pas après-guerre, plus sûrement dans les années 1950. Nous
pouvons considérer le pluriel de Pouèmo si nous acceptons l’idée d’une autonomisation
poétique, celle par exemple souvent évoquée pour l’Istòri dóu Rèi mort qu’anavo à la
desciso1, mais nous devons néanmoins comprendre ces poèmes « épars » comme des
tentatives convergentes d’une parole plus ample prenant pleinement son sens dans sa
globalité, cette Istòri trouvant ses échos les plus évidents dans une conceptualisation globale
de la poétique delavouetienne. L’œuvre ainsi constituée2 apparaît occuper aujourd’hui une
place originale que le Temps lui restitue peu à peu, comme si l’évidence littéraire constituait
une certitude œuvrant contre le déroulement éreintant de la nature biologique et
physiologique de l’être3. L’œuvre de Delavouët souligne, comme bien d’autres, une volonté
affirmée de réunir l’être, de retrouver son essence dans une place qui lui avait été destinée,
mais qu’il a le plus souvent perdue, ignorant ainsi qu’elle est sienne ; elle désigne la lutte
1
Les titres des poèmes de Delavouët étant la plupart du temps imprimés en capitales, il est difficile d’accorder
des majuscules aux mots qui devraient en comporter sans effectuer un travail précis concernant cette
restitution, travail qui par ailleurs a été accompli pour les textes réédités par Claude Mauron. Nous nous
conformons à la pratique des éditions de textes instituée par l’éditeur et recensés dans ses bibliographies
(Mauron 1992, 2001).
Nous remercions Estelle Ceccarini, Claude Mauron et René Moucadel pour leurs conseils avisés lors de la
rédaction de cet article.
2
Le mot « œuvre », au masculin ou au féminin, est sans aucun doute le plus approprié en ce qui concerne
Delavouët, désignant une opera omnia trouvant son accomplissement à la fois dans sa totalité et le chemin
parcouru.
3
Nous distinguons ainsi « Temps », en référence proustienne, et « temps », désignant seulement la mesure
d’une durée biologique et non son implication philosophique. Sur le Temps dans l’œuvre de Delavouët cf. le
dossier d’un des Cahiers du Bayle-Vert et les différentes études consacrées à ce thème (Cahiers Bayle-Vert 6
2015).
1
�contre l’éparpillement et la désunion qui le caractérisent dès sa naissance déterminée par la
perte psychique. Restituer une place, retrouver si ce n’est une unité du moins une union
fondamentale qui pourraient lui permettre de vivre et de découvrir, en lui et au-delà, les
aspirations les plus nobles caractérisant sa nature et ses désirs, telle est, brièvement et
imparfaitement dessinée, une quête poétique de plus de cinquante années, au service d’une
parole, celle de l’homme qui ne doit jamais être empêché de parler à travers le Temps.
Comme celle de Bernard Manciet à l’autre extrémité de la géographie d’oc, l’œuvre
poétique de Mas-Felipe Delavouët témoigne à sa manière de la ténacité inéluctable
saisissant l’homme : celle du dire qui, tout en lui permettant d’exprimer douleurs, désirs,
doutes et peurs, signifie tout autant à lui-même qu’au lecteur la force inexorable qui
l’habite4.
Nombreux sont les critiques qui ont insisté sur l’unité d’une œuvre qui doit être
analysée selon une trajectoire poétique singulière ; le poème devenu Pouèmo, s’il est le plus
souvent divisé en parties plus ou moins égales et publiées séparément, trouve sa
signification profonde dans la description de cette quête (Mauron 2000, Magrini 2010a).
Unité ne signifie pas pour autant uniformité, et ce que l’on pourrait noter comme un
« retour » d’images obsédantes illustrées par une forme unique s’appuie justement sur un
dialogue fécond entre la convergence et la mise à distance, les différents poèmes trouvant
par ailleurs une autonomie relative, mais regroupés dans leur « effet » ascensionnel, ils
révèlent la puissance d’une voix. Philippe Gardy a mis l’accent sur la temporalité poétique de
cette œuvre et sur ce qui constitue cet « equilibri d’arquitectura » :
Dins aquel ordenament ont lei poèmas desseparats e « lo » Poèma vist coma una totalitat se
destrian pas, tot es jòc d’interdependéncia. Son, lei cinc volums de Pouèmo, l’expression
d’aqueu jòc e sa realizacion en fonccion dau projècte que governèt tota una escritura dins lo
temps lòng d’una existéncia. Se legisson, Pouèmo, coma un itinerari dins lo temps, lo debanar
d’una vida i fasent pas qu’un amb lo de l’escriure. (Gardy 2003, 53)5
La tentation serait grande d’examiner cette poésie à l’aune d’une vie somme toute
immobile, du moins dans son apparence, car si l’horizontalité de l’espace de Delavouët est
demeurée toute son existence sensiblement identique, il en est tout autrement de sa
verticalité, l’horizon poétique étant souvent bien à tort assimilé à une ligne éloignée où,
4
Encore, faut-il pour que l’on puisse la lire, que cette œuvre soit connue, éditée et accompagnée dans son
cheminement. Mas-Felipe Delavouët a bénéficié de cette reconnaissance et de cet accompagnement grâce à
des initiatives précieuses, ce qui n’est pas souvent le cas des écrivains d’oc de sa génération (Max Rouquette et
Delavouët constituent des exceptions notables). Mas-Felipe Delavouët a souvent donné de son vivant au BayleVert des éditions qui ont été reprises dans la publication des quatre volumes chez José Corti et pour le
cinquième au Centre de Recherches et d’Études Méridionales sous le titre générique de Pouèmo. La
connaissance de son œuvre, depuis la disparition du poète en 1990, a été poursuivie par le travail remarquable
effectué par le « Centre Mas-Felipe Delavouët » (http://www.delavouet.fr) et par diverses contributions
critiques dont le recensement a été effectué par Claude Mauron jusqu’en 2001 (Mauron 1992, 2001).
5
« Dans cet ordonnancement où les poèmes séparés et « le » Poème vu comme une totalité ne se partagent
pas, tout est jeu d’interdépendance. Les cinq volumes de Pouèmo sont l’expression de ce jeu et de sa
réalisation en fonction du projet qui a conduit toute une écriture dans le long temps d’une existence. On lit
Pouèmo comme un itinéraire dans le temps, le déroulement d’une vie ne faisant qu’une avec celui de
l’écriture. » (traduction de notre fait. En absence du nom du traducteur, les versions françaises sont le fait de
l’auteur). Philippe Gardy met en perspective dans cet ouvrage diverses trajectoires poétiques, celles de
Delpastre, Delavouët, Manciet et Nelli dont on peut penser, au moins pour les trois premières, qu’elles se
répondent dans l’amplitude de l’œuvre et la forme choisie.
2
�comme le provençal le dit admirablement, la vièio danso6 et les formes troubles occupent le
lointain de la vue. L’espace est également vertical, ce qui chez Delavouët ne fait aucun
doute, empreint de culture savante, notamment ce qui est de l’ordre de la mystique romane
(Magrini 2008) ou de savoirs et de légendes populaires dont le poète ne se départit jamais et
qui fondent une poétique où ciel et terre ne dialoguent pas du seul point de vue
métaphysique, mais considèrent le lien unissant l’homme aux « astres » et autres étoiles. La
question de l’unité de l’œuvre demeure ainsi posée, ou, pour le dire de façon encore plus
précise, sa convergence en une seule route, un seul chemin que dessine le Pouèmo parfois
divisé en Pouèmo, mais toujours reliés entre eux par le fil évident d’une couture poétique
constituant une trame unique que révèle d’évidence la forme fixe choisie qui s’impose peu à
peu à la création à partir de 1950-1952.
Mas-Felipe Delavouët a lui-même commenté l’affirmation de ce poème unique
recueilli en plusieurs « volumes », accordant à sa poétique ce mouvement directionnel :
[…] il y aura cinq volumes, je le sais depuis longtemps, mais ils doivent tous être considérés
comme un seul poème en plusieurs parties, comme les mouvements d’une symphonie. Je
sais que c’est un grand mot, mais pourtant… Je n’ai fait que donner des numéros aux livres
parce que, pour l’instant, je ne connais pas le titre de l’œuvre achevée.
Il insiste ensuite, considérant la périodisation poétique, sur l’unité caractérisant le
Pouèmo et sur l’achèvement nécessaire, exprimant le sentiment inexorable de la fin de
toutes choses :
Tout a un début et une fin. Non, je n’ai pas encore fini. Au début, je rattrapais le temps
perdu. Quelques poèmes sont assez anciens ; il y a des choses qui remontent à 1952 – après
tout cela fait 25 ans. Puis il y a des choses plus récentes, et bien sûr il me reste encore les
deux derniers volumes. Je me répète que la nuit va bientôt tomber et que je dois continuer
jusqu’au dernier moment, du moins essayer. (Polyphonies 1996, 25)7
Ainsi mise en perspective par le poète lui-même, la quête poétique s’inscrit dans le
mouvement et trouve dans le Temps un obstacle de taille, de telle façon que l’on pourrait
affirmer qu’elle constitue une lutte incessante jusqu’à cette « nuit » entropique et
inéluctable. Le poème devient donc une parole dressée face à l’inexorable qui nous menace
et nous anéantit, la seule voix qui, malgré « l’impasse » qui la caractérise8, s’inscrit dans une
6
« La vieille danse », métaphore désignant les mirages de chaleur observables dans les pays de plaine
provençale.
7
Nous aurions pu nous en tenir aux seules déclarations de Delavouët et considérer uniquement ce que dit le
poète. S’il est certainement le plus indiqué pour signifier le chemin qu’il veut parcourir, le travail du critique est
néanmoins indispensable, car il repose sur l’analyse textuelle et historique qui permet, non de vérifier les
affirmations des écrivains, mais de les placer en perspective dans le cadre d’une périodisation poétique et plus
largement dans le mouvement de l’histoire littéraire. L’entretien que nous citons a été publié une première fois
dans la revue Fountains, daté du printemps 1978, repris ensuite dans la revue Polyphonies en 1996 (traduction
de l’anglais de Jean-Yves Masson).
8
Le mot « impasse » fait référence à une critique que nous avons publiée dans la revue Impressions du Sud en
1984 à propos de la parution de Pouèmo 4 (Impressions du Sud 1984, 24). Son titre, « Une Voix, comme une
impasse » a été souvent compris dans un sens qui n’était pas le nôtre, relevé par quelques « occitanistes »
comme une attaque contre le plus grand poète provençal de sa génération et par quelques « provençalistes »
comme une volonté de nuire à cette œuvre. Une lecture de cette recension aurait suffi à démontrer que cette
« impasse » était pour nous purement existentielle et se heurtait, comme toutes les impasses, au mur du
Temps et à la « nuit » dont parle Delavouët. Nous pensions en 1984, à tort, que le lecteur pouvait de lui-même
comprendre le sens que nous signifions (le choix de ce titre a pu porter à confusion et fut de notre part
3
�conjonction d’éternité. Rappelons les vers de Mistral extraits de La Founfòni de l’oustau et
accordant la parole à l’eau s’écoulant dans l’évier:
[…] « Tout fau que passe,
Fau que tout passe au reguié ! »9
Il nous faut ainsi revenir au sentiment de la fragilité existentielle qui prend toute sa
place dans un cheminement poétique relevant de la quête et de l’ascension, seule élévation
possible du Pouèmo qui permet non d’effacer cette fin, mais de la dire et ainsi de situer la
parole poétique dans une forme d’éternité que seuls le livre et la voix peuvent figurer.
*
Cette convergence doit être analysée selon trois aspects différents : son entame,
dans les années d’après-guerre, sa permanence tout au long du cheminement poétique et
son acmé, si nous considérons le dernier volume de Pouèmo composé essentiellement de
Cant de la tèsto pleno d’abiho comme l’aboutissement de cette quête ascensionnelle10.
Cette analyse entendrait donc comprendre l’ensemble du cheminement poétique, y compris
les productions plus marginales constituées par les premiers essais, essentiellement les
poèmes publiés dans Fe ou diverses anthologies et revues, ainsi que les livraisons des
Cantico qui semblent préfigurer l’idée même de ce qui apparaît être de l’ordre d’un
« ensemble poétique » (Delavouët 1950). Ainsi, nous pourrions définir un Delavouët vouant
son travail à une recherche d’un cadre littéraire, tâche constituée par les Cantico et plus
sûrement par la somme des Pouèmo, cheminement nécessitant des appropriations
poétiques à la fois formelles, stylistiques et métaphoriques, des tentatives que l’on pourrait
considérer comme éparses, mineures, mais qui, de ce point de vue, ne le sont pas. Les
éditions des Cantico, puis celle du Pouèmo pèr Èvo11 ne réduisent pas l’intensité des
recherches formelles à ces seules productions ; les publications effectuées entre les années
1950 et 1960, même après la livraison princeps du Pouèmo pèr Èvo en 1952, sont constituées
de poèmes divers qui n’empruntent pas tous la même forme strophique. Le long poème
Calendié pèr Eleno publié dans Fe au printemps et à l’automne 1958 (Delavouët 1958) ne
peut pas être considéré comme une déviance ou une hésitation eu égard à la forme
strophique trouvée, mais plus sûrement comme l’alternance d’avancées et de pauses dans
« maladroit », nous le confessons). Si nous avons à plusieurs reprises et dans différentes revues ou actes de
colloque parlé en critique ou étudié l’œuvre de Delavouët, c’est bien sûr pour lui rendre hommage et en
affirmer la valeur exceptionnelle. Plus de trente ans après cette publication, nous tenions à justifier notre
position qui, en 1984 comme aujourd’hui, n’a pas varié.
9
[…] « Il faut que tout passe, – Que tout passe par l’égout » (Mistral 1970, 564-565).
10
Nous nous préoccupons dans cette étude du premier aspect, celui de l’entame poétique des années 45-55 et
de la première livraison d’importance que constitue Pouèmo pèr Èvo.
11
Evo est orthographié Èvo dans la réédition de 2010, mais Evo dans celle de 1952 et de 1971, ainsi que sur le
titre figurant dans le manuscrit. Mistral graphie Èvo, mais il cite un exemple (« Dóu tèms d’Adam e d’Evo ») où
le mot Evo ne porte pas d’accent grave. Le provençal rhodanien a tendance à ouvrir la voyelle « e » en position
tonique ; la zone maritime présente quelques réalisations plus fermées (soulèu – souleu par exemple). Est-ce le
cas pour Evo – Èvo ? La position « intermédiaire » de la zone salonaise et de Grans en particulier a-t-elle joué
sur l’orthographe de ce nom ? S’agit-il plus simplement d’une notation propre à Delavouët dans les années
1950-1971 qu’il aurait corrigée par la suite ou une coquille se répétant d’édition en édition ? Une coquille ou
une erreur orthographique sur ce nom emblématique nous semblent exclues. Claude Mauron précise dans
l’édition de 2010 que Delavouët a apporté des « corrections et modifications de détail » sur son exemplaire
personnel de Pouèmo 1 ; Èvo peut donc en être une. Nous nous conformons donc aux modifications de
l’édition de 2010.
4
�l’appropriation poétique. On peut toutefois affirmer que, parallèlement à la recherche et à
l’adoption d’une forme appropriée au dire poétique, Delavouët s’adonne également à
d’autres travaux qui, et ce n’est pas les mésestimer que de les considérer de cette manière,
apparaissent être de l’ordre de l’accompagnement de l’œuvre dessinée en ce lieu et ce
temps uniques constitués par le Pouèmo. Si nous examinons donc l’ensemble de la
production poétique des années 1945-1960, depuis la première « Cansoun » publiée dans Fe
en janvier-février 1945 jusqu’à celle de L’Istòri dóu Rèi mort qu’anavo à la desciso en 1961,
l’œuvre tend singulièrement vers l’adoption de cette forme unique strophique qui demeure
aujourd’hui sa caractéristique majeure, même si quelques poèmes, principalement des
« Cansoun » et des activités périphériques au domaine poétique, mais en relation étroite
avec l’expression de ce dernier, semblent occuper Delavouët. La publication emblématique
des Pouèto Prouvençau de vuei de 1957 est l’occasion pour Delavouët non seulement
d’asseoir définitivement sa présence dans le concert provençal et de livrer quelques poèmes
qu’il juge suffisamment caractéristiques de sa production, un extrait du Cantico dóu
Bóumian que fuguè torèro, un autre tiré d’Uno pichoto Tapissarié de la mar et deux extraits
du Pouèmo pèr Èvo, ensemble représentatif de sa création poétique, mais présentant
clairement son évolution vers la forme fixe qui s’est imposée au fil des ans (Pouèto
prouvençau de vuei 1957, 214-223). En réalité, pour être plus précis, il nous faudrait
considérer la production littéraire et artistique du poète dans sa globalité ; se dessineraient
ainsi plusieurs Delavouët : le poète stricto sensu qui nous occupe, mais aussi l’écrivain
dramatique, le critique littéraire, l’animateur des regroupements poétiques provençaux,
essentiellement le Groupamen d’Estùdi Prouvençau dont il fut l’un des fondateurs en 1952,
puis, lien primordial avec la poésie, l’éditeur du Bayle-Vert et les relations étroites nouées en
ces années avec les peintres Auguste Chabaud, Henri Pertus et Jean-Pierre Guillermet. De la
même façon que nous posons comme préalable le singulier de Pouèmo, il faudrait
comprendre l’ensemble de ces activités créatrices comme l’accompagnement majeur d’une
direction que l’œuvre poétique a déjà prise. En effet comment ne pas concevoir par exemple
que la publication en 1981 de la remarquable préface à l’album Patrimòni intitulée La Dicho
dóu Vièi Granouien n’exprime pas une considération poétique élaborée sous d’autres formes
dans l’ensemble du Pouèmo ? Nous sommes donc en présence d’une œuvre protéiforme
dont on peut deviner sans grands efforts d’analyse le caractère unique, celui considérant
une « géographie poétique » relevant d’une cosmogonie, car, comme l’écrit Delavouët : « I’a
pas ges d’autre biais pèr coumprene lou mounde que de n’en poussedi plenamen un
moussèu »12 (Delavouët 1981, Mauron 2000).
L’unité s’élabore sur deux présupposés à l’œuvre très tôt chez Delavouët : l’adoption
d’une temporalité singulière du poème et la recherche d’une forme idoine qui conviendrait
le mieux à son expression13. Ainsi, des premières « Cansoun » aux dernières livraisons
poétiques, le poème apparaît chez Delavouët s’être largement étendu, empruntant les
cadres d’une amplitude remarquable dans la production d’oc de ces années, en aucune
façon comparable sur ce point aux autres tentatives poétiques, exceptée celle de Bernard
Manciet et son Enterrament a Sabres. Le temps s’est, semble-t-il, étiré très tôt, laissant place
à une durée poétique que singularise la forme strophique répétée à l’envi et plus
12
« Il n’y a pas d’autre façon pour comprendre le monde que d’en posséder pleinement un morceau. »
(traduction de notre fait).
13
Cf. l’exposition consacrée en 2015 et intitulée « Mas-Felipe Delavouët, poète du temps » et le catalogue qui a
été édité à cette occasion.
5
�généralement la scansion des vers et une prosodie inhérente au Pouèmo. Depuis les Cantico,
jusqu’au Calendié pèr Eleno et au Pouèmo pèr Èvo, l’œuvre poétique s’enclot dans ce temps
étiré qui est aussi temps de la langue et de toutes les possibilités linguistiques, lexicales et
syntaxiques que le provençal suscite. L’organisation en « ensembles » l’emporte sur
l’éparpillement, et la volonté de rassembler ce qui git épars dans la conscience devient une
quête, comme si le poète et l’homme, en recueillant ce qui avait été perdu, égaré, était en
quelque sorte un intermédiaire entre ce qui existe de toute évidence dans le dire et ce qu’il
faut réunir. La poétique de Delavouët apparaît très tôt liée à une volonté délibérée de
réunir, de façonner, de modeler le monde et d’en retrouver les signes dissimulés, de les
représenter et les mettre en lumière dans le poème. Que ce soit dans le Calendié pèr Eleno,
les Cantico ou évidemment le Pouèmo pèr Èvo, le poème tend à échapper au temps ou
plutôt à le suspendre, à l’enclore dans les cadres spatiaux et temporels de la page et de la
lecture, signifiant donc l’épreuve d’une lutte inexorable de celui qui dit contre le Temps qui
« l’enfrumino » (Delavouët 1971, 38, 2010, 66). Qu’il soit rythmé par les saisons et les jours,
reprenant en cela une veine hésiodique et virgilienne à l’œuvre dans la littérature d’oc
depuis le XVIe siècle, plus simplement calendaire ou renvoyé aux premiers instants de la
Création, la tentative de circonscrire le temps dans le poème apparaît manifeste et cela,
pour Delavouët, s’effectue dans le cadre d’une durée signifiée échappant aux contingences
de l’histoire pour se lover dans le mythe. La forme recherchée puis adoptée est donc une
nécessité primordiale de l’œuvre mise en chemin dès les années d’après-guerre et ne
constitue pas seulement ce qui apparaît de l’ordre d’une prouesse versificatrice ou
linguistique, mais ce qui modèle la pulsation poétique en lui imprimant un sens et en
accueillant en son sein une parole librement déployée.
Cinq attendus sous-tendent ce cheminement : le premier est évidemment
conditionné par le choix d’une poétique, le second se noue à la temporalité, le troisième
peut se poser en termes de filiations littéraires, le quatrième est plus spécifiquement
linguistique et le dernier renvoie à des considérations psychiques. Ces présupposés ne
signifient aucunement un cheminement théorique clairement assumé, mais se définissent
dans la geste poétique bien plus que dans le discours. Même si Delavouët ne répugne pas à
s’expliquer, notamment lors de ses entrevues écrites ou filmées, il ne souhaite pas accéder
aux formes classiques de la théorisation poétique, au « traité » qu’il n’a jamais écrit, mais qui
demeure exprimé en filigrane de ses poèmes. Le seul commentaire clairement assumé du
poème est le poème lui-même ou son accompagnement majeur constitué par le dessin, les
bois gravés, les lithographies ou autres expressions picturales liées aux éditions. Le caractère
d’imprimerie d’ailleurs créé par le poète lui-même14, s’il figure comme un travail de la main
au sens noble de cette expression, rehausse par l’œuvre calligraphique l’image que le poème
donne de lui-même ainsi que sa spatialité unie au temps.
La quête d’une forme adaptée et unique reflète une entreprise pensée et ordonnée
suivant une direction bien précise. Elle est bien repérée dans l’appropriation des formes
poétiques et littéraires depuis les origines du poème telles que la littérature occidentale le
conçoit. En réalité, qu'elle soit d’ailleurs occidentale ou orientale, la forme influe sur le sens
et le modèle à son tour, le choix du cadre spatial et linguistique n’étant en aucune façon
neutre et dégagé de tous présupposés littéraires et même psychiques. Nous ne disserterons
pas ici sur ce qui est relatif à l’histoire littéraire des formes fixes, même s’il serait intéressant
14
Cf. l’exposition organisée au Centre Delavouët en 2009 intitulée « Naissance d’un caractère » (reprise à
Gréoux-les-Bains en 2015), ainsi que le catalogue édité retraçant les conditions de cette création
typographique et son développement (cf. la communication d’Estelle Ceccarini dans les actes de ce colloque).
6
�d’examiner le choix de Delavouët à l’aune de la littérature d’oc et plus largement française
et européenne. L’affirmation de la strophe telle qu’elle se révèle dans Pouèmo ne souffre
d’aucune contestation : la poésie de Delavouët évolue peu à peu vers cette forme singulière
qui n’est pas, comme l’a noté Claude Mauron, un calque ou même un simple reflet de la
versification mistralienne (Mauron 1995). On peut affirmer que les germes de cette strophe
se trouvent dans les productions antérieures au Pouèmo pèr Èvo, que ce soit dans les
Cantico ou plus sûrement dans le Calendié pèr Eleno dont la forme, des dizains comportant
des décasyllabes, apparaît la plus proche de l’aboutissement final de Pouèmo15. On peut
donc dire qu’au tout début des années cinquante l’affaire est entendue : la forme strophique
singulière est acquise, même si l’écriture et la publication du Pouèmo pèr Èvo la sanctifient a
posteriori. Le lecteur de 1952 peut penser qu’il s’agit d’une appropriation singulière,
inhérente à ce seul poème, d’autant plus que le Calendié pèr Eleno vient quelque peu
troubler le jeu lors de ses publications postérieures à 195216, jusqu’à la livraison définitive
dans deux numéros de Fe (Delavouët 1958). Le poète publie d’ailleurs dans des revues des
poèmes déjà connus, des traductions en français, ce qui a pu laisser penser que sa
production poétique n’obéissait pas à cette forme unique.
En réalité, la périodisation d’écriture et l’ordre des publications semblent être deux
choses différentes : Delavouët commence le Pouèmo pèr Èvo le 11 juillet 1950 et l’achève le
22 janvier 1952 comme il l’indique lui-même sur son manuscrit (Cahiers du Bayle-Vert 1
2010, 18) ; il publie en 1955 dans une livraison de Marsyas une Alegourìo de la Bello Sesoun
et La Dansairis dans un numéro de Fe, extraits du Courtege de la Bello Sesoun et de la Danso
de la pauro Ensouleiado qui prendront place pour le premier poème dans Pouèmo 1 et pour
le second dans Pouèmo 2. Si l’on ajoute à ces deux publications celle en 1957 de l’Istòri dóu
Rèi mort qu’anavo à la desciso dans Fe, nous pouvons penser qu’une grande partie des
poèmes réunis par la suite dans Pouèmo 1 et 2 ont été écrits entre 1952 et 1957, et tous
dans cette même forme strophique17. La quête formelle apparaît donc aboutie dès 1952,
sans que le lecteur puisse vraiment le constater ; il le peut lors des livraisons successives
dans quelques revues des extraits du Courtege et de la Danso de la pauro Ensouleiado et
plus sûrement lors de celle de l’Istòri dóu Rèi mort qu’anavo à la desciso, soit en revue en
1957, soit lors de l’édition du Bayle-Vert en 1961. Enfin, il est évident que cette
appropriation s’expose pleinement lors de la publication de Pouèmo 1 en 1971. À bien y
penser, les années 1950 paraissent fécondes, comme si, la forme enfin révélée, Delavouët
avait pu librement déployer une parole trop longtemps retenue et qu’il ait trouvé pour son
poème un cadre adéquat, un espace linguistique et poétique convenant à sa juste mesure.
La strophe n’est plus une strophe, un outil poétique, mais devient un miroir où la langue et
15
Claude Mauron ayant étudié la strophe du Pouèmo, nous n’y reviendrons pas (Mauron 1995). Quant aux
rapports à la fois formels et thématiques avec le Calendié pèr Eleno, ils nous paraissent féconds, mais
complexes, et demanderaient une étude spécifique.
16
Le Calendié pèr Eleno fut commencé en septembre 1952 et terminé le 22 février 1953. Quelques livraisons en
revue : « Mai » (Fe, n°155-156-157, printemps 1953), « Mars » (Armana Prouvençau 1954), « Avoust (La Vierge)
– Abriéu » (lou Gabian 1, 1955), « Un Nouvè pèr Eleno (Desèmbre) » (Reflets de la Provence et de la
Méditerranée, n°10, décembre 1955-janvier 1956). Le Calendié pèr Eleno devient par la suite Lou Calendié
d’Eleno, révélant un changement de préposition à l’inverse de celui du Pouèmo pèr Èvo. Le poète eut de
nombreuses fois l’idée de publier ce poème dans sa collection des livres du Bayle-Vert (Cahiers Bayle-Vert 6
2015, p. 34-36).
17
Le manuscrit de l’Istòri dóu Rèi mort qu’anavo à la desciso porte la date d’achèvement du 11 avril 1957
(Cahiers du Bayle-Vert 4 2013, 26).
7
�la poésie peuvent se refléter et, au-delà d’une simple image, atteindre des dimensions
inégalées, celles de « l’être-au-monde » que ne cesse d’interroger le poète. Fausta Garavini
résume bien cette tension entre la forme et la parole, de telle sorte que la forme devient
elle-même parole :
[…] le costruzioni che Delavouët […] pazientemente elabora sul canovaccio di partenza, strofa
dopo strofa, in un uguale susseguirsi di allessandrini tesi a rendere in cadenze piane e robuste
il colloquio dell’uomo col monde. (Garavini 1967, 239)18
Le choix de la forme révèle une temporalité poétique. Outre le fait que toute cette
somme est clairement orientée contre le Temps, signifiant à l’homme d’une part sa fragilité
et d’autre part sa place bien souvent ignorée, elle met en œuvre un dialogue fécond entre
l’être et le monde – minéral, végétal, animal, céleste, liquide… – et au-delà envisage de
définir ce qui demeure de l’ordre du mystère. Éclaircir tant soit peu ce mystère qui fait
demeurer l’homme sur terre, tenter d’en cerner si ce n’est le sens du moins les raisons de
vivre qui l’attachent à la beauté et à l’amour, tout cela figure en germe dans les premiers
textes de Delavouët, mais s’exprime plus librement à partir de 1952. La forme longue et
strophique, qu’il ne faut pas par ailleurs confondre avec le poème narratif, initie non
seulement un affrontement au Temps, mais inscrit la parole dans la durée, la voix n’étant
plus semblable à celle de l’éclair, de la fulgurance chère à René Char, mais à l’étirement dans
l’espace et à la propre temporalité du poème. Si le poème delavouetien s’inscrit dans cette
forme et pas dans une autre, c’est qu’elle lui offre une durée singulière qui ne doit pas être
assimilée au Temps ; elle en est un aspect somme toute fragmentaire, comme une partition
ne serait que le lieu et l’écoute d’une composition plus ample, sans commencement ni fin. La
forme tend le vers et la phrase poétique où se déploie la parole selon son appropriation
particulière, d’un point à un autre, reprenant les images délaissées afin de les poursuivre
légèrement modifiées par une nouvelle perception. On aurait pu penser que le poème conçu
comme une « machinerie » tournerait en quelque sorte « à vide », pouso-raco de paroles et
d’images, mais si Delavouët demeure comme l’affirme Robert Lafont un « posandièr »
(Lafont 1993), il ne puise pas en vain de l’eau à un puits poétique ; ce qu’il trouve dans le
monde réel et mythique est restitué dans ce temps du poème, préfigurant un lieu où
l’homme pourrait être, pour un instant, à l’abri et où, il est accompagné par des mythes
fondateurs et des images qui sont les siennes afin de les offrir, de les pourgi et de les
semoundre avant que la nuit ne se fasse et que la mort n’accomplisse notre destin19. Nous
nous trouvons devant une quête que le déploiement de la forme facilite, car le logement du
poème s’en trouve à son aise, à la fois dans la répétition quasi obsessionnelle, du moins
entêtée, et dans le modelage auquel la langue se plie.
D’une certaine manière, Delavouët crée ainsi, comme tous les grands poètes de son
siècle, Manciet en premier lieu, une langue, non pas du point de vue strictement
linguistique, mais en fonction des modalités intrinsèques du provençal mises au service
d’une parole : langue tendue et syntaxe étirée, quelquefois fragmentée mais jamais
disloquée, langue rendue avec souplesse et constituant une image d’un provençal propre à
son œuvre. Peu d’écrivains d’oc sont arrivés à ce point de l’élaboration linguistique et
littéraire, exceptés dans les siècles derniers Mistral et d’Arbaud, puis Max Rouquette,
18
« […] les constructions que Delavouët […] élabore patiemment sur le canevas de départ, strophe après
strophe, en égales successions d’alexandrins tendus afin de restituer en cadences mesurées et robustes
l’entretien entre l’homme et le monde. » (traduction de notre fait).
19
Sur les mythes dans l’œuvre, nous renvoyons bien sûr à l’ouvrage de Jean Thunin (1984).
8
�Bernard Manciet, Lafont dans la Cantata de la misèria dins Arle et plus près de nous Joan-Luc
Sauvaigo qui façonne admirablement un niçois singulier à bien des égards. Le fait est assez ?
rare pour qu’il puisse être remarqué : on peut reconnaître la voix poétique de Delavouët à la
première lecture, on y perçoit non seulement ce qui est de l’ordre du littéraire, mais aussi ce
lien singulier entre langue et littérature que la critique d’oc, engluée dans d’autres
reconnaissances et d’autres préoccupations, n’a pas su reconnaître à sa juste valeur. Nous
touchons là à l’élaboration la plus profonde et la plus secrète liant le poète à sa langue, à ce
qui ne doit pas être assimilé à une référence linguistique locale empreinte d’un discours
régionaliste20, mais ce qui demeure de l’ordre de l’appropriation linguistique, formelle et
littéraire. Reconnaître dans la poésie de Delavouët une temporalité singulière et
ascensionnelle ne peut pas être séparé d’une référence linguistique qui ne se contenterait
pas de signifier une appartenance provençale. On objectera à cela que cette poésie est écrite
en langue d’oc, et personne ne pourra le nier, mais Delavouët façonne, modèle à tel point
son provençal, à partir des connaissances orales et écrites qui furent les siennes, pour que le
Pouèmo en demeure à ce point si singulier dans l’évidence du lien tissé entre Temps et
langue.
L’incipit du Pouèmo pèr Èvo nous permet d’illustrer notre propos. On y trouve ce qui
constitue pour nous une marque linguistique et littéraire qui rapproche par exemple
Delavouët de d’Arbaud, curieusement le prosateur plutôt que le poète, et qui fonde le
poème.
Mai liuen que dous lebrié se courrènt à l’après
se batrien dins un jour dóu camin que s’estiro,
i’ avié la terro e sa fourruro de fourèst
que prenié lou soulèu mai liuen que touto amiro ;
i avié mai liuen que mi dous iue,
la terro e lou soulèu que sourtien de la niue.
(Delavouët 1971a, 8, 2010,6)21
Le renvoi de la proposition principale, procédé que l’on retrouve très souvent chez
Delavouët et qui existait déjà chez d’Arbaud, participe à l’élaboration d’une syntaxe où le
lecteur ne peut agir qu’en actant du sens ; il ne se contente pas de comprendre, il doit
nécessairement recomposer non seulement ce qui est de l’ordre de sa compréhension
immédiate, mais plus encore le propos dans son ensemble. Les « jeux d’échos » de « mai
20
La reconnaissance linguistique entamée depuis l’œuvre mistralienne s’entête parfois à reconnaître dans la
poésie de Mistral la juste restitution du parler de Maillane (ce qui d’un strict point de vue linguistique est
d’ailleurs erroné), comme si la langue employée par les écrivains d’oc devait être le miroir d’une expression
linguistique locale. Ce débat, en germe dans le mistralisme des années d’après-guerre ainsi que dans
l’occitanisme, efface les liens évidents entre l’élaboration littéraire et la langue, pour y substituer ceux entre les
références dialectales, sociolinguistiques, et l’usage que la littérature doit en faire. Ainsi, le débat entre les
tenants de « la langue mistralienne », essentiellement Sully-André Peyre et ceux d’un provençal plus en
conformité avec un autre usage (la variante marseillaise pour Jòrgi Reboul) dans les années d’après-guerre
pourrait être analysé de ce point de vue, tout comme les réflexions occitanistes sur le rapport entre dialecte et
langue littéraire. Nous avons conscience de soulever un problème bien plus complexe, mais la poésie de
Delavouët nous apparaît justement vouloir être, sans que cela soit sa première intention, un dépassement de
cette problématique pour le moins contraignante.
21
« Plus loin que ce que deux lévriers se poursuivant, – pourraient parcourir en un jour du chemin qui s’étire, –
il y avait la terre et sa fourrure de forêts – qui prenait le soleil plus loin que tout point de repère ; – il y avait,
plus loin que mes deux yeux, – la terre et le soleil qui sortaient de la nuit. » (Delavouët 1971a, 9, 2010, 7).
9
�liuen » et « i’ avié la terro » induisent non seulement une insistance, ce qui est leur propre
fonction, mais participent à l’équilibre d’architecture qu’évoque Philippe Gardy et que nous
ramenons ainsi à celui de la strophe, comme si « mai liuen » entendait pleinement
« soutenir » l’aplomb ainsi constitué, par l’appui sur l’incipit proprement dit et le cœur de la
strophe, répondant en écho à cette « niue » originelle fermant le propos de la période. La
langue dissimule et découvre à la fois : elle n’est pas constituée par l’évidence du propos,
comme si le texte poétique n’avait ni commencement ni fin, ce que souligne l’emploi de
l’imparfait et du conditionnel, le poète prenant la parole à cet instant afin de décrire ce qui
est apparu aux yeux de l’Homme lors des premiers temps de la Création. En fin de compte, la
langue employée ici se love dans la durée, laissant le lecteur en attente du propos central,
étirement du souffle poétique dont on devine pourtant l’évidence. L’image des deux lévriers
parcourant l’espace à l’infini accompagne la dimension temporelle, l’espace étant
nécessairement Temps, étendue illimitée à la vue – que l’on songe à l’horizon de plaine se
découvrant vers la Crau ou à l’étendue des coussou environnant le Bayle-Vert – que l’homme
et ses chiens ne peuvent pas épuiser22. Les choix lexicaux participent également à cet
étirement du temps et de l’espace, notamment ce « se courrènt à l’après », tout comme les
orientations syntaxiques et morphologiques, telles ce « jour dóu camin que s’estiro »,
référence évidente à ce même étirement du temps que la nuit va pourtant enténébrer, le
« jour » devenant ainsi une mesure du temps et de l’espace. Ce « courrènt à l’après » est
choisi à dessein : non seulement il vient supplanter un banal « se perseguissènt » ou « se
seguissènt », mais il définit par l’emploi de « à l’après » de la locution ce temps d’après
comme si les hommes et les lévriers devaient poursuivre éternellement une route qu’ils ne
pourront jamais tout à fait parcourir, comme s’il n’y avait pas de fin à cet « après ». Le choix
est ici à la fois populaire, la locution étant couramment employée dans la langue orale, et
savant, car l’usage oral rencontre une organisation réfléchie du temps et de l’espace, course
sans fin que celle de la vie des hommes. Les choix lexicaux se réfèrent à un usage courant en
ces années d’écriture, ou plus sûrement au provençal que Delavouët a entendu dans son
enfance et sa jeunesse, mais c’est leur composition et leur ordonnancement qui révèlent un
lien patiemment tissé entre la forme strophique, le propos sur la Création et le Temps et la
langue elle-même sujette à l’étirement. Ainsi à cette strophe correspondrait une seule
période qui entendrait définir le propos de l’espace et du temps infinis, tous deux
métonymiques de la parole poétique et du Pouèmo qui va se faire, en somme déjà conçu
avant d’être écrit.
Si l’on fait exception de la forme strophique, voisine mais pas identique, l’incipit du
Calendié pèr Eleno procède de la même manière et diffuse les mêmes effets poétiques et
linguistiques :
Vers li merlet auturous de la vilo
pèr ié vèire aquest jour se leva d’ouro,
Se vènes, tu, ‘mé la danso tranquilo,
Eleno ! ‘mé ti man, ti dos tourtouro
nascudo dins li trefouns de la niue,
que saches, tu, qu’aièr, bello finido,
Ivèr es mort sus un lié de plouvino
e que bèn lèu, bèn lèu rejouvenido
22
Le lien entre l’homme et le lévrier est signifié dans la langue, « lebrié » désignant également selon Mistral un
vagabond.
10
�Primo sara, se toun cor la devino
i nòvi flour que van frusta tis iue.
(Delavouët 1958, 49)23
Le propos n’a pas ici la force cosmogonique des premiers vers du Pouèmo pèr Èvo,
mais apparaît plus circonstancié, utilisant des ressources linguistiques moins élaborées, mais
toujours choisies avec soin. L’inversion syntaxique qui fait la force de l’incipit précédent se
retrouve ici, ainsi que l’étirement de la phrase institué dans la période de la strophe. Il est
remarquable que le procédé poétique delavouetien, qui n’est certes pas de son invention,
agisse ici en dénominateur et révélateur d’une poétique en train de s’installer dans le cœur
même du poème. Nous assistons, sans doute à peu de temps de distance, avec ces deux
poèmes à une naissance d’une écriture, à une installation dans la langue poétique constituée
par un provençal d’écriture inégalé en ces années d’après-guerre.
L’amont de l’écriture a été maintes fois repéré et notamment analysé par la
psychanalyse du texte littéraire. Delavouët l’a lui-même explicité en signifiant le paradoxe de
la facilité de l’écriture stricto sensu et la complexité de ce que Didier Anzieu a nommé
comme un « saisissement psychique » (Anzieu 1981). S’exprimant à propos de l’écriture
quotidienne, le poète affirme :
Écrire, c’est ce qu’il y a de plus facile. […] Vous savez, j’avais un vieil ami qui me disait
toujours : « Ce qu’il y a de plus dur quand on écrit un livre, c’est d’attendre. » On ne cesse de
se dire : « Mais tu ne fais rien ! » Pour moi, c’est le pire moment. J’attends jusqu’à ce que
j’aie envie de travailler, et c’est très fatigant. […] En réalité, on ne crée rien. On découvre. Et
si l’on découvre quelque chose, cela veut dire que c’était là avant. (Polyphonies 1996, 2526)24
La découverte du monde est donc celle de ces signes plus ou moins dissimulés que le
poète met en lumière, alchimie poétique, « œuvre au noir » que la langue façonne dans son
creuset et qui existait au préalable du poème. De ce point de vue, le poète découvreur lit le
monde tout autant qu’il le crée, devenant un intercesseur entre ces signes, leur fondement
métaphysique et les hommes, n’étant pas celui qui sait, mais celui qui fait, celui qui trouve
ce qui se cachait et qui était pourtant à portée de main, de voix, puissions-nous voir ces
signes et écouter cette parole. Il n’est donc pas étonnant que l’essentialité du poème
précède sa réalisation, Mas-Felipe Delavouët concevant sa poésie comme celle d’un
déchiffreur, d’un laboureur des mots. De cette attente dans l’amont du poème et de cette
nature de descuberto découle l’attention portée au monde minéral et végétal, comme si
sous la feuille, sous la pierre, tout un monde pouvait se révéler, un monde tout aussi
complexe que celui organisé par les hommes et où demeure, insoupçonnée, la parole de la
Création.
*
23
« Vers les créneaux altiers de la ville, – pour y voir ce jour se lever de bonne heure, – si tu viens, avec ta
danse tranquille, – Hélène, avec tes mains, tes deux tourterelles – nées dans les tréfonds de la nuit, – que tu
saches, toi, qu’hier, heureuse fin, – Hiver est mort sur un lit de gelée blanche – et que bientôt, bientôt
ressuscité – Printemps sera, si ton cœur le devine – aux jeunes fleurs que vont frôler tes yeux ».
24
Delavouët ne donne pas le nom de ce « vieil ami ». S’agit-il de Charles Mauron ? D’Auguste Chabaud ? De
Jean-Calendal Vianès ? D’un autre écrivain ? L’imparfait employé lors de cette entrevue en 1978 laisse penser
que cet ami n’est plus vivant à cette date.
11
�Il n’est pas de notre propos de proposer une lecture critique complète du Pouèmo
pèr Èvo ; cette étude a été effectuée et nous n’y reviendrons pas (Magrini 2010 a, Moucadel
2010). Nous voudrions simplement, et de façon nécessairement imparfaite, relire le Pouèmo
pèr Èvo à l’éclairage de notre préoccupation, celle de l’espelido d’une écriture et de tenter
d’en désigner l’orientation singulière trouvant son accomplissement dans l’ascension du
Pouèmo. Il est toutefois évident que cette assomption influe sur la lecture du Pouèmo pèr
Èvo dans la mesure où son étude strictement limitée à ce seul poème ne peut laisser
découvrir ce qu’est réellement le déploiement de la parole poétique de Delavouët. Elle
prend tout son sens dans l’analyse globale du Pouèmo, y compris le dernier volume publié
post mortem qui doit être compris comme l’ultime marche de cette ascension (Delavouët
1992). Cette perspective pose un problème de critique littéraire : l’étude d’un ensemble
poétique, qu’il soit assumé ou pas, ne peut s’effectuer que dans sa globalité, ce qui induit
l’idée d’une méconnaissance de fait de cette projection vers le poème unique en 1952, date
de la première publication du Pouèmo pèr Èvo ; ce qui aurait pu toutefois être de l’ordre
d’un sentiment devient, les années s’écoulant, une certitude. La lecture critique de l’œuvre
de Delavouët pose ce problème et il n’est pas étonnant que les études qui ont été menées
depuis une quarantaine d’années aient mis du temps à se mettre en place, à dégager ce qui
est de l’ordre et de la matière d’une poétique singulière en acquérant de plus en plus
d’amplitude. Si dans les années cinquante le Pouèmo pèr Èvo, puis les autres publications qui
s’ensuivent jusqu’à celle de l’Istòri dóu Rèi mort qu’anavo à la desciso peuvent revêtir un
caractère d’étrangeté dans le concert provençal, la perspective en demeure
considérablement changée à l’orée des années soixante. De 1945 à 1952, Delavouët est
reconnu comme l’un des jeunes poètes prometteurs que la publication des Cantico sanctifie
(le prix Frédéric Mistral lui est attribué en 1951), tout comme son ami Jean-Calendal Vianès
ainsi que d’autres poètes, Charles Galtier, Pierre Millet, Fernand Moutet par exemple. Ce qui
est en germe en ces années n’est pas visible, sauf chez quelques esprits éclairés qui ont, à
des degrés divers, reconnu en Delavouët des possibilités poétiques remarquables25. Il fallait
toutefois posséder un don certain de « divination » poétique ou une connaissance fine de la
langue et la littérature d’oc pour qu’un lecteur puisse reconnaître aux seules premières
livraisons le poète que Delavouët est devenu. On peut donc considérer que les Cantico
constituent l’affirmation de la naissance à la poésie à partir de 1950, date de leur publication
en volume sous le titre générique de Quatre Cantico pèr l’Age d’Or (Cantico 1950),
production remarquée à laquelle s’ajoute Uno pichoto Tapissarié de la mar l’année suivante.
25
Relevons d’entre tous ces articles ceux de Pierre Boutang parus dans Aspects de la France en 1951 et 1954
(réunis en volume en 2003 dans La Source sacrée (le Rocher) sous le titre « Max-Philippe Delavouët : L’Âge d’or
et le Poème pour Ève », publiés partiellement in Cahiers du Bayle-Vert 1 2010, 24-32) ainsi que ceux de René
Jouveau dans Fe en 1951 et 1952 et de Sully-André Peyre dans Marsyas en 1954 (Mauron 1992, 20, 28, 24). Il
faut attendre les deux articles de Jean Larzac dans les Cahiers du Sud et Òc en 1962 pour que la critique
occitaniste s’intéresse à la poésie de Delavouët, si l’on excepte bien sûr les correspondances privées. Les
articles de Pierre Boutang ont servi de prétexte à des allusions politiques parfois douteuses comme celle
proposée par Ives Roqueta dans un numéro de la revue Occitans ! en 1991, ce qui suscita une réponse de
Claude Mauron dans la même revue (Mauron 2001, 10, 13). Pour notre part, nous n’avons pas attendu
« l’onction » d’Ives Roqueta pour signifier l’importance de cette poésie (cf. Impressions du Sud 1984, 24, 1991,
80, Les Lettres françaises 1991, 7), tout comme Philippe Gardy qui donna en 1984 une recension de Pouèmo 4
dans la revue Jorn (Mauron 1991, 87). Il faut aujourd’hui réévaluer ce jugement politique qui n’engageait que
l’auteur de cet article, non seulement du point de vue de l’histoire littéraire, mais aussi de celui de la
personnalité de Pierre Boutang qui, si elle n’est pas exempte d’un certain engagement, n’en demeure pas
moins celle d’un philosophe exigeant et d’un critique fin et intelligent.
12
�On peut également affirmer que la publication en 1952 du Pouèmo pèr Èvo constitue non
seulement l’approche finale vers la forme unique, mais également l’entrée dans l’œuvre
singulier se déroulant sur près de quarante ans d’écriture. Ces considérations posent
clairement le principe d’une lecture du Pouèmo privilégiant la continuité du Pouèmo pèr Èvo
jusqu’à Cant de la tèsto pleno d’abiho, dans un seul mouvement, une seule respiration,
même si ce temps est nécessairement long et étiré26. Cette lecture pose évidemment le
problème des éditions partielles du Pouèmo qui répondent à une tout autre destination et
entendent faire connaître une œuvre à un public que la somme des cinq volumes rebuterait.
La solution idéale n’existe pas en ce domaine, mais le mouvement directionnel donné en
1952 par le Pouèmo pèr Èvo se clôt de toute évidence par le dernier volume publié après la
mort du poète, chaque poème composant cette somme et devenant une partie d’une
totalité livrant son unité avec parcimonie. C’est d’ailleurs ce dialogue fécond entre ces
« parties » – et d’entre elles l’Istòri dóu Rèi mort qu’anavo à la desciso a souvent été lue de
façon autonome – qui constitue la richesse de cette œuvre ; elle n’en devient pas moins
insaisissable, le lecteur, quoi qu’il fasse, étant frustré d’être soumis à la fragmentation ou à
l’unité, même si pour nous, le sentiment ascensionnel prime sur toute autre considération.
Le manuscrit du Pouèmo pèr Èvo comporte la mention : « Ataca lou 11 de juliet de
1950, acaba lou 22 d’abrieu de 1952 au Baile-Verd » (Cahiers du Bayle-Vert 1, 2010, 18). La
composition du poème s’effectue donc en deux années qui occupent à plein temps
Delavouët. La correspondance échangée entre le poète, ses amis et Arlette – qui deviendra
son épouse – évoque une écriture parfois difficile, pour le moins exigeante. Le titre original
est quelque peu différent : le manuscrit comporte la mention Pouèmo d’Èvo, ce qui peut
donner lieu à plusieurs commentaires, la préposition initiale n’étant pas absolument liée à
une dédicace ou à une destination, mais plus assortie à une appartenance ou à une
description de la « première femme ». Le « pèr » indique plus clairement l’origine de la voix
d’Adam, celui qui est à la fois narrateur et auteur, métonymie sur ce seul point du poète
créateur. L’intention d’écriture est explicitée par le poète, recourant aux bas-reliefs du dôme
de Bologne ou à une épiphanie maritime distribuée entre Gien où le poète est caserné et
Campu dell’Oru, plage ajaccienne où l’idée du poème lui vint en esprit (Cahiers du Bayle-Vert
1, 2010, 20). La mer apparaît ici fondatrice de la création, rivages méditerranéens que le
poète affectionnait et qui, au-delà de leur propre présence physique, ressourcent les mythes
bibliques et antiques. Enfin, dernière remarque, le poème est dédié à « Arlette » dans
l’édition de 1971, dédicace certainement rajoutée lors de la publication chez Corti : ce « pèr
Arleto » renforce évidemment le transfert vers Èvo, ne serait-ce que par la préposition
partagée, mais également par l’intention de louer la femme aimée, inspiration dantesque et
pétrarquisante manifeste. La dédicace ne figurant pas dans la réédition de 2010, seul le
volume de Pouèmo établit un lien entre Èvo et la femme à qui le poème est dédié, ce que
nous devons reconnaître pour notre propos.
L’évidence cosmogonique du Pouèmo pèr Èvo s’impose. Nous notons ici ce qui a déjà
été relevé : la naissance à l’œuvre s’appuie sur des éléments bibliques inspirés par La
Genèse, fondus parfois avec d’autres images mythologiques, notamment celle de Vénus
sortant des eaux, tout cela mettant en lumière quelques idées fondamentales constituant un
socle primordial pour l’œuvre. Ce sont ces idées, notamment celles du Paradis perdu et du
désir sur lesquelles nous voudrions mettre l’accent en nous préoccupant des premières
26
Ainsi pouvons-nous souhaiter une lecture orale de cette œuvre d’un seul tenant, à plusieurs voix, en un soir
clair d’été provençal…
13
�strophes, mais ne nous privant pas d’incursions dans l’ensemble du poème et même du
Pouèmo. Le pari critique qui est le nôtre se fonde sur le sentiment que les images
récurrentes révélées par l’œuvre, notamment celles de l’arbre et du soleil repérées et
analysées notamment par Céline Magrini (2010b)27, s’inscrivent dans un cadre général
répondant à deux ou trois idées maîtresses, celle du Paradis perdu, ainsi que sur une
« écriture du désir » souvent dissimulée, ne se limitant pas aux seules manifestations de la
libido au sens freudien du terme, mais plus sûrement ancrée dans la nature de « l’être-aumonde » se définissant avant tout comme un « être-désirant ». Ainsi, le Paradis perdu que
l’homme recherche et que le poème recompose s’élabore-t-il comme une volonté affirmée
de « l’être-désirant » de découvrir un paysage dissimulé à sa vue ; les signes du monde qu’il
dévoile permettent au poète de les mettre en lumière et ainsi d’accorder à toute vie
humaine un sens, celui du déploiement de la parole et de l’affirmation de son être par la
puissance du dire. Comment ne pas concevoir alors que le mouvement directionnel ne soit
pas celui d’une assomption, élévation de l’être vers un ailleurs intelligible, pourtant façonné
par une réalité première, celle des éléments naturels qui composent le monde, géographie
physique et humaine qui a été celle du poète tout au long de son existence ? Comment ne
pas comprendre que cette aspiration ne soit pas spirituelle, religieuse au sens premier du
terme28, définissant l’homme par sa pensée, ses sensations et ses sentiments existentiels
tout autant que par sa geste, ces deux natures n’étant en aucune façon incompatibles ? La
recherche de cette parole originelle s’articule donc autour de la notion du Pouèmo inscrit
dans le Temps, mais s’affronte à son action, à son usure, celle de l’homme et des objets, à
son déroulement auquel s’oppose avec force toute la ténacité et la majesté de l’élévation,
celle de l’arbre inversant ses racines vers le soleil ou celle de l’homme qui, patiemment, tisse
une demeure de paroles afin de déchiffrer les signes enfin reconnus de l’espace qu’il habite.
Les premiers vers affirment l’immensité de la terre que le regard d’Adam parcourt
sans en trouver les limites, terre échappée des ténèbres que le soleil réchauffe et éclaire –
« soulèu » est sans aucun doute une des occurrences les plus rencontrées dans ce poème et
même dans l’ensemble de l’œuvre – en ce jour nouveau de la Création. La terre n’est pas en
soi « gaste », pas encore dévastée par les hommes, car ce temps est celui de l’après
immédiat du Péché originel, le fruit ayant déjà été mordu, le désir ayant déjà été rencontré.
Elle n’est pas une « waste land » selon la description qu’en donne T. S. Eliot29, mais ne
constitue pas un jardin d’Eden, au sens propre et figuré du mot, car l’accent n’est pas mis sur
la luxuriance de ce Paradis, ni même sur la « faute », mais tout au long du poème sur la
quête amoureuse d’Adam et la rencontre d’Ève. Cette rencontre, semblable à celle illustrée
par la lyrique amoureuse, induit l’idée de la perte du Paradis, mais aussi celle du désir, car la
27
Elles sont reprises dans le titre du film de Jean-Daniel Pollet, L’arbre et le soleil : Mas-Felipe Delavouët et son
pays, tourné en 1989 et 1990 et diffusé en octobre 1991 sur la chaîne de télévision « la Sept » dont on peut
regretter qu’il ne soit pas actuellement accessible.
28
Au sens premier de « religere ». Cette religiosité pose indirectement que la question de Dieu qui, comme
René Moucadel l’a justement remarqué, est effacé dans le Pouèmo pèr Èvo au profit d’une « astrado »
(Moucadel 2010, 82).
29
Notre référence à Eliot n’est pas neutre. Elle souligne la connaissance de la littérature anglaise par
Delavouët, de Milton jusqu’aux écrivains de Bloomsbury. Charles Mauron, ami intime du poète, était lecteur et
traducteur de littérature anglaise (Sterne notamment) et a fréquenté les membres de Bloomsbury, notamment
les Woolf (il est cité de nombreuses fois dans le Journal de Virginia Woolf qui le rencontre lors de ses séjours
provençaux). Une photographie publiée sur le site du Centre Delavouët montre le poète au Bayle-Vert en 1961
en compagnie de Charles Mauron et d’E. M. Forster. Tout un cheminement d’intertextualité et de lectures
devrait ainsi être défini.
14
�caractéristique d’Adam et d’Ève est celle de leur double naissance : apparition au monde
selon la volonté divine, mais également pulsion de désir qu’ils ressentent l’un pour l’autre
une fois le fruit de l’arbre de la connaissance cueilli et mangé. Tout cela ne peut exister sans
la perte originelle du Paradis. Or ce qu’exprime Delavouët, au-delà des ornements bibliques
du poème, c’est bien le sentiment d’un Paradis perdu que l’homme aurait fui, négligé, oublié
et qu’il lui faudrait retrouver. Cette idée prend sa source évidemment dans la lecture de La
Genèse, mais aussi dans le mythe de l’Âge d’or dont on sait qu’il est ovidien et virgilien. Nous
pourrions gloser à l’infini sur l’intertextualité qui se dessine, des écrivains de l’Antiquité
jusqu’à Milton30 et tous les poèmes cosmogoniques, La Divina Commedia en premier lieu.
L’Âge d’or et le Paradis perdu demeurent de ces thèmes littéraires qui renvoient
immanquablement à la situation de « l’être-au-monde » : la définition d’un espace et d’un
Temps égarés de la conscience humaine signifient a contrario que la place de l’homme en
son époque et son habitat demeure étroite, et qu’il garde le souvenir ancestral d’un lieu
paradisiaque où justement Temps et espace alliés devaient être considérés autrement et
non pas à l’échelle de la mesure humaine. Or il ressort de ce Pouèmo pèr Èvo une
dichotomie de l’entre-deux, comme si l’homme se tenait toujours à l’errour comme le dit le
provençal, au crépuscule où le fruit dans le pommier est remplacé par « lou grand soulèu
saunous »31 (Delavouët 1971, 8, 2010, 8). Images du soleil, du sang et du père sont ainsi
associées et définissent le cadre spatial d’un Paradis, celui d’Adam donc celui d’après, où
règnent les éléments sanguinolents du crépuscule et où l’homme n’aura d’autre quête que
celle d’une recherche infinie.
La quête d’Adam, quête d’Ève et de l’image de la femme, est celle découverte par le
désir. La Genèse dit en d’autres mots ce que le freudisme a affirmé : la naissance de
l’homme est double, elle est premièrement biologique et s’accentue ensuite dans l’évolution
de la personnalité psychique que la libido, l’impulsion première du désir, signifie plus que
tout autre. Tout cela est étape, construction, élaboration, comme si l’être devait, d’un point
de vue religieux, renaître autre qu’il n’était après le Péché originel, se découvrant nu et
attiré par la beauté du corps de la femme. La Genèse désigne donc l’irruption du désir qui,
allié au Péché originel, transforme le dessein de Dieu. Delavouët ne met pas l’accent sur le
Péché originel, tout au plus est-il évoqué comme un « fru gardant la mourdeduro de nòsti
dènt »32 (Delavouët 1971, 10, 2010, 8), comme une trace, une cicatrice. La fusion amoureuse
peut avoir lieu, union charnelle et mystique confinant au fantasme des origines :
Èvo, moun Èvo, dins lou nis moufle que fan
ti geinoun dessarra, ti bras dubert, ti pousso,
plega dins ta calour d’erbo coume un enfant
vole me perdre long li flot d’uno mar douço
mounte jamai m’ère perdu
e retrouva ma maire en me negant dins tu ;
aquelo maire qu’a ni visage, ni noum,
qu’es la terro e lis aigo e lou vènt d’uno bouco
e que retrove enfin, coucha dins ti geinoun,
30
N’oublions que le Paradise Lost de Milton, par le truchement de la traduction de Châteaubriand, est l’un des
ouvrages les plus prisés par les jeunes félibres, Mistral et Aubanel en premier lieu.
31
« le grand soleil saignant ».
32
« fruit gardant la morsure de nos dents ».
15
�moun Èvo, au founs de tu, quand moun desir s’abouco,
e que, lava di jour amar,
retrove l’infini de la terro e di mar.
(Delavouët 1971a, 20, 2010, 30)33
L’érotisation manifeste de l’écriture se rapporte à l’image maternelle et terrestre.
Ainsi, l’imago féminine demeure-t-elle ancrée dans l’évocation de la terre nourricière, mais
n’est pas dénuée d’une description érotique, les genoux « dessarra » d’Ève dessinant un
« nis moufle » accueillent le premier Homme comme identification d’une « origine du
monde » découverte après le Péché originel, Adam et Ève, puis tous les hommes et toutes
les femmes étant livrés à la chair et à ses voluptés. Cette mère constitue une imago
féminine, ce qui, en soi, n’est pas singulier, mais ce qui rapporté à la terre trouve un
aboutissement quasi naturel dans la littérature d’oc. Nous savons en effet que la trinité
« terre-mère-langue » est singulièrement opérante chez le sujet Mistral, Delavouët se
trouvant ici en filiation mistralienne, mais bien plus qu’une filiation, nous voudrions y voir
une constitution psychique que le poète du Bayle-Vert investit comme une thématique
poétique. Nous serions donc enclin à y relever une marque biographique puis littéraire : la
première signifie les thématiques de l’œuvre, du moins ce qui est de l’ordre de son
saisissement, la seconde s’inscrit dans les codes. L’investissement effectué par Delavouët n’a
rien d’une quelconque idéologie de la terre, mais procède de la remembranço d’une fusion
originelle entre la terre et les hommes, ce qu’Adam souligne en disant que cette mère n’a
pas de visage et de nom. Cette référence maternelle hypothétique se perd dans la nuit des
temps à laquelle l’apparition de la femme donne un sens, celui du désir, de la quête
amoureuse et de l’amour. De la même façon que Dante rencontre Béatrice aux portes du
Paradiso, la quête d’Ève signifie l’existence d’Adam, non seulement par l’altérité qu’il
découvre, mais aussi par le désir qui est désormais le sien et qui le constitue comme « êtredésirant ». Cette aspiration est celle d’un infini, d’une conjonction d’éternité que seul
l’amour peut offrir à l’homme après avoir été chassé du Paradis terrestre et qu’il erre sur la
terre. Cette éternité en quelque sorte « égarée », il peut la retrouver dans les bras d’une
Ève, l’amour apparaissant comme le seul sentiment pouvant affronter la dimension du
Temps et son étroitesse.
Nous pouvons considérer que le Pouèmo pèr Èvo prend appui sur quelques idées
fondamentales qui seront celles de l’ensemble du Pouèmo ; ces lignes de force conduisent le
lecteur vers la situation de « l’être-au-monde » en dégageant quelques constatations
premières : l’homme demeure à jamais marqué par le Paradis perdu dont la recherche
constitue sa principale quête, un homme marqué par l’irruption du désir, de sa force et du
visage de la femme aimée. L’œuvre tisse également un tissu tramé avec les symboliques que
les éléments naturels lui offrent : arbres, feuilles, étendues, vagues où terre et mer
dialoguent, portant la vue vers l’infini désiré, homme aspirant à relier matérialité et
intelligibilité. D’entre tous ces éléments se distinguent bien sûr les astres, soleil, lune,
étoiles, mais également l’arbre comme symbole éminent du religere. Le sens d’une vie
d’homme réside donc dans la quête, celle qui emprunte le chant du poète-Orphée, parole
défiant le Temps qui sera toujours vainqueur, mais qui ne peut pas empêcher l’homme de
parler :
33
« Ève, mon Ève, dans le nid moelleux que font – tes genoux desserrés, tes bras ouverts, tes seins, – roulé
dans ta chaleur d’herbe comme un enfant – je veux me perdre le long des flots d’une mer douce, – où jamais je
ne m’étais perdu – et retrouver ma mère en me noyant en toi » (Delavouët 1971a, 21, 2010, 31)
16
�que vèngue sout la terro uno grand gàbi d’os
ount coume un aucèu mort un cor s’empergamino
quand, se mudant en verme e l’arnant coume un bos,
lou tèms, toujour lou tèms longo mai l’enfrumino,
iéu, mort deman e vuei rascla,
lou tèms m’empacho pas, iéu l’ome, de parla.
(Delavouët 1971a, 38, 2010, 66)34
Le pouvoir absolu de l’homme, celui que l’on ne peut pas lui ôter, consiste dans la
prise de conscience de ce qu’il est, dans la réflexion qui le porte à considérer sa place dans le
monde et dans sa parole, son dire qui d’une certaine façon, souligne le sens de sa vie. Adam
est un homme qui parle, le premier affirmant la puissance de la parole pour tous ceux qui
après lui viendront. Il est celui qui décrit la geste, ordonne l’idée qui nature son état, sa
double appartenance au monde et la conscience qu’il en a, relation étrange de découverte
de l’espace et de sa volonté affirmée d’en repousser les limites. Adam, du début à la fin, est
cet homme qui ne peut s’empêcher de parler et qui revient, à la toute fin du Pouèmo,
signifier sa lutte contre le Temps, cette ultime « Paraulo encaro i coumpagnoun dóu vèspre »
qui clôt toute l’œuvre :
Chascun retroubara la niuechado e sa pas
e saupra plus se, pèr bressa sa sounnoulènci,
lou tèms toujour dins éu picara coume un pas
o se, mai liuen qu’un cor mesurant lou silènci,
entendra marcha, dins lou tard,
toujour vers sa vièio orto Adam toujour testard.
(Delavouët 1991, 182)35
*
Cette élaboration poétique complexe, qu’elle soit formelle, thématique ou
métaphorique, trouve son origine dans le creuset psychique de l’écrivain. Loin de nous l’idée
d’assimiler l’homme Delavouët et l’écrivain, fidèle en cela à l’identification du Moi-écrivain
que nous avons définie pour Mistral (Casanova 2004, 2016). La question essentielle qui
demeure posée est celle du choix : pourquoi ces thématiques, ces métaphores, cette forme
unique ? Définir un choix pour le poète revient à interroger ses motivations conscientes et
inconscientes36. René Moucadel a pleinement raison quand il relève dans les premières
strophes du Pouèmo pèr Èvo les images de la « terro-maire, caudo, lisco, pleno, redouno » et
celles d’un « Paire-soulèu » :
34
« qu’il devienne, sous la terre, une grande cage d’ossements – où, comme un oiseau mort, un cœur se
parchemine, – quand, se changeant en vers et le rongeant comme un bois, – le temps, toujours le temps, à
jamais l’anéantit – moi, mort demain et aujourd’hui étrillé, – le temps ne m’empêche pas, moi l’homme, de
parler. (Delavouët 1971a, 39, 2010, 67).
35
« Chacun retrouvera la nuit et sa paix – et ne saura plus si, pour bercer sa somnolence, – le temps toujours
en lui frappera comme un pas – ou si, plus loin qu’un cœur mesurant le silence, – il entendra marcher, dans le
soir, – Toujours vers son vieux jardin Adam toujours têtu. (Delavouët 1991, 183).
36
Nous ne nous livrerons pas ici à une étude psychanalytique qui n’aurait ni sa place ni l’ampleur qui lui serait
nécessaire.
17
�[…] i a pas rèn que la neissènço d’un mounde mai tambèn l’enfanço d’un ome, enfanço
marcado d’ouro pèr lou dòu e lou malur. Image tambèn d’uno enfanço perdudo liuen e que
s’agis belèu de retrouva, meme fantasmaticamen, pèr pousqué renaisse e reparti sus lou
camin que s’estiro, aquéu camin e aquéu camina que soun de tematico forto de l’obro de
Delavouët. (Moucadel 2010, 82)37
On objectera à une démarche psychanalytique qu’il est sans doute réducteur
d’expliquer ce « camina » poétique à partir des deuils d’une enfance douloureuse. Ce n’est
certes pas le chemin que nous emprunterons, ni sans doute celui de René Moucadel, mais
plutôt celui d’une ouverture vers une prise en compte dans l’élaboration de l’œuvre des
blessures psychiques de l’enfance. Comment résoudre ces blessures que le sujet lui-même
ne peut tout à fait exprimer et qui demeurent enfouies dans la psyché ? L’entreprise
formelle et poétique de Delavouët tend à s’affronter au Temps, comme s’il avait, comme
chacun ou plus que chacun, des comptes à lui demander. Vouloir retrouver un Paradis
perdu, c’est affirmer l’idée d’une recomposition du Temps enfui et inaccessible. Qui peut-on
et veut-on retrouver dans ce Paradis ? Quoi, quel lieu, quelles images ? La réponse est
nécessairement singulière et personnelle. Ce que Mas-Felipe Delavouët a trouvé en
accomplissant ce chemin et en trouvant les clés qui ouvrent les portes ne nous appartient
pas et ne nous regarde pas. Le chemin, celui de l’œuvre inscrite dans le Temps, nous
regarde, car il nous est offert dans les cadres d’une assomption de parole inégalée.
L’essentiel réside dans le chemin et non pas dans son aboutissement – s’il en existe un par
ailleurs –, du Pouèmo et les formes de sa quête, comme si chercher demeurait plus
important et plus gratifiant pour l’homme et le poète que de trouver. Le voyage nécessaire
s’est accompli et sa fin est souvent illusoire. Seule l’affirmation de ce voyage est réelle ; elle
existe comme viatique donné aux lisières de la mort afin de voyager encore et pour
l’éternité dans les mondes autres que les ténèbres façonnent, mais où brillent quelques
« lus » imperceptibles :
Perqué, perqué, se dis, just pèr quàuqui sesoun,
lou tèms me douno dre d’afrounta soun empèri
sèns jamai me douna la clau de si resoun ?
E que mande sus iéu embelido o tempèri,
coume me distraire autramen
qu’en estènt soun badaire avans de dire amen ?
M’acò, soun pes de car sus la terro mantèn
un ome descoura dóu cèu que revouluno.
E meme s’à la fin, ‘mé la mar, vèn lou tèms
pèr escafa si pas di sablo sout la luno,
coume, aiours, poudrié s’escafa
lou trafé qu’afourtis qu’un viage s’es esta fa ? (Delavouët 1983, 156)38
37
« […] il n’y a pas seulement la naissance d’un monde, mais aussi l’enfance d’un homme, enfance marquée tôt
par le deuil et le malheur. Image également d’une enfance perdue loin et qu’il s’agit peut-être de retrouver,
même fantasmatiquement, pour pouvoir renaître et repartir sur le chemin qui s’étire, ce chemin et ce
cheminement qui sont des thématiques fortes de l’œuvre de Delavouët. » (Moucadel 2010, 83)
38
« Pourquoi, pourquoi, se dit-il, à peine pour quelques saisons, – le temps me donne droit d’affronter son
empire – sans jamais me donner la clé de ses raisons ? – Et qu’il envoie sur moi embellies ou tempêtes, ––
comment me distraire autrement – qu’en étant son spectateur avant de dire amen ? –– Sur ce, son poids de
chair sur la terre maintient – un homme que rend nauséeux le ciel qui tourbillonne. – Et même si à la fin, avec
18
�Bibliographie
Éditions de Delavouët
1950
Quatre Cantico pèr l’Age d’or (Quatre cantiques pour l’Âge d’or), Grans, Le Bayle-Vert, comprenant :
- Cantico dóu Bóumian que fuguè torèro (Cantique d’un Gitan qui fut torero) ; rééd. Cantico dóu
Bóumian que fuguè torèro (Cantique d’un Gitan qui fut torero), Saint-Rémy-de-Provence,
Centre de Recherches et d’Études Méridionales, 1990.
- Cantico de l'Ome davans soun fiò (Cantique de l’Homme devant son feu) ; rééd. Cantico de l’Ome
davans soun fiò (Cantique de l’Homme devant son feu), Saint-Rémy-de-Provence, Centre de
Recherches et d’Études Méridionales, 2001.]
- Cantico pèr lou Blad (Cantique pour le Blé) ; rééd. Cantico pèr lou Blad (Cantique pour le Blé) et
Cantico de l’Ome davans soun fiò (Cantique de l’Homme devant son feu), Saint-Rémy-deProvence, Centre de Recherches et d’Études Méridionales, 2001.
- Cantico pèr nosto amo roumano (Cantique pour notre âme romane), lithographies d’Auguste
Chabaud, Grans, Bayle-Vert, 1950 ; rééd. Cantico pèr nosto amo roumano (Cantique pour
notre âme romane), Marseille, C.R.D.P., 1979.
Pouèmo pèr Evo, Grans, Le Bayle-Vert, 1950. rééd. Pouèmo pèr Èvo, Grans, Centre Mas-Felipe
Delavouët, 2010.
1957
Pouèto prouvençau de vuei. Poètes provençaux d’aujourd’hui, s.l., Groupamen d’Estùdi Prouvençau,
1957.
1958
Calendié pèr Eleno, Fe, n°181, Aix-en-Provence, printèms 1958, p. 49-54, n°183, outouno 1958,
p. 135-140. Une édition pour bibliophile a été effectuée en 2015 dans la collection des
« livres du Bayle-Vert » (livres d’artiste), accompagné par une traduction française de MasFelipe Delavouët.
1971a
Pouèmo I : Pouèmo pèr Evo (Poème pour Eve) ; Courtege de la Bello Sesoun (Cortège de la Belle
Saison) ; Blasoun de la Dono d’Estiéu (Blason de la Dame d’Eté) ; Cansoun de la mai Auto
Tourre (Chanson de la plus Haute Tour) ; Ço que Tristan se disié sus la mar (Ce que Tristan se
disait sur la mer), Paris, José Corti.
1971b
Pouèmo II : Danso de la pauro Ensouleiado (Danse de la pauvre Ensoleillée) ; Camin de la Crous
(Chemin de la Croix) ; Pèiro escricho de la Roso (Pierre écrite de la Rose) ; Istòri dóu Rèi mort
qu’anavo à la desciso (Histoire du Roi mort qui descendait le fleuve) ; Lou Pichot Zoudiaque
ilustra (Le petit Zodiaque illustré) ; Lusernàri dóu Cor flecha (Lucernaire du Cœur fléché),
Paris, José Corti.
la mer, vient le temps – sans effacer ses pas des sables sous la lune, – comment, ailleurs, pourrait s’effacer – la
trace qui atteste qu’un voyage a été fait ? » (Delavouët 1983, 157)
19
�1977
Pouèmo III : Balado d’aquéu que fasié Rouland (Ballade de celui qui faisait Roland), Paris, José Corti.
1981
Patrimòni (Patrimoine), La Dicho dóu Vièi Granouien, (Le Dire du Vieux Gransois), Marseille, C.R.D.P.
1983
Pouèmo IV : Inferto à la Rèino di mar (Offrande à la Reine des mers) ; Ouresoun de l’Ome de vèire
(Oraison de l’Homme de verre) ; Dicho de l’Aubre entre fueio e racino (Dire de l’Arbre entre
feuilles et racines), Saint-Rémy-de-Provence, Centre de Recherches et d’Études
Méridionales.
1991
Pouèmo V : Cant de la tèsto pleno d’abiho (Chant de la tête pleine d’abeilles), Saint-Rémy-deProvence, Centre de Recherches et d’Études Méridionales.
1996
Polyphonies 1996 : Polyphonies, « Poètes provençaux d’aujourd’hui », n°21-22, Paris, La Différence,
1996-1997.
Autour de Delavouet
MAURON 1992 : Claude Mauron, Bibliographie de Mas-Felipe Delavouët, Saint-Rémy-de-Provence,
Centre de Recherches et d’Études Méridionales, 1992.
MAURON 2001 : Claude Mauron, Bibliographie de Mas-Felipe Delavouët. Premier Supplément, SaintRémy-de-Provence, Centre de Recherches et d’Études Méridionales, 2001.
Cahiers Bayle-Vert 1, 2010 : Les Cahiers du Bayle-Vert, n°1, « Autour d’Ève », Grans, Centre MasFelipe Delavouët, 2010.
Cahiers Bayle-Vert 4, 2013 : Les Cahiers du Bayle-Vert, n°4, « Autour de Histoire du Roi mort qui
descendait le Fleuve », Grans, Centre Mas-Felipe Delavouët, 2013.
Cahiers Bayle-Vert 6 2015 : Les Cahiers du Bayle-Vert, n°6, « Avec le temps… », Grans, Centre MasFelipe Delavouët, 2015.
GARAVINI 1967 : Fausta Garavini, L’Empèri dóu soulèu. La Ragione dialettale nella Francia d’oc,
Milano – Napoli, Riccardo Ricciardi, 1967.
GARDY 2003 : Felip Gardy, Figuras dau poèta e dau poèma dins l’escritura occitana contemporanèa.
Marcela Delpastre, Mas-Felipe Delavouët, Bernat Manciet, Renat Nelli, Montpeirós, Tèxtes
Occitans, Jorn, 2003.
Impressions du sud 1984 : Impressions du Sud n°5, Aix-en-Provence, mai 1984.
Impressions du Sud 1991 : Impressions du Sud n°27/28, Aix-en-Provence, hiver-printemps 1991.
LAFONT 1993 : Robert Lafont, « Posandièrs », La Revista occitana, n°1, octobre 1993, p. 125-211.
Les Lettres françaises 1991 : Les Lettres françaises, n°12, Paris, septembre 1991.
MAGRINI 2008 : Céline Magrini-Romagnoli, « Max-Philippe Delavouët et l’art roman en Provence »,
La France Latine, n°147, 2008, p. 151-191.
MAGRINI 2010a : Céline Romagnoli-Magrini, « Une Lecture du Pouèmo pèr Èvo », Les Cahiers du
Bayle-Vert, n°1, « Autour d’Ève », Grans, Centre Mas-Felipe Delavouët, 2010, p. 38-80.
20
�MAGRINI 2010b : Céline Magrini-Romagnoli, « Adam et son arbre chez trois écrivains de
l’enracinement : André de Richaud, Charles-Ferdinand Ramuz et Max-Philippe Delavouët »,
La France Latine, n°151, 2010, p. 117-192.
MAURON 1995 : Claude Mauron, « Notes sur la strophe de Max-Philippe Delavouët », Mélanges Paul
Roux, La Farlède, Association Varoise pour l’Enseignement du Provençal, 1995, p. 241-250.
MAURON 2000 : Claude Mauron, « Initiation à la géographie poétique de Max-Philippe Delavouët »,
La Pensée de midi, vol. 1, n°1, Toulouse, 2000, pp. 74-79.
MOUCADEL 2010 : René Moucadel, « Quàuqui noto sus lou proumié mouvamen d’Èvo… », Les Cahiers
du Bayle-vert, n°1, « Autour d’Ève », Grans, Centre Mas-Felipe Delavouët, 2010, p. 82-87.
THUNIN 1984 : Jean Thunin, La Présence et le mythe : lecture de l’œuvre poétique de Mas-Felipe
Delavouët, 2 vol., Salon-de-Provence, La Destinée, 1984.
Autres
ANZIEU 1981 : Didier Anzieu, Le Corps de l’œuvre, Paris, Gallimard, 1981.
CASANOVA 2004 : Jean-Yves Casanova, Frédéric Mistral. L’Enfant, la mort et les rêves, Perpignan,
Trabucaire, 2004.
CASANOVA 2016 : Jean-Yves Casanova, Frédéric Mistral. L’Ombre et l’écho, Paris, Classiques Garnier,
2016.
MISTRAL 1970 : Frédéric Mistral, Lis Isclo d’Or, édition de Jean Boutière, Paris, Didier, 1970. Première
édition, Paris, Lemerre, 1876.
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Mas-Felipe Delavouët, désirs de l'Œuvre : de Pouèmo à Pouèmo / Jean-Yves Casanova
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Mas-Felipe Delavouët, désirs de l'Œuvre : de Pouèmo à Pouèmo / Jean-Yves Casanova
Mas-Felipe Delavouët, désirs de l'Œuvre : de Pouèmo à Pouèmo / Jean-Yves Casanova
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Casanova, Jean-Yves
Publisher
An entity responsible for making the resource available
LLACS (Langues, Littératures, Arts et Cultures des Suds) Université Paul-Valéry, Montpellier 3
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
2018-01-27
Date Issued
Date of formal issuance (e.g., publication) of the resource.
2018-02-23 Françoise Bancarel
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A related resource in which the described resource is physically or logically included.
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<a href="http://occitanica.eu/omeka/items/show/19161">La colleccion « Messatges » de l'IEO 1945-1960 : Jornada d'estudis ReDoc / LLACS</a>
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Language
A language of the resource
fre
Type
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http://www.occitanica.eu/omeka/items/show/19182
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Description
An account of the resource
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<p>Communication de Jean-Yves Casanova dans le cadre de la journée d'études ReDoc-LLACS : La collection « Messatges » de l'IEO 1945-1960, Montpellier, 27 janvier 2018.</p>
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<div style="text-align: justify;">Comunicacion de Joan-Ives Casanova dins l'encastre de la jornada d'estudis ReDoc-LLACS : La colleccion « Messatges » de l'IEO 1945-1960, Montpelhièr, 27 de genièr de 2018.</div>
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Relation
A related resource
Vignette : http://occitanica.eu/omeka/files/original/2cd1ad6401e691e4af556a12c980fe6f.jpg
Subject
The topic of the resource
Poésie occitane -- 20e siècle
Delavouët, Max-Philippe (1920-1991)
Source
A related resource from which the described resource is derived
X:\CAMPUS\Journee_Messatges\07-Casanova-Messatges
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Information about rights held in and over the resource
© Jean-Yves Casanova
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Colleccion Messatges = collection Messatges
Poesia occitana = poésie occitane