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�ŒUVRES CHOISIES
DE
VINCENT DE BATAILLE
�TOUS
DROITS
RÉSERVÉS
Le signe (*) renvoie aux notes, à la ûn du volume.
�VINCENT de
BATAILLE
1799-1872
��VINCENT
DE
BATAILLE
Œuvres Choisies
POÉSIES BÉARNAISES
&
FRANÇAISES
RECUEILLIES ET PUBLIÉES
PAR
M. le Chanoine QtJIDARRÉ
Secrétaire de l'Évêché de Tarbes
CIRDOC
C.I.D.O.
BÉZIERS
PAU
Édition de "LA BOUTS DE LA TERRE "
1911
BIBLIOTHEQUE CHRISTIAN AHATOU
OC0040718
�CAC
2141
�PRÉFACE
Quand Vincent de Bataille mourut — il y aura bientôt
de cela quarante ans, — plusieurs amis du poète exprimèrent le regret qu'il n'eût pas réuni dans un volume
les plus belles de ses compositions littéraires, notamment celles qui avaient été couronnées par diverses académies, telles que les « Jeux Floraux » de Toulouse et la « Société Archéologique » de Béziers.
L'un d'eux M. Gabriel Azaïs, dans une courte mais
substantielle notice (i) sur le poète béarnais, se plaisait à espérer que M. Guillaume de Bataille, héritier du
goût de son père pour la poésie béarnaise, ne faillirait
pas à ce devoir.
Ce vœu, hélas ! ne s'est pas i'éalisé.
Guillaume de Bataille est tombé en pleine jeunesse,
et sa mort a été saluée des douloureux regrets qu'inspire, même aux plus insensibles, la disparition prématurée d'un beau talent auquel semblaient permises les
plus magnifiques espérances.
Ce qu'il eut si bien fait, doublement inspiré par sa
piété filiale et son âme d'artiste, on nous pardonnera
de l'avoir essayé.
Aussi bien Vincent de Bataille est-il de ceux dont
(1) Publications de la Société Archéologique de Béziers pour l'Etude
des Langues Romanes — Montpellier 1873.
�l'œuvre est assez belle pour se passer de commentaires, et le nom assez connu pour se dispenser d'introducteur.
Le Béarn ne saurait oublier sans ingratitude le poète
qui célébra, en de si beaux vers, sa glorieuse histoire
et ses magnifiques légendes .
Et Ponlacq qui l'a vu naître, Pontacq, ce coin de
terre si fécond en hommes distingués de toute sorte,
qu'il semble donner un fier démenti au « non omnis
fert omnia tellus » de Virgile, associera pieusement au
nom glorieux de l'héroïque défenseur de Huningue,
celui du chantre inspiré du « Balou de l'Ousse ».
Vincent de Bataille est vraiment de ces écrivains qui
méritent de ne pas mourir tout entiers. Il trouvera des
lecteurs et des amis parmi tous ceux qui, dans un siècle
trop utilitaire, n'ont pas fermé leur cœur à tout idéal,
leur âme à toute poésie.
Ceux qui sont particulièrement sensibles à la beauté
littéraire, éprouveront je ne sais quel charme délicat et
exquis à la lecture des vers harmonieux, naturels et
simples de ce classique au goût si pur.
Ceux qui cherchent de nobles pensées, des exemples
réconfortants ou de salutaires leçons, seront heureux de
trouver dans son œuvre la glorification du courage et
de l'héroïsme, du dévouement et des mâles vertus qui
sont le meilleur héritage que nous aient légué nos ancêtres.
Et tous, nous en sommes persuadé, se sentiront devenir meilleurs au contact de cet « honnête homme »
en qui une haute intelligence s'alliait à un grand cœur,
et dont la vie, si simple, si volontairement effacée
qu'elle paraisse, ne fut ni la moins instructive ni la
moins belle de ses œuvixs.
R.
QuiDARRK.
�VINCENT
DE
BATAILLE
(1799-1872)
S A
VIE
ff J'étais une glace vivante qu'aucune
poussière de ce monde n'avait encore
ternie, et qui réverbérait l'œuvre de
Dieu M.
Préface des «Premières Méditations ».
LAMARTINE.
Sur les bords de l'Ousse, au nord de Pontacq, s'élève,
parmi les grands arbres qui le cachent à demi, le vieux
manoir de Furé.
Depuis trois siècles il abrite la famille de Bataille, et
malgré les restaurations successives qui en ont un peu
modifié l'aspect, il reste, par son style ancien et son
apparence modeste, l'un des types du manoir béarnais.
Ce n'est pas un castel surmonté de donjons et de tourelles, au faîte hérissé de créneaux, aux murs percés de
meurtrières, mais une paisible et confortable maison de
campagne, dont les pièces spacieuses et claires, les meubles anciens et d'un goût sûr, évoquent l'élégante et
�IV
VINCENT DE
BATAILLE
fière simplicité des aïeux qui en jetèrent les fondements
ou l'embellirent.
La végétation qui l'entoure est luxuriante. Des bosquets, une vaste plaine qu'ombragent de grands chênes
et, plus loin, une futaie qui se mire complaisamment
dans les eaux calmes d'un bassin, tel est le cadre pittoresque et charmant dans lequel il se dessine. Au midi
de l'habitation, des parterres de fleurs, des buis taillés,
des pelouses ; à perte de vue, des haies vives et de jeunes plantations... Pour ajouter à la fraîcheur du
paysage, une fontaine disperse ses eaux claires dans les
solitudes du parc et son murmure incessant se mêle,
durant le jour, au ramage de milliers d'oiseaux nichés
dans les branches.
C'est dans cette vieille demeure toute peuplée des souvenirs des générations disparues, et dont il a du reste
admirablement rendu le charme pénétrant et exquis,
dans des strophes émues qui rappellent parfois les inoubliables accents qu'inspire à Lamartine le souvenir de
Milly, que vint au monde, le 19 juillet 1799, celui qui
devait être plus tard le poète Vincent de Bataille.
La légende, parfois si indulgente aux poètes, ne nous
dit pas que les Muses se pressèrent autour de son berceau.
Les temps, il est vrai, ne leur étaient guère propices.
L'horrible cauchemar de la Terreur obsédait encore
toutes les mémoires... il était trop tôt pour chanter !
Inconsolables de la mort d'André Chénier, les Muses,
pour pleurer, avaient fui sous des cieux plus cléments,
et lorsque vingt-cinq ans plus tard, elles revinrent à
l'appel de Lamartine, leurs traits étaient si changés,
leur voix rapportait de l'exil des accents d'une si tou-
�SA VIE
V
chante mélancolie et d'une si harmonieuse tristesse, que
le monde étonné et ravi, ne les reconnut pas.
Mais pour consoler notre poète de l'absence des Muses,
l'Ange du Béarn, cet ange que plus d'une fois il crut
entrevoir en parcourant à l'aube, les champs de Pontacq, se pencha doucement sur lui, et lui versa au
cœur, ce culte des ancêtres, cet amour du pays natal et
ce mystérieux besoin du divin, qui devaient enchanter
sa vie et lui inspirer de si beaux vers.
Vincent de Bataille était né gentilhomme, et s'il ne
l'oublia jamais, ce fut, non pour en tirer une vaine
satisfaction d'amour-propre, mais pour se rappeler à
lui-même que « noblesse oblige », et qu'une situation
élevée n'est qu'une obligation de plus à mieux faire son
devoir.
Il restait ainsi fidèle aux traditions d'une famille dans
laquelle la probité et l'honneur sont héréditaires et qui,
de tout temps, rendit à son pays de bons et loyaux services.
Dès le xi" siècle, la famille de Bataille occupait à
Pontacq un rang distingué qu'elle sut garder à travers
les âges. Un acte authentique du 17 mai 1015, qui fait
partie des archives des Basses-Pyrénées, relate, en effet,
que ce Pierre de Batalhe (i) défendit à cette date, les intérêts du lieu de Pontacq, dans un différend soulevé au
sujet de la délimitation des territoires appartenant à
diverses communes ou « besiauà » et au seigneur de
Garue et Bénejacq.
Il serait sans doute intéressant de poursuivre la
(1) Ancienne orthographe (conservée jusqu'au XVII» siècle) du nom
patronymique DE BATAILLE.
Le blason familial porte : De Gueule à la Tour d'Argent.
�VI
VINCENT DË BATAILLE
généalogie de l'antique famille dont les racines s'enfoncent si avant dans le sol béarnais.
Cette étude éclairerait peut-être la physionom,ie de
notre poète et expliquerait le sens profond et subtil
qu'il eut du génie et de la langue de son pays natal.
Mais elle dépasserait le cadre de ces notes biographiques,
où le portrait que nous nous sommes proposé de tracer de Vincent de Bataille s'encadrera seulement de ses
ascendants les plus immédiats.
Pierre de Bataille, bisaïeul du poète, fut créé par
Louis XIV, conseiller du roi (6 août 1694), et son fils,
Jean Samson obtint de Louis XV le même privilège par
lettres patentes datées de 1772.
Il succéda, comme maire de Pontacq à son beau-père,
le sieur de Capdevielle, seigneur de Couet-Darré. Il était
lui-même seigneur de Castelnau, et avait entrée aux
Etats de Béarn, dans l'ordre de la noblesse.
C'était une nature simple et droite.
L'élévation de ses sentiments se réflète dans ces quelques mots qu'on trouve écrits de sa main à côté du mot
<( noblesse », en marge d'une vieille édition du dictionnaire de Furetière : « Noblesse d'épée oblige à donner
l'exemple aux autres dans les camps et à mieux faire
son devoir, en face de l'ennemi. Noblesse de robe oblige
à être juge intègre et droicturier. Et possession de fief,
lettre du Roy, charge d'échevin, à quoi cela oblige-t-il?
Cela oblige à s'employer avec plus de zèle au service du
Roy et de la commune. Il me semble même, qu'en fait
de religion, conduite et discipline de mœurs, ce qui est
bien le principal de tout, la petite noblesse oblige plus
que la grande, vu qu'on passe beaucoup de choses à un
duc, lesquelles on ne pardonnerait pas du tout à un
simple écuyer ».
�SA VIE
VII
Jean Samson eut plusieurs fils. L'aîné fut seigneur
de Sévignac et avocat au Parlement de Navarre.
Le second, Jean, devint comme son père, maire de
Pontacq. Après la tourmente révolutionnaire, c'est à lui
que revint l'honneur de rouvrir l'Eglise de S%-Laurent,
et d'en relever les autels. De l'aveu de son fils « ce fut
le seul acte de sa vie, dont l'administration lui ait
souri ».
Le 5 décembre 1796, il épousa Marie du Casse, fille de
Jean du Casse et de Judith de Lussan, issue elle-même
d'un conseiller d'Etat au Parlement de Navarre.
Cette ancienne et noble famille du Casse, s'était, à
diverses époques et notamment au temps des guerres de
rligion, distinguée dans le métier des armes et les charges que ses membres avaient occupées...
De ce mariage naquit Jean-Vincent de Bataille-Furé.
Le nom de Furé ajouté par son père au nom patronymique de Bataille, servait à le distinguer des autres branches de sa famille ; c'était celui de la dame de Furé dont
il descendait, et qui avait apporté aux Bataille, la terre
noble de Furé, lieu de sa résidence.
Peu de jours après sa naissance, Vincent fut baptisé
par un prêtre non assermenté, dans le petit oratoire de
la famille.
L'enfance du futur poète fut maladive. Dans ses premières années, ainsi qu'il le rapporte lui-même, « le
souffle de ses jours paraissait à chaque instant prêt à
s'éteindre ».
Sa précaire santé causa bien des inquiétudes à sa
mère, qui, malgré son tempérament délicat, ne consentit jamais à s'en séparer.
Mais les soins inlassables des siens et l'air vivifiant de
la campagne eurent enfin raison de l'état de faiblesse
�VIII
VINCENT DE BATAILLE
de l'enfant ; et le jour arriva où Vincent put courir en
toute liberté à travers champs, et fouler d'un pas allègre cette bonne terre de Pontacq « aussi féconde en
hommes vaillants que fertile en moissons ».
C'est alors qu'il découvrit cette vallée de l'Ousse qu'il
devait chanter plus tard et que son âme, impressionnable et sensible, s'emplit de poétiques images au contact
des merveilles qu'une nature prodigue avait semées
sous ses pas.
Pour cette imagination délicate, tout devient sujet
d'admiration, de ravissement et d'extase : « fleurs de la
rosée nocturne » qui brillent comme des diamants sur
les brins d'herbes ou le calice des fleurs, moissons jaunissantes qui ondulent sous la molle caresse des brises
du soir, buissons harmonieux et impénétrables où se
cachent les nids, coteaux de Pontacq tout « émaillés de
vergers, de granges et de bois », murmures de l'Ousse
qui arrose de « si belles prairies ceintes de peupliers,
d'aulnes et de chênes », glaciers lointains des Pyrénées
« qui resplendissent comme des nappes de diamants, et
se parent d'une si belle teinte rose, le soir, quand le
soleil descend » (i).
Avec cet amour de la nature, auquel toute sa vie il
devait rester fidèle, un autre amour plus élevé encore
et plus pur, celui de Dieu, grandissait lentement dans
cette âme si bien faite pour accueillir tous les généreux
sentiments et toutes les belles pensées.
Madame de Bataille, sa mère, était une catholique
fervente : aussi prit-elle grand soin d'écarter de Vincent
tout ce qui aurait pu être un obstacle à sa candeur, et
de l'élever selon les principes chrétiens.
(1)
Lou Balou de l'Ousse.
�SA VIE
Chaque matin et chaque soir, emprisonnant dans les
siennes les mains de son enfant, elle lui faisait réciter
une prière à Jésus, l'ami des tout-petits.
Le milieu si chrétien de sa famille, développa dans
l'âme de Vincent, avec le sentiment de l'amour filial,
une foi robuste qui fut la règle constante de sa vie.
Tout enfant, on le conduisait chaque jour dans une
institution de Pontacq, la Pension Montauban, ou lui
furent enseignés les premiers éléments du français et
du latin. Le jeune Vincent s'y fit tout de suite remarquer par son intelligence et son application.
Ses premiers maîtres lui continuèrent leurs leçons
quelque temps encore après sa première communion,
qu'il fit dans celte église de Pontacq où ses parents
s'étaient autrefois unis.
Soudain, cette existence jusqu'alors si heureuse est
frappée par un grand coup : sa mère qui avait entouré
son enfance de tant d'affection est emportée par une
maladie dont rien n'a pu arrêter les progrès (9 novembre 1816).
Cette perte fut d'autant plus sensible au cœur de Vincent que jamais la pensée d'une séparation si cruelle ne
s'était présentée à son esprit.
La douleur profonde qu'il en ressentit ne devait
jamais s'effacer en son âme.
« Marie du Casse, écrira-t-il plus tard, était la vivante
image de son père pour les traits et l'expression de la
physionomie. Elle n'avait pas, hélas ! sa constitution
robuste. Cependant son tempérament délicat ne l'empêcha jamais de [remplir ses devoirs de fille et de
mère. Elle fut le bâton de vieillesse de son digne père ;
elle se montra admirable dans les soins dont m'entoura
�X
VINCENT DE BATAILLE
constamment sa sollicitude maternelle. Elle rendit mon
père heureux : je ne pense pas qu'elle lui ait causé
d'autre chagrin que de mourir ».
Cette séparation fut suivie d'une autre, moins cruelle
sans doute, mais empruntant aux circonstances, un
caractère particulièrement pénible. Vincent avait
16 ans : il lui fallut se séparer d'un père en deuil pour
entrer au Collège Royal de Pau.
***
« Les premiers jours de sa vie au collège, rapporte
son fils Charles, lui parurent cruellement longs. Souvent, la nuit, il lui arriva, dans le grand dortoir silencieux, de veiller et de pleurer à la pensée de ceux qui
étaient absents, de sa mère surtout, cette absente à
jamais disparue, qu'il ne reverrait pas aux vacances prochaines ».
Pour vaincre son abattement, il pria ; et si la prière
ne put parvenir à supprimer son chagrin, du moins
elle en adoucit l'amertume.
En même temps, il se jeta à corps perdu dans l'étude,
s'appliquant de préférence à saisir les beautés de nos
grands classiques. « Mon professeur estime que j'ai le
sentiment de la phrase française, écrit-il un jour à son
père. Il a vu cela dans une analyse de trois auteurs
qu'il corrigeait ces jours-ci. Je serais si heureux de bien
parler et de bien écrire ! »
Vincent de Bataille fut un excellent élève : il se fit
remarquer par son intelligence claire et facile, son goût
pur et nettement classique et le vif sentiment de la
beauté littéraire sous toutes ses formes.
�SA VIE
En 1818, il méritait le prix d'honneur de Philosophie,
et quelques jours plus tard il subissait avec succès l'examen du baccalauréat devant la faculté de Bordeaux.
Une fois ses études Secondaires terminées, Vincent,
obéissant peut-être à des sollicitations de famille, autant
qu'à des goûts personnels, se fit inscrire à la Faculté
de Droit de Toulouse.
Quatre ans, il en suivit les cours, déployant dans ses
nouvelles études, la même application et la même intelligence qui l'avaient fait distinguer au collège.
Il passa brillamment ses examens de la licence, mais
dépourvu de toute ambition, Vincent de Bataille abandonna soudain cette carrière du droit où il ne faisait
que d'entrer.
La nostalgie de son cher Furé l'avait suivi à Toulouse,
et il avait hâte d'aller retrouver son père « à qui il avait
voué un culte filial d'une rare intensité ».
Par son affection chaude et délicate, il tâcha de le
distraire des cuisants chagrins qui avaient creusé sur
son visage des rides prématurées.
Le cimetière de Pontacq recevait fréquemment leur
visite, et l'ombre de celle qu'ils avaient ensevelie ensemble dans le tombeau de famille, devait tressaillir de bonheur en voyant quelle tendre affection unissait les deux
êtres qu'elle avait le plus aimés, son époux et son enfant.
Depuis 1822 jusqu'à son mariage, Vincent ne fit
d'autre voyage important que celui de Paris où il
séjourna plusieurs mois. Le Musée du Louvre, NotreDame, la Sainte-Chapelle et les grands monuments de
cette capitale, qui s'étalait éblouissante à ses yeux de
provincial émerveillé, durent contribuer puissamment
à développer en lui l'artiste et le poète.
Il visita depuis l'antique royaume d'Aragon. Il con-
�XII
VINCENT DE BATAILLE
naissait par le menu les richesses artistiques de NotreDame del Pilar et des divers sanctuaires de Saragosse ;
et tous ceux qui eurent le bonheur d'être admis dans
son intimité, savent avec quel plaisir de dévot croyant
et d'artiste exquis, il en narrait les magnificences.
Mais dans ses voyages, la même pensée l'obsédait
toujours.
Il songeait à ce père qui ne vivait que pour son
enfant, et qui veillait sur lui avec une tendresse et une
sollicitude que l'isolement et le souvenir toujours présent d'une douleur commune, semblaient accroître de
jour en jour.
Tels, aux flancs de nos monts, les tétras solitaires,
Sous les sapins héréditaires,
Couvent les fruits de leurs amours (1).
D'ailleurs, ce jeune homme de 24 ans était un sage
qui savait se garder des mirages trompeurs. Il avait déjà
compris, ce que la plupart des hommes n'apprennent
jamais, ce qu'une longue expérience enseigne seule aux
autres, que la source du véritable bonheur est en nousmêmes, et non dans la poursuite agitée et fiévreuse de
ce que Rabelais appelle « les choses fortuites ».
O qu'heureux est celui qui peut passer son âge
Entre pareils à soi, et qui, sans fiction,
Sans crainte, sans envie, et sans ambition
Règne paisiblement en son pauvre ménage ! (2).
C'est un bonheur semblable à celui
Du Bellay, qu'a rêvé Vincent de Bataille.
que
décrit
Modeste, réservé, quelque peu timide même, ne
découvrant les trésors de son cœur et de son esprit qu'à
(1) Le Deuil.
(2) Du
BELLEV -
Les Regrets.
�5A VIE
XIII
un petit nombre d'amis, ce gentilhomme ne se sent
vraiment à l'aise que dans sa chère solitude de Furé, au
milieu de ces fins paysans béarnais dont il partage la
vie simple, et dont il parle avec amour le fier et sonore
langage.
Et il ne parvient pas à comprendre la folie de ceux
que « le désir de voir et l'humeur inquiète » (i) poussent
à d'incessants voyages.
Combien de fois, causant dans nos riants jardins,
Avons-nous en pitié regardé la folie
De ceux qui vont user leur vie
Dans les difficultés des voyages lointains (2).
Cest encore la même pensée — tant elle est familière
au poète — qu'il prête à Bénac rentrant au château de
ses pères.
Quel démon me poussait aux rives étrangères ?
Disait-il dans son cœur. Que les hommes sont fous !
Ils poursuivent la gloire et rapportent des coups (3).
« Mais que faire en un gîte, à moins que l'on ne songe ?»
(4).
C'est précisément ce que va faire Vincent de Bataille.
Il lit et il médite beaucoup, parce qu'il est intelligent
et que toute manifestation de la pensée contemporaine
l'intéresse; il observe la nature qui l'entoure et il l'aime,
parce qu'il est artiste et qu'elle est séduisante par l'éclat
de ses couleurs, la pureté de ses lignes et la grâce de ses
contours ; enfin parce qu'il est poète, il rêve.
Il rêve, et là peut-être serait le danger. Mais chez ce
poète doublé d'un juriste, l'imagination ne devient
Les Deux Pigeons.
Le Deuil.
(3) Le Diable et le Croisé.
(1) LA FONTAINE —
(2)
(4) LA FONTAINE.
�XIV
VINCENT DE BATAILLE
jamais la « folle du logis » ; elle est contenue dans de
sages limites, par un bon goût naturel qui fuit toute
exagération et tout excès, une raison qui n'abdique
jamais son droit de contrôle, et de profondes convictions religieuses.
Aussi le rêve est-il pour lui bienfaisant : il élève,
purifie, ennoblit son âme, et la console par une sorte
de perception anticipée de l'au-delà, des désillusions
d'une froide et trop décevante réalité.
Quand ces myriades de feux
Dont la nuit enrichit ses voiles,
Le soir, venaient charmer nos yeux,
Quelquefois mon âme attentive
A cru de la céleste rive
Entendre les échos lointains (1).
Pour se délasser de ses travaux intellectuels, il a une
distraction favorite : la chasse.
Dès l'aube, quand tout le monde repose encore à
Furé, il part, le fusil sur l'épaule, à la recherche des
(( sarcelles et des bécassines ».
Et l'hiver, quand « la neige met partout des teintes
vaporeuses,
Il suit le lièvre timide
Qui dans sa course rapide.
En vain croit fuir le trépas » (2).
Et il y a fête à Furé, si par hasard « le ciel s'est
obscurci de pluviers et de canes que les longues sarbacanes font tomber en tournoyant ».
Mais si tous les invités ont une place égale au festin,
(1) L'Inspiration.
(2) La Chasse d'Hiver.
�SA VIE
XV
tous n'ont peut-être pas pris, en dépit des illusions les
nlus chères, une part égale à la chasse,
Et que de maladroits, grâces à la fortune
S'étonnent d'avoir part à la prise commune
Et tout fiers retournent cliez eux (1).
*
**
Cependant, Vincent de Bataille allait avoir trente ans,
et plus d'une fois il avait entendu son père exprimer le
désir, de voir des petits enfants égayer son vieux foyer.
Des amis communs le mirent en relation avec
il/11" Marie-Thérèze Fanny de Manescau de Saint-Martin
issue d'une des plus marquantes familles de l'arrondissement d'Oloron.
Son père Roch Cafetan, Seigneur de Labat et héritier
du majorât de St-Martin en Espagne, son aïeul Joseph
de Manescau, et son bisaïeul Gaspard Daniel, avaient
joui successivement d'une entrée aux Etats de Béarn,
dans l'ordre de la noblesse.
Vincent ne put rester indifférent aux charmes de la
jeune fille. Il fut séduit par la beauté de ses traits, et
plus encore par les qualités de son cœur. Il la demanda
en mariage et l'obtint (ÍS28).
Cette union devait être des plus heureuses. Mme de
Bataille n'eut jamais qu'à se louer de son mari, et
celui-ci, de son côté, pouvait écrire : « J'ai trouvé en
ma femme le cœur de mon excellente mère ».
C'est le plus bel éloge que cet homme qui avait passionnément aimé sa mère, put décerner à celle qui, pendant près de quarante ans, devait partager ses peines et
ses joies.
(1) La Chasse d'Hiver.
�XVI
VINCENT DE BATAILLE
Plusieurs enfants vinrent égayer le jeune foyer et
resserrer encore, s'il était possible, l'affection mutuelle
des deux époux.
Les parents acueillirent avec une joie chrétienne la
naissance de chacun d'eux, persuadés qu'une famille
nombreuse est une bénédiction du ciel.
Vincent voulut être leur premier éducateur, et il fut
puissamment aidé dans cette noble tâche par une
femme admirable, dont les leçons et les exemples ne
devaient jamais s'effacer de la mémoire de ses enfants.
***
Mais « ici-bas, le bonheur n'est jamais sans mélange »,
et les grandes douleurs sont parfois bien voisines des
grandes joies. Vincent de Bataille doit en faire la triste
expérience.
Ce père qui l'a tant aimé, ce père qu'il aime tant luimême, lui est enlevé, et la plaie qui fait saigner son
cœur est si profonde, que bien des années ne parviendront pas à la cicatriser.
Oh ! combien je l'aimais !... Avant que les années
Effacent mes regrets, les pics des Pyrénées,
Ces pics hérissés de glaçons,
Par lesquels nous voyons nos montagnes bornées,
Seront au niveau des sillons.
Avant que ton enfant puisse se consoler,
Qu'il cesse de chérir, de pleurer ta mémoire,
Le gave béarnais cessera de couler (1).
Longtemps il reverra, dans ses méditations ou dans
ses rêves,
Son noble front, son gracieux sourire,
Son teint frais et vermeil, ses cheveux blancs, ses yeux
Où se peignait l'azur des cieux (2).
(1 et 2) Le Deuil.
�SA VIE
XVII
Mais pour lui aussi la douleur sera féconde, et le
poète en sortira grandi.
Les plus désespérés sont les chants les plus beaux
Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots (1).
Console toi donc, ô poète, « d'être comme un frêle
roseau brisé par la tempête » et d'avoir vu « par un
coup affreux ta lyre se briser dans ta tremblante
main... » Lamartine l'a dit avant toi et tu l'as prouvé
comme lui,
La lyre en se brisant jette un son plus sublime (2).
Du reste, si grande que soit la douleur de son âme
sensible et vibrante, le poète ne descendra jamais, quoi
qu'il dise, jusqu'au désespoir.
Il est préservé de semblables faiblesses par ses profondes convictions religieuses qui lui font entrevoir, dès
relie vie, les consolantes visions de l'au-delà.
Je veux garder le poste où mon Dieu m'a placé
Afin que vers mon lit, pour délier mon âme
L'ange qui l'assista descende au dernier jour (3).
Il en est préservé par l'amour des siens, car ce fils qui
pleure, ne tardera pas à se rappeler qu'il est père et
qu'il se doit à ses enfants.
Mon père, je vivrai pour cultiver l'enfance
Des tendres rejetons qui souvent t'ont souri,
Pour semer dans leurs cœurs l'honneur et la constance
Dont le tien fut nourri (4).
La Nuit de Mai.
Le Poète Mourant.
(1) A. DE MUSSET —
(2) LAMARTINE
(3) Le Deuil.
(4)
id.
—
�VINCENT DE BATAILLE
XVIII
II en est préservé enfin par le spectacle de la nature,
cette éternelle consolatrice des poètes.
Mais la nature est là, qui t'invite et qui t'aime,
Plonge-toi dans son sein qu'elle t'ouvre toujours (1).
Et le poète s'y plonge avec délices, conscient de trouver en elle, en même temps qu'un baume pour ses douleurs, une source inépuisable d'inspiration.
Souvent j'écoutais le murmure
Du plus limpide des ruisseaux :
L'azur des cieux et la verdure,
Se réfléchissaient dans ses eaux,
Alors ma voix était suave...
Et mon âme ravie
Se transformait en poésie
Et s'exhalait comme l'encens... (2).
Mais ce n'est pas seulement en artiste, avide de couleurs et de formes, que Vincent de Bataille aime la
nature.
Ce poète est aussi un gentilhomme campagnard qui
s'intéresse aux travaux des champs et qui connaît, bien
mieux que les paysans qui l'entourent, « l'art d'obtenir
de belles récoltes ».
Aussi le « Monsieur du Château » est-il très populaire
parmi ses compatriotes.
Il met à leur service, avec une admirable complaisance et un dévoûment inlassable, ses connaissances
juridiques et agricoles.
En retour, on l'admire, on le vénère, on l'aime, et
c'est un spectacle charmant que de le voir, quand il tra(1)
LAMARTINE —
Le Vallon.
(2) L'Inspiration.
�SA VIE
XIX
verse Pontacq, caresser les petits enfants qui s'empressent autour de lui ,conquis par son indulgente bonté et
son aimable sourire.
Sa popularité est telle qu'en 18-t8, ses compatriotes
le nomment, presque malgré lui, maire de Pontacq.
(( Dans des temps plus calmes, rapporte-t-il, j'aurais
décliné cet honneur. Au moment du danger, le lâche
seul recule. Je ne consultai que mon cœur : j'acceptai ».
A la nouvelle du coup d'Etat du Deux Décembre, il
a un instant l'intention de démissionner, car s'il se
sent la force de faire taire ses préférences légitimistes
pour accepter loyalement une république honnête, par
contre, il est résolument opposé à l'Empire. Son ami
intime, l'abbé Garet, panient, non sans peine, à calmer ses scrupules, et il reste à la tête de l'administration
locale jusqu'en 1855.
« En me retirant, écrit-il lui même, j'ai laissé à mon
successeur un excédent de U0.000 francs. J'ai doté Pontacq d'une salle d'asile ; j'ai empêché de boire dans les
cabarets, le dimanche pendant les offices. Ces souvenirs
sont mon unique récompense, car, de tous les côtés, je
n'ai recueilli qu'ingratitude ».
Quelques années auparavant, Vincent de Bataille,
cédant aux instances de ses amis, avait brigué le mandat de représentant à l'Assemblée nationale. Mais les
candidats furent nombreux (plus de 60), la lutte fut
chaude ,et bien qu'il réunît un nombre considérable de
suffrages, il ne fut pas élu. Il se consola facilement de
cet échec, car il était naturellement dépourvu d'ambition, trop grand pour ne pas supporter courageusement
les revers, et trop sage pour conserver encore quelque
illusion sur la reconnaissance des foules.
�XX
VINCENT
DE
BATAILLE
A partir de 1855, Vincent de Bataille renonce définitivement à la politique, pour se consacrer tout entier à
l'étude, à la méditation et à la poésie.
Il se lie de la plus intime amitié avec son confesseur,
le Père Garicoïts, et entretient des relations amicales et
littéraires avec M. de Lagrèze, M. Lespy, professeur au
lycée impérial de Pau, l'abbé Menjoulet, vicaire-général de Bayonne, l'abbé Dufau, curé de Pontacq, l'abbé
Pédefer, curé de Lamarque, et l'abbé Caret qui devait
mourir curé-doyen de Salies. Plusieurs d'entr'eux viennent lui rendre visite à Furé ; et il se plaît à leur montrer
son domaine ou à leur lire ses compositions.
Peu à peu, ses enfants quitteront le toit paternel pour
aller fonder ailleurs de nouvelles familles. Son cœur
souffre, sans doute, de voir s'envoler de leur nid ces
oiseaux que son amour a si bien protégés, inais il se
console en songeant qu'ils sont heureux, et cette pensée rend plus douces ses dernières années.
D'ailleurs n'a-t-il pas pour le consoler le souvenir de
ces chers disparus qu'il se plaît à évoquer de plus en
plus, à mesure qu'il sent le jour baisser, les bruits
s'éteindre et les ombres s'étendre autour de lui ?
Avec quelle noble fierté il regarde passer ses aïeux
dont les ombres voltigent, le soir, sous les grands chênes : « Jean, créateur des batans, Jourdain, seigneur
de l'Abbaye, son grand-père Guillaume, aussi gaillard
que joli homme, bourgeois de Pau, comme ses aïeux,
gentilhomme ». Et « quand la brise du soir joue avec
les aulnes », combien il est plus heureux encore, de
surprendre les conversations des belles dames, ses aïeules : la fière Judith de Lussan, la douce Esther de
�SA
VIE
Balette, la belle Aimée de S^Orens « dont la barque aimait tant à sillonner l'eau du vivier.... (i).
Cependant aucune voix n'est plus douce à son cœur
que celle de cette Marie, si bonne pour tous, si généreuse
envers les pauvres, et qui, jusqu'à seize ans, lui rendit
la vie si heureuse.
Et le poète s'émeut doucement aux lointains souvenirs que réveille en lui ce vieux Furé, où toute sa jeunesse,
« Comme, un essaim joyeux, chante au bruit de ses pas » (2).
Mais « l'ombre croît, le jour meurt, tout s'efface, tout
fait » (3), et le chrétien qui sent la fin venir, devient de
jour en jour plus indifférent aux vains bj'uits d'ici-bas.
Catholique convaincu et pratiquant, Vincent donna
toujours l'exemple des plus solides vertus chrétiennes ;
et il n'eut pas besoin d'être ramené par la douleur à
une foi qu'il n'avait jamais perdue.
Si le doute n'effleura jamais son âme, il dût néanmoins à la souffrance cet exquis sentiment religieux
qui, aux émotions d'une foi vive, mêle je ne sais quel
charme de pieuse et mélancolique tendresse.
Chaque année il va à Bètharram, faire une retraite
de plusieurs jours et retremper son âme aux sublimes
enseignements de son saint confesseur, le Père Garicoïts.
Il assiste presque quotidiennement à la sainte messe,
communie plusieurs fois l'an, et suit, avec une dévotion
qui fait l'édification de ses domestiques, les exercices
de piété dans le petit oratoire de Furé.
(1) Furé.
(2) MUSSET — Souvenir.
(3) LAMARTINE — L'Immortalité.
�VINCENT DE
BATAILLE
Cette joi ardente le soutiendra dans les dernières
épreuves qu'il lui reste à traverser.
Il verra tomber à ses côtés celle qu'il a tant aimée,
celle qui depuis si longtemps a été sa compagne aux
jours heureux, comme aux jours de tristesse, et le vide
que l'absente laissera dans son cœur meurtri, plus rien
désormais ne sera capable de le combler.
H verra la patrie vaincue, humiliée, foulée aux pieds
par un vainqueur avide et brutal et contrainte pour se
libérer d'une occupation odieuse, de sacrifier deux magnifiques provinces.
Deux de ses fils servent devant l'ennemi la France
en danger.
L'inquiétude, les angoissantes nouvelles trouvent
dans ce cœur de père autant de vaillance que de tendresse.
Mais le traité qui sanctionne notre défaite, arrache à
ce patriote des sanglots et des larmes, et il s'écrie douloureusement : « J'ai bien assez souffert !... Dieu maintenant peut me l'appeler à lui ».
A
Dieu ne devait pas tarder à exaucer son vœu.
Le 22 mai 1812, Vincent de Bataille alla faire ses
dévotions à Bètharram, dans l'antique chapelle de
Notre-Dame.
Il y pria avec la femeur d'un chrétien qui sent venir
sa dernière heure, et veut, avant de dire un suprême
adieu à sa famille, la mettre sous la protection du Ciel.
Là-haut, sur la colline du Calvaire, une chapelle l'attirait entre toutes : celle qui rappelle l'Ascension de
�SA
VIE
XX11I
Notre-Seigneur et dans laquelle repose son ami le vénérable Père Garicoïts.
Vincent alla se prosterner sur la tombe, à peine fermée du saint prêtre ; il y pleura comme il avait pleuré
aux funérailles de son ami ; mais surtout il y pria pour
que Dieu lui fit la grâce de les réunir tous deux dans
le ciel.
Quand il revint de Bètharram, son visage était illuminé de bonheur.
Le lendemain il voulut revoir une dernière fois son
domaine de Buzy, si cher à son cœur par le souvenir
d'une tendre épouse qui l'avait ajouté à ses biens de
famille.
Il y passa, en compagnie de son fils Guillaume, une
journée délicieuse...
Jamais la propriété ne lui avait paru si belle, le
pays si pittoresque, les récoltes si magnifiques.
La nature qu'il avait tant aimée semblait se faire
pour lui plus riante : elle ne voulait parler que de vie
à cet ami qui allait mourir.
Le soir, une indisposition subite le prit : c'était la
première atteinte de l'attaque d'apoplexie qui devait
l'emporter.
Les soins les plus intelligents et les plus dévoués
restèrent dès lors inutiles. Le 26 mai, à 4 heures du
matin, il rendait doucement son âme à Celui que, quatre jours auparavant, il avait reçu avec tant d'amour
dans la chapelle de Bètharram.
De son pieux espoir, son front gardait la trace
Et sur ses traits frappés d'une auguste beauté
La douleur fugitive avait empreint sa grâce,
La mort sa majesté. (1).
(1) LAMARTINE —
Le Crucifix.
�XXIV
VINCENT DE BATAILLE
Le soir de ce même jour, on apprenait à Pontacq la
mort du poète béarnais.
Le glas funèbre retentit, et les voix douloureuses des
cloches étaient comme les sanglots de cette vallée de
l'Ousse, que Vincent de Bataille avait chantée.
Bien des yeux se remplirent de larmes...
Ses ennemis politiques eux-mêmes, au souvenir de
sa loyauté et de sa courtoisie, ne purent s'empêcher de
lui adresser un adieu ému.
Après une première cérémonie religieuse à Buzy, on
transporta son corps à Pontacq, où des funérailles plus
solennelles lui étaient réservées.
Une foule nombreuse de paysans, de commerçants
et d'ouviiers se pressait derrière le char mortuaire.
Dans le cortège on distinguait des avocats, des médecins, des magistrats, des membres de diverses sociétés
littéraires, et des représentants des meilleures familles
de la Bigorre et du Béarn. La tristesse gravée sur tous
les fronts disait assez quel respect et quelle affection
avait su conquérir Vincent de Bataille.
Ainsi qu'il en avait maintes fois exprimé le désir, on
déposa ses restes dans le vieux caveau de famille, construit par ses ancêtres.
C'est là qu'il repose, au milieu des siens, tout près
de ce père qu'il avait tant aimé et à l'ombre de cette
Croix qui avait fait la consolation et la joie de sa vie.
Sous le signe sacré de l'espoir du chrétien,
Ah ! près de son tombeau, laissez un tombeau vide,
Pour qu'au terme certain d'un voyage rapide
Mon corps repose auprès du sien (1).
(1) Le Deuil.
�L'Œuvre et le Poète
Quand une lecture vous élèoe l'esprit,
et qu'elle vous inspire des sentiments
nobles et courageux, ne cherches; pas une
autre règle pour juger de l'ouvrage ; il
est bon et fait de main d'ouvrier.
Les Caractères — Ch. Ier.
LA
BRUYÈRE.
« La poésie n'était pas mon métier ; c'était un accident, une aventure heureuse, une bonne fortune dans
ma vie... Chanter n'est pas vivre, c'est se délasser ou se
consoler par le son de sa propre voix » (i).
Ces paroles célèbres de Lamartine, Vincent de Bataille
aurait pu les faire siennes. Il devint poète sans trop s'en
douter, et presque malgré lui, parce qu'il était né impressionnable et sensible et que « ces deux qualités sont
les deux premiers éléments de toute poésie » (2).
Le spectacle de la nature produisait en lui une impression vive et profonde et s'il fuyait volontiers la foule
bruyante, c'était pour en caresser jalousement dans la
solitude les images aimées ou continuer le « rêve intérieur » qu'il avait ébauché à son contact.
Cette âme délicate et méditative qu'une sorte de timi(1)
(2)
LAMARTINE —
id.
Préface des Premières Méditations.
id.
�XXVI
VINCENT
DE
BATAILLE
dité naturelle forçait, pour ainsi dire, à se replier sur
elle-même, devait faire naturellement de la poésie
« le papier-journal de ses impressions », et la confidente de ses rêves.
Je me plains à mes vers, si j'ai quelque regret,
Je me ris avec eux, je Jeur dis mon secret,
Comme étant de mon cœur les plus chers secrétaires (1).
De là cet accent de parfaite sincérité qui n'est pas le
moindre charme des poésies qu'on va lire ; de là aussi,
il faut l'avouer, quelques négligences, des redites et
parfois des longueurs contre lesquelles le poète n'a
peut-être pas pris assez soin de se mettre en garde,
mais qu'on lui pardonne volontiers, à cause de son naturel et de sa simplicité. « Quand on voit le style naturel,
on est tout étonné et ravi, car on s'attendait de voir un
auteur et on trouve un homme » (2).
Et cet homme, nous l'avons vu, fut une belle âme
et un grand cœur.
Trois nobles amours se partagèrent sa vie : celui de
sa famille, celui du Béarn et celui de son Dieu.
Ce furent ses principales sources d'inspiration. Il en
aurait vainement cherché ailleurs de plus fécondes et
de plus pures.
*
**
Nous n'insisterons pas sur les poésies que Vincent de
Bataille a consacrées à la mémoire des siens (Le Deuil,
Furé), car nous en avons déjà parlé en esqwissant sa
vie. Il nous a, en effet, semblé qu'elles étaient trop
(1) Du
BELLAY —
(2) PASCAL —
Les Regrets.
Pensées.
�L'ŒUVRE ET LE POÈTE
XXVII
étroitement liées à son existence pour qu'il fût possible
de les en séparer.
Ce poète qui cherchait si avidement autour de lui les
traces des générations disparues, et qui conservait si
jalousement dans son cœur le souvenir de ceux qu'il
avait aimés, était bien préparé pour comprendre et
sentir l'austère mais sublime poésie de la mort :
De mon meilleur ami la dépouille pâlie
Depuis deux jours est là ! J'ai contemplé ses traits,
Traits sublimes de calme et de mélancolie,
Que l'œil d'aucun vivant ne reverra jamais (1).
En voyant pour toujours disparaître celui qu'il a
tant aimé, l'âme du poète i'essent une angoisse indicible, car
Dans les fortes douleurs, rien ne peut consoler, (2)
et cédant pour une fois à un accès de pessimisme auquel
les plus optimistes n'échappent pas toujours, il en vient
à se demander si la vie est bonne, et si vraiment elle
vaut la peine d'être vécue.
Que le plus fortuné pèse dans la balance
Ce qu'il a ressenti de joie et de douleur ;
Qu'il compare aux longs jours de deuil et de souffrance,
Ses éclairs de bonheur !
Ceux qui disent : « Tout meurt quand notre corps succombe,
Nous ne sommes pas faits pour un sort immortel »,
N'auraient-ils pas raison de chercher dans la tombe,
Le repos éternel ? (3).
Le poète va-t-il s'irriter contre le Ciel « muet, aveugle et sourd aux cris des créatures (4) », ou maudire la
(1)
(2)
(3)
Le Deuil.
id.
id.
(4) A. DE VIGNY —
Les Destinées.
�XXVIII
VINCENT DE BATAILLE
nature « qui se rit des souffrances humaines » et « roule
avec dédain, sans voir et sans entendre, à côté des fourmis les populations ? » (i) Ou bien va-t-il, dans un
découragement pire que la colère, demander à la lourde
ivresse du nirvana la paix du cœur et l'oubli des maux
de la vie ?
Sa foi et son amour de la nature le sauveront de tels
excès.
Il suffit d'un rayon de soleil, d'une caresse de la brise,
d'un souvenir pieux, pour qu'il sente aussitôt son courage renaître. Et le blasphème prêt à jaillir de ses
lèvres, se change en un hymne d'adoration :
Hosannah ! Gloire à vous, Être bon, saint, immense ! (2).
Le chrétien a compris le sens profond de la douleur,
la nécessité de l'expiation, et il se résigne :
Ta main, ô Jehovah ! s'est donc appesantie ;
Je t'oubliai jadis, et ton bras me châtie ! (3).
Et parce qu'il est poète, il chante pour bercer sa douleur, et le seul regret qui lui reste est de ne pouvoir immortaliser par ses vers celui qu'il vient de perdre.
Bienheureux celui dont le Génie
Peut entourer un nom d'un fleuve d'harmonie ;
Ce qu'il aima ne peut périr ! (4).
Moins émouvants, moins passionnés, mais plus
mélancoliques peut-être et plus tendres, sont les vers
béarnais que le poète déjà vieilli, consacre à la mémoire
de la famille de sa mère (Furc — 1860).
(1)
VIGNY —
Les Destinées.
(2, 3 et 4) — Le Deuil.
�L'OEUVBE ET LE TOÈTE
XXIX
Il évoque avec une noble et pieuse fierté les gentilshommes, ses aïeux, dont le souvenir le poursuit dans
son manoir solitaire :
Au mench, à you, taus rapela
Nou'm eau pas esfort de memôri,
Nou'm eau pas enténen parla,
Ni que nat noum lous rememôri (1).
Il reste rêveur devant l'éternelle jeunesse de ce vieux
Furé qui, durant trois cents ans, a abrité ses chères
aïeules.
Quin yoeneyes, moun bielh Furé !
Pourtant qu'as bist débat tas tounes,
Maugrat qui nou t'en semble arré,
Près de tres-cents ans mas maybounes (2).
Son imagination, telle une baguette magique, fait
surgir des bosquets où elles se cachent, les ombres des
belles dames ; et s>i, un jour de fête, les roues d'un antique carossc grincent sur la route voisine, il se penche à
la fenêtre pour apercevoir plus tôt les chères visiteuses.
U carros antic à d'ença
E rolle u bèt die de hèste ?
Que'm semble las béde apressa
Y que m'estau à la frinèste (3).
Mais ses vers les plus harmonieux et les plus émus, il
les réserve à cette mère morte si jeune, et qui laissa
dans son cœur de seize ans, un ineffaçable souvenir de
douceur et de bonté.
Mes nade nou parle à moun cô
Coum déus déu Cassou la darrère...
E qui seré susprés d'aco ?
You soy lou hilh de l'eretère !
(1, 2 et 3),
Furé.
�XXX
VINCENT DE BATAILLE
Autour de sédze ans, boune may,
Tu qui hous auta boune espouse,
Aci, coum à moun brabe pay,
Be'm rendous dounc la bite urouse !
Quoan cercari de tout coustat,
Quoan y rebari tout lou die,
Nou'n troubari ta la bountat
Nade coum la nouste Marie (1).
***
Si Vincent de Bataille n'oublia jamais sa « douce
Marie », il parvint cependant à combler en partie le
vide que son absence avait laissé dans son âme... et ce
fut le Béarn qui opéra ce prodige.
La terre natale fut vraiment pour lui une seconde
« mère ». Enfant, il lui avait naïvement confié ses joies
et ses peines ; poète, il l'associe à ses aspirations et à
ses rêves ; tous ses états d'âme ramènent le cortège des
images et des impressions qui les avaient jadis accompagnés.
Il l'aime parce qu'elle est pour lui « la grande consolatrice, la puissance douce et bienfaisante qui semble
avoir des harmonies pour toutes nos joies, comme des
dictâmes pour tous nos maux » (2).
Il l'aime aussi, et peut-être surtout, parce qu'il est
poète, et qu'il sent en elle une source inépuisable d'inspiration.
Durant un de ses rêves, il croit entendre la voix
(1) Furé.
(2)
BRUNETIÈRE
—
Évolution de la Poésie Lyrique 1.
�L'ŒUVRE ET LE POÈTE
XXXI
maternelle de l'Ousse lui murmurer à l'oreille des vers
harmonieux qu'il a mission de transcrire,
N'enteni mey nad brut que l'ayguete de l'Ousse,
Quoan ère en murmure de sa bouts la mey douce
Lous bers que, per soun aygue, e yurèy de dicta,
Per ço qu'ère en manda déus ana troumpeta.
« Qu'ey à tu, si-m digou, moun hilh, de-m ha counéche,
« Moun gra que t'a néurit, moun àyre ta hèyt crèche » (1).
Le poète a reconnu la voix de la Muse, et il se lève,
prêt à chanter...
Que-m lhebèy, que parti...
Car la Muse m'abè de nabèt bisitat (2).
Et de quoi a-t-elle pu parler, sinon de ce Béarn qui
lui est si cher, de son riant aspect et de ses gracieux
paysages, de sa langue harmonieuse et sonore, de sa
glorieuse histoire et de ses naïves légendes ?
Et la terre natale ne sera pas ingrate. Elle inspirera
au poète qui l'aime, des vers tantôt caressants et émus
comme ceux de Brizeux chantant sa douce et mélancolique Bretagne, tantôt colorés et sonores comme ceux
que Mistral consacre aux coteaux parfumés et au ciel
bleu de Provence.
Pour nous peindre le « Balou de l'Ousse », le
poète trouve des couleurs et des traits d'un réalisme
pittoresque et d'une grâce lumineuse et charmante, qui
font involontairement songer aux Thalysies de Théocrite.
Arré débat lou cèu, nade biste famouse,
N'esclipsara yamey sa couroune peumpouse.
Decoupats en flurous, acets pics soun charmants,
Lurs glacières au sou 'stiglen coum diamants ;
Puch decap au brespau, méntre l'astre debare,
D'ue tinte d'arrose a.cere néu se pare,
Y per founs, lou bandèu pausat sus lou balou
D'u riban blu-de-cèu estale la coulou.
(1 et 2), Lou Balou de l'Ousse.
�XXXII
VINCENT DE BATAILLE
Nou gausi pas saya-m à-b descrîbe sa raube,
De perles clareyante au bèt esguit de l'aube...
Quin representari ferrous, lis, rouménts, prats,
Departits en carrèus rouys, Mus, berds, pigalhats,
Lous milhoes courdeyan eoum indiène rayade,
La récolte déus blats deya coulou-mudade,
Pabots, toutu coum hoec, lusin au miey déus cams,
Lhètes d'u blanc de lèyt, boutous d'or, triscnyrams,
Bluots couyfats en reys, charmantes margalides,
Arroses à brassats sus las sègues flourides ? (1).
S'il peint en artiste la nature qui l'entoure, Vincent
de Bataille trouve des strophes d'une émotion intense
et d'une allure presque épique, pour chanter les gloires
de son cher Pontacq.
Son âme tressaille quand il parcourt ce coteau arrondi
de laCòou, d'où, chaque année, le soc de la charrue fait
surgir quelques débris des forts construits par les
géants des Saintes batailles. Il salue avec respect la
modeste maison qui vit naître Laplacette, le Nicole de la
Réforme. Il s'agenouille avec une tendre dévotion dans
la vieille église aux voûtes ogivales, où, jadis les chapelains et les archiprëtres de Saint Laurent chantaient
l'office divin. Il passe avec fierté devant cet Hôtel de
ville « distingué parmi bien d'autres, où s'assemblaient
jadis les bons conseillers du Roi, vénérés du peuple ».
Mais son émotion et son enthousiasme ne connaissent
plus de bornes, devant le modeste fronton qui garde le
souvenir du glorieux défenseur de Huningue. Et il
nous montre l'héroïque Barbanègre défendant avec une
poignée de braves, derniers débris de sa brigade, la
place confiée à sa vaillance, et bravant avec un indomptable courage, derrière le faible abri d'un fort démantelé, les 180 canons de l'archiduc Ferdinand et de
Barclay de Tolly.
(1) Lou Balou de l'Ousse.
�L'ŒUVRE ET LE POÈTE
XXXIII
Et le poète salue avec une fierté reconnaissante ce
nouveau Léonidas auquel Pontacq devra l'immortalité,
Mercès au qui-s batou sens espia lou noumbre,
Pountacq, nou-t eau pas pôu que l'Abié te desmoumbre !
Esparte qu'ey au clôt : més q'a Léonidas,
Qu'as u noum, tu tabé, qui nou-s mourira pas ! (1).
C'est encore un glorieux enfant du Béarn qu'il chante
dans l'ode qui a pour titre « Le Vicomte d'Orthe ».
D'Orthe était Béarnais : la Muse qui m'inspire,
C'est l'amour du pays natal (2).
Gouverneur de Bayonne au moment du massacre de
la StBarthélemy, il répond fièrement à Charles IX qui
lui a envoyé l'ordre d'assassiner les protestants :
...Sire, vos gens de guerre
Se montrent aujourd'hui ce qu'ils étaient naguère,
Prêts à tirer pour vous le glaive du fourreau ;
Je vois de toutes parts dans cette citadelle
D'intrépides soldats, pleins d'honneur et de zèle,
Mais je n'y vois pas un bourreau.
Prince, prenez nos biens, nos bras et notre vie,
Prenez..., mais laissez-nous l'honneur (3).
Admirable réponse, dont le poète est fier, mais nullement surpris : un vrai Béarnais ne pouvait pas en faire
une autre,
C'était un des enfants de cette franche terre
Qui jamais ne subit le joug de l'Angleterre,
Quand l'Anglais en vainqueur s'étendait en tout lieu.
Un jour, le Prince Noir en réclamait l'hommage ;
Mais Gaston répondit, plein d'un noble courage :
« Nous ne dépendons que de Dieu » (4).
(1) Lou Balou de l'Ousse.
(2) Le Vicomte d'Orthe.
(3)
(4)
id.
id.
�XXXIV
VINCENT DE BATAILLE
Mais dans ce Béarn si fertile en héros, une figure
éclipse toutes les autres. C'est celle de cet Henri que sa
bonté a rendu tellement légendaire en terre de France,
qu'on est presque tenté d'oublier qu'il fut un habile
politique, un grand capitaine et l'un de nos plus grands
rois.
Quoau sàye hou mey ferme au miey déus tribulôcis ?
Quoau terrible guerriè, mey hort dens lous coumbats ?
L'abille poulitic, si s'ayiech de negôcis !
B'ey bràbe dens la pats !
...Autan puye au dessus de la Serre
Lou pic déus Aussalés de brumes courounat,
Autan surpasse rienric lous auts Reys de la terre
Per sa grane bouentat (1).
Dans « Les deux berceaux », le poète associe au souvenir d'Henri IV celui d'un autre illustre béarnais qui,
après avoir été un des plus brillants généraux de la
République et de l'Empire, monta sur le trône des Wasa
devenu vacant par la mort de Charles XIII. Durant un
règne glorieux, Bernadotte devait justifier son élévation
au rang suprême, en donnant l'exemple de toutes les
vertus qui commandent l'admiration des hommes.
Ce sont les glorieuses figures de ces deux grands rois.
ses compatriotes, que Vincent de Bataille se plaît à
évoquer.
Durant une de ces nuits claires, tièdes et parfumées
où « tout repose aux doux bruits du Gave et des
zéphyrs », il contemple ravi, l'auguste et fière demeure
des rois de Béarn qui, « parmi d'humbles sœurs, brille
...Comme l'on voit dans un rosaire,
Entre vingt grains de jais scintiller un grain d'or (2).
(1) L'Eslalue d'Henri IV.
(2) Les Deux Berceaux.
�L'OEUVRE ET LE POÈTE
XXXV
Soudain, il croit entendre l'accent de l'airain et « les
tons majestueux de la harpe d'Ossian ». Et dans ce
mâle concert, il distingue deux voix,
Deux voix qui, sur ces bords, ne savent que bénir
Et de deux rois qu'ils virent naître,
Rappellent tour à tour l'immortel souvenir (1).
Ce sont les voix de deux grandes nations, la France
et la Suède, remerciant le Béarn de leur avoir donné, à
l'une lé meilleur, à l'autre le plus grand de leurs rois.
Ainsi chantaient la France et la Scandinavie,
Et deux concerts rivaux résonnaient dans les airs...
Pays dont les forêts sont l'abri de ma vie,
Tressaille en ton orgueil, au bruit de ces concerts ! (2).
A
Après le Béarn historique, c'est le Béarn légendaire
que va chanter Vincent de Bataille.
Et la poésie n'y perdra rien, car son imagination
excelle à faire revivre et sa Muse à embellir ces
productions spontanées de l'âme populaire : contes
amusants ou terribles que, durant les longues veillies
d'hiver, racontent les vieilles grand'mères aux tout
petits qui font cercle autour du feu qui pétille ; mythes
charmants et gracieux où se joue la fraîche imagination
d'une race intelligente, délicate et fine ; héroïques et
merveilleuses légendes quti éternisent les aspirations
et les rêves grandioses des générations disparues, et
nous reposent, telle une oasis dans l'infini des sables,
d'une triste et morne réalité.
N'est-elle pasmaïve et touchante comme un tableau des
Primitifs ou un récit de la Légende dorée, cette « Mourt
(1 et 2), Les Deux Berceaux.
�XXXVI
VINCENT DE BATAILLE
de Roland » qui nous montre le fameux paladin venant
demander, avant de combattre les Maures d'Espagne,
aide et secours à cette Angébine, plus vertueuse encore
que belle, et qui fille d'un roi, n'est plus dans son humble ermitage que la Sainte du Béarn ?
Yoene bièrye doun l'inoucence
Près de Diu a tant de puissence,
Pregat per you ! Bièrye, pregat
Ta que you hàssi per sa glôri
Aocious dignes de memôri
Y que-m goàrdi de tout pecat ! (1).
Et la sainte de lui répondre que la Vierge Immaculée
le protégera et le rendra vainqueur de tous ses ennemis,
s'il confesse humblement ses péchés et s'il garde son
cœur pur.
Roland subjugué obéit : il se confesse. Et bientôt,
dans sa main invincible Durandal fait merveille, fracassant les boucliers, les casques et les hauberts, fendant
les rochers et entr'ouvrant les plus hautes montagnes.
En debant lous Francés ! de soun talh encantat
Durandal en pourtaus aubrech las hautes pênes.
Coum lou sou hè déu glas, lou prince houn las pennes (2).
Victoire hélas ! sans lendemain ! Les Français abandonnent l'Espagne à la suite du Grand Empereur, et
Roland est chargé de protéger la retraite avec l'arrièregarde.
A cet instant critique, sa pensée se reporte sur la
séduisante vision qu'il a emportée du Béarn,
Poutins frescs y bermelhs, péus en trenes daurades
Oelhs nègres, clareyants y dous I (8).
(1) La Mourt de Roland.
(2 et 3)
id.
�L'OEUVRE ET ĹÉ POÈTE
XXXVII
Un cœur trop humain « bat sous son épaisse
armure » et il succombe victime d'un souvenir qui lui
inspire des sentiments bien naturels chez un chevalier,
mais indignes d'une sainte.
Il meurt... Mais sa mort sera assez lente pour lui permettre de se repentir, et Dieu, sans doute, recevra sa
belle âme.
C'est encore au Moyen-Age que nous transporte une
curieuse ballade béarnaise. « Lou Tribut de la SentMiquèu », sorte de moralité qui nous enseigne la nécessité de l'expiation.
Certain abbé de Saint-Savin opère par ses prières des
prodiges étranges : grâce à lui, les petits ruisseaux de
la contrée ne roulent plus que du vin. Les gens d'Aspe
sont ravis de goûter le vin de l'abbé, mais ils expient
chèrement leur imprudente gourmandise.
Ils se trouvent tout-à-coup transportés au milieu du
Sabbat, et d'horribles visions d'oiseaux de nuit, de
loups-garous et de sorcières les glacent d'épouvante.
Les gens du Lavedan en profitent pour les égorger tous.
Crime effroyable dont les auteurs sont à leur tour cruellement punis : le pape les excommunie, et les plus épouvantables calamités fondent sur eux.
Hés, mllhocs, arré nou proufieyte
En u pèys, d'auts cops ta fertil.
En yèrmi la récolte ey coeyte,
Lou grà qu'ey boeyt, la borde boeyte,
Soegns, tribalhs tout ey inutil.
Toutes las baques èren mânes,
Oun nou-s bedè plus nad betèt,
Las oulhes màgres, per las lanes,
Nou troubaben que quauques branes
Y nou hasèn plus nad agnèt (1).
(1) Lou Tribut de la St-Miquèu.
�tíNCÉŃl DE BATAILLE
XXXYTII
Pour conjurer ces fléaux, dix notables du Lavedan se
dévouent : couverts d'un sac couleur de cendre, ils
vont à Rome implorer le pardon du Pape. Ce dernier
veut bien lés absoudre, puisqu'ils ont la contrition de
leur faute, mais il condamne les habitants du Lavedan
à payer aux Aspois une redevance annuelle qui devra
être acquittée le matin de la Saint-Michel.
Atau la ley de Diu qu'at bôu y qu'at ourdoune,
Quoan la sang barreyade a, bèrs lou cèu, cridat,
Si lou ciimi n'ey espiat,
Au murtrè, nou yamey, lou Seguou nou perdoune (1).
Si le poète aime à faire revivre toutes les vieilles
légendes de sa terre natale, il semble avoir une prédilection marquée pour celles qui exaltent la bravoure et
l'héroïsme.
Quelle noble figure que celle de ce Maure, qui du haut
des tours de son château de Mirambel, brave les menaces
de Charlemagne, et refuse fièrement de rendre au toutpuissant empereur le fort qu'il a mission de défendre ?
Dès qu'on ouït sur la montagne
L'ultimatum de Charlemagne
Roi des Francs, empereur Romain,
Mirât, dédaigneux de l'aubade,
Parut debout sur l'Esplanade,
Son grand cimeterre à la main (2).
Mais un prodige où il croit voir l'intervention d'en
haut, change subitement l'âme de ce brave resté fusquz
là insensible aux menaces. Il consent à rendre Miram(1) Lou Tribut de la St-Miquèu.
(2) Le Château de Mirambel.
�L'ŒUVRE ET LE POÈTE
XXXIX
bel à Notre-Dame du Puy, et spontanément demande le
Baptême.
Mirât se fit chrétien et reçut le baptême,
Quitta son premier nom, prit celui de Lorus,
Et de son nom la construction romaine,
Prit celui de Lordum (1).
De ce moyen-âge qui a été pour lui une mine si riche,
Vincent de Bataille va encore tirer deux poèmes qui
éclipsent par leur valeur littéraire les compositions
précédentes. Ce sont « Le Diable et le Croisé » et « Les
Enfants de Moncade ». Tous les deux, du reste, furent
couronnés aux Jeux Floraux, le premier en 1835, le
second en 18b3.
« Le Diable et le Croisé » est un poème légendaire
manifestement inspiré d'Homère et de l'Arioste.
Au fond d'un noir cachot de l'antique Solyme, un
croisé de Bigorre, le marquis de Bénac, gémit depuis
sept ans. Soudain, il entend un bruit étrange et les
murs de sa prison s'éclairent d'une lueur livide,
Qui s'épand à grands flots, monte, remplit le vide ;
Du soufre au même instant, il respire l'odeur (2).
C'est tout simplement le Diable en personne qui
vient rendre visite à notre gascon. La suite du poème
va du reste nous prouver que le plus diable des deux
n'est pas celui qu'on pense.
Bénac ne se laisse pas démonter par cette apparition
qui pourrait émouvoir des cœurs moins intrépides, et
il répond fièrement à Satan qui se flatte de l'effrayer :
Mon âme devant toi se relève au contraire.
Crois-tu m',avoir soumis, arrogant adversaire ? (3).
(1) Le Château de Mirambel.
(2 et 3) Le Diable et le Croisé.
�XL
VINCENT DE BATAILLE
Son courage cependant est fortement ébranlé quand
il apprend de la bouche du diable, ravi de torturer sa
victime, que sa femme Edith, lasse de l'attendre et convaincue d'ailleurs qu'il est mort, va devenir bigame.
L'époux qu'elle choisit est la fleur du canton,
C'est le jeune Desangle ; il a rang de baron,
Dans trois jours, cet amant, par le dieu d'Hyménée
Verra dans ton château sa flamme couronnée,
Si tu ne vas toi-même, avant le jour fatal,
Arracher ta moitié des bras de ton rival (1).
Désespoir bien compréhensible de Bénac qui, du fond
de sa prison, ne peut que maudire « sa perfide moitié ».
Le Diable cependant le rassure : il lui promet de briser
ses fers et de le transporter en Bigorre en mains de
trois jours. Il y met une seule condition, que le chevalier a hâte de connaître.
LE DIABLE
De ton âme, Bénac, je veux être le maître.
BÉNAC
Dieu seul le fut, Satan, et Dieu seul le sera.
LE DIABLE
...Donne-moi ton corps !
BÉNAC
Un trop dur esclavage
M'a de la liberté fait sentir l'avantage,
Et tu n'ignores pas que j'ai donné ma foi,
Que ma vie appartient à ma Dame, à mon Roi (2).
Ces nobles et fières réponses obligent Satan à rabattre
singulièrement de ses prétentions, et, de guerre lasse, il
se contente des restes du splendide festin qui s'apprête
au château de Bénac.
(1 et 2), Le Diable et le Croisé.
�L'OEUVRE ET LE POÈTE
XLI
Le pacte est conclu. Bénac voit à l'instant ses fers
tomber, et, sans façon, il enfourche Satan et s'accroche
solidement à ses cornes de bouc. Et l'étrange aéroplane
s'envole, rasant les flots « tel un martinet qui se joue
sur un lac », ou planant comme un aigle au-dessus des
plus hautes montagnes.
Après un voyage plein d'intérêt et du reste fort agréablement conté, Bénac arrive au château de ses pères,
dans une situation à peu près semblable à celle d'Ulysse
rentrant à Ithaque.
Son cheval et son chien le reconnaissent, mais sa
femme, telle Pénélope à la vue du mendiant qui ressemble si peu au plus rusé des Grecs, ne parvient pas à
retrouver sous cette pâle figure et ces habits en lambeaux,
le brillant Paladin
Qui devait renverser l'empire d'Aladin.
Mais Bénac, en gascon avisé, se rappelle qu'il n'est
rien de tel qu'un « bouillon substantiel, une vieille
bouteille et une mise soignée, pour effacer les traces
de l'exil », et il reparaît devant l'oublieuse Edith, complètement métamorphosé.
Madame, cette fois, se montra moins cruelle,
et rapprochant les deux nobles rivaux, elle donne sans
trop de regrets, l'avantage à Bénac.
Dans la comparaison, Bénac eût l'avantage.
La fleur des jeunes ans n'est plus sur son visage,
Mais tous ses traits sont beaux, son air est imposant,
Et vingt fois on le vit menacer le Croissant !
«Au château cependant, pour la fête on s'empresse »;
le repas est semi, et Bénac au comble de la joie, s'assied
à la place qu'on destinait à Desangle.
�XI. II
VINCENT DE BATAILLE
La conversation est très gaie, la chère délectable, et
tel est le robuste appétit des convives,
Qu'à la fin du repas, l'amphytrion remarque
Que tout a disparu...
Songeant alors seulement à Satan, auquel il a donné
rendez-vous pour le soir,
Mon démon, se dit-il, sera bien attrapé,
Quand nous lui porterons les restes du soupé.
Et plaisamment inspiré par le vin de Champagne, il
s'écrie, aux applaudissements des convives que réjouit
une idée si bizarre :
Pour boire sec, varlets, n'apportez que des noix.
Et les varlets d'obéir.
L'instant d'après, l'on vit pour tout dessert paraître
Deux plats de noix, portés dans un grand appareil.
On rit : à quel gala vit-on dessert pareil ?
Par ordre de Bénac, avec soin l'on ramasse
Les coques de ces noix ; ensuite on les replace
Dans les plats où le fruit avait été porté,
Et jusques à la nuit, on les mit de côté.
La suite, on la devine. Bénac sort le soir, et apercevant le Diable qui attend dans la cour qu'on ait quitté
la table, il marche droit vers lui :
Je t'apporte, dit-il, les restes du régal !
Et le gascon sans pitié, éclate de rire au nez du pauvre
Satan.
Tout honteux et confus d'être ainsi pris pour dupe.
Tel est cet amusant poème où se donne librement
carrière la fantaisie du poète et que l'Académie des
�L'ŒUVRE ET LE POÈTE
XLTII
Jeux Floraux couronna volontiers à cause de ses incontestables mérites littéraires, mais non pas cependant
sans quelques scrupules.
« L'apparition d'un poème héroï-comique, écrivait
le rapporteur du concours, M. de Panât, a étonné
comme une innovation et choqué comme une dissonance. On s'est demandé s'il était permis de déroger
à un usage séculaire, d'admettre une nouvelle amusante
et de descendre de la solennelle gravité que nous imposent à la fois nos règlements et nos habitudes. Mais
M. de Bataille conte si agréablement, son cadre est si
bien disposé, sa versification est si élégante, et il se
montre tellement supérieur au genre qu'il adopte, que
nous avons cédé à l'impression dont il est si difficile de
se défendre à la lecture de son ouvrage, ...et nous avons
couronné en toute sécurité de conscience le spirituel
imitateur de Roland et d'Alcine » (i).
Vincent de Bataille se promit de ne plus mettre à une
trop rude épreuve « la conscience » de la docte et grave
Académie, et il renonça pour toujours à un genre où il
avait pourtant si bien réussi. Le poème légendaire qu'il
envoyait, huit ans plus tard, aux Jeux Floraux, est de
forme toute classique.
La princesse de Béarn, Marie, et Moncade, son époux,
ont par un traité fatal asseni leur patrie à Ildefonse, roi
d'Aragon. Les fiers Béarnais outragés, « du trône, à cet
affront proclament la vacance » et ils choisissent pour
les gouverner un chevalier fameux de Bigorrc. Ce dernier, à son tour, viole leurs franchises, et ils l'immolent.
On se souvient alors avec plus d'indulgence de cette
Marie qui, malgré ses faiblesses, est restée chère à tous
(t) Extrait du Rapport sur le Cancours du 3 Juin 1835.
�XLIV
VINCENT DE BATAILLE
les Béarnais, « car le sang de Clovis circule dans ses
veines ».
D'un seul enfantement elle avait eu deux fils ;
Le Béarn résolut d'élire l'un des princes.
<( Pour les représenter aux terres étrangères
Béarnais choisissent
»,
les
Grat, prélat d'Oloron, l'oracle de la Cour,
L'impétueux Robert, châtelain de Montmour
Et Pérarnault, jurât aussi loyal que sage.
L'Evêque, à genoux dans son oratoire, invoque longtemps le Ciel pour savoir lequel des deux jumeaux il
convient de choisir. Soudain, l'ange du Béarn lui apparaît et met fin à son embarras.
L'un des fils de l'exil, doux, simple, pacifique,
Fera, dans ses Etats, fleurir la paix publique.
Qu'il règne ! Du second la jeunesse orageuse
Dans le chef de l'Etat serait trop dangereuse.
Mais Satan a tout soupçonné ; et voulant s'opposer à
un choix qui serait pour lui si funeste, il va trouver
Robert à l'instant où
Seul, au fond d'un caveau, dans son avare joie,
Celui-ci pesait l'or que ses hommes de proie
Avaient porté la veille au donjon de Montmour,
Et qu'il avait caché dans sa plus forte tour.
Et le diable, pour démontrer victorieusement à Robert
la nécessité de faire échouer les desseins de l'Evêque, a
recours à des arguments qui n'ont rien perdu de leur
valeur pour avoir beaucoup servi : il l'effraye par le
spectre de la Réaction.
Ces trésors passeraient entre les mains des moines...
Crains de voir à Montmour le camail des Chanoines !
�L'OEUVRE ET LE POÈTE
XLV
Cela suffit, Robert a compris : il votera contre.
Le voyage des ambassadeurs dure trois jours, et ils
arrivent, un beau soir, au château de Moncade. On les
reçoit avec de grands honneurs, et la princesse exilée
leur souhaite la bienvenue, en des vers admirables,
tout vibrants de l'indéfectible amour que garde son
cœur pour la patrie lointaine.
A-t-on cru, dit Marie, aux trois ambassadeurs,
Que l'éducation m'ait faite Aragonaise ?
Vous le savez, je suis par le sang Béarnaise,
Je le suis par le cœur ! Parlez, parlez de Pau,
Du Gave, de ses bords, des montagnes d'Ossau...
Je chéris le Béam, un beau soleil y brille,
C'est là qu'est mon berceau. Béarn, je suis ta fille !
Et pour les mieux convaincre de la sincérité de son
âme, la princesse les promène dans les galeries de ce
château si peuplé des souvenirs des rois, ses ancêtres,
qu'on dirait un lambeau de Béarn égaré sur la terre
d'Espagne.
Puis, doucement, elle les conduit au pied d'un berceau où reposent, côte à côte, deux enfants, frêle espoir
de la race illustre des Moncade.
Leurs délicates mains se montraient découvertes.
Or, pendant son sommeil, l'un les tenait ouvertes ;
Le front de cet enfant était calme et serein.
Le second, au contraire, avait un air mutin,
Et d'un brillant hochet, comme d'un glaive armée,
Hors du riche berceau, pendait sa main fermée.
Grat, l'homme de Dieu, a reconnu sans peine, le
prince bon et libéral qui doit faire le bonheur du Béarn.
Mais il se heurte à l'opposition obstinée de Robert, qui
jugeant du cœur des autres d'après le sien, ne craint pas
�XLVI
VINCENT DE BATAILLE
de jeter d'odieux soupçons sur le désintéressement de
l'Evêque. Il s'attire cette verte réplique :
La passion de l'or ne souille point mon âme,
Me préserve le ciel de cette lèpre infâme.
L'abeille à peu de frais sait distiller son miel,
Un seul bien lui suffit, le sourire du ciel.
Pour trancher un débat que la violence et l'entêtement de Robert menacent de laisser sans issue, la
Sagesse survient et se prononce avec quelque longueur,
mais non sans éloquence, par la bouche de Pérarnault,
dont la harangue se résume en ce vers :
Je donne mon suffrage au prince libéral.
On devine la fureur de Robert. Mais, pour une fois,
c'est la voix de la raison qui avait triomphé et
Le Béarn accueillit le prince aux mains ouvertes.
L'académie des Jeux Floraux couronna, et cette fois
sans le moindre scrupule « Les enfants de Moncade ».
Elle décerna à l'œuvre si belle de M. de Bataille les
éloges les plus flatteurs, par la bouche de son rapporteur, M. Tiret de la Martinière. On nous saura gré de
citer une partie de son rapport.
« ...Les Béarnais envoient en Espagne une députation
à l'effet de choisir, entre deux jeunes enfants jumeaux,
celui qui régnera sur eux : tel est le sujet de ce poème,
voilà le cadre dans lequel l'auteur a su introduire de
brillants détails, de poétiques descriptions, des épisodes
remplis d'intérêt ; c'est sur ce canevas si simple qu'il
a brodé les plus gracieuses fantaisies, semé les plus
charmantes fleurs. Dans ce drame, naïve épopée qui se
déroule et s'accomplit auprès d'un berceau, tout paraît
�L'ŒUVRE ET LE POÈTE
XL VII
si naturel, si bien lié, style et pensées, coloris et portraits, que l'on serait tout d'abord porté à croire que ce
travail a dû peu coûter. Ce serait là se tromper étrangement, mais toutefois, ce serait rendre à cette composition l'hommage le plus flatteur, le plus délicat. Le
poète n'arrive, en effet, à produire une pareille illusion
qu'après avoir surmonté mille obstacles, mille difficultés ; ce n'est qu'aux prix des plus grands efforts qu'il
obtient pour son œuvre, le naturel, la vie. Et, chose
remarquable, cette conquête si précieuse et si difficile,
c'est alors qu'elle est complète, qu'elle semble n'avoir
rien coûté. Mais — et dest là le plus'grand charm\e d'une
telle composition — des yeux un peu exercés aperçoivent vite tout ce qu'elle a exigé de patience et de correction, tout ce qu'elle renferme d'artifices de style, de
secrets de l'art, de poétique érudition ».
***
Il nous resterait à parler des poésies religieuses de
V. de Bataille ; et ce ne sont à coup sûr ni les moins
nombreuses ni les moins belles. Mais de peur que cette
introduction ne paraisse déjà trop longue, nous nous
contenterons de signaler celles qui nous semblent le plus
caractéristiques de son talent et de sa manière.
« C'est la légende religieuse, celle dont la Sainte
Vierge est l'objet, qui inspire ordinairement ses chants.
« La Capère de Bètharram » est un modèle du genre.
Une jeune fille, qui s'est laissé tomber dans le Gave
en voulant cueillir une fleur, invoque la Madone dont
la chapelle s'élève sur ses bords. Aussitôt une branche de
chêne s'abaisse vers elle. Eperdue, elle s'empresse de la
saisir, et échappe ainsi à une mort certaine.
�XLvni
VINCENT DE BATAILLE
Prosternée sur le rivage, elle s'écrie, en levant les
yeux vers la chapelle :
Chens boste ayude, èri perdude,
Sa dits ère, Rèyne déu Cèu !
Arrés n'a bist quoan souy cadude,
Més bous, qui m'abet entenude,
M'abet ayudade autalèu (1).
Elle lui offre le rameau sauveur, et s'oblige par un
vœu à le remplacer par un rameau qui luira toujours,
un rameau d'or, un « Bèth arram » (2).
Un rameau d'olivier en argent fut décerné à l'auteur
de cette gracieuse composition par la Société Archéologique de Béziers, dans son concours de l'année 1839.
L'heureux lauréat le déposa pieusement à l'autel de la
Vierge qui l'avait si heureusement inspiré.
En 186b, Vinceiit de Bataille présentait à la même
académie un remarquable poème de hOO vers : « Lous
Canoùnyes de Sarranse ». « C'est le récit des persécutions
que subit le monastère de Sarrance de la part des huguenots, au temps de Jeanne d'Albret et du comte de Montgommery, le féroce exécuteur de ses ordres impitoyables contre les catholiques. Ce célèbre monastère qui
fut visité par les souverains de Béarn, d'Aragon et de
Navarre, et par le roi de France Louis XI, qui vint y
accomplir un vœu, fut livré aux flammes et vingt-neuf
chanoines sur trente furent massacrés et ensevelis sous
ses cendres. Un seul échappa au martyre. Quand vinrent
des jours meilleurs, il releva le Monastère et replaça
(1)
La Capère de Betiiarram.
(2) GABRIEL AZAÏS,
Notice sur M.
Secrétaire de la Société Archéologique de Béziers.
Montpellier. 1873.
DE BATAILLE,
�L'OEUVBE ET LE POÈTE
XLIX
dans la chapelle la statue de la Vierge qu'il avait eu
soin de cacher » (i).
« Lous Canoùnyes de Sarranse » n'obtnirent pas un
succès aussi vif, malgré d'incontestables mérites, que la
naïve légende de « La Capère de Bètharram ». Tout en
reconnaissant qu'il y avait beaucoup à louer dans cette
œuvre, le rapporteur, M. Noguier, critiquait la longueur
des dialogues et la monotonie du rythme. « Ces considérations, ajoutait-il, n'ont pas permis de donner le
prix à cette pièce. Mais la Société lui a accordé le premier rang parmi les mentions, tout en regrettant que
son rameau d'argent n'aille pas occuper, sur l'autel de
la Vierge de Sarrance, la place qu'occupe sa couronne
sur celui de la Vierge de Bètharram » (2).
Vincent de Bataille
d'un demi succès, et
glorieuse revanche en
que de Béziers une de
n'était pas homme à se con tenter
l'année suivante, il prenait une
envoyant à la Société Archéologises plus belles œuvres : « Nouste-
Dame de Buglose ».
Nous en trouvons l'analyse dans le rapport sur le
concours de 1865, par M. Charles Labor : « C'est un
poème légendaire, disait-il en s'adressant aux membres
de la Société, écrit dans cette langue nerveuse et fière
du Béarn qui vous a déjà apporté ici tant de beaux vers,
que, pour en bien apprécier le charme, vous n'avez plus
besoin de glossaire. ... M. de Bataille — encore un talent
qui vous est sympathique, un nom que les échos de cette
salle saluent depuis longtemps, — M. de Bataille nous
avait adressé l'an dernier « Lous Canoùnyes de Sarranse ». Ils disputèrent vivement le prix aux « Doux
(1)
(2)
GABRIEL AZAÏS.
Extrait du Rapport de
M. NOGUIER,
sur le Concours de l'année 1864.
�VINCENT DE BATAILLE
Conscrits » de M. Thauron, et votre rapporteur rappelant le pieux usage que M. de Bataille avait coutume de
faire de ses couronnes, regrettait involontairement de
retenir un rameau qui semblait promis d'avance à l'autel de la Vierge de Sarrance.
« Notre-Dame de Buglose accomplit ce souhait aujourd'hui.
(( Un jeune berger de la lande avait remarqué qu'à
une certaine heure, un taureau abandonnait le pâturage
et revenait ensuite de lui-même au troupeau. Sa curiosité est éveillée ; il suit le taureau et l'aperçoit devant
un marais. Il se cache dans les branches de l'arbre le
plus voisin et l'observe. L'intelligent animal pénètre
dans l'eau ; arrivé à un certain point, il s'agenouille et
se met à lécher doucement une petite main de marbre
qui affleurait l'eau et éclatait comme la blanche fleur
d'un nénuphar sur la surface verte de l'étang.
« L'enfant étonné de ce prodige, va le raconter au
hameau. On accourt, et les plus âgés du pays reconnaissent une Vierge vénérée jadis dans la contrée, et qui
avait disparu depuis plus d'un demi-siècle, au milieu
des orages d'une persécution religieuse. On relève avec
amour la charmante statue, et on lui construit à la hâte
un autel ou elle est honorée deux ans. Mainte histoire
merveilleuse qui se raconte de tous côtés, attire la foule
au pied de ce rustique autel. La cité voisine en devient
jalouse et il est décidé que la Madone du miracle sera
transportée à Dax.
a L'Evêque, « lou cos de bile », viennent présider la
cérémonie ; toute la population est accourue sur leurs
pas. La théorie se met en marche et fait flotter ses bannières. Le char qui porte le marbre précieux est magnifiquement décoré, mais les bœufs qui le traînent n'ont
�L'ŒUVRE ET LÉ POÈTE
LI
pas fait trois cents pas qu'ils hésitent. Après cinq cents,
les voilà arrêtés, « èren escantatz ».
« On ajoute une paire de bœufs à l'attelage, vains
efforts ! le char est inébranlable. — « Ceci n'est pas
naturel, dit l'Evêque ; Dieu veut peut-être que cette
céleste sculpture demeure ici ». — Obéissant à cette
inspiration, il fait fouiller le sol et, aux premiers coups
de pioche, on découvre les fondations de l'ancienne
chapelle.
« Telle est, dans sa naïveté, la légende que se redisent
sous les pins des Landes des générations de bergers ;
telle la raconte aux pèlerins l'émail des vitraux de la
chapelle actuelle ; telle enfin semble la proclamer le
nom même de Buglose, dont il faut remarquer l'étymologie grecque. Il ne lui manquait que le chant inspiré
d'un poète, cette lacune est comblée aujourd'hui » (i).
Vincent de Bataille, comme d'habitude, déposa sa
couronne d'olivier sur l'autel de la Vierge qui l'avait
inspiré ; et Notre-Dame de Buglose n'eût plus rien à
envier à Notre-Dame de Bètharram. Il s'est plu à nous
l'apprendre lui-même dans les strophes d'une de ses dernières compositions.
Après avoir chanté N.-D. de Bètharram et N.-D. de
Buglose, Vincent de Bataille devait consacrer les derniers accents de sa muse à célébrer la Vierge Immaculée
qui venait d'apparaître à une humble enfant, au-dessus
du rosier fleuri de la grotte désormais célèbre de Massabielhe.
Un pieux évêque, Mer de la Bouillerie, avait composé
à cette occasion un cantique plein de poésie et de grâce,
que rendait plus touchant et plus suave encore la mélo(1)
Extrait du Rapport sur le Concours de Ì865, par M.
CH. LALOR.
�Lit
VINCENT DË BATAILLE
dieuse musique d'un moine, qui mit un rare talent au
service d'une foi profonde, le père Her-mann.
Au moment de le faire imprimer, l'Evêque et le carme
désirèrent y ajouter « une traduction en vers patois, que
l'on put chanter sur le même air ». Le 28 octobre 1858,
le père Hermann écrivait à Vincent de Bataille pour le
prier de traduire ce cantique en vers béarnais et le
U Novembre swivant, notre poète lui adressait une version romane, dans son dialecte.
« A quelque temps de là, les deux poésies, comme
deux sœurs jumelles, virent le jour, à la même heure,
dans un recueil de musique intitulé « Les Fleurs du
Carmel ».
C'étaient les premiers chants qui s'élevaient en l'honneur de la Vierge de Lourdes..., et certes la pensée était
délicate et touchante de saluer l'auguste visiteuse dans
ce dialecte béarnais dont elle-mên^e avait voulu se
servir pour parler à Bernadette.
La version de Vincent de Bataille devait jouir d'une
popularité que ne connut pas, au même degré, le texte
original.
Elle le dut sans doute à la sonorité, à la douceur, et
peut-être aussi à l'heureuse imprécision d'une langue
qui prête à la pensée je ne sais quelle grâce touchante
et naïve, moins sensible sous les formes plus nettes et
les contours plus arrêtés du français.
Que de fois le Gave surpris devait entendre le gracieux
refrain du « cantique des sourires de Marie », chanté
par les pèlerins de Pontacq !
Au soum de l'arrousè flourit,
Que s'en arrit, la May téndre,
La téndre May s'en arrit I
�L'OEUVRE ET LE POÈTE
LUI
Le Journal et les Annales de N.-D. de Lourdes gardent
maint témoignage de la séduction que ne manque
jamais d'exercer sur le cœur des fidèles, ce cantique
si pieux.
« Le cantique béarnais des sourires de Marie nous
séduit toujours et nous sourions à travers les larmes en
écoutant le doux refrain : « Que s'en arrit la May
tendre ! » (i). — « On écoule surtout avec bonheur un
cantique béarnais enlevé avec un entrain et un ensemble,
une précision et une expression vraiment remarquables.
Ce chant rappelle deux hommes très chers à N.-D. de
Lourdes. C'est le premier cantique qui fut composé en
son honneur par le R. P. Hermann, l'artiste et le carme
que toute la catholicité connut. Les paroles béarnaises
sont d'un chrétien qui mérita d'être plus connu, Vincent
de Bataille, un enfant de Pontacq, modeste et vrai
poète qui composa tout un poème à la louange de la
Vierge de la Grotte » (a).
Le poème auquel font allusion les « Annales de N.-D.
de Lourdes », est postérieur de près de dix ans au cantique dont nous venons de parler.
Vincent de Bataille, en chrétien avisé et prudent,
avait attendu la décision de l'autorité ecclésiastique,
pour croire aux apparitions de Lourdes. Le rapport de
la Commission nommée par M"' Laurence, et le beau
mandement de cet évêque (18 janvier 1862) opérèrent
sa conviction. Elle fut sincère et absolue.
Et le chantre des douces Madones reprit sa lyre restée
quelque temps muette, pour célébrer les merveilles
dont la grvtte de Lourdes était le théâtre depuis que
(1) Journal de Lourdes — 15 Juin 1878.
(2) Annales de N.-D. de Lourdes — T. IX, page 34.
�LlV
VINCENT DE BATAILLE
l'Immaculée avait daigné l'effleurer de son pied virginal.
C'est le passé glorieux de l'antique cité de Bigorre
qu'évoque tout d'abord Vincent de Bataille. Assis
comme un nid d'aigle sur un rocher, son château protège le pays qui l'entoure et défie fièrement les assauts
multipliés des Romains et des Francs.
Le grand Charles lui-même aurait été impuissant à
s'en emparer si Mirât, l'orgueilleux Sarrasin, n'avait
consenti à recevoir le baptême et à remettre son fort à
Notre-Dame.
Six siècles plus tard, le Prince Noir, jaloux d'affermir
sa domination en Bigorre, laisse au château de Lourdes
des capitaines renommés, et l'anglais, grâce à lui, est
longtemps maître de la contrée.
Au moyen-âge, Lourdes est la clef du Béarn et de la
Bigorre, de la France et de l'Espagne. Et quand disparaît la dernière comtesse du pays de Bigorre, maintes
rivalités s'élèvent au sujet de l'héritage « des biens
nobles et fiefs de PétronUle ».
Mais si glorieuse qu'elle puisse paraître, « la mémoire
des grands s'efface », et la vertu seule survit, laissant
dans les cœurs un souvenir ineffaçable.
Lutèce garde jalousement le nom de Geneviève,
Lourdes redira celui de Bernadette, et le souvenir de ces
humbles bergères restera éternellement gravé dans la
mémoire reconnaissante des hommes.
A Lutèce cent cops be trobe mey d'echo
Que touts lous noums reyaus lou noum d'ue beryère.
Qu'as u
Lourde,
Coum u
Sus lou
noum tu tabé qui nou pod pas péri,
car tu tabé qu'as ta pastourelete ;
lîri esclatant lou noum de Bernadete
to terrador, d'are-en-là ba flouri.
�L'OEUVRE ET LE POÈTE
LY
Grâce à celte pastourelle, Lourdes, telle la Judée au
temps du Sauveur, est devenue la Terre Sainte, la terre
des Miracles.
Les aveugles voient, les sourds entendent, les paralytiques se lèvent de leur lit de souffrance, ...et, spectacle
peut-être plus merveilleux encore, les foules accourent
et se renouvellent sans cesse, obéissant comme malgré
elles, au mystérieux attrait du divin, autour de cette
grotte, hier encore inconnue.
Mais aux yeux de la foi, la guérison du corps, si éclatante qu'elle puisse être, est moins admirable et moins
précieuse que celle de l'âme, et Vincent de Bataille termine son poème par cette humble et belle prière que
tant de chrétiens, comme lui plus avides des biens du
ciel que de ceux de la terre, ne cessent de murmurer aux
pieds de la blanche Madone :
You nou soy pas d'aquets, ô Rèyne immaculade !
Qui biénen imploura péu cos boste boentat.
Moun amne abera miélhe emplegat sa yournade,
Si pod cruba drin de santat.
De tourna la yoentut à ma sang arréulide,
Nou p'at demandarèy. Que-m eau màye fabou.
Audit-me Bièrye pure, y coumplit moun ahide ;
Abrasat-me déu pur amou.
***
Nous ne nous flattons pas d'avoir analysé toutes les
œuvres qu'on trouvera dans ce volume ; et ce volume
lui-même, ne contient pas, tant s'en faut, toutes les
œuvres de Vincent de Bataille.
Nous avons laissé de côté, de peur de le grossir démesurément, un grand nombre de poésies, de poésies religieuses surtout, qui, pour la plupart, n'auraient pas été
�LVI
VINCENT DE BATAILLE
indignes de l'impression. Nous les avons écartées parce
qu'elles nous ont paru, comme on dit aujourd'hui,
moins représentatives de l'inspiration et du talent de
Vincent de Bataille. D'autres enfin n'ont pas pu être
retrouvées malgré les plus laborieuses recherches ; et de
ce nombre est cette « Traduction en vers des œuvres de
Saint-Orens » à laquelle travailla avec tant de soin le
poète durant les dernières années de sa vie, et qui promettait d'être si intéressante.
A
Les compositions réunies dans ce volume sont cependant assz nombreuses et assez variées pour permettre au
lecteur de se faire une juste idée du remarquable écrivain et du poète distingué que fut Vincent de Bataille,
et d'apprécier comme il convient lavaleur et la portée de
son œuvre.
Il fut et il voulut être avant tout un troubadour.
Malgré les succès fort enviables que lui valurent dans
les académies et auprès du public lettré ses poésies
françaises, il garda toujours une prédilection marquée
pour ce beau dialecte du Béarn, qu'il parlait si bien et
dont il savourait en artiste la sonorité et l'harmonie.
(( L'harmonie est tellement inhérente à notre dialecte,
écrivait-il un jour à Gabriel Azaïs, qu'on peut dire que
ce qui n'est pas harmonieux n'est pas béarnais ».
Et ce dialecte déjà si beau, il s'appliqua à l'épurer
et à l'enrichir : choisissant les vocables les plus purs et
les plus expressifs, les locutions les plus imagées et les
plus pittoresques ; évitant avec soin les néologismes,
mais se plaisant à faire revivre de vieux mots disparus
ou trop dédaignés, justement convaincu que les langues
�L'OEUVRE ET LE POÈTE
L.VII
ont cela de commun avec les fleuves, qu'on les trouve
plus limpides et plus pures, à mesure qu'on remonte
davantage vers leurs sources.
Et en cela son mérite fut grand. « Lorsqu'il publia ses
premiers vers, « La capère de Bètharram » c'était en
1839), MM. Mazure et Hatoulet n'avaient pas encore
édité les Fors du Béarn (i), qui auraient pu lui servir
à résoudre quelques difficultés orthographiques. La
grammaire béarnaise de M. Lespy n'avait pas encore
paru ; elle n'a été publiée qu'en 1858. M. de Bataille
était donc livré à lui-même. Il existait, il est vrai, un
recueil de poésies béarnaises imprimées à Pau en 1827,
où, parmi quelques pièces d'auteurs alors vivants, on
remarquait les charmantes productions de d'Espourrins
et de Navarrot. C'étaient les seuls modèles sur lesquels
M. de Bataille pût se régler. Mais ces poésies, presque
toutes consacrées à la peinture des mœurs pastorales, ne
pouvaient être que d'un médiocre secours pour un
auteur que sa vocation appelait à traiter des sujets d'une
tout autre nature » (2).
Au reste, si Vincent de Bataille n'a pas toujours la
grâce mélancolique de D'Espourrins et cette puissante
originalité, cette verve toute gauloise qui devaient
rendre Navarrot si populaire, il domine ses deux devanciers par une forme toute classique et de hautes qualités littéraires qui, si elles rendent son œuvre moins
accessible à l'âme des foules, ne peuvent que lui conquérir l'estime et la faveur des lettrés.
Et à ce titre, il mérite d'être considéré comme un des
(1) Les Fors du Béarn contiennent toute la législation de ce pays
du XIe au XIVe siècle.
(2) GABRIEL AZAÏS.
�Lvni
VINCENT DE BATAILLE
rares précurseurs de la renaissance de la littérature
méridionale.
Il avait composé plusieurs de ses meilleures poésies
béarnaises avant quelle félibrige n'eut!été institué « pour
rapprocher dans une ardeur commune les hommes dont
les œuvres suivent la langue des pays d'oc, et les savants
et les artistes qui étudient et travaillent dans l'intérêt ou
au regard de ces contrées » (i).
Cette association ne fut fondée qu'après la réunion
d'un congrès tenu à Arles, le 29 août 1852, sous les auspices de Roumanille et de Mistral. Après l'apparition du
magnifique poème de « Mireille » (1859), le félibrige
prit un merveilleux essor et donna naissance à d'importantes œuvres littéraires. De nos jours, il a des organes spéciaux comme la « Romania » (1872), la « Revue
du Monde Latin » (1883), la « Revue Félibréenne »
(1885), les « Rcclams de Biarn e Gascougne de l'Escole
Gastou-Febus, « La Bouts de la Terre », sans compter
un grand nombre de journaux publiés en langue d'oc,
dans le Midi.
Vincent de Bataille n'a pas eu la bonne fortune d'assister à cette renaissance glorieuse d'une langue qu'on
croyait condamnée à une irrémédiable décadence, mais
il lui reste le mérite d'y avoir contribué. Il a entrepris
vaillamment une œuvre, que d'autres, nous l'espérons,
continueront avec plus de succès encore ; mais, comme
le disait, voilà bientôt hO ans, Gabriel Azaïs, « ses poésies
resteront comme des documents inportants pour l'histoire des lettres dans le Béarn, et comme d'excellents
modèles pour les poètes qui viendront après lui ».
(1) Constitution définitive du Félibrige rédigée en 1876.
�L'OEUVRE ET LE POÈTE
LXIX
Vincent de Bataille n'a pas écrit seulement des vers
béarnais, il est aussi un poète de langue française.
Il pensait qu'on « ne confie rien d'immortel à des langues toujours changeantes » (i) et maintes fois il a cédé
à la tentation de déposer l'humble violé du ménestrel,
pour s'essayer sur cette lyre immortelle qui, sous les
doigts inspirés des grands poètes ses contemporains,
faisait entendre de sublimes accents.
Mais le xixe siècle si fertile en grandes œuvres littéraires, nous a rendus bien difficiles en poésie. Peu de
poètes, même des meilleurs, peuvent supporter la comparaison avec les Lamartine, les Hugo, les Vigny, les
Musset..., les plus grands noms pâlissent à côté des
leurs.
Nous aimons trop notre poète pour l'écraser sous le
poids d'une comparaison que lui-même, lui surtout, eût
réprouvée.
D'ailleurs il n'appartint à aucune école et ne fréquenta
aucun cénacle : il ne fut le disciple ni le maître de
personne.
Trop modeste pour imposer à d'autres son influence,
il avait assez conscience de ses forces pour n'en subir
aucune.
Il trouva dans son amour de la petite patrie une
veine poétique si pure et si féconde, qu'il n'eût jamais
à envier les richesses des autres, et, volontiers, il eût
fait sien le mot de Musset :
« Mon verre n'est pas grand, mais je bois dans mon verre ».
Sans doute, ce fin lettré n'est pas resté ignoi'ant des
grandes œuvres que son siècle a applaudies ; et nous
(1) BOSSUET.
�LX
VINCENT DE BATAILLE
retrouvons en le lisant les grandes sources d'inspiration
des poètes romantiques : la nature, la mort, la gloire,
et cette nostalgie d'un ciel dont le dieu tombé se souvient toujours... Tout y est, à l'amour près.
Mais si les thèmes qu'il choisit se ressentent de cette
influence du milieu à laquelle personne n'échappe, que
de différences profondes le séparent de ses contemporains !
Sa culture classique avait été si forte qu'elle a laissé
sur lu>i une empreinte indélébile. Ce contemporain des
Romantiques n'a rien compris ou plutôt n'a voulu rien
comprendre à la « Préface de Cromwell ». En dépit
de toutes les révolutions de la langue et de la métrique,
il a continué à faire de beaux vers, simples et réguliers,
évitant l'enjambement, respectant la césure, en fidèle
disciple de ces classiques qui demeureront éternellement
nos modèles et nos maîtres.
Classique, il l'est encore par cet air vivifiant et sain
qu'on respire dans ses œuvres.
Sa poésie est l'expression fidèle de son âme équilibrée
et tranquille qui est restée étrangère aux morbides tristesses, aux agitations inquiètes, aux troublantes langueurs des romantiques.
Il n'y a rien en lui de l'incurable pessimisme des
René, des Adolphe, des Oberman.
Il a connu la joie de vivre, ce sage qui aimait le
passé, demandait peu au présent et trouvait dans sa foi
ardente de consolantes certitudes pour l'avenir ; et ce
qu'il s'est plu à chanter, c'est la noblesse de l'effort, la
beauté du courage, la sublimité de l'héroïsme et la
sainteté du martyre.
�LXI
L'OEUVRE ET LE POÈTE
Sans doute, il n'a eu des romantiques ni celte merveilleuse puissance d'imagination qui crée de magnifiques images et enfante des mythes grandioses; ni cette
acuité de vision qui permet d'exprimer d'une façon saisissante la réalité extérieure avec ses couleurs, ses contours et ses reliefs ; ni enfin, cette sensibilité frémissante
et exaltée qui secoue nos âmes d'étranges frissons.
Mais il faut être reconaissant à ce classique attardé
d'avoir aimé par dessus tout la clarté, la simplicité,
l'harmonie et l'ordre ; d'avoir eu le sens de la mesure et
l'horreur de l'excessif ; d'avoir eu du goût, pour tout
dire, et ce sont là des qualités bien françaises auxquelles
nous ne restons jamais insensibles, et que de plus
grands, parmi ses contemporains, n'eurent pas toujours.
Il faut lui être reconnaissant surtout, d'avoir eu le
respect de sa muse et de n'avoir jamais demandé le succès à des moyens trop faciles.
A une époque où la réserve et la décence n'ont pas
toujours été la caractéristique de l'art, il a persisté à
croire que
Le vers se sent toujours des faiblesses du cœur, (1)
et que
La gloire ne peut être où la vertu n'est pas (2).
Pl. QUIDARRÉ.
(1) BOII.EAU
—
(2) LAMARTINE
A. P.
—
P.
Méditations.
��ŒUVRES
BÉARNAISES
&
FRANÇAISES
DE
VINCENT
DE
BATAILLE
��POÉSIES
BÉARNAISES
Avec la Traduction Française en regard.
�La Chapelle de Bètharram
(Légende Béarnaise)
Traduite en Vers Français, par M. Gabriel AZAIS,
Membre de la Société Archéologique de Béliers.
« Notre-Dame du Bout du Font,
Venez à mon aide, à cette heure. »
Cantique entonné par Jeanne d'Albrct
en accouchant d'Henri IV.
�La Capère de Bètharram
Pèce Courounade
per la Souciétat Archéologique de Béziers,
lou 12 de May i S 3 9.
« Nouste-Dame déu cap déu Pount
Adjudat-me à d'aqueste ore ».
Cantique entounat per Yane d'Albrct,
en ha bàde Ilcnric IV.
�I
Quand le Gave, quittant les rochers pour les plaines
S'élance, en bondissant, dans les bois, dans les prés
On dirait qu'il a peur de rencontrer des chaînes
Dans les loujfes de fleurs dont ses bords sont parés.
Au bon temps des Gaston, une Chapelle sainte,
Qu'à la Mère de Dieu bâtirent nos aïeux,
Ouvrait déjà, non loin du Gave, son enceinte
Aux nombreux pèlerins accourus en ces lieux.
Il n'avait point, alors, ce modeste ermitage,
Le nom de Bètharram inscrit sur ton fronton.
Fils du Béarn, je vais dans votre vieux langage
Vous conter d'où lui vient ce nom.
II
Près du toit où la Vierge veille,
Une fille des lieux voisins,
Vive, leste comme une abeille,
Allait, remplissant sa corbeille
Des fleurs que moissonnaient ses mains.
�I
Quoan lou Gabe, en braman, dils adiu à las pênes,
Y s'abance, à pinnets, à trubès boys e prats,
Que diserén que cragn de rencountra cadenes
Sus bords de mile flous oundnts.
Au bou temps déus Gastous, ue beroye Capère
Counsacrade peu pòple à la May déu boun Diu,
La qui touts ans de loucgn lous Bèurraymés apère,
Qu'ère deya segude au bord déu gran Arriu.
Més n'ère pas labets coum adare noumade,
N'ère pas Bètharram : que'b bouy dounc racounta,
Lous més amies, quin hou la Capère estreade
Déu noum qui lié despuch-ença.
II
Drin au dessus de la Capère,
Ue hilliote déus embirous
Houleyabe, bibe e léuyère,
Y qu'empleabe sa tistère
De las niey fresques de las flous.
�LA CHAPELLE DE BETHARRAM
■— (( Oh Ciel ! quelle fleur séduisante
Là, se mire au cristal de l'eau,
De cette eau pure et transparente,
Qui, suivant sa rapide pente,
Baigne en passant les pieds de Pau ! »
Pour la cueillir, elle se presse...
Son pied glisse... Jeunes garçons,
Ombragez vos fronts de tristesse !...
Le Gave qui bondit sans cesse
L'emporte dans ses tourbillons-..
La pauvrette élève son âme
Vers celle qu'émeut le malheur...
D'auprès des murs où Notre-Dame
Vient en aide à qui la réclame
Soudain tombe un rameau sauveur.
La jeune fille qui se noie
Saisit, en l'étreignant bien fort,
Ce rameau que le Ciel envoie,
Qui sous son étreinte se ploie,
Et la soutient jusques au bord.
Tel, dans l'arche que l'eau balance,
Noé croit son trépas certain,
Quand le rameau de l'espérance
Au bec de l'oiseau qui s'avance
Du déluge annonce la fin.
�LA CAPÈRE DE HÈTIIARRAM
— « Moun Diu 1 la beroye flourete
Qui's miralhe liens lou crislau,
Hens lou cristau d'aquere ayguete,
Y ta bribente, y ta clarete,
Qui ba bagna lous pès de Pau ! »
Per la couèlhe ère s'esdebure ;
Lou pè que l'eslengue y que cat..Gouyats, la terrible abenture !
Lou gabe à l'arrauyouse allure
Que la s'emboulègue au capbat.
La praubote eslheba soun âme
A La qui sab noustes doulous,
De tire cadou bère arrame
D'auprès déu loc oun Nouste-Dame
Ayude lous sous serbidous.
Y chens s'abusa, la maynade
Saséch, en l'estregnén pla bort,
La branque péu Gèu embiade :
Per aquet mouyén cy saubade
Y douçamén miade au bord.
Taus las nores déu patriarche
Be's credèn pergudes, pari,
Quoan, pourtan l'arramete à l'arche,
La couloume, per sa desmarche,
Déu delùtye anounça la fi.
�LA CHAPELLE DE BÈTIIARRAM
Puisqu'une aide surnaturelle
Te sauve du flot courroucé,
Petite amie, à la Chapelle
De la Vierge à ta voix fidèle
Va réchauffer ton cœur glacé.
Oh Ciel ! que te voilà tremblante !
Tes dents claquent sous le frisson !
De ta robe blanche collante
L'eau, goutte à goutte, ruisselante,
A tes pieds mouille le gazon.
«
«
«
«
«
Sans votre aide j'étais perdue,
Dit-elle alors, Reine du Ciel ;
Ma chute, nul ne l'avait vue,
Mais vous qui m'avez entendue,
Etes venue à mon appel.
« Votre amour, ô douce patronne,
« Pour nous toujours veille d'en haut :
<( Quand l'eau m'entraîne et m'environne
«Au Chêne votre voix ordonne
« De m'envoyer vite un rameau.
«
«
«
a
«
0 Vierge, je vous fais hommage
De ce rameau qui séchera,
Mais, sur mon âme ! je m'engage
A mettre aux pieds de votre image
Un rameau qui toujours luira.
�LA CAPÈRE DE BÈTTIARRAM
D'ue fayçou ta mcrbelhouse
Puch qu'ès arringade au trépas,
Migue, hens la Capère ombrouse
De ta patrounc bienurouse,
Bè't reméte de toun esglas.
Diu de you ! quin ès marfandide I
Quin trembles de ret y de pou !
De ta raube blangue gouhide
Y de touns péus, l'oundc limpide,
En gouteyan, mulhe lou sòu.
« Chens boste ayde, qu'èri pergude, —
Sà dits ère, — « Reyne déu Cèu !
« Arrés n'a bist quoan soy cadude ;
(( Més bous, qui m'abét entenude,
<( M'abét adyudade auta-lèu.
« Boune May, pertout que-ns demoure
<( La tendresse de boste amou,
(( Quoan roullàbi capbat l'escourre,
ce Ou'abét dat oùrdi à la cassourre,
« Qu'embîesse ue arrame enta you.
«
«
«
«
ce
You'b òfri dounc ma bère arrame,
Que la-b depausi sus l'auta ;
Y-mey, que hèy bot en moun ame
Qu'aci daban bous, Nouste-Dame,
Gn'aut bèth arram que lusira.
�LA CHAPELLE DE BÈTHARRAM
I2
(( Trouverais-je, ô Vierge divine,
« Mon père contraire à mon vœu !
(( Ses agneaux paissent la colline,
ce Dans les champs sa moissoji s'incline,
« Ma mère obtiendra son aveu.
«
«
((
((
<(
Et moi, dans une ardeur nouvelle,
En souvenir de ce bonheur,
Tous les mois à cette chapelle
Où votre saint amour m'appelle,
Je vous ferai don de mon cœur ».
III
La Chapelle depuis fut de tous vénérée.
Parmi les ex-voto de son riche trésor,
On vit briller aux mains de l'image sacrée
L'offrande du beau rameau d'or.
De là, le nom du lieu... Loin du bruit de la ville,
Là, de ses passions, se guérit plus d'un cœur ;
Et l'âme s'y retrempe à la pensée utile
Des tourments que pour nous endura le Sauveur.
Courez à Bètharram, enfants de la Navarre,
Peuples de la Gascogne et des bords de l'Adour ;
A Bètharram, jamais la Vierge n'est avare
Des trésors du divin amour.
�LA CAPÈRE DE BÈTHARRAM
<(
«
«
<(
((
Sente-Bièrye, nou-b eau pas cràgnc
Que m'en desdigue lou me pay :
Souns moulous pèchen la mounlagne ;
Souns blats croubéchen la campagne ;
Qué-u hera counsenti ma may.
«
«
«
«
«
Y you, dab ue ardou nabère,
En memòri de tout aço,
Tout més, en aqueste Capère,
Oun boste sent amou m'apère,
Bièrye, que-b oufrirèy moun cô ! »
i3
HT
La Capère, despuch, estou fort renoumade.
Au miey déus ex-voto de soun riche tesor,
Que bin enter las mas d'ue imàtye sacrade
L'oufrande d'u bèth arram d'or.
D'aquiu, lou noum déu loc. Soubén, loegn déu hourbàri,
Oun que s'y ba goari de toute passiou,
En retrempan soun amc au pensa salutàri
Déus turménls qui per nous pati lou Saubadou.
Courret ta Bètharram, hilhots de la Nabarre,
l'òplcs de la Gascougne y déus bords de l'Adou :
La Bièrye à Bètharram nou hou yamey abare
Déus tesors déu dibin amou !
�La Statue d'Henri IV
sur la Place "Royale de Pau (*) 1843.
�L'Estatue d' Henric IV
sus la Place Royale de Pau 1843.
�Qui aurait cru que nous pourrions qualifier
d'heureuse — la brutale action du marteau de l'Enfer,
— et que nous serions, un jour, forcés de bénir — la
Révolution ?
Le pays vit, sans grand regret, briser la statue — du
roi trop dédaigneux du nom de son ami, — mais,
aujourd'hui, avec quel bonheur il la.voit remplacée —par l'image d'Henri !
Comme il se plaît à louer, transporté d'allégresse, —
le prince qui nous a fait un si rare présent, — par un
ciseau fameux, comblant de la patrie, — le vœu le
plus afdent (**).
Ronflez, ronflez, canons! Quitte tes sombres cercueils,
— bon peuple de défunts que nous avons pleuré. —
Accours, accours ! Regardez, ombres chéries, — l'objet
de vos désirs !
Oh! nous le voulons aussi. Il est de notre famille. —
Le palais où il naquit s'élève là, tout près ; — à nous de
faire voir la fameuse coquille — qui fut son berceau.
�Qui auré dounc crcgut qu'urousc pouyrém dise
D'u martèt de L'ihèr la brutale acciou
Ì que serém u cop fourçats de benadise
La Rebouluciou ?
Lou pèys bî, chens grand dòu, l'estatue brisade
D'u rey trop desdegnous déu noum de soun amie
Mes, ouey, dab quin bounhur c la bet remplaçade
Per l'imàtye d'Henric !
Quin se plats à lauda, transpourtat d'allegrie,
Lou prince qui-ns a hèyt u ta rare présent,
Per u ciscu famous, coumblan, de la patrie,
Lou bot. lou mey ardent !
Rounat, brounit, canous ! Quitc tas caches soumbi
Rou pòple de défunts qu'abém nous auls plourat.
Goùrri, coùrri t'aci... Goèrat, cherides oumbres,
Lou boste désirât !
Oh ! bé-u boulém tabé ! Qu'cy de nouste familhe :
Lou palays oun badou s'eslhèbc aquiu, tout près ;
A nous qu'ey d'amucha la famouse cousquilhe,
Laquoau cslou soun brès.
�[8
LA STATUE D'HENUI IV
Elle n'est pas bien loin d'ici, la riante cabane — où la
jeune épouse d'un simple laboureur — à la vue du
Parc, faisait par son lait sain — prospérer notre petit
Henri.
Quand vous rencontrerez la tour à la grise muraille
— qui commande à la plaine à trois lieues de Pau, — et
qui, bien que douairière, encore se mire ■— dans le
mouvant cristal,
Français, vous saluerez l'ancienne baronnie — où du
meilleur des i'ois mûrit la grandeur, — et qui prépara
sa glorieuse voie — à votre Sauveur.
Ces arbres, où les palombes vont s'abattre, — qui se
dressent comme des géants sur ces hauteurs, — ils bordent le chemin qu'Henri quatre fréquentait — avec nos
grands-pères.
En causant comme des frères, au château ils arrivaient. — Comment n'auraient-ils pas adoré un prince
si affable ? — Bientôt dans le danger, comme il l'escortaient en ce temps-là, — tous l'escortèrent de même.
Noble fils du Béarn, arme toi de ton courage ! — Va
éteindre le feu qui vient de s'allumer ! — Suivi de tes
cevers, disperse l'orage — ion épéc à la main !
�L'ESTATUE D'IIENRI IV
N'ey pas bien louegn d'aci l'arridente cabane
Oun la fresque moulhè d'u simple lauradou,
A las bistes déu Parc, hase, dab sa lèyt sanc,
Praba nous le Henricou.
Quoan rencountrét la tour à la grise murralhe
Qui coumande à la plane, à très lègues de Pau,
E qui, biélhc segnoure, encouère se miralhë
liens lou mabént cristau,
Francés, que saludét l'anciène barounie
Oun déu miélhe déus Reys madura la grandou,
Y laquoau prépara sa gloriouse bic
Au bòste saubadou.
Acéts àrbes, oun ban las paloumes s'abàte,
Qui-s quilhcn coum gigants sus acercs hautous,
Que borden lou cami fréquentât d'Henri Quòate
Dab lous noustes paybous.
En debisan coum frays, au castèt arribaben...
Quin n'aurén adourat u prince ta coumu ?
Ratlèu, dens lou danyè, coum labéts l'escouiiabcn,
Touts l'escourtèn toutu....
Noble bilh déu Riarn, arme-t de toun couràtye :
Rèn estupa lou hoec qui bié de s'eslama ;
Seguit de touns « cavers » escounyurc l'auràtye
Toun espade à la ma !
�20
LA
STATUE
D'IIENRI IV
Quel sage fui plus ferme au milieu des difficultés, —
quel terrible guerrier plus fort dans les combats ? —
L'habile politique s'il s'agit de négociations ! — Qu'il
est bon dans la paix !
Nous le savions bien ! Autant s'élève au-dessus de la
montagne, — le pic des Ossalois, de nuages couronné,
— autant Henri surpasse les autres l'ois de la terre —
j-ar sa bonté souveraine.
Si le chemin du cœur s'ouvrait par la gloire, — en
embellissant la couronne, en foudroyant le monde, —
de son digne petit-fils nous aimerions la mémoire —
comme la sienne sans exception.
Quand, dans la capitale, au beau milieu d'une place
— Louis, sur son grand cheval se dresse devant vous,
— vous l'admirez, sans doute. — Puis, petit à petit
vous glace — l'air de l'orgueilleux roi.
Et tout mon cœur bondit vers toi comme maintenant, — Henri, la première fois qu'il te rencontra sur le
Pont-Neuf. — Et, ne se possédant plus de plaisir, il
éclate — en te voyant à Pau.
�L'ESTATUE D'IIEINRI IV
21
Quoau sàye hou mey ferme au miey déus tribulòcis ?
Quoau terrible guerriè mey hort dons lous coumbats ?
L'abille poulitic si s'ayiech de negocis !
B'cy brabe dcns la pats !
B'at sabém ! autan puye au-dessus de la serre
Lou pic déus Aussalés de brumes courounat,
Autan surpasse Henric lous auts reys de la terre
Per sa granc bountat.
Si lou cami déu cù s'oubribe per la glòri,
En oundra la courounc, en houdreya lou mount
De soun digne arrehilh qu'aymarén la memòri
Goume la soue à-d'arroun.
Quoan, dens la capitale, au bèth miey d'ue place,
Louis sus soun chibau se quilhe daban bous,
Bèth-drin que l'admirât ! Puch chic-à-chic que-b glace
L'ayrc déu Rcy grandous.
Y tout mon cô penou de cap-à-tu, coum are,
Henric, lou premè cop qui-t troubè s'ou Pount-Nau,
Y nou's poussedan mey, de plasé que-s dcsglare
En te béden à Pau !
�Chant Béarnais
A la Gloire de Pierre-Paul PJQVET,
Créaleur du Canal des "Deux Mers.
�Cant Biarnés
A la glori de Pierre-Paul RIQUET,
Creatou de l'Agau de
las Dues Mas.
�1
« C'était dans mon sommeil : au milieu d'un vert
bocage, — il me sembla voir à travers le feuillage, —■
par les zéphyrs légèrement balancé, — resplendir sur
ma tête une ombre radieuse, — et je reconnus le joyeux
visage — de notre aimable Despourrin.
« Vois-lu, me dit-il, par delà la Garonne, — luire
deux étoiles, la palme et la couronne ? (*) — Ami, il
faut ies disputer ! — Et pourquoi craindrais-tu ?
Quand se lève le jour — où marchent au combat les
Patqis du Midi, — alors, c'est à nous de chanter.
« Comme la langue Espagnole et sa sœur l'Italienne,
— seules la Béarnaise et la Languedocienne — sont faites pour se mesurer. — De prendre le haut vol, qu'un
autre s'avise, — au Béarnais pour prier, pour aimer et
bénir, — rien ne se peut comparer.
« En ton sein fortuné s'engendre Vallégresse, — Voisine ! tout à la fois, tu es ancienne et jolie, — (deux
choses rarement rassemblées), — sur un tertre charmant, avec grâce tu es assise, — mais le bronze dont on
annonce la venue — fera ton plus bel ornement (**).
�I
« Qu'ère dens lou me soum: au miey d'u bcrd bouscàlye,
Que'm semblabe de béde, à trubès lou houelhàtye
Per l'ayret turmentat u drin,
Clareya sou me cap ue oumbre radiouse,
Y que recounegouy la figure gauyouse
De nouste aymàble Despourrin.
« E bédés, si'm digou, per delà la Garoune,
Lusi coum dus lugras la palme y la couroune ?
Amie, que las eau disputa !
Y perqué cragnerés ? Quoan se lhèbe lou die
Oun marchen au coumbat lous Patouès déu mieydie,
Labets qu'ey à nous de cantaCoum la lengue Espagnole y sa sô l'Italiane,
Soûles, la Biarnése y la Lenguedouciane
Soun hèytes enta's mesura.
De préne lou haut bol qu'ugn'aute que s'abîse :
Au Biarnés ta prega, t'ayma, ta benadîse,
Arré que nou's pot coumpara.
<c
c. En toun sé fourtunat, que s'enyendre la yoye,
Besic ! en-u-cop qu'ès anciène y beroye,
(Dus punts assemblats raremén)
Sus u tucòu charmant dab gràci b'ès segude ;
Mey lou brounze, doun tout announce la biengude,
liera toun mey bèth ournamén.
�26
CHANT BEARNAIS
(( Riquet te reviendra ! Chantons en ce jour sa mémoire : — au bien qu'il sut faire, il dut toute sa gloire,
— quel mérite plus élogieux que celui-là ! — Guerriers,
grands politiques, rois, votre renommée — par le sang
et les pleurs souvent est acquise, — mais il n'en est pas
ainsi de Ptiquct !
Il
« Riquet ! à ce nom là, la Muse s'éveille. — Lui, ne
fit jamais couler les pleurs du peuple — et il créa la
plus l'are meneille, peut-être, — du siècle le plus merveilleux. — Les grandes mers d'Europe, après deux
cents années, — semblent encore étonnées — de se
donner la main amicalement — et depuis deux cents
ans, le pays qui les sépare, — par le travail béni que
nous célébrons maintenant, — voit croître sa prospérité.
« Paris, à tout propos, vante tes colonnades, ■— tes
temples, tes tableaux et tes marbres fameux ! ■— Fais
voir aux étrangers tes promenades superbes, — tes
palais, tes pompeux jardins ! — Fière de tes palais, de
tes chères petites eaux, — de tes dieux et de tes fleurs,
— Versailles, fais parler jusqu'aux muets ! — tout cela
est bien beau, je le veux, pour orner les villes — mais
du sage, jamais, comme les œuvres utiles — cela ne
forcera les respects.
�CANT BIARNÉS
Que-t tournera Riquet ! Cantém ouey sa memòri
Au bé qu'et sabou ha que déu toute sa glòri :
Quin mérite laudous aquet !
Guërriès, grans poulitics, reys, boste renoumade
Per lou sang y lous plous trop soubén ey croumpad
Mes, n'ey pas atau de Riquet !
et
II
« Riquet ! à d'aquet noum la Musc que's desbelhe .
Et, déu pòple yamey nou hé coula lous plous,
Y que créa dilhèu la mey rare merbelhe
Déu sècle lou plus merbelhous.
Las granes mâs d'Europe, après dus cents anades,
Be semblen encoère estounades
De's da la ma dab amistat ;
Y despuch dus cents ans, lou pèys qui las sépare,
Peu tribalh benadit qui celebram adare,
Bet crèche sa prousperitat.
« Paris, à tout prepaus bante tas coulounades ,
Tas glèyses, touns tablèus y touns màrbcs famous ;
Ile béde aus estranyès tas bères proumenades,
Touns palays, touns casaus poumpous.
Fière de toun castèt, de tas clares ayguetes,
De touns dius y de tas flouretes,
Bersalhes, hè parla lous pècs.
Pla bèt ey tout aco, qu'at bouy, qu'oundre las biles
Mes déu saye, yamey, coum las obres utiles,
Aco n'oubtiera lous respects.
�98
CHANT BÉARNAIS
« Ce que toujours le monde admire d'âge en âge, —
ce que le Languedoc contemple avec amour, — et qui
jait le bien-être à la ville, au village, — c'est le canal
de Riquétou — Oui, grâce à Riquet, la cité de Toulouse
— d'aucune autre n'est jalouse : — de même qu'elle se
dislingue par les arts, — elle se place haut, aussi, par
l'or et la Richesse, — et elle peut, en tenant son rôle de
princesse, — sur elle appeler les regards.
(( Dieu ! comme elle trône, la reine du Midi ! — Tout
pays, de ses tributs lui accorde l'honneur, — depuis le
doux climat où naît l'aube du jour — jusqu'au lieu où
s'endort le soleil ! — Elle reçoit dans sa cour les tissus
de l'Asie, — les parfums venus d'Arabie, — les fruits
confits à Malaga, — le sucre et le café venus de la Martinique, — et, avec leurs pommes d'or, les îles de l'Afrique — à leur tour viennent payer leur tribut.
« Avant que nos yeux vissent ces miracles, — quelle
peine il fallut à l'auteur du Canal ! — Les hommes, le
terrain, se hérissaient d'obstacles : — personne ne lui
donnait du courage ; — de ses profonds calculs, certains se riaient, — d'autres avec aigreur murmuraient
— contre son utile projet. — Mais en dépit du bruit et
de la raillerie, — le Languedoc surpris ne le vit pas un
seul jour — perdre de vue son objet-
�CANT BIARNlÎS
« Ço qui toustcm lou moundc admire d'àtye en àlye
Ço qui lou Lenguadoc counlcmple dab amou,
E qui hè soun pla-'sta de la bile au bilàtye,
Qu'cy la Canau de Riquetou.
0 ! grâcis à Riquet, la ciutat de Toulouse,
De nade aute nou-n ey yelouse :
Coum se destingue per lous arts,
Que's place haut tabé per l'or y la richesse,
Y que pot, en yougan soun ròlle de princesse,
Sus ère apera lous regards.
« Diu ! quin trouna que hè la Beyne déu Mieydie !
Tout pèys de souns tributs bc l'acorde l'aunou,
Dcspuch lou dous climat oun bad l'aube déu die
Dinqu'au loc oun s'escoun lou sou !
Que recéu en sa cour las sedes de l'Asie,
Lous perfums bienguts d'Arabie,
Lous fruts goufits à Malaga,
Lou sucre y lou café, hilhs de la Martinique,
Y, dab lurs poumes d'or, las iles dé l'Afrique
A lur tour que biénen paga.
« Aban que noustes ouelhs bissen aquets miracles,
A l'autou déu « Canal » qui ne pene e calou !
Lous omis, lou terré s'arissaben d'oubstàcles :
Arrés que né-u dabc calou.
De souns pregouns calculs aquéstes se trufaben ;
Lous auts dab agrou rougagnaben
De-cap à soun util' prouyèt.
Mey, en despieyt déu brut y de la truferie,
Lou Lenguadoc susprés nc-u bî pas u soul die
Pèrde de biste soun oubyèt.
�3o
CHANT BÉARNAIS
(( Les Fées lui donnèrent sans doute leur baguette ;
— Son niveau enchanté aplanissait les monts, — et
vous auriez cru, sans l'oie et la boursette (***)> — qu'il
était servi par les esprits malins. — Homme admirable,
de tout il tira parti. ■— Il sut remplir avec de petites
soui'ces — les grands ?'éservoirs du Soumailh. — Voyezvous les ruisseaux descendant la montagne ? — Ils vont
en quelques instants à travers la campagne, — donner
la vie à son beau travail.
« Hélas ! pauvre Riquet, tu n'eus pas la joie — de
réaliser les essais de ton premier Canal... — La mort
quand le succès couronnait ton ouvrage, — t'avait
frappé du coup fatal. — Ainsi, comme toi, Riquet, le
Tasse expirait — pendant que Rome tressait — en couronne ses lauriers ; — c'est en vain que l'attend l'orgueilleux Capitole : — Sur le triomphateur, l'affreuse
mort qui vole — changeait les palmes en cyprès.
« Si nous n'étions pas tous deux au pays des Ombres,
■— j'irais te trouver, tu connaîtrais tous mes vœux. —
Je te prierai de faire des destinées moins sombres — à
la terre du grand Henri. — « Riquet, te dirai-jc, viens
aider la nature ; —ici languit l'agriculture — faute d'un
petit canal ». — « Oh ! répondrais-tu, tu auras ce que
tu réclames ». — Mon Dieu ! si nos corps, serviteurs de
nos âmes — pouvaient aujourd'hui sortir du tombeau m
�CANT BTARNÉS
« Las Hadcs qué-u balhan per segu lur baguete ;
Soun nibcu encantat aplanibe lous mounts,
Y qu'aberén pensât, chens l'auque y la boussete,
Qu'ère serbit per lous demouns.
Omi miraculous, de tout et hè ressources,
Que sab pléa dab chines sources
La gran resèrbe déu Soumalh.
E bedét ? lous arrius bachats de la mountagne,
Ban, en quauques mouments, à trubès la campagne,
Da la bite à soun bèth tribalh...
« Las ! o praube Riquet, n'abous pas l'abantàtye
D'ourdia lous essays de ta famouse agau :
La mourt, quoan lou succès courounabc l'oubràtye,
T'abè matât déu truc fatauAtau, coum tu, Riquet, lou Tasse s'acababc,
Entertan que Roume trenabe
En couroune touls souns laurès :
En balles be l'aténd l'ourgulhous Capitole ;
Sus lou trioumfadou l'afrousc mourt que bole
Cambia las palmes en cyprès.
« Si n'èrem pas touls dus au parsà de las oumbres,
You t'aniri trouba : saurés tout moun perpic ;
Quc't pregari de ha destinades mench soumbres
A la terre déu gran Henric.
« Riquet, si'tdiseri, say ayda la nature,
Aci languech l'agriculture,
Faute à"u praube canalot ».
— « Oh ! si'm respouncrés, qu'auras ço qui reclames
Moun Diu ! si noustes cos, serbidous de las âmes
E-s poudèn, oucy, lhcba déu clot !!!
�3l>
CHANT BÉARNAIS
(( Nous doter d'un Canal te serait bien facile : —
Lourdes te fournirait les ondes de son lac ; — le sol partout serait docile à ton niveau ; — tu prendrais l'Ousse
à Pontacq, — et puis, comme autrefois, tu n'aurais pas
à craindre — que personne s'avisât de se plaindre, —
ou qu'on trouvât des opposants quelque part. — Un
Canal ! Un Canal !... tous nos souhaits l'appellent ! —■
Ton poète lui-même, ne regretterait guère, — ni ses
moulins, ni ses foulons .
<( Mais que dis-je ? Notre corps dans le noir cercueil
— dort enchaîné jusqu'au grand jugement, — et ce
pauvre habitant à la chambre basse — ne peut être
notre instrument..- — Ainsi, de ce côté, n'ayons pas
d'espérance. — Mais loi, qui tant aimas la France, —
qui as tant fait pour son bonheur, — Riquet, inspire au
moins les savants du Génie, — et j'inspirerai, moi, les
fils de l'Harmonie, — pour qu'ils puissent te chanter
comme il se doit ».
III
Ainsi de Despourrin me parla la grande ombre : —
j'ai ses paroles encore présentes à la mémoire ; de peur
de les oublier — bien vite à la plume j'ai recours. —
Mais je n'y mêle point mon trop commun langage :—■
comme un devoir latin troussé par un enfant, — je me
garderai bien de gâter un tel discours.
— 18M —
�CANT BIATINÉS
33
ce De douta's d'ue agau be't seré pla facile ;
Lourde que't hourniré las aygues de soun lac ;
Lou sòu à toun nibèu pertout seré doucîle ;
Que prenerés l'Ousse à Pountac ;
Y puch, coum d'autes cops, nou't caleré pas cràgne
Qu'arrés s'abisesse dc-s plàgne,
Y qu'enloc houssen oupousans.
Ue agau ! ue agau !... nouste bot que l'apère :
Toun pouète et medich, nou regretaré hère,
Ni souns moulis, ni souns batans.
« Mey, que die ? Nouste cos déhens la nègre cache
Que droum encadenat dinqu'au gran yutyamén :
Aquet praube manan de la crampete bâche
Nou pot esta nouste instrumén.
Atau, d'aquet coustat, n'ayan nade espéranceMes tu qui tan aymès la France,
Qui tan as hèyt per soun plà-sta,
Inspire au mench, Riquet, lous sabents déu Yenie,
Y qu'inspirerèy, you, lous hilhs de l'Armounie,
Ta que't pousquen coum eau canta ».
III
Atau de Despourrin que'm parla la grane oumbre :
Qu'at èy encouère au cap; de pòu que se'm desmoumbre,
Are à la plume qu'èy recours :
Que-m goàrdi d'y mescla moun trop coumu lengàtye :
Coum bèt debé lati troussât per u maynàtye,
You nou goastarèy taus discours...
�La Mort de Roland
Chant Béarnais.
�La Mourt de Roland
Cant Biarnés.
�De Notre-Seigneur Jésus, honorons la Sainte Mère,
— aux autres Saints aussi, rendons un juste hommage,
— afin que notre Père Céleste daigne nous garder — de
tout mauvais esprit, de tout péché, de toute peine.
I
Quelle est celle qui répand odeur de sainteté, — dans
le pays de Béarn, qui tant de gens attire — comme la
rose nouvelle — nous attire, embaumant l'air de toute
part ?
Et quelle ombre cache cette fontaine de grâce — d'où
coule la vertu qui rend la santé aux malades, — change
la face des choses — et, des guerriers, guérit coups et
blessures ?
Fille d'un roi tué par les Maures à la guerre, ■— de
bonne heure consacrée à Dieu par la souffrance, —
sage, belle, ange sur terre, — des vierges de nos monts
Angéline est la fleur.
Terrible chevalier qui menace l'Espagne — et depuis
si longtemps t'épuises à chercher le moyen d'y pénétrer — Roland, rends l'espoir à Charlemagne ! —
Viens, et lu vas apprendre par où tu dois passer.
�De Yèsus Nouste-Ségne oundrém la Sente May,
Aus aules Sents tabé, rendam u yùste oumàdye,
Ta que-ns dègne goarda, nouste céleste Pay,
De tout male-esperit, de pecat y damnàdye.
I
Quoau ey la qui repénd aulou de sentetat
liens lou pèys de Biarn, y tant de yents apère,
Atau coum la rose nabère
E-ns atire, embauman l'àyre de tout couslat ?
E quine oumpre l'escoun, aquere houn de gràci,
Doun fluech la bertut qui goarech lous malaus,
Qui déus ahas càmbie la fàci,
Y sanech déus nafrats las herides, lous blaus ?...
Ililhe d'u rey aucit peu s Mourous à la guerre,
De d'orc counsacrade à Diu per la doulou,
Sàye, beroye, anyou sus terre,
De las bieryes déus mounts Anyeline ey la flou.
Tarrîble cabale qui miasses l'Espagne,
En pênes de-y transi despuch loungtemps en-ça,
Roland, counsole Carle-Magne ;
Sàbi, qu'apreneras per oun te eau passa.
�38
LA MORT DE ROLAND
Quand la Sainte parut sur le seuil de son ermitage,
— sa beauté frappa subitement le Paladin... — Emu,
comme un enfant, — rougissant... pâlissant... tour à
tour... enfin, il s'enhardit :
II
« Jeune vierge, dont l'innocence — est si puissante
auprès de Dieu, — priez pour moi !... Vierge, priez ■—
afin que pour sa gloire j'accomplisse — des actions
dignes de mémoire — et que je me garde de toute
chute.
« Ah ! belle Angéline, qu'ils tremblent — ceux qui
vous ont rendue orpheline ! — les infidèles seront
abattus ! — Mais il faut pénétrer jusqu'en Espagne, —
et la montagne est si haute — qu'elle préserve les maudits.
« Quel pèlerin, sans vous, saurait se diriger — vers
Saint-Jacques de Compostelle ? — Vous nous montrez
les sentiers qui y conduisent, — brillez, étoile d'espérance ! — Qu'à votre lumière les fils des Francs, —
s'élancent à travers les monts ! »
�LA MOUET DE ROLAND
Quoan la Sente e-s mountra dehens soun ermitàdye
Souns atrèyts tout d'u cop herin lou paladi ;
Tout esmudit coum u maynàdye...
Rouy... pàlle, tour à tour, ...dab pene s'enhardi :
II
«
«
((
«
«
«
Yoene bièrye doun l'inoucence
Près de Diu a tant de puissence,
Pregat per you !... Bièrye, pregat,
Ta que you hàssi, per sa glòri,
Accious dinnes de memòri
Y que-m goàrdi de tout pecat.
«
«
«
«
«
<(
Ah ! que trémblen, bère Anyeline,
Lous qui-b an rendude ourfeline !
Lous infidèls seran crouchits...
Mes eau Irauca dinqu'à l'Espagne,
Y tant haut puye la mountagne
Qu'ère saube lous maladits.
((
«
«
«
«
«
Quin pelcgri sauré la bie,
Sens bous, qui t'a Sent-Yacqucs mie ?...
Bous, que-ns amuchat lous sendès,
Lusit, estele d'espérance,
Qu'à boste luts lous hilhs de France
S'eslancen per mounts à trubès ! »
�4o
LA MORT DÉ ROLAND
III
■— « Les cavaliers comme vous, forts de leur seul courage, — dédaignant les chemins tracés — savent, l'épée
en main, se frayer partout un passage. — « Oui », dit
la jeune Sainte, « qu'ils passent comme l'orage, — sur
les ennemis abattus !
« Pourtant, tous ces guerriers, malgré leur valeur,
— quand Dieu ne leur donne plus l'ardeur nécessaire,
— ne sentent en eux que langueur, que mollesse ; —
il leur faut confesser que forces et noblesse, — sans
Dieu n'ont de valeur aucune.
« Implorez donc l'appui de Celui qui donne la victoire, — jetez-vous humblement à ses pieds. — H vous
est donné d'éclipser les héros de l'Histoire, — mais
pour cela, Monseigneur, sachez qu'il faut encore — un
sacrement salutaire.
« Faites pénitence.
qu'elle vous donne un
que votre longue épée
l'ange des combats —
Priez la Vierge Immaculée, —
tel don. — Soyez le plus vaillant,
— trempée au fleuve d'enfer par
vous rende toujours vainqueur !
« Brisez les boucliers! que rien ne vous arrête! — Fendez les roches et les pics ! — Et que, glorieux d'un tel
maître, votre cheval — vole dans les combats, plus
généreux, plus agile, — que ceux de vos ennemis ».
�LA MOURÎ DË ROLAND
III
« Lous cabalès couru bous, horts déu lou soul couràdye
« Desdegnan lous camis batuts,
« Sàben, l'espadc en ma, ha-s pertout u passàdye,
— Ça dits la yoene Sente, — « y passen coum l'auràdy
Sus lous enemics abatuts...
« Pourtan aquets guerriès, maugrat lur yentilesse,
<( Quoan Diu s'esta de-us da calou,
(( Nou sentin mey en ets que langou, que feblesse,
« Fourçats de counfessa que forces y noublesse
« Loegn de Diu n'an nade balou.
(c Implourat dounc l'ayud Déu qui da la bictoère,
<( Aus sous pès, yetat-be umblement.
(( Que-b ey dat d'esclipsa lous renoums de l'Istoère
« Mes t'a d'aco, Segnou, sapiat que-b eau encoère
« U salutàri sacrament.
« Couhessat-be... Pregat la Bièrye immaculade,
<( Enta que-b oubtiengue tau dou,
(( Que siat lou mey baient, que boste loungue espade
(( Per l'Anyou déus coumbats, au riu d'ihèr trempade
« E-b rende toustemps bencedou !
« Crascat lous boucliès, ta qu'arré nou-b arrèste,
(( Henét las roques y lous pics,
<( Y que boste chibau, glourious de soun mèste,
(( Bòle au miey déus coumbats, mey arderous, mey lest
« Que nou pas lous déus enemics ».
�LA MOUT DE ROLAND
IV
Et Roland obéit... Sa fameuse épée — biise les boucliers, les casques, les hauberts ! — Les soldats du
croissant, race à l'âme orgueilleuse, — sont en vain
bardés de fer et d'acier trempé.
Milan ne peut leur forger d'armure assez solide, —
les Damas les plus fins volent en éclats. — Les uns
d'un coup de revers sont décapités, — d'autres sont
tranchés de la tête à la ceinture.
En avant, les Français !... De sa taille enchantée —
Durandal en portail ouvre les hautes montagnes ; —
comme le soleil fond la glace, le prince fait disparaître
les inquiétudes — de Charlemagnc, trop longtemps
arrêté devant ces monts.
Regardez son destrier !... Planant sur la mêlée —
il vole, emportant le neveu du saint Empereur, — si
bien que l'on conçoit qu'on ait pu le confondre — avec
le cheval ailé du vieil enchanteur.
V
Pour les pauvres mortels, chaque jour n'est pas fête.
— Roland qui marchait en tête des premiers, ■— furieux
comme un lion à qui sa conquête échappe, — maintenant protège l'arrière-garde.
�LA MOURT DE ROLAND
43
IV
E Roland qu'aubedech... Soun espade famouse
Qu'esglache boucliès, y casques, y hauberts.
Lous sourdats déu croissant, race à l'amne ourgulhouse,
De hèr, d'aciè trempât, en balles soun cubèrts.
Milan ne-us pot hourga nade prou horte armure.
Lous damas lous mey s fis que bolen en esclats.
Lous us soun d'u rebès soubtement descoulats,
Y lous auts soun henuts déu cap à la cinture...
En daban lous Francés !... De soun talh encantat,
Durandal en pourtaus aubrech las hautes pênes ;
Coum lou sou hè déu glas, lou prince houn las pênes
De Carle-Magne aus mounts trop loungtemps arrestat.
Goarat soun destriè !... Planan dessus lou mounde,
Et bole ab lou nebout déu sent Emperadou,
Ta pla, que councebém quin l'an poudut counfounde
Dab lou chibau alat d'u bielh encantadou.
V
En taus pràubes mourtaus, tout die n'ey pas hèste :
Roland, qui s'abançabe en cap, u déus prumès,
Fremin coum u liou de lâcha sa counquèste,
Are proutèdye lous darrès.
�44
LA MORT DË ROLAND
A quoi sert que son sang bouillonne dans ses veines
— puisqu'il lui faut, quand même, abandonner les
Espagnes ? — Pourtant, il se calme peu à peu, en portant sa pensée — sur la vierge restée en Béarn.
Et devant ses yeux il revoit un corps de fée, — aussi
blanc que la neige qui couvre les Trois-Sœurs (*), —
lèvres fraîches, vermeilles, cheveux en tresses d'or, ■—•
yeux noirs, brillants et doux...
Hélas ! le Drac vint se mettre de la partie ; — il fit
pécher Roland !... Puis, la mort arriva, — et le beau
chevalier reçut une telle blessure — qu'il fut couché
pour jamais.
Mais la mort vint lentement... Si le péché nous
damne, — le repentir rachète les fautes. — Sans doute
dans le sien Roland lava son âme... — Que le bon
Dieu l'ait accueilli !
***
De Notre-Seigneur Jésus, honorons la Sainte Mère,
— aux autres Saints aussi, rendons un juste hommage,
— afin que notre Père Céleste daigne nous garder —
de tout mauvais esprit, de tout péché, de toute peine.
— 48M —
�LA MOURT DE ROLAND
45
Que-u serbech que lou sang bouresque dens sas bées,
Quoan eau lécha toutu las Espagnes à part ?...
Que-s calme chic-à-chic, en pourtan sas idées
Sus la bièryine de Biarn.
En se représentai! u cos coum n'an las hades,
Auta blanc coum la néu qui crob las Tres-Serous,
Poutins frescs y bermelhs, péus en trenes daurades,
Oelhs nègres, clarcyants y dous...
Mes lou Drac que-s biengou hica de la partide ;
Que hé peca Roland... Puch la mourt qu'arriba,
Y lou bet cabale recebou tau crouchide
Que yamés plus et nou-s lheba.
Nou-s mouri pas sou cop... Si lou pecat en-s damne,
Lou repentit au mench repare la bertut.
Sens doutte qu'en lou sou Roland laba soun amne...
Lou Boun Diu l'aye recebut !
***
De Yèsus Noustc-Ségne oundrém la Sente May,
Aus autes Sents tabé, rendam u yùste oumàdye,
Ta que-ns dègne goarda, nouste céleste Pay,
De tout male-espcrit, de pecat y damnàdye.
�Le Tribut de la S*=Michel
BALLADE ■BÉARNAISE
�Lou Tribut de la S^Miquèu
BALADE BIARNESE
�Ainsi la loi de Dieu le veut et l'ordonne : — lorsque
le sang versé a, vers le ciel, crié, — si le crime n'est
espié, — au meurtrier le Seigneur ne pardonne point
I
Une troupe nombreuse d'Aspois était entrée — sur
les terres du Lavedan. — « Mon Dieu ! s'écria-l-on,
quelle armée ! » .. Et l'a)follement était tel — que l'on
eut recours au Diable.
Certain abbé, qui en savait beaucoup, — aux environs de Saint-Savin, — à minuit, par ses sortilèges —
opéra chose si merveilleuse, — qu'une foule de petits
ruisseaux roulèrent du vin.
Les gens d'Aspe voulurent savoir ■— si le vin de
l'abbé était bon — et, coup sur coup, ils burent ferme.
— Aussitôt après, — vous pouvez m'en croire, — ils se
trouvèrent transportés en plein Sabat.
�Atau la ley de Diu qu'at bùu y qu'at ourdoune :
Quoan la sang barreyade a bers lou cèu cridat,
Si lou crîmi n'cy cspiat,
Au murtrè nou, yamey, lou Segnou nou perdoune
I
Gran troupe d'Aspés ère entrade
Sus la terres de Labeda.
ce Moun Diu ! sa digoun, quine armade !
Qu'aboun recours per la begade
Aus charmatòris de Sata-
Certén abat, qui'n sabè hère,
Aus embirous de Sent-Sabi,
A mieye noeyt, per pregantère
Aupcra cause ta nabère
Qu'usquoants arribéts roullan bi.
La yent d'Aspe que boulou béde
S'ère bou lou bi de l'abat,
Cop sus cop ets que beboun réda,
Auta lèu — que m'en poudets créde —
Que-s troubèn au miey déu Sabat !
�5o
LE TRIBUT DE LA SAINT-MICHEL
Les loup-garous avec les sorcières — dansaient au son
du tambourin, — des oiseaux de nuit, avec leurs femelles — passaient, telles des ombres légères, — et chantaient en guise de refrain :
« Oh ! nous avons bien bu ! braves gens d'armes —■
comment trouvez-vous notre vin blanc ? — Il sera
cause que vos armes — à personne ne feront verser des
larmes — et que nous boirons votre sang »•
L'âme glacée d'épouvante, ■— les Aspois, raides comme des rochers, s'arrêtèrent, figés sur le sol. — Et
alors les manants de la contrée — les frappèrent comme
font les bouchers.
Tous tombèrent ; quelle barbarie ! — Grand Dieu !
punissez-la avec éclat ! — Aspe pleure... Plus d'allégresse, — faut-il donc qu'une si grande trahison —
prive le pays de tant d'existences ?
Ainsi la loi de Dieu le veut et l'ordonne : — lorsque
le sang versé a, vers le ciel, crié, — si le crime n'est
expié, — au meurtrier le Seigneur ne pardonne point.
�LOU TRIBUT DE LA SENT-MIQUÈU
Lous loups-garous dab las sourcières
Dajisen au sou déu tambouri ;
Ausèts de noeyt dab luis ausères
Planaben coum oumbrcs leuyèrcs
En cantan aquéste refri :
«
<(
«
«
«
Oh ! pla bebut ! bràbes gendarmes,
Quin troubats lou nouste bi blanc ?
Cause sera que bostes armes
Ad-arrés nou coustaran larmes,
Y que béuran lou boste sang ».
D'espabente l'amne glaçade,
Lous Aspés, tirants coum rouchès,
S'arrestèn plantais sus la prade,
Y lous manants de la countrade
Lous matèn coum hèn lous bouchés.
Touts cadoun... Quinc barbarie !
Grand Diu, punits-la dab esclat !
Aspe ploure !.... plus d'allegrie !
E eau dounc que tan gran furie
De tan d'omis prîbe l'Estat ?
Atau la ley de Diu qu'ai bòu y qu'at ourdoune :
Quoan la sang barreyade a bers lou cèu cridat,
Si lou crîmi n'ey espiat,
Au murtrè nou, yamey, lou Segnou nou perdoune !
5i
�5a
LE TRIBUT DE LA SAINT-MICHEL
II
Lorsque ce fait infernal ■— jusqu'à Rome fut connu,
-— sur la nation criminelle, — de par sa puissance immortelle, — le Pape jeta l'interdit.
L'anathème fut plus tei'i'ible — que les maléfices de
Fabbé. ■—■ De même que dans une lutte extraordinaire
— le Nil vit Moïse invincible, — Venfer cette fois encore a succombé.
Le soleil brûlant, dans sa carrière — dessécha rapidement — les champs les plus fertiles, — et des prés
les plus riants, — il flétrit bientôt la fraîcheur.
Foins, maïs, rien ne prospère, ■— dans un pays autrefois si fertile ; — la récolte est brûlée en germe- —
Bientôt le grenier et la grange sont vides, ■— soins, travaux, tout est inutile.
Toutes les vaches étaient stériles et — l'on ne voyait
plus de veau près d'elles, — les brebis maigres, à travers les landes, — ne trouvaient à brouter que de rares
bruyères et ne donnaient plus d'agneaux.
�LOU TRIBUT DE LA SENT-MIQUÈU
II
Quoan aquere hèytc ilicrnale
Dinqu'à Roumc abou retentit,
Sus la naciou criminale,
De per sa puchance immourtale,
Lou Pape yeta l'interdit.
L'anatèmi 'stou mey tarrîble
Que l'embrouchàmi de l'Abat,
Coum dens ue lutade ourrîble
Lou Nil bi Moïse imbincîble,
L'ihèr encoère a sucoumbat !
Lou sou hissant, dens sa carrière
Chuca bètlèu toute l'umou,
De la labou la mey founcière
Y de la prade la mey fière
Que seca bèllcu la frescou.
Hes, milhocs, arré nou proufieyte
En u pèys d'auts cops ta fertil,
En yèrmi la récolte ey coeyte,
Lou grè qu'ey boeyt, la borde boeyte,
Souégns, tribalhs, tout ey inutil.
Toutes las baques èren mânes,
On nou-s bedè plus nat belèt,
Las ouélhes màgres, per las lanes
Nou troubaben que quauques branes
Y nou hasèn plus nat agnèt.
�LE TRTBt'T DE LA SAINT-MICHËL
La jeune mariée — en vain rêvait d'un enfant — car
dans cette contrée maudite — par la volonté de Dieu
excommuniée, — il ne pouvait en naître aucun.
Et cela dura six années ! — Le fléau sévissait toujours, — vierges et fleurs desséchées, — dans cette
contrée désolée — ne connaissaient plus aucun printemps.
Ainsi la loi de Dieu le veut et l'ordonne : — Quand
le sang versé a, vers le ciel, crié, — si le crime n'est
expié, — au meurtrier le Seigneur ne pardonne point.
III
Mais, quels sont ces dix pauvres hères, — couverts
chacun d'un sac couleur de cendre ? — Ce sont tes
notables, Lavedan, — qui s'en vont, pour leurs frères
coupables, ■— à Rome chercher le pardon.
Baisant la mule du Saint-Père, — tous implorent sa
charité, — et, pour détourner sa colère, — humblement
prosternés à terre, — ils se livrent à sa volonté.
�LOU TRTBUT DE LA SENT-MIQUEU
Labéts, la yoene maridade
En balles rebabe u maynat,
Per ço qu'en aqucre countrade
Au noum de Diu escuminyade
Que nou n'y poudè bade nat.
Atau que passèn cheys anades,
Y lou flèu durabe toustemps..,
Bièryes y flous èren fanades,
Terres y yens abandounades
Nou counechèn mey nat printemps.
Atau la ley de Diu qu'at bòu y qu'at ourdoune :
Quoan la sang barreyade a bers lou cèu cridat,
Si lou crîmi n'ey espiat,
Au murtrè nou, yamey, lou Segnou nou perdoune !
III
Quoaus soun aquets dèts misérables
Gubèrts de sengles sacs brasous ?
Labeda, be souns louns noutables
Qui s'en ban, per lurs rays coupables,
Dinqu'à Roumc coèlhe perdous !
Baysan la mule déu sent Père,
Touts implouren sa caritat
Y, per ha càde sa coulère,
Umblemént prousternats en terre,
Que-s liuren à sa boulountat.
55
�56
LE TRIBUT DE LA SAINT-MICHEL
Le Pape dit : « Quel est celui qui ne condamne —
les juifs et la trahison ?... — Si vous saviez comme un
tel péché damne ! — Mais je puis absoudre votre âme
— pourvu que vous ayez la contrition.
« De Messire Saint Jacques d'Espagne, — allez visiter
le tombeau, — si vous voulez sur votre montagne — et
sur vos campagne désolées — de nouveau voir sourire
le Ciel.
« De plus, pour réparer l'offense, — payez aux
Aspois tous les ans — le juste et loyal tribut — du
meurtre, tribut qui, par grande indulgence, — sera fixé
à trente sols morlaas (*)•
« Allez donc, et faites pénitence ! » •— Ainsi fut levé
l'interdit. — Au Pape on jura fidélité et respect — de
peur qu'une nouvelle sentence — ne frappe cette contrée maudite.
Depuis, à Saint-Savin, portée — le matin de la SaintMichel, — au syndic d'Aspe présentée, — la redevance
est acquittée — avant qu'on n'ouvre le missel.
Ainsi la loi de Dieu le veut et l'ordonne : — Quand
le sang versé a, vers le ciel, crié, — si le crime n'est
expié, — au meurtrier le Seigneur ne pardonne point.
— 1850 —
�LOU TRIBUT DE LA SENT-MIQUÈU
Lou Pape dits : « Qui nou coundamnc
« Lous Yudius y la trahisou ?...
« Si sabèt quin tau pecat damne I
(( Mes you-n pouch absòlbe boste amne
« Pourbu qu'ayats countriciou.
«
«
«
«
<(
De Moussu Sent Yacques d'Espagne
Anats bisita lou toumbèu,
Si bouléts sus boste mountagne
Y sus boste triste campagne
Tourna béde arrîde lou cèu.
«
«
«
«
«
De plus, ta repara l'aufence,
Pagats aus Aspés touts lous ans
La yuste y leyau redebence
D'u mùrte, per grane indulgence,
Goumptade à trente sos mourlans.
Anats, dounc, y hèts peniténei ! »
Atau hou Ihebat l'interdit ;
Au Pape oun yure aubediénci,
De pòu de nabère senténci,
Countre u terradou maladit.
u
Despuch, à Sent Sabi pourtade
Lou mayti de la Sent Miquèu,
Au sendic d'Aspe presentade
La redebence ey acquitade
Permè nou s'aubrech lou missèu.
Atau la ley de Diu qu'at bòu y qu'at ourdoune :
Quoan la sang barreyade a bers lou cèu cridat,
Si lou crîmi n'ey espiat,
Au murtrè nou, yamey, lou Segnou nou perdoune !
&7
�L'Adoration des Bergers
Noël nouveau
Sur l'Air de " Lou Mèsie dous Anyous "
pour les couplets que chantent les Bergers
et sur l'Air de " Vn Dieu vous Appelle — Lèche-m droumi "
pour les couplets que chantent les Anges.
�L'Adouraciou déus Pastous
Nadau Nabèt
Sus l'àyre de " Lou Mèste déus Anyous "
taus Pastous
E de Vn Dieu vous Appelle — Lècke-m droumi,
taus ànyous.
�JETIIRO
Quelle brillante lumière ■— de là-haut descend —
directement vers nous ! — Jamais tel flambeau, —
jainais telle étoile — au ciel ne brilla !
JESSÉ
L'espace fulgure... — Oh ! le beau visage ! — Regarde donc, Jethro ! — A ses frêles épaules ■— de belles
petites ailes... — Qu'est-ce que tout cela ?
CHOEUR DES
PASTEURS
De quelle contrée, — sur cette prairie — descendez-vous si légèrement ? — Pourrions-nous apprendre
— le motif de votre arrivée, — charmant messager ?
�YETTRO
Quine luts la clarc
De là haut debare
Dret de cap aci !
Nou y-a tau candele,
Yamey tau estele
Au cèu nou lusi !
YESSÉ
En hoec qu'ey l'espàci
Oh ! la hère fàci
Goère dounc Yettro !...
A sas espalletes
Bèt parelh d'aletcs...
Qu'ey dounc aqucro ?
COR DE PASTOUS
De quine countrade,
Sus aqueste prade
Bachat-bous leuyè ?
Si pouyrém apréne
L'aha qui-b hè biéne,
Charmant messatyè ?
�6a
L'ADORATION DES BERGERS
L'ANGE
Oui, ce sont les plus merveilleuses — qui puissent
se passer, — les choses nouvelles — que je vous annonce. ■— 0 nuit fortunée ! -— De votre salut — l'heure
a sonné : ■— Jésus est né !
Médecin de l'âme, — il vient vous guérir. — Du péché qui damne, — il vient vous affranchir. — Malgré
les nombreuses chaînes — qià vous enserrent, —
chassez vos craintes, — Dieu veut vous sauver.
CHOEUR DES
PASTEURS
De vous, qui, de la cour sacrée, — dons la campagne
■— descendez si légèrement, — que nous sommes heureux d'apprendre — ce qui vous amène, — charmant
messager !
�L'ADOURACIOU DÉUS PASTOUS
L'ANYOU
0, souri las mey bères
Qui-s pousquen passa,
Las causes nabères
Qui-b bau anounça :
0 noeyt fourtunade !
De boste salut
L'ore qu'ey sounade,
Yesus qu'ey badut !
Medeci de l'amne,
Et que-b bién goari,
Déu pecat qui damne
Que-b bié afranqui.
Per tan de cadenes
Qui-b tienguen drabats,
Cessât bostes pênes :
Diu que-b bòu saubats !
Lou
COR DÉUS PASTOUS
De la court sacrade
Bous qui, dens la prade,
Debarat leuyè,
B'èm urous d'aprcne
L'aha qui-b hè biéne,
Charmant messadyè.
�64
L'ADORATION DES BERGERS
L'ANGE
Celui qui, seul, peut réparer tout dommage, — comme un faible enfant —■ se présentera à vous. ■—■ Dans
une étable — vous trouverez bientôt — avec son aimable mère, ■—• l'héritier du Ciel.
CHOEUR DES ANGES
Gloire au Seigneur ! A lui nos hommages ! — Sa
mémoire est fidèle, — il se souvient de vous ! — Paix
dans le monde — à tous les hommes, — mais qu'en eux
abonde ■— bonne volonté !
CHOEUR DES PASTEURS
De l'empire de la foudre — vous qui sur terre — descendez si légers, — pourrions-nous apprendre — ce qui
vous amène, — charmants messagers ?
�L'ADOURACIOU DÉUS PASTOUS
L'ANYOU
Lou qui tout doumàdye
Pod soul repara,
En féble maynàdye
Se-b presentara.
Laguens ue estable
Que troubarat lèu,
Dab sa may aymable,
L'eretè déu Cèu.
COR D'ANYOUS
Au Segnou la glòri,
Ad et las aunous,
Qu'a boune memòri
Que-s soubién de nous.
E pats dens lou mounde
A l'umanitat,
Mes qu'en ère abounde
Boune boulentat.
Lou
COR DÉUS PASTOUS
Déu pèys déu tounerre
Bous auts qui, sus terre,
Debarat leuyès,
Si pouyrém apréne
L'aha qui-b hè biéne,
Charmants messadyès ?
65
�66
L'ADORATION DES BERGERS
JESSÉ
Mats en grand'hâte — quittez notre assemblée, —
mes petits anges : ■— craignez de salir — vos blanches
ailes — en notre compagnie...
CHOEUR DES
PASTEURS
Courons à la ville, — il n'y a qu'un mille à franchir, —
brûlons le chemin ! — Le grand char de l'Ourse, poursuivant sa course, — va nous conduire.
Dieu merci ! l'étable — est abordable à tous ■— et
cadre avec notre état... — Aussi, Dieu-enfant, —
vous offrons-nous nos hommages — en toute liberté.
JETIIRO
A vous est l'empire ! — Tout ce qui respire — vous
reconnaît pour Maître. — Des brebis de nos troupeaux,
— par vous protégés, — agréez la fleur.
�L'ADOURACIOU DÉUS PASTOUS
YESSÉ
Mes, à la boulade,
Quitém l'asscmbladc !
Lous mes anyelous,
Cragnet de-b ha sales
Bostes Manques aies
En parlan dab nous.
Lou
COR DÉUS PASTOUS
Courrém ta la bile !
Nou-y coumpten qu'u mile,
Bruslém lou cami.
Lou gran car de l'Ourse,
Perseguin sa course,
Que-ns ba coundusi.
Diu mercés ! l'estable,
A touts abourdable,
Cadre à nouste estât,
Tabé, Diu maynàdye,
Be b'oufrim l'aumàdyc
Dab gran libertat.
A bous qu'ey l'empire,
Tout ço qui respire,
Que-b tié per segnou ;
De noustes aulhades,
Per bous counsoulades,
Agradat la flou.
�os
L'ADORATION DES BERGERS
JESSÉ
De l'offrande si modeste — qui bondit devant vous
— voyez la blancheur : — mon âme est misérable, —donnez-lui une belle robe — de cette couleur.
JETHRO
En votre présence, ■— source d'innocence, — je ne
serai point jaloux, — lors même que je verrai d'un
grand nombre de bergers — les brebis plus belles — et
les moutons plus gras.
CHOEUR DES
PASTEURS
Puisqu'au moins l'étable, — à tous adorable, —
accueille l'amitié, — ici, Dieu-enfant, — nous vous
offrons nos hommages — dictés par le cœur.
0 Vierge sacrée, — 0 mère vénérée, — canal de faveurs, — et vous, homme plus grand — que jamais
aucun Sage, — priez Dieu pour nous !
— 1856 —
�L'ADOURACIOU DÉUS PASTOUS
YESSÉ
De l'oufrande cndinne
Qui daban bous pinne
Goèrat la blancou ;
Moun amne qu'ey praube,
Dat-lou bère raube
D'aquerc coulou.
YETTRO
En boste presénci,
Source d'inoucénci,
Nou seri yalous
Quoan beyri de hères
Las òulhes mey bères,
Mey grans lous moutous.
Lou
COR DÉUS PASTOUS
Pusqu'au mens l'establc,
A touts adourable,
Arcoèlh l'amistat,
Aci, Diu maynàdye,
B'ofrim nouste aumàdye
Per lou cô dictât.
Bièrye sacradc,
May benerade,
Canal de fabous,
E bous, òmi, màye
Que yamey nad sàye,
Pregat Diu per nous I
0
0
�FURÉ
A la Mémoire de la Famille Du Casse.
�FURÈ
A la Memòri de la Familhe déu Cassou.
�0 mon Furé, que je regrette donc — le nom qu'autrefois tu portais ! — Commen t changea-t-il ! Quel sort
te poursuit, — ô toi qui t'appelais Du Casse ?
Ce nom seul rappellerait — à tout le pays tes anciens
maîtres — et, de plus, les montrerait — toujours prêts
à te faire plus grand.
Jean, créateur des foulons, — Jourdain seigneur de
l'abbaye, — qui pendant quatre ans plaida — au sujet
des eaux de tes prairies.
Guillaume, surtout, mon grand-père, — aussi fort
que bel homme, — honoré du titre de bourgeois de
Pau, — et gentilhomme comme ses aïeux.
\>i moins, à moi, pour les rappeler — il ne me faut
pas faire effort de mémoire, — il ne m'est nécessaire,
ni d'en entendre parler — ni qu'aucun autre nom les
ramène à mon souvenir.
Comme tu restes jeune, mon vieux Furé ! — Pourtant tu as vu sous tes tonnelles, — quoiqu'il n'en
paraisse rien, — durant près de trois cents ans mes
aïeules !
�Lou me Furè, be-m hè dounc dòu
Lou noum qui d'autes cops pourtabes !
Quin se-t cambia ? Quin hat t'en bòu ?
Déu Gassou que tu t'aperabes ?
Aquet noum, soul, rapelaré
A tout lou pèys touns anciens mèstes,
Y mey, que-us representaré
A t'arredoundi toustém prèstes.
Johan, creatou déus batans ;
Jourda, segnou de l'Abadie,
Qui pleyteya pendén quoàte ans
Las aygues de la praderie.
Guilhaumes sustout, moun paybou,
Auta goalhard coum beroy òmi,
Bouryés de Pau, en fèyt d'aunou ;
Coum lous sous ayòus yentilòmi.
Au mench, à you, taus rapela
Nou'm eau pas esfort de memòri,
Nou'm eau pas enténe-n parla,
Ni que nat noum lous rememòri.
Quin yoeneyes, moun bielh Furé !
Pourtan, qu'as bist débat tas tounes,
Maugrat qui nou t'en semble arré,
Près de tres-cents ans mas maybounes.
�74
FURÉ
Il me semble voir passer — quelquefois, sous les
ombrages, — la fière Judith de Lussan — ou la douce
Esther de Balette.
Sur l'eau de ton vivier, — par sa barque encore sillonnée, — veux-tu me dire qui s'embarqua — plus
souvent que toi, belle Aymée ?
Si la brise au bosquet de derrière la maison — joue
dans les aulnes, — il me semble entendre, ô mon Furé,
— deviser tes chères dames.
En entendant le murmure si doux — de ta fontaine
claire comme le cristal, — qui ne dirait qu'en pleurs
■— en leur honneur elle s'épand !
Si un carosse ancien par ici — s'égare un jour de
fête, — il me semble les voir approcher, — et je
demeure à la fenêtre.
Mais nulle ne parle à mon cœur — comme la dernière du Casse. — Et qui serait surpris de cela ? — Je
suis le fils de l'héritière !
�FUB.È
You-m semble de béde, en passant,
A bèts cops débat quauque oumbrete,
La fière Judith de Lussan
Ou la douce Esther de Balette.
Dessus l'aygue de toun pesquè
Per sa barque encoè silhoade,
E-m bos dise qui s'embarquè
Mey soubén que tu, bère Aymade ?
Si l'àyre au bousquet de Darrè
Se debertech dab las aumetes,
You crey enténe, ô moun Furè,
Debisa tas cares Daunetes.
En audin lou gourgoulh ta dous
De ta hount coum lou cristau clare,
Ah ! qui nou diseré qu'en plous
Ere, en lur aunou se desglare !
U carros antic ad'ença
E rolle u bèt die de hèste ?
Que'm semble las béde apressa
Y que m'estau à la frinèste.
Més nade nou parle à moun cô
Coum déus déu Cassou la darrère...
E qui seré susprés d'aco ?
You soy lou hilh de l'eretère !
�7«
FunÉ
Vers l'âge de seize ans, bonne mère — toi qui fus
aussi bonne épouse, — ici, comme à mon bon père, —
que tu me rendis donc la vie heureuse !
Ici, les pauvres du canton, i— arrivaient chaque
semaine. — Oh ! comme ils bénissaient la maison —
et sa maîtresse quand ils s'en retournaient !
Quand même je chercherais de tout côté, — quand
même j'y penserais toute la journée, — je n'en trouverais, pour la bonté, — aucune, telle que notre Marie.
Furé, tu fais couler mes larmes... — Ah ! des miens
conserve la mémoire, — et laisse reposer notre esprit
— sur ton histoire merveilleuse.
*
**
Autrefois, Pontacq prétendit •— avoir droit de libre
paissance — sur tes prés comme sur ta terre labourable, — et cela, sans égard aux droits acquis.
Tu résistas longtemps et bellement, — et tu prouvas en Justice — que ton fond, comme franc-alleu, —
était affranchi de toute servitude.
�ruHÈ
Autour de sédze ans, boune may,
Tu qui hous auta boune espouse,
Aci, coum à moun brabe pay,
Be'm rendous dounc la bite urouse
Aci, lous praubes déu cantou
Toutes scmmanes arribaben ;
Quin benedisèn la maysou
Y sa daune quoan s'en tournaben !
Quoan cercari de tout coustat,
Quoan y rebari tout lou die,
Nou'n troubari ta la bountat
Nade coum la nouste Marie.
Furè, que m'as engourgoussit...
Ah ! déus mes goarde la memòri,
Y say repausa-ns l'esperit
Dessus ta merbelhouse istòri.
A
D'autes cops, Pountacq pretcndou
Abé drct de libre pechence
Sus touns prats coum sus ta labou,
Sensé esgoard à la proubienenceQue résistés bèt drin coum eau
Y proubès, daban la Yustîci,
Que toun founs, coum alloudiau
Ere afranquit de tout serbîci.
�78
FURÉ
Mais au plus fort du procès — (Jésus quel événement
inconcevable !) ■— tous muets d'étonnement, les bons
jurais — te reconnurent invincible.
Et il ne se trouva plus aucun jaloux — qui contestât ta franchise, — car mieux que de solides raisons —
vaut merveille contre faiblesse.
Du haut du clocher de Barzun — un grand serpent
prend son vol, — à la pointe du jour, et, directement,
— arrive au Casse d'un coup d'aile.
Il a le corps d'un reptile géant, <— tout couvert
d'écaillés vertes et jaunes, — les ailes d'un vautour
d'Urdos — et la queue longue d'une aune.
Ses yeux sont deux charbons ardents, — sa langue,
une flèche enflammée ■— la crête sur sa tête dressée,
— saisit les sens d'épouvante.
A Barzun, on dit qu'un agile jeune homme — s'élança, tel un lévrier, du village, — le poursuivit, le vit
posé — dans ton bois, au milieu du feuillage,
�FURÈ
79
Mes au mey hort déus pleyteyats,
Yesus ! Quin aha ta terrible !
Touts esmudits, lous bous Yurats
Te recounegoun inbincîble ;
Y nou's trouba mey nad yelous
Qui discutisse ta franquesse,
Car bau mey que hortes rasous
Charmatòri countre feblesse.
Déu haut campana barzuet
U gran serpént prcn la boulade
A l'esguit déu die, e, tout dret,
Arribe au Cassou d'ue alade.
D'u lausèrp gigant qu'a lou cos
Cubèrt d'escate berde e yaune,
Las aies d'u bùtre d'Urdos
Y la coue loungue d'ue aune.
":t4¥
Souns oelhs soun dus carbous luscnts,
Sa loengue ue flèche eslamade,
D'espabente herech lous sens
La halhe sus soun cap dressade.
Barzu dits qu'u lèste gouyat
Coum bèt lèb sauta déu bilàtye,
Lou persegui, lou bi pausat
Hens toun boy, au miey déu hoelhàdye,
�8o
FURÉ
chassant de là le bétail (étranger), — gardant la
barrière du Casse ; •— et le bétail n'osait plus regarder
— tes herbages que du chemin.
0 mon Furé, que je i-egrette donc — le nom qu'autrefois tu portais ! — Comment changea-t-il ! Quel sort
te poursuit, — ô toi qui t'appelais Du Casse ?
— 1860 —
�FURÈ
Acassan d'aquiu lou bestia,
Déu Càssou goardan la barrère,
Y nat cap nou gausabc espia
Tas yèrbes que de la carrère.
Lou me Furè, be-m hè dounc dòu
Lou noum qui d'autes cops pourtabes
Quin se-t cambia ? Quin at t'en bòu ?
Dúu Cassou, que tu t'aperabes...
�Le Vallon de l'Ousse
i
7. L'Oubli de Marca — 77. Les Venls — 111. L'Inondation
IV. Le Vallon.
II
7. La Ville — 11. Le Général Barbanègre
111. Les Monuments — IV. Au Lecteur.
�Lou Balou de l'Ousse
i
I. Lou Desbroum de Marca — II. Lous Bents
III. L'Aygat — IV. Lou Balou.
II
I. La Bile — IL Lou Yenerau Barbanègre
III. Lous Mounumens — IV. Au Lectou.
�I
Depuis le mois d'Avril, la pluie tombait sans cesse,
— et l'on approchait de la mi-juin, ce mois toujours
chargé de nuages. — L'Ousse, trompant son ennui dans
son lit, — roulait au fond du cœur son aigre ressentiment : — « Comment se fait-il que Marca m'ait dédaignée au point — de ne pas me nommer dans son livre
une seule fois ?» — se dit-elle, — « Cependant j'arrose
de si bonnes prairies, — ceintes de peupliers, d'aulnes
et de chênes ! — Des villages si gais ! Ma plaine est si
fertile !
« Au milieu de mon vallon, s'élève une ville — qui
florissait entre ses sœurs, au siècle onzième, — une
ville qui dut aux Templiers son principal éclat.
ce A cette cité, nos rois de Navarre — octroyèrent, par
lews chartes, des privilèges enviés — ayant égard, principalement, à la fidélité — que ses habitants avaient
toujours montrée envers eux : — car en ce temps-là,
Pontacq, ses tours et son fort — protégeaient au levant
la terre du Béarn. — Tout cela valait bien la peine d'en
dire un mot !... —■ Mon bassin excepté, n'avez-vous pas
parlé de tout ? — Allons donc, Monseigneur, en conscience
—■ Et vous ne l'ignoriez pas, vous, homme
de grand savoir,...
« Eh bien ! Monsieur de Marca, à présent, en dépit de
vous, — je veux que l'étranger parle de nous aussi ».
�I
Despuch lou mes d'Abriu, la plouye nou cessabe,
E Yun, toustém brumous, de soun miey s'apressabe,
Quoan l'Ousse, dens soun lheyt, troumpan soun debeyè,
Roullabe au houns déu co lou carcouet qu'ère abè.
« Quin se hè que Marca m'aye tan desdegnade
<( Que nou sîi en soun lîbe u cop soulet noumade ? »
— Si-s digou — « Sospendén qu'arròsi ta bous prats,
(( De publies, de bèrs y de càssous cintats !
« Qu'èy bilàdyes ta gays ! ma plane ey ta fertile !
<( Au miey de moun balou que s'eslhèbe ue bile
<( La quoau, enter sas sos, flouribe au siègle ounzau,
« Y déu aus Templiès soun esclat principau.
(( A d'aquere ciutat noustes reys de Nabarre,
« Per cartes, autreyan lur fabou la mey clare,
(( Aben regard, sustout,à la fidelitat
« Que sas yents embèrs ets aben toustém mustrat :
« Car, alabets, Pountacq, sas tous, soun hort de guerre
« Déu Biarn au lheban proutedyaben la terre.
« Tout aco be balè qu'en digousse-t u mout ?
« Sounque de moun bassi, qu'abét parlât de tout.
<( Aném dounc, Mounsegnou, que-y abè counscience,
« Y fort pla qu'at sabèt, ômi de sapience.
u Y dounc, mous de Marca, are, en despieyt de bous,
« You bouy que l'estranyè parlé tabé de nous... »
�86
LE VALLON DE L'OUSSE
A ces pensées, la Dame irritée — se soulève, et réveillant sa première naïade, — elle lui montre quelques
Vents soufflant comme en Février — du côté du Nord et
du côté du Couchant : — « Je n'entends pas qu'aujourd'hui, — ajouta-t-elle — aucun nuage — s'échappe
sans payer son tribut, comme il arrive souvent. —Lorsque ces enragés que tu vois là-bas les emmèneront ici,
■— que mes vents fidèles commandent : « On ne passe
pas ! » — Fâchons-nous tout de bon ; c'est le seul
moyen, — du reste, de se maintenir dans son rang de
Rivière. — Vas, fais vite, obéis à ta maîtresse... Prenez
bien garde aussi — que ruisseaux, petits et grands, fassent tous leur devoir ».
II
Ces ordres furent transmis avec grand empressement.
— Les vents donc, qui savaient flatter leur souveraine,
— furent à peine requis, qu'ils fondirent comme l'éclair
— du côté du Midi et du côté du LevantElevés sur trois gorges, trois tertres sont d'excellents
points de mire, — trois vents s'allèrent poster de suite
sur ces tertres. — Debout sur Castetz, l'un bouchait
Furé, — des nuages vomis par la percée de l'Ouest ; —
un autre, à cheval sur Couet, soufflait par la Sègue ;
— le troisième arrêtait les nuages à Poeyferrié (*)•— Us
tinrent bon partout et toujours... Conclusion : — Pendant neuf jours entiers il ne cessa de pleuvoir à torrents. — Il tomba une si grande quantité d'eau qu'on
eût dit un déluge. — Les ruisseaux effrayés cherchaient
un refuge — dans le lit de la rivière où l'eau limpide
coulait si doucement, — où elle bondit maintenant en
torrents furieux.
�LOU BALOU DE L'OUSSE
87
A d'aquet pensamén, la segnoure ayitade
Se lhèbe y, desbelhan sa permère nayade,
Que l'amucbe us quoants bents bouhan coum en heure,
De la part de débat, de la part de darrè...
ce N'enténi pas, — sa dits, — oey que nade brume,
« S'escape chens paga, coum soubén n'an coustume ;
<( Quoan acets arrouyous las amien au pas,
« Que bents, à mi fidèls, siulen : Nou passen pas !
(( Fachém-se tout de bou : qu'ey la soûle manière
« Auta pla de-s manlié dens soun reng de Ribière,
« Bèn, hè lèu, cred ta daune... Abisat-bé tabé
« Qu'arrius, petits y grans, hàssien touts lur debé ».
II
Aquets ourdis estoun transmetuts dab gran presse.
Lous bents dounc, qui sabèn cayoula-s la mestresse,
A pênes requeiils, coum l'eslampe arriban,
De la part de dessus, de la part de daban...
Très turouns sus très còus semblen bèts punts de mire,
Très bents sus lous turouns s'anèn pousta de tire :
Tout plantât sus Castcts, l'u boussabe Furè
Déus nuàtyes boumits péu trauc de Gap-arrè ;
Gn'aute, à chibau sus Gouet, per la Sèguc bouhabe ;
Lou terts, à Poey-arrè las brumes arrestabe.
Que ticngoun bou pertout y toustém... Per fini
De nau dies antiès nou s'este de houm.
Qu'en cadou tant y tant que semblabe u dclùdyc :
Lous arrius esbariats cercaben u refùdye
liens la may oun l'ayguele en anabe la dous,
Oun culhebete adare en gàbe furious.
�88
LE VALLON DE L'OUSSE
III
Gonflée par l'onde qu'elle reçoit de tous côtés, —
l'Ousse s'avance avec eux dans un majestueux courroux : — ses furieux mugissements disent sa mauvaise
humeur, — et menacent le canton d'une inondation
terrible.
Elle prend pourtant ses mesures, de peur que la ruine
— ne marque son passage sur son vallon chéri ; — mais
au bout de son domaine, elle cause les plus grands dommages, — et ne se contient plus aux approches de Pau.
— Le pont de Bizanos était si bien maçonné — sur les
plans et devis de gens très entendus — qu'on le compara, pour la solidité, ■— à l'arche de Bètharram jetée
sur le Gave, — et personne ne croyait que le petit courant de l'Ousse — pût jamais l'ébranler ou même
l'éprouver.
Voyez-vous, cependant, comme elle l'assiège ? — Elle
le mine peu à peu, puis fondant avec grande force —
sur les piliers déchaussés, — elle vous tourne cet ouvrage sens-dessus-dessous — et le foule, en passant, plus
vite que le vent. — Ainsi fîmes-nous de tes ouvrages,
habile Totteben.
La terre tout ce jour-là fut sous les eaux. — Le lendemain, quand elles se furent retirées, — on vit toute
l'étendue du désastre : — les champs couverts de sable
et les prés envasés ; — les meuniers qui ne s'y attendaient guère, chassés de leurs logis, ■— et ça et là, des
arbres géants, les racines en l'air.
0 désolation ! Le pont est enlevé, — la route des Thermes de Bigorre est coupée ! — Par où passej-ont donc
les riches et leurs femmes — qui vont chercher la santé
au sein des montagnes ?... — Ils passèrent par Pontacq
�LOU BALOU DE L'OUSSE
8g
III
Per l'ounde, qui recéu de touts coustats, eslade,
L'Ousse abance dab ets, superbe, courroussade,
Souns buglets rabious anouncen soun umou,
Y d'u tarrîble aygat miassen lou cantou.
Que s'abise, pourtan, de pòu que lou rabàdye
Sus soun balou chérit nou mérque soun passàdye ;
Mes au cap déus sous bés que hè màye doumau
Y s'esta de-s countiéne en arriban à Pau.
Lou pount de Bizanos ta pla maçounat qu'ère,
Sus lous plans y debis de yents qui sabèn hère,
Que trops lou coumparan, per la souliditat,
A l'arcèu de Bèurham sus lou Gabe yetat,
Y qu'arrès nou credè que l'aygote de l'Ousse
Segouti-u per nat temps, ni saya lou poudousse.
Bedet-bous empero quin assièdye lou pount ?
Que-u mine chic-à-chic... Puch tout d'u cop que houn
Sous pialas descaus, y, dab u grand couràdye,
Déu bèt-debat-dessus quc-b bire aquet oubràdye,
Y lou houre, en passan, mey bîste que lou bent.
Atau nous hem déus tous, abille Totleben !
La Terre demoura tout lou die inoundade.
Lou lendouma, quoan l'Ousse e s'estou retirade,
Que bin touts lous malurs qu'ère abè semiats,
Lous camps cubèrts de sable y lous prats ensaulals,
Desloudyats lous mouliès qui nou-y pensaben goàyre,
Y déus arbes gigants las arradits en l'àyre.
O desoulaciou ! Lou pount qu'ey enlhebat,
Y déus bagns bigourdas lou caminau coupât,
Per oun dounc passaran lous ries y lurs coumpagnes
Qui ban coèlhe santat au pè de las mountagnes ?
�go
LE VALLON DE L'OUSSE
et n'en furent pas fâchés, et, même, — ils oublièrent
vite les environs de Pau. — Ils n'avaient pas encore vu
de paysage aussi ravissant — que celui qu'offre notre
plaine à son centreIV
Le céleste compas, dirigé tout au tour, — a tracé, de
ce point, sa ligne gracieuse. — Par un rare jeu de l'aimable nature, — les coteaux dessinent sa ceinture arrondie : — là semblent brodés des vergers, des granges et des bois. — Les uns antiques et beaux, les autres
jeunes et jolis. — Rien sous le soleil, aucun point de
vue renommé — n'éclipsera jamais sa couronne pompeuse !
Découpés en fleurons, ces pics, là-bas, sont charmants ; — leurs glaciers au loin comme des diamants
scintillent ; — puis, vers le soir, tandis que l'astre descend, — cette neige se pare de teintes roses, — et pour
toile de fond, le bandeau posé sur le vallon, — étale sa
couleur bleu-de-ciel. — Je n'ose m'essayer à décrire sa
robe — resplendissante de perdes, au lever du jour...
Comment peindrais-je les trèfles incarnats, les lins,
les froments, les prés, — distribués en carreaux rouges,
bleus, verts, d'une si grande variété, ■— les champs de
maïs déployant leurs longs rubans comme une indienne
rayée, — la moisson des blés déjà légèrement dorée, —
les coquelicots, luisant comme des braises, au milieu
des champs, — les liserons d'un blanc de lait, les boutons d'or, les mille-pertuis, — les bluets coiffés comme
des rois, les marguerites charmantes, — et les églantines qu'on cueille à pleines mains sur les haies fleu-
�LOU BALOU DE L'OUSSE
Per Pountacq que passèn. Ne-us ne sabou pas mau,
Y que-s desmroumbèn lous embirous de Pau.
N'abèn pas rencountrat biste auta gayhasente
Coum la qui, sou mieytan, nouste plane présente.
IV
Lou celèsti coumpas, miat tout ad entour,
A traçât d'aquet punt soun gracious countour.
Per u reàle yoc de l'aymable nature,
Lous coustalats en round dessinen la cinture ;
Aquiu semblen broudats beryès, bordes y boys,
Lous us antics y bèts, lous auts yoens y beroys,
Arré débat lou cèu, nade biste famouse,
N'esclipsara yamey sa couroune poumpouse,
Decoupats en flurous, acets pics soun charmants,
Lurs glacières au sou 'stiglen coum diamants ;
Puch decap au brespau, méntre l'astre debare,
D'ue tinte d'arrose acere néu se pare,
Y per founs, lou bandèu pausat sus lou balou
D'u riban blu-de-cèu estale la coulouNou gausi pas saya-m à-b descrîbe sa raube,
De perles clareyante au bèt esguit de l'aube...
Quin representari ferrous, lis, rouménts, prats,
Departits en carrèus rouys, blus, bcrds, pigàlhats,
Lous milhocs courdeyan coum indiène rayade,
La récolte déus blats deya coulou-mudade,
Pabots, toulu coum hoec, lusin au miey déus cams,
Lhètes d'u blanc de lèyt, boutous d'or, triscayrams,
Bluots couyfats en reys, charmantes margalides,
91
�LE VALLON DE L'OUSSE
92
—
ries ?
Je vous gâterais l'ensemble en vous l'analysant, — car c'est une fine peinture sur émail qu'il en
faudrait faire.
Telle est, sans doute, la robe de gloire — qui, revêtant, là-haut, la Vierge bienheureuse, ■— réjouit tout
le ciel par sa variété, — et dont l'homme ne peut se
figurer l'éclat.
Á
Le touriste trouve aussi sur sa route — quelques
blanches maisons, maint joli village ; — ses chevaux,
cependant, brûlent le chemin, — il croit rouler sur un
long tapis.
I
Qu'arrivé à la ville, il descende de voiture, — il ne
trouvera, j'en conviens, rien de bien rare ; — mais s'il
avait le temps de promener un peu, — sa vue trouverait, certainement, d'agréables distractions, — car, à
l'entrée, au centre, au bout d'une rue, — surgirait
devant lui, au moment où il y penserait le moins, ■—■
quelqu'ancienne maison, bâtie en hôtel, — noblement
assise entre cour et jardin.
Pour tuer le temps, supposons qu'il questionne —
un grave et discret savant. — Oh ! soyez persuadé que
ce personnage lui racontera de suite — ce qu'il saura
des antiquités du lieu, — ce que Marca savait beaucoup
mieux, sans doute, — ce qui, tout incomplet que ce soit,
vaut encore la peine d'être écouté.
Il lui montre du doigt le coteau arrondi de la Côou,
■— où chaque année le soc du laboureur arrache du sol
■— quelque chose de Castets, quelque débris des forts —
construits par les géants des saintes batailles.
�LOU BALOU DE L'OUSSE
93
Arroses à brassais sus las sègues flourides ?...
You-b goastari l'ensembs en b'en ha lou detalh :
Que caleré pintra tout aco sus esmalh.
Atau, sens doute, qu'ey la raube glouriouse
Qui, rebestin là-haut la Bierye bienurouse,
Beyouech tout lou cèu per sa barietat,
Y doun l'òmi nou-s pod figura la béutat.
**
Lou touriste tabé trobe sus soun passàdye
Quauques blangues maysous, mantu beroy bilàdye :
Lous chibaus, sospendén, que bruslen lous camis ;
Que-u semble de roulla dessus u loung tapis.
I
Qu'à la bile arribat, de boeture et debàre,
Nou-y oubserbara, nou, nade cause pla rare ;
Mes qu'ousse lou lésé de s'y drin passeya,
Sa biste troubaré, certes, à s'esgaya,
Car, à l'entrade, au miey, au cap d'ue carrère,
Que beyré daban et, quoan nou-y pensèsse hère,
Bère anciène maysou, bastide en gran oustau,
Segude noblements enter parc y casau.
Enta tua lou temps, — supousém, — et questioune
D'u grabe sabanciè la sarrade persounc.
Oh ! cregat que, de tire, ère lou countara,
Sus las antiquitats déu loc, ço qui saura,
Ço qui sabè Marca, hère miélhou, sens doute,
Mes qui, tout incoumplèt, bau encoè qu'om l'escoute.
Que l'amuche déu dit la croupe de la Còu
Oun lou bòme, cade an, desarrigue dou sòu,
Quauqu'arré de Castèts, de las hortes murralhes,
Oubràdye déus gigants de las sentes batalhes,
�94
LE VALLON DE L'OUSSE
Il lui fait ensuite remarquer la modeste maison — où
naquit autrefois un homme d'un esprit solide, Laplacette, — le Nicole de la Réforme. L'Eglise de Calvin —•
n'a pas de meilleur écrivain, ni d'aussi grand moraliste.
II
Mais, quelle élégante fontaine (**)/ Qu' exprime-t-elle?
— quelle est la raison d'être du fronton qui la couronne ? — Au DÉFENSEUR D'HUNINGUE. Ajoutez donc :
<c Sa gloire déborde, ■— et se répand aussi pure que
cette eau ». — Allons, édiles, votez cette inscription —
à l'homme que la corruption trouva inabordable.
Tant que les mots d'honneur, de courage invincible,
— feront battre le cœur, de siècle en siècle transmis,
— ô Barbanègre ! ton nom sera toujours cité, — et le
haut fait d'Huningue aussitôt rappelé : ■— Comment,
avec une poignée de vétérans, débris de ta brigade, —■
arrêtas-tu l'armée des alliés ? — Comment derrière le
pauvre abri d'un fort démantelé, — bravas-tu leur feu
pendant une qwinzaine de jours ?... — Cent-quatrevingt canons tonnaient contre toi, — mais les liens
répondaient avec tant d'assurance, — que l'ennemi,
trompé par ta valeur, — s'imagina que tu avais une
nombreuse garnison. — Aussi, par un traité dont on
parle encore, — obtins-tu, comme tu le désirais, de
passer de l'autre côté de la Loire.
Le bruit s'en répandit à vingt lieues à la ronde. — Les
Suisses s'empressèrent d'accourir — pour voir défiler
la troupe glorieuse — qui était traitée sur le pied d'une
�LOU BALOU DE L'OUSSE
95
Puch que-u hé remerca la moudèste maysou
Oun, d'auts cops, u bou cap, Laplassette, badou.
Nicole arrefourmat, la glèyse calbiniste
N'a ni màye esciïban, ni ta gran mouraliste.
II
Mes quine fièrc hount ! Quau ey lou foundamén
Y la rasou d'esta de soun courounamén ?...
Au defcnsou d'Huningue ! Hournits-y dounc : « Qu'a[bounde
Sa glòri, que s'esten nete coum aqueste ounde ».
Anem, Cossous, boutât aquere inscripciou
A l'ômi inabourdable à la courrupciou.
Tan que lous moûts d'aunou, d'enbencible couràdye
Haran bâte lou co, trametut d'àdye en àdye,
Barbanégrc ! toun noum sera toustém citât,
Y lou gran fèyt d'Huningue auta lèu racountat,
Dab quauques beterans, relèch de ta brigade,
Déus princes aliats quin arrestès l'armade ?
Darrè lou praube acès d'u hort desmantelat,
Quin brabès tu lur hoèc autour d'u quinzenat ?
Cent quoàte-bints canous countre tu tounerraben ;
Mes dab u tau aploum lous tous qu'arripoustaben
Qu'à la fi l'enemic, troumpat per ta balou,
S'enbayina qu'abès noumbrouse garnisou.
Tabé, per u tractât doun touts parlen encoère,
B'oubtiengous, coum boules de trabersa la Loère.
Lou brut s'en rependou bint lègues à d'arroun.
Dab gran empressamén, lous Suisses que courroun
Ta béde défila la troupe glouriouse!
Trattade sus lou pè d'ue armade noumbrouse.
�9«
LE VALLON DE L'OUSSE
grande armée. — La foule aussi formait la haie le long
de la route ; — l'archiduc Ferdinand et Barclay de
Tolly — étaient là avec plusieurs princes d'Allemagne,
■— tandis que les soldats de l'archiduc Jean couvraient
la plaine.
Mais lorsqu'on te vit défiler devant leurs bataillons,
— à la tête de cinquante troupiers, basanés et poudreux,
— on éprouva soudain une émotion intense, — et chacun sentit ses paupières mouillées. — Puis, le premier
moment de surprise passé, \in long vivat — éleva
jusqu'au ciel la grande nation française !
Grâce à celui qui se battit sans regarder au nombre,
— Pontacq, tu n'as pas à craindre que la postérité t'oublie.— Sparte est au tombeau; mais Sparte a Léonidas.
— Et toi aussi, tu as un nom qui ne périra point!
III
Je ne suis pas content du touriste, s'il s'éloigne de
nous, — sons honorer auparavant, de sa bonne visite,
—tout ce que nos pères consacrèrent avec amour —
soit aux affaires civiles, soit à la religion, ■— monuments qui, peut-être, comme signes et symboles, —
ne sont pas trop indignes de son attention.
L'église dont, malgré sa peinture neuve — l'architecte chrétien, sans crainte de se tromper, — peut lire
l'âge aux clefs de ses voûtes ogivales, — au beau faisceau de ses arêtes prismatiques, — où jadis Saint Laurent vit, non sans quelque majesté, — célébrer si longtemps l'office divin — par ses chers chapelains, ses
dignes archiprêtres, — toujours prêts comme lui à
faire l'aumône aux pauvres.
�LOU
BALOU
DE
L'OUSSE
97
La foule s'aloungabe, en bourdan lou cami.
L'Arciduc Ferdinand, dab Barclay de Tolly,
Qu'ère aquiu ; que-y abè bèts princes d'Alemagne,
Y lous souldats de Yan croubiben la campagne.
Mes quoan te bin passa daban lurs batalhous
Dab cinquoante troupiès basanats, proubassous,
Las amnes souptemén que houn electrisades,
Y cadu que-s senti las perpères mulhades...
Puch, au cap d'u moumén, grane aclamaciou
Eslheba dinqu'au cèu la grane naciou !
Mer ces au qui-s batou sens espia lou noumbre,
Pountacq nou-t eau pas pòu que l'Abié te desmoumbre!
Esparte qu'ey au clot : més qu'a Léonidas,
Qu'as u noum tu tabé qui nou-s mourira pas !
III
You nou soy pas countent déu touriste, si-ns quite
Sens ounoura permé de sa boune bisite
Tout ço qui lous anciens counsacran dab amou,
Sie aus ahas dou pèys, sic à la reliyou,
Mounumcnts, qui, dilhèu, coum simbèus y coum sînncs
De soun atenciou nou soun pas trop endînnes :
La glèyse doun, maugrat sa nabère coulou,
L'enyeniur crestia, sens pòu de gran errou,
Leycch l'adye à las claus de sas arques goutiques,
A lur bèt arramat d'arèstes prismatiques,
Oun d'auts cops Sent Laurens, dab quauque mayestat,
Bi l'aufîci dibin tan de temps célébrât
Per sous bous caperas, sous dînnes arciprèstes,
Coum et à ha l'aumoèyne aus praubes toustem prestes ;
�LE VALLON DE L'OUSSE
9«
La tour de l'horloge, à l'aspect sombre et rébarbatif,
— avec ses profonds mâchicoulis, fouillés dans le moellon ; — et l'Hôtel-de-Villc, distingué parmi bien d'autres, — où avaient coutume de s'assembler les consuls
et les maires, — ces bons conseillers du Roi, vénérés
du Peuple.
Vous seriez-vous dégoûtés de vos anciens monuments,
— habitants de Pontacq ? Arrêtez le marteau des barbares ! — Puisque les témoins des siècles éteints deviennent rares tous les jours, — ah ! ne les livrez pas, de
grâce à ces vandales maudits. ■— Puisse le grand diable
leur sécher plutôt les doigts à tous !
IV
J'avais chassé tout seul le plateau des Marris — et
fait, mon cher lecteur, ma tournée ordinaire. — J'étais
un peu las. Comme il faisait grand chaud, ■— je descendis tout doucement jusqu'au fond du vallon. — Là,
donc, je déchargeai mes épaules — de la lourde gibecière remplie de cailles. — A ma portée je plaçais,
contre la tige d'un aulne, — mon fusil à deux coups,
aux canons de « Lecler ». — Allongé près de moi,
Tom glissait sur son ventre — et dardait la langue
comme un serpent- — Je m'assis et bientôt, pris par
le sommeil, — j'oubliais le monde, et son bien, et son
mal. — Je n'entendis d'autre bruit que celui du cristal
de l'Ousse, — qui murmurait à mon oreille, de sa plus
douce voix, — les vers que je jurai, par ses ondes, de
reproduire, — car elle m'ordonna de les publier : —■
(( 0 mon fils, me dit-elle, c'est à toi de nous faire connaître, — mes guérets t'ont nourri, mon air t'a fait
grandir ».
�LOU
BALOU
DE
L'OUSSE
99
La tou de l'arrelòtye au bist soumbre y nerous,
Dab sous pregouns barrés foulhats hens lous cayrous.
Y la Maysou de Bile, aunourade enter hères,
Oun soubén s'assemblan lous Assessous c Maires,
Bous Counselhès déu Rey, déu pòple benerats.
Déus antics mounuments si-b serét desgoustats,
Pountaqués ?... Arrestat lou martèt déus barbares,
Quoan déus sègles défunts lous temoèns badin rares,
Ah ! no-us liurct, de gràci, à d'aquets maladifs,
Pousque lou hoec d'ihèr seca-us permè lous digts !
IV
Qu'abi cassât tout soul lous planés de las Màrris
E hèyt, amie lectou, lous mes tours ourdenàris,
Qu'èri drin fatigat. Coum hasè gran calou,
You debarèy tout dous dinqu'au houns déu balou.
Aquiu dounc que-m tirèy de dessus las espalles
Moun carniè pesant y tout boussat de calles.
Que placèy cap-à-cap, countre la caus d'u bèr,
Moun fusilh à dus cops, aus canous de Leclèr.
Estenut près de you, Tom sou bente eslissabe,
Y, toutu coum la sèrp, la loengue que hissabe .
Que-m segouy y, bètleu, dens lou sé déu repaus
You-m desmoumbrèy lou moun, y sous bés, y sous maus.
N'enteni mey nat brut que l'ayguete de l'Ousse,
Quoan ère en murmuré de sa bouts la mey douce,
Lous bèrs qui, per soun aygue, e yurèy de dicta,
Per ço qu'ère e-m mandé de-us ana troumpeta :
(( Qu'ey à tu, si-m digou, moun hilh, de-ns ha counéche,
(( Moun gra que t'a néurit; moun àyre t'a hèyt crèche ».
�I OC-
LE VALLON DE L'OUSSE
Je me levai, je partis. Tom prit le trot, ■— tel un
cheval qui a la bride sur le cou. — « Eh ! Monsieur, me
cria-t-on, votre chien n'est-il pas en arrêt ? » — « Qu'il
arrête ! répondis-je, j'ai bien autre chose en tête ».
Et par tout le chemin, j'étais préoccupé, — car la
Muse m'avait visité de nouveau. ■— Dès qu'elle me tient,
si vous saviez combien elle me tourne et me retourne !
— Elle ne me laisse pas en paix et fait de moi tout ce
qu'elle veut...
C'est pour toi que je transcris, dans ma chère retraite,
■— les vers que je tirai de l'album de mon espj'it. —
Daigne donc, ami lecteur, agréer l'hommage — que je
me plais à te faire de mon opuscule.
— 1863 —
�LOU
BALOU
DE
L'OUSSE
IOI
Que-m lhebèy, que parti... Tom que pregou lou trot,
Coum bèt chibau quoan a la bride sus lou cot.
« Hèy, Moussu, si-m cridan, lou bòste ca b'arrèste ? »
« — Qu'arrèste ! sa digouy, qu'èy aute cause en tèste ».
Y per lou cami, qu'èri tout empensat,
Car la Muse m'abè de nabèt bisitat .
Quoan hè tan que de-m tiéne, oh ! quin me birouleye !
U moumén que nou-m lèche, y coum bòu que-m tour[neye.
Enta tu qu'escribouy hens moun oustau chérit,
Lous bersets qui-m tirèy déus hoelhs de l'esperit.
Dèsgne dounc agrada-n, amie lectou, l'oumàdye
Que you-t hèy, de gran cô, de moun petit oubràdye.
�Les Chanoines de Sarrance
POÈME
BÉARNAIS
L'Image Miraculeuse — Le Conseil — Les Huguenots
Le Minisire el l'Abbé — L'Envahissement de la Chapelle
Le Capitaine Poyane — Les Moines Prisonniers
La Reine Jeanne — Jeanne el Monlgomery — 29 Martyrs
Songes de Capdequi — Rétablissement de la Chapelle
Prière de l'Auteur.
�Lous Canounyes de Sarranse
« Dignare me laudare le Virgo Sacrata
n T>a mihi virlulem contra hosles luos ».
L'Imadye Miraculouse — Lou Counselh — Lous Huganauts
Lou Ministre y L'Abat — Embadissiment de la Capère
Lou Capita Poyane — Lous Monyes Presounès
La Rèyne Yane — Yane e Montgomery — Bint-e-nau Martyrs
Sounyes de Capdequi — Rétablissiment de la Capère
Pregàri de l'Autou.
�I
En ce temps-là, la persécution sévissait, violente, —
contre les gens d'Eglise et la religion. — Ce qui concernait surtout la Vierge sacrée, — chaque lieu bénit
où elle était honorée — fut alors livré par l'esprit malin
■— à la brutalité du marteau infernal.
Au couvent de Sarrance, à l'heure où tout sommeille,
■— un ange est en prière. De son aile il va réveiller —
l'Abbé qui s'arrache à la dure de son lit. — Il se lève
vivement... Sur le coup de minuit, le Père Raymond,
à genoux, au chœur de sa chapelle, prie :
« Mon Dieu ! que Bélial jamais ici ne s'installe,
■— faites que nous n'y voyons pas l'abomination, —
éloignez la désolation du lieu saint ! — Ou, si votre
justice ordonne que nous soyons persécutés, — Seigneur, créez en nous un cœur vaillant et fort... —
Notre-Dame, de force armez vos fidèles, — qu'ils soient
vainqueurs de vos ennemis ! »
De Marie, alors, s'émut l'image — et bientôt l'Abbé
l'entendit parler : — « Ecoute, lui dit-elle, commande
à Capdequi — qu'avant les premières lueurs de l'aube
il vienne ici me prendre — et m'aille cacher au sein de
la montagne, — du côté du Sud, sur le versant Espagnol, — dans le bois fréquenté seulement par l'izard.
:— Obéis-moi, Raymond, va, Dieu le veut ! »
�I
En aquét temps ardè la persecuciou
Countre la yent de glèyse y la debouciou.
Ço qui tagnè sustout à la Bièrye sacrade,
Gade loc benedit oun ère ère aunourade,
Estou liurat labets per l'esperit déu mau
A la brutalitat déu martèt ihernau.
Au coumbén de Sarranse, à l'ore oun tout soumelhe
L'anyou qu'ey en pregàri e soun aie desbelhe
L'Abat qui's desarringue au caytibè déu lheyt ;
Et se lhèbe, esdebure... Au truc de mieye-neyt,
Ramoun, de youlhs au cor de sa capère, prègue :
<c Moun Diu, que Belial, yàmés aci nou's sègue,
« Ilèt que nou'y beyam pas l'abouminaciou ;
« Esloegnat déu loc sent la desoulaciou !
« Ou si boste yustîci ourdoune que-ns espràbe,
« Segnou, créât en nous u cô baient e bràbe.
<( Nouste Dame, de force armât bostes amies,
« Que sien bencedous déus bostes ennemies I
De Marie alabets que s'esmabou l'imadye
Y puch l'Abat l'audi dens soun pròpi lengàdye :
<( Escoute — se-u digou — coumande à Gapdequî
« Qu'aban l'esguit de l'aube e-m biengue préne aci,
« Y m'àne escoune au sé de la haute mountagne,
« Per la part de dessus coum qui tire à l'Espagne
« Hens lou boy fréquentât par lou soul cabiròu.
« Aubedech-me Ramoun, bèn : lou boun Diu qu'at bòu I »
�io6
LES CHANOINES DE SARRANCE
A ces mots, l'Abbé sortit de la chapelle, — volant,
sans perdre un instant où le devoir l'appelle, — et l'ordre du ciel fut aussitôt exécuté — de point en point,
comme il avait été dicté dans le saint lieu-
II
Quand l'aube, à son lever, argenta Peyrenére, —
quand la pointe d'Escot se dressa devant elle, •— Capdequi chevauchant, suivi de deux valets — qui, par
monts et par vaux, poussaient deux mulets, — de son
éperon aigu piquait sa monture. — Les gens étaient
surpris de voir pareille allure : — « Où va le religieux,
disaient-ils, que va-t-il faire ? — II n'est pas possible
qu'il ne s'emploie à quelque affaire grave ».
Et, pendant ce temps Raymond était parmi ses moines, — hommes de valeur, ayant nom et rang de chanoines. — Au conseil, vingt-neuf sur trente s'assirent :
■— un siège était vide et c'était le second. — L'Abbé
leur dit pourquoi son grand vicaire ■—■ n'était pas ce
jour-là à sa place habituelle, — et quelle vision leur
avait fait hâter l'exécution de — ce qui était décidé
depuis quelque temps déjà. — Ils avaient bien dû,
avant que n'éclatât l'orage,— mettre en lieu sûr l'image
précieuse — et par ce même moyen, conserver son trésor : le grand ostensoir de vermeil et le calice d'or, —
avec les riches ornements où nous pouvons voir encore
■— briller les écussons du seigneur de Béarn, du roi de
Navarre et du roi d'Aragon, — telles de belles signatures royales mises sur ces offrandes.
�LOUS CANOUNYES DE SARRANSE
IO7
L'Abat à d'aquets moûts yessi de la capère,
Boulan chens pèrde temps oun lou debé l'apère,
Y hou, l'ourdi déu cèu, de tire etsecutat,
De punt en punt coum hou dens lou sent loc dictât.
II
Quoan l'aube, en se lheban aryenta Peyrenere,
Quoan la Pene d'Escot se quilha deban ère,
Gapdequi, cabalcan, seguit de dus bayléts
Qui per mounts y per bats toucaben dus mulets,
De l'agut esperou sacabe sa mounture.
Lou mounde ère estourdit de béde tau allure :
(( Oun ba lou reliyous, — sa disèn — que ba ha ?
« Nou-s pod que nou s'emplégue à quauque gran aha »•
Y sopendén, Ramoun ère au miey déus sos mounyes.
Susyèts de choès, abén noum y reng de canounyes.
Au counselh, bint e nau sus trente s'assegoun :
U sièdye ère boeyt y qu'ère lou segoun.
Qu'aprengoun de l'Abat perqué soun gran-becàri
N'ère pas aquet die à sa place ourdinàri,
E quine bisiou lous abè hèyt pressa
Ço qu'ère descidat de quauque temps ença :
B'abèn début, permé n'esclatesse l'auràdye
Reméte en loc segu la preciouse imàdye,
Y, per medich mouyén, counserba soun tesor,
Lou grand sou de bermelh dab lou calîci d'or,
Dab riches ournaments oun poudém béde, adare,
Déu segnou de Biarn y déu rey de Nabarre
Y déu rey d'Aragou lusi lous escussous,
Coum bèts reyaus sinnets pausats sus aquets dous.
�io8
LES CHANOINES DE SARRANCE
III
Quelle sourde rumeur s'élève de la plaine ? — C'est
comme le grondement précurseur d'un orage formidable. — Elle approche... Sarrance entend déjà de grands
cris, — de sauvages clameurs dont les cœurs frissonnent : — ce sont les Huguenots, menaçant de mort et
de pillage — le couvent, envahissant le village ! — Les
uns ont à la main des fourches de fer, des bâtons — et
les autres des hâches, des faucilles, des hauts-volants
et des faulx ; — ceux-là, comme les bouchers, ont de
larges coutelas, — les soldats sont armés d'épieux et
d'escopettes. — Jésus ! d'où sortent donc ces démons si
laids, —ces horribles vagabonds, ces bandoliers repoussants ? — C'est à croire que par la bouche du puits
dans lequel elle subit la punition, — la tourbe des
Juifs est revomie !...
Ils heurtent au portail comme pour l'enfoncer. — Le
portier ouvre : « Y a ! Je vais vous annoncer... — Je ne
pense pas, — dit-il — prenez un peu de patience, —
que le Révérend Père refuse de vous recevoir ». — Un
ministre, escorté de quatre fusiniers, — monte déjà les
escaliers deux à deux.
IV
Au moment où Raymond vit l'insolente entrée — de
cet intrus dans la sainte assemblée, ■— croyant voir Calvin dans son sectateur, — il en fut tout indigné, mais
quand même il se retint-
�LOUS CANOUNYES DE SARRANSE
III
Quine sourde rumou s'eslhèbe de la plane,
Coum l'arrut anounçan periglade mey grane ?
Que s'apressc... Sarranse audech deya grans crits
E saubàtycs illets doun lous cos soun herits :
Que soun lous Huguenauts, de mourt y de pilhàdye
Miassan lous coumbéns, embadin lou bilàdye...
Lous us an à las mas hourques de hèr, bastous,
Y lous autes dcstraus, haus-bedoulhs y dragous.
Acets, coum lous bouches, an laryes ganibetes
Lous souldats soun armats d'espiuts y d'escoupetes...
Yèsus ! doun sortin dounc aquets demouns ta lès,
Aquets òrres tatays y cascants bandoulès !
Per la bouquc déu puts oun ey déu hoèc punide,
La troupe déus Judéus bc semble arreboumide !..
Ets truquen au pourtau coum enta l'enhounça ;
Lou pourtiè lous ourbech: « Ya ! que-b bau announça...
Nou'm pénsi pas, — sa dits ■— prenet drin pacience,
Que lou Reberend Pay be refuse audience ».
U Ministre, escourtat per quoàte fusilhès,
Deya de dus en dus puyc lous escalès.
IV
Au moumén qui Ramoun bi l'insoulente entrade
D'aquet hore-biencut, en la sente assemblade,
Credén béde Calbi dens lou so sectatou,
Qu'en hou tout endinnat !.., Mes toutu que's tiengou :
�IIO
LES CHANOINES DE SARRANCE
L'ABBÉ
Que veut Solon ?... Dites, Monsieur, ce qui vous
amène.
LE MINISTRE
—
Ecoutez, Prêtres. La Reine qui m'envoie
(Et le
Ciel Véclaire), ne veut plus supporter — votre idole de
pierre et votre vieil autel.
L'ABBÉ
Sa religion est fausse et la nôtre est sainte ! — Son
temple ne lui convient pas : La Vierge en est absente.
LE MINISTRE
La princesse abolit vos dévotions — qui ne sont que
superstitions à ses yeux.
L'ABBÉ
Ce n'est pas ainsi que le croyait sa mère, la savante
reine, — ni son père, chevalier de si grande renommée...
LE MINISTRE
Tout cela ne sert qu'à tromper les simples, — mais
les gens « comme il faut » ne peuvent l'admettre.
�LOUS CANOUNYES DE SARRANSE
III
L'ABAT
Que bòu Solon ?... Digat, Moussu, ço qui b'amie...
LOU MINISTRE
Escoutat capcras. La Rèync qui m'embie —
Y lou Cèu lou hè luts — nou bòu mey supourta
Boste idole de pèyre y boste bielh auta.
L'ABAT
Sa reliyou qu'ey fausse y la nouste qu'ey sente !
Soun temple n'ous ba pas : la Bièrye en ey absente.
LOU MINISTRE
La Princesse aboulech bostes deboucious
Qui nou soun, aus sos oelhs, que superticious.
L'ABAT
N'at credè pas sa may, la Bcyine letrade,
Ni sou pay, cabalè de ta gran' renoumade...
LOU MINISTRE
Tout aco nou serbech qu'à decébe lous pècs
Mes déu mounde coum eau n'oubtié pas lous respècs.
�112
LES CHANOINES DE SARRANCE
L'ABBÉ
Ils ne le croyaient pas ainsi ces rois des Espagnes —
qui traversaient les monts pour venir jusqu'ici.
LE MINISTRE
Oh ! ne me parlez pas du pays ou l'Inquisition — fit
de tout temps fleurir la superstition.
L'ABBÉ
Il ne partageait pas votre avis, le puissant roi de
France — qui, baissant son épée en venant à Sarrance,
— et visitant la Vierge en simple pèlerin, — à son autel
sacré, avec le peuple offrit, — jaloux d'édifier les gens,
la communauté.
LE MINISTRE
Votre révolte ici ne fera pas fortune.
L'ABBÉ
Fuyez, quittez ces lieux : il n'y a aucun renégat !
LE MINISTRE
Préparez-vous à la mort, votre sort est fixé.
�LOUS CANOUNYES DE SARRANSE
L'ABAT
N'at crcdèn pas atau lous reys de las Espagnes
Qui, ta biéne ent'aci traucaben las mountagnes I
LOU MINISTRE
Oh ! nou'm parlét déu pèys oun l'Enquisiciou
Hé flouri, de tout temps, la supcrsticiou !...
L'ABAT
N'abè pas boste abis lou puchant rey de France
Qui, bachan soun espade, en bienén à Sarranse
Y, bisitan la Bierye en simple péleri,
A soun auta sacrât dab lou pòplc auheri,
Yelous d'edifica la yentiu, la Coumune.
LOU MINISTRE
Boste rebolte aci nou hara pas fourtune...
L'ABAT
Hoeyét, hoeyét d'aci ! nou y a nat renégat !
LOU MINISTRE
Preparat-b à la mourt, boste arrèst qu'ey pourtat.
�LES CHANOINES DE SARRANCE
L'ABBÉ
Ah ! fixé est aussi celui de la reine Jeanne, — la
fosse est grande ouverte et il faut bien qu'elle y aille.
— Dites-lui, de ma part, qu'elle se souvienne des gants
-— que je lui fis offrir comme Abbé, il y a juste treize
ans. — Puisqu'elle a oublié l'hommage de suzeraineté,
— nous sei-ons vengés par d'autres « gants » en France.
— Les poisons raffinés, que cela est cuisant ! — Comme il lui brûle les mains, ce présent nouveau ! — Elle
veut tirer ses gants, tantôt l'un, tantôt l'autre, — mais
la peau, mais la chair... il faut que tout saute !
Pour nous, mettez-vous en tête que nous ne vous
craignons pas. —Nous nous appuyons sur Dieu ; nous
voulons ce qu'il veut. — Nous ne craignons pas la
mort du corps ; la mort de l'âme — seule nous épouvante, et le péché qui damne. — Si Jésus nous aide
et nous prend en pitié, — mouran t pour notre foi, nous
serons trop heureux !
Le ministre écrasé ne sut que répondre. — Il ne put
trouver qu'un mot avant de disparaître : — « A bientôt ! » dit-il, l'œil hagard et torve ; — puis il s'en alla
rejoindre ses ouvriers.
V
Et quels ouvriers ! Les portes enfoncées de la cave ■—
laissaient voir trois barriques percées — et cent vilains
autour qui se régalaient, l'air ravi, — toujours, à verre
plein du vin qui nient d'être tiré. — « Est-ce donc dans
la barrique que vous puisez le courage ? — Allons,
assez bu ! Compagnons, à l'ouvrage ! — Guerre à Rome:
En avant ! » cric le pasteur, — en désignant l'église et
levant son bâton.
�LOUS
CANOUNYES
DE
SARRANSE
Il5
L'ABAT
Ah ! pourtat qu'ey tabé lou de la Reyne Yane !
Sa hosse ey grane ubèrle, y be eau pla que-y ane...
Digats-lou de mas parts que-s soubiéngue déus goants
Qui l'aufrî coum Abat que y a yùste tredze ans.
Puch que-u s'ey desbroumbat l'oumàdye de mudanec,
Oh ! que seram benyats per d'autes goants en France !
Lous rafinats pousous ! aco b'ey escousént !
Quin l'ahoegue las mas aquet nabèt présent !
Que-s bòu tira lous goants, tantos l'u tantos l'aute :
Mes la pèt, mes la carn... Oh ! be eau que tout saute.
Per nous, hicat-be au cap que nou l'abém pas pòu.
Que s'emparam sus Diu : que boulém ço qu'et bòu,
Nou cragném pas la mourt déu cos: la mourt de l'amne
Soûle que la cragném, y lou pecat qui damne.
Si Yesus e-ns ayude y pren pietat de nous,
Mourin per nouste fé que seram trop urous !
Lou Ministre, aplatit, nou sabou que respoune,
Nou's trouba pas qu'u mout au daban de s'escoune :
« A bctlèu !» — sa digou, — l'oclh hagard, de trubès,
Y puch et s'en ana reyoégne souns oubrès.
V
Oh ! quins oubrès ! Déu chay las portes enhounçades
Descroubiben aus oelhs très barriques perçades
Y cent bilèns autour, goustan, l'ayre ahupat,
Toustém à beyre plé, bi déu fresc abroucat.
« Ey dounc liens lou tounét qui putsat lou couràdye,
« Aném! prou bebut! Haut! Coumpagnous, à l'oubràdyc,
(( Goerre à Roume ! En daban ! », sa cride lou pastou
En amuchan la glèyse y lheban lou bastou.
�n6
LES CHANOINES DE SAHRANCE
Comme l'avalanche se ruant sur les prés fleuris —
écrase boutons d'or, trèfle incarnat, marguerites — et
ne laisse plus rien que le sol décharné, — ainsi cette
canaille, ivre, pleine de fiel, —par la destruction signalant son passage, — ne laisse aucun ornement dans la
maison de Dieu. — Ni le chœur ni la nef n'ont plus un
seul tableau — de l'Ancien Testament ; pas un seul du
Nouveau. — A peine parvenus jusqu'au piédestal — où
hier, trônait la Madone honorée, — n'y voyant pas la
statue leur rage fut sans bornes, — et se tourna toute
contre le maître-autel.
— Arrêtez, maudits ! Mon Dieu, faites un miracle,
■— si le Tabernacle ne se peut sauver autrement !
Eux n'y trouvèrent rien ; le corps du Sauveur — avait
été par l'Abbé, son serviteur fidèle, — porté dans l'oratoire ce même matin — avec l'ostensoir d'argent, le
calice et le saint ciboire. — Grâce à ce moyen ne furent
profanés — ni l'adorable Corps ni les vases sacrés, —
comme ils l'étaient trop souvent par ces temps-là —
dans les églises du pays et les saintes demeures. — On
ne vit point ici pareil scandale.
Après ces exploits bien dignes d'un vandale, — le
renégat Solon, honte de la Bigorre, — quitta le pays
au milieu des clameurs, — tel le Drac conduisant une
troupe de démons. — Le pasteur avec ses boucs revint
à Pau, — après avoir laissé, selon l'ordre royal de
Jeanne, — des pouvoirs étendus au capitaine Poyanne.
�LOUS CANOUNYES DE SARRANSE
Coum l'aglout, s'cslurran sus las prades flourides,
Esglache boustous d'or, tréu arrouy, margalides,
1 nou lèche arré mey que lou sòu escarnat,
Tau aquct canalhè, briac, cnfelounat,
Per la destrucciou merquan lou so passàdye,
Hens la maysou de Diu nou lèche nade imàdye.
Ni lou cor, ni la nau n'an plus u soul tablèu
De l'Ancien Testament, pas u soul déu Noubèu.
A pcnes parbienguts dinqu'au pè de l'estrade
Oun yé trounabe engoè la madone aunourade,
Per ço qui nou la-y bin lur rauye s'encita
Y toute se birè decap lou mèste-auta.
Arrestats, maladits ! Moun Diu, hèts u miràgle,
Si nou's pot autamén sauba lou tabernàgle !...
Ets arré nou'y troubèn. Lou cos déu Saubadou
Ere estât per l'Abat, soun fidèu serbidou,
Aquct medich mati pourlat hens l'oratôri,
Dab lou sourelh d'aryént, calîci y sent cibòri.
Mercés à tau mouyén, n'estoun pas proufanats
Ni l'adouràble cos, ni lous bases sacrats,
Coum n'èren trop soubén per aqueres tempoures
En las glèyses déu pèys y las sentes demoures.
Oun nou bi pas, labéts, u ta gran escandal.
Après aquets cspleyts, pla dinnes d'u Vandal,
Lou renégat Solon, hounte de la Bigorre,
Afranqui la parquie aux crits de biahore.
Tau lou Drac coundusin soun troupèt ihernau,
Lou pastou dab lous boucs que s'aplega ta Pau,
Aben lechat pcrmè l'ourdi reyau de Yane,
Ab poudés estenuts au capita Poyane.
�LËS
CHANOINES
DË
SARRÀNCË
VI
Le capitaine Poyanne
éprouvé de longtemps,
était un
brave
officier, —
blanchi sous le harnais.
—
Bien qu'il eût embrassé la Réforme, — l'ancienne religion lui paraissait plus belle, — surtout depuis qu'il
voyait ses courageux enfants — demeurer dans la mort
triomphants de leurs bourreaux.
Sans doute comme soldat il exécuta les ordres, —■
mais il ne toléra pas le plus petit dérèglement, — et,
protégeant le cloître autant qu'il le put, ■— des religieux, au moins, adoucit la captivité. — Ils ne pouvaient sortir, mais aux Frères qui servaient, — soir et
matin, toutes portes s'ouvraient — pour ce qui était
des affaires diverses et des besoins du couvent : — la
fontaine et le jardin où l'on allait à toute heure.
Poyanne prit pour lui les chambres bellement tapissées — où princes et rois avaient droit de logement. —
L'officier lieutenant fut aussi logé — dans un autre
pavillon, séparé des moines. — Les soldats occupèrent
les granges, en l'absence — des pasteurs qui, l'été, montaient dans les hauts pâturages. — Tous les bandouliers auraient bravé l'Enfer, — et il fallait les tenir sous
une main de fer ; — sous la force courbés, ils faisaient
leur service, — mais il ne fallait point compter sur leur
bonne volonté ; — ils n'exécutent pas un ordre sans
protestations — et de même que les moucherons, ils
grondent en obéissant.
�LODS CANOUNYKS DE
SAHRANSE
VI
Lou capita Poyane ère u brabe ouficiè
Esprabat de loungtemps, blanquit dens lou mestié.
Engoè qu'ousse embrassât l'arrcforme nabère,
L'antique Rcliyou que-u parechè mey bère
Desempuch qui-n bedè lous couradyous enfants
Déus bourrèus, en mourin, demoura trioumfants.
Bien segu, coum souldat, b'etsecutabe lous ourdis,
Mes nou toulerè pas lous mey petits desourdis.
Y, proutetyan la claustre autan coum et poudou,
Déus Beliyous, au mens, qu'adouci la presou.
Nou poudèn pas sourti, mes aus frays qui serbiben,
De sés e de malis, toutes portes s'oubriben.
Entaus alias courénts, enta-us obs déu coumbén,
A la hount coum à Tort oun eau ana soubén.
Poyane se prengou las crampes tapissades
Aoun Princes e Reys abèn lurs aubergades.
L'ouficiè loctenén estou labé loudyat
Dens ugn'aut pabilhou déus mounyes séparât.
Lous souldats oucupant las bordes en l'absence
Déus pastous qui, l'estiu, abèn mey haut pechence.
Touts aquets bandoulès aurén brabat l'ihèr,
Mes lous calé mantié dab ue ma de hèr.
De force aubeïssents ets hasèn lur scrbîci ;
Nou calé coumpta, nou, sus gran cause d'oufîci ;
Chens quauque arremusclct yamés arré nou hén,
Toutu coum lous mousquils qui rouncn en credén.
�120
LES CHANOINES DE SARRANCE
II n'en était pas ainsi au couvent. Bien réglée, —
commencée à son heure, à son heure achevée ■— la
besogne des Frères n'était qu'un passe-temps, — contents qu'ils étaient de bien servir. — Leur visage souriant, leur prompte obéissance — prouvaient la puissance de l'esprit religieux. — Là, on n'entendait jamais
un mot dit trop haut, — qui troublât la paix, ou plus
vif l'un que l'autre.
VII
En ce bas monde on voit toujours pire. — Les moines prisonniers attendaient le martyre — et s'y préparaient comme l'Abbé, eux aussi, — en accomplissant
avec plus de soin chaque jour leur devoir : — Ils ne
manquaient pas de réciter l'office. — Ils auraient bien
voulu offrir le saint sacrifice — chaque jour, eux aussi,
comme l'Abbé pouvait le faire, ■— par malheur, ils
n'avaient pour eux tous qu'un seul autel, — on y disait
des messes toute la matinée, — on en y disait cinq,
celle de Raymond comprise...
Chaque semaine, ainsi, chacun des religieux, ■—■
pouvait remplir les saintes fonctions de prêtre ; — de
plus, chaque matin, ceux qui ne consacraient pas, —
des mains de l'Abbé, au moins, communiaient, — et
tous étaient prêts, nowris du pain des forts, — à
repousser l'assaut des esprits diaboliques.
VIII
Quand Solon fut de retour de l'abbaye d'Aspe, — il
entretint longuement la reine béarnaise. — C'est ainsi
qu'il crut devoir faire le récit — de ce qui s'était dit de
part et d'autre.
�LOUS CANOUNYES DE
SAHR.ANSE
Nou'n ère pas atau au coumbén. Pla reglade,
Coumençade à soun ore, à soun ore acabade.
La besougne déus frays n'ère qu'u passe-temps.
Urous de pla serbi, touts paréchen countents :
Lur bisàdye arridént, lur proumpte aubeissence
De nouste reliyou proubaben la puissence.
Aquiu nou s'entenè yamey u mout trop haut
Qui troublèsse la pats, ni mey biu l'u que l'aut.
VII
En aquéste bach moun om que bet toustém pîri.
Lous mounyes presounès atendèn lou martîri,
Y que s'y preparan coum l'Abat, ets tabé,
En han dab plus de soegn, tout die, lou debé :
Non mancan pas u cop d'arrecita l'aufîci,
B'aurén boulut aufri lou trop sent sacrifîci,
Cade die ets tabé, coum l'Abat soulé ha I
Per malur, n'abèn pas ta touts qu'u soul auta,
Que s'y disè pourtan misses la maytiade,
Que s'en y disèn cinq, la de Ramoun coumptade...
Cade semane, atau, cadu déus Reliyous
De prêtre abè remplit las sentes founcious.
De mey, cade mati, lous qui nou counsacraben,
De las mas de l'Abat, au mens, coummuniaben,
Y prèstes qu'èren touts, déu pa déus horts néurits,
A repoussa l'assaut déus mâchants esperits.
VIII
Quoan Solon hou tournât de l'abadie aspèse,
Qu'entertiengou bèt drin.à la Rèyne biarnèse,
Atau medich cregou debé-u ha lou récit,
D'u coustat y de l'aut de ço qui s'ère dit-
121
�122
LES CHANOINES DE SARRANCË
Jeanne, entre les deux yeux, fixement le regardait —
et le perçait de son regard méchant. ■
Son farouche
orgueil se soulevait d'indignation
au penser du ministre laissé sans parole par l'Abbé :
—
—
(c Tu n'as donc pas, lui dit-elle, trouvé une réponse,— mauvais illuminé ! Un chanoine te mate — et tu n'en
rougis pas ? Va, retire-toi de ma présence ! »
Lui sorti, elle s'enferma à clef dans sa tour.
(( Ah ! l'insolent chapelain a donc osé me menacer !
— Mon arrêt de mort serait donc prononcé — parce que
je ne me serais pas pliée à ses caprices — et que j'aurais détruit un nid de frelons ? — Ah ! elle ne désarme
pas ainsi la souveraine !... — Attendez, attendez ! vous
allez connaître Jeanne /... — Ils ne déplaisaient pas à
ma défunte mère !... — Et mon père, en différentes circonstances, leur accorda bien des privilèges ! » — Ah !
sans doute, alors, mon père radotait — et ma mh'e
ne se souciait guère de la cause de Dieu ! — A mai d'exécuter l'ordre de l'Eternel ! — Moi ! du sein d'Israël
j'arracherai le mal ! — Si je pouvais en personne me
rendre à la vallée d'Aspe ?... — Mais Us ne perdront
rien, les Pouquets (*), pour attendre ! — Et l'été ne se
passera pas que je ne fasse offrir — mes vœux à leur
Madone... et par Montgomery.... »
La reine de Navarre ainsi ruminait — seule dans sa
tour, la haine qu'elle avait — au fond d'un cœur fermé
aux bons sentiments : — le château tremblait dans ses
accès de colère-
�LOUS CANOUNYES DE SARRANSE
120
Yane, enter lous dus oelhs fiesements l'espiabe
Y d'u regard machan ère e-u taraberabc ;
Lou so farouch ourgulh ère tout endinnat
De béde lou Ministre esmudit per l'Abat.
<( N'as dounc pas, se-u digou, troubat nade respounse,
« Drólle d'illuminat ! U canoùnye t'enfounce,
ce Y hounte n'ou n'as pas ? Bèn ! tire-té-m déu tour ! »
Et sourtit, que-s claba soûle dehens la tour.
((
«
«
«
«
«
«
«
«
«
«
«
<(
«
«
«
L'insoulént capera m'a doungues miaçade !
Ma senténci de mourt que seré prounounçade
Per ço qui nou'm seri plegade à sas umous
Y qu'ami destrusit u nid de boussalous ?
Ah ! nou-s desarme pas atau la Soubirane !...
Atendét, atendét que bat counéche Yane !...
Mes nou desplasèn pas à ma défunte may !...
Per pos, bous autreya pribilètyes, moun pay !...
Ah ! de segu, labets, moun pay repepiabe ;
De l'interès de Diu ma may nou's souciabe :
A you d'etsecuta l'ourdi de l'Eternau,
You déu miey d'Israël qu'arringarèy lou mau !
Si'm poudi you mediehe à la bat d'Aspe rénde...
Mes nou perderan pas, lous Pouquets, per aténde !
Nou's passara l'estiu que nou hàssiey aufri
Mouns bots à lur Madone... y per Mongomery ? »
La Reyne de Nabarre atau arrebouribe,
Soûle dehens sa tour, la hayne qui néuribe
Au houns d'u co barrât à miélhous sentiments :
Lou castèt tremoulabe aus sos empourtaments.
�124
LES CHANOINES DE SARRANCE
IX
De son premier quaiiier la lune était sortie ; — sur
la voûte du ciel peu à peu s'arrondissant — après quatre
ou cinq soirs arrivait à son plein; — une semaine après,
elle se trouva à moitié — une semaine après encore
ses cornes repoussaient, — tournées la pointe en bas,
comme une menace. — Beaucoup de gens virent là un
signe de malheur; — Montgomery survint nuitamment
tel un voleur.
Et, le lendemain, quand Jeanne apprit son arrivée, —elle lui manda de la venir trouver, comme c'était la
coutume. — L'ayant fait asseoir à sa droite, elle lui fit
raconter — ses meurtres, ses vilains coups, l'écoutant
avec plaisir :
JEANNE
Mon vaillant, bien que tu aies fait grande besogne,
— ce n'est pas assez, j'ai besoin encore de ton bras. —■
La vallée d'Aspe nourrit un troupeau de renards — qui
par là causent de toutes parts grand dommage, — Depuis longtemps déjà je veux les en chasser, — mais je
n'ai pas voulu qu'un autre prit ta place : — Il faut
savoir donc, si tu as d'assez bons limiers.
MONTGOMERY
Vous en doutez ? Faites donc venir des témoignages
d'Orthez !
�LOUS CANOUNYES DE
SARRANSE
125
IX
Déu so permè quoartou la lue qu'ère esside ;
Sus la bote déu Gèu chic à chic aroundide,
Dehéns quoate ou cinq sés au so plé qu'arriba ;
Ue semmane après, mieye ère se trouba,
Ue semmane après souns corns arrepoussaben,
Birats de cap en bat y coum si miassabenTropes yents bin aquiu u sinne de malhur :
Montgomery plabou de noeyts, coum u boulur.
Y lendouma, quoan Yane aprcngou sa biengude,
Que-u hé biéne au so man, coum n'ère d'abitude.
Lou hé sède à sa destre e lou hé recounta
Sous mùrtes, sous lèds cops, dab fabou l'escouta :
YANE
Maugrat, lou me baient, qu'àyes hèyt hère oubràdye,
N'ey pas prou : qu'èy besougn engoè de toun couràdye.
La bat d'Aspe néurech u troupèt de renards
Qui hèn u gran damnàdye, aquiu, de toutes parts.
Despuch loungtemps ença you-us bouli da la casse,
Oh ! mes n'èy pas boulut qu'abousse u gn'aut ta place :
Adarc eau sabé s'as de prou bous limiés ?
MONGOMERY
En douttat ?... Hèt dounc bié testimònis d'Orthez !
�126
LES CHANOINES DE
SARRANCE
JEANNE
Allons, tais-toi. Je le sais ! D'un simple badinage —
vas-tu te fâcher comme un petit enfant ? — Avec certaines gens, je le vois, il faut clairement s'expliquer.
MONTGOMERY
On est mieux compris en parlant tout net.
JEANNE
A Sarrance se trouve encore une abbaye — peuplée
de gens indignes de la lumière du jour. — Je désire
surtout que tu aies soin de l'Abbé. — Que dis-je ? il
ne faut pas qu'un seul soit épargné ! — Tu trouveras
là une belle volée de moines — qui prennent, pour
tromper les gens, le titre de chanoine. — Ils ont égaré
mon peuple en priant à genoux — avec d'étranges honneurs, un bloc de pierre noire. — Ah ! certes, il est
temps d'abolir partout l'idolâtrie ! — Il est temps de
détruire les autels de Marie !... — Et sais-tu comment
les miens, de leur honneur jaloux, ■—aux temps reculés
traitaient les félons ? — Il ne leur suffisait pas de lui
ôter la vie, — la maison du l'ebelle avec lui était maudite.
Les moines font mépris de nos volontés, — qu'ils
soient donc traités en rebelles ! — Je veux que leur
abbaye rasée à fleur de terre — rappelle le château du
baron de Coarraze (**). — Et, quand tu seras passé par
là, garde bien ceci, — que l'étranger demande : « Où
donc était le couvent ? »
M'as-tu comprise ?
�LOUS CANOUNYES DE
SARRANSE
I27
YANE
Anem, carc-t. B'at sèy ! D'u simple badinàdye
Si te-m bas tu fâcha, coum bèt petit maynàdye ?
Ab certèn moun que eau esplica-s claremén.
MONGOMERY
Oun qu'ey miélhou coumprés per parla franquemén.
YANE
A Sarranse se trobe engoère u abadie
Poblade de manants touts indinnes déu die.
You dcsîri sustout qu'àyes soegn de l'Abat.
Que die you ? nou eau pas qu'u soul sic espragnat !
Que troubaras aquiu bèt arramat de moùnyes
Qui prénen, per troumpa, lou titolh de counoùnyes...
Qu'an courroumput moun pòple en pregan à yenous
U tros de pèyre nègre ab d'estranyes aunous...
Ah ! qu'ey temps d'abouli pertout l'idolâtrie :
Qu'ey temps de darrouca lous autas de Marie !...
E sàbes quin lous mes, de lur aunou yelous,
Aus temps arreculats trataben lou felous ?
Nou sufibe pas, nou, qué-us aboussen la bite,
La maysou dèu rebelle ab et ère maudite.-.
Lous moùnyes hèn mespèts de noustes boulountats P
Que sien dounc punits en subyècs reboultats !
You bouy que dinqu'òu sòu lur abadie arrase,
Rapèlc lou castèt déu Barou de Coarraze,
Y quoan sîcs passât per aquiu, — soubié-t'en, —
Que l'cstranyc demande : « Oun ère lou coumbén » ?
E m'as coumprese ?
�128
LES CHANOINES DE SARRANCE
MONTGOMERY
Oh ! oui, vous serez obéie — et vous ne vous plaindrez pas de ma façon de servir.
X
Dix jours après, le Couvent dont le nom — connu
en tout lieu disait seul la renommée, — le palais de
trois rois, la chapelle sainte — et neuf stations de son
antique calvaire, — tout ce qui des Aspois était, avant,
l'honneur, ■— n'était plus que monceaux de charbons
et de cendres- — Par les soldats huguenots, l'abbaye
pillée d'abord — avait été à la suite incendiée. — Les
moines étaient morts, égorgés par le fer — de ces horribles soldats instruments de l'enfer, — ou par eux lancés dans les ondes du Gave.— Et Jésus, Notre-Seigneur,
aussi puissant que bon, — les avait reçus dans la gloire
du ciel, — par le martyre purifiés et rendus commela neige.
XI
Capdequi demeura de nombreuses années à Sarragosse — attendant des temps meilleurs, priant Dieu
qu'il voulût — rendre à la sainte Mère de notre Sauveur — un lieu qui, autrefois, brillait de son rayonnement.
Une nuit, sur le premier sommeil, ô nuit deux fois
heureuse, —■ il vit la troupe glorieuse de ses frères —•
avec des palmes à la main, des ornements nouveaux —■
et de tels diadèmes qu'on n'en vit jamais d'aussi beaux;
— et puis, sur le croissant de la lune, il vit toute parée
�LOUS CANOUNYES DE
SARRANSE
MONGOMERY
0 bio ! Bous serats aubedide,
Y nou'b plagncrats pas de nou 'sta pla serbide.
X
Dèts dies escoulats, lou coumbén doun lou noum
Counegut en tout loc dise soul lou renoum,
Lous palays de très Reys, la debote capère
Y nau estacious de soun antic calbère,
Tout ço qui déus aspés ère audaban l'aunou,
Nou hou que pialots de brase y de carbou.
Péus souldats huganauts l'abadie pilhade
Ere estade, per ets, à seguin ahoegade.
Lous moùnyes èren mourts, escanats per lou hèr
D'aquets òrres souldats, instruments de l'ihèr,
Oun per ets arrounçats hens las aygues déu Gàbe.
Y Yesus, Nouste-Segne, auta puchant coum bràbe,
Lous abè reccbuts dens la glòri déu Cèu,
Péu martîri blanquits y renduts coum la nèu.
XI
Capdequi demoura dèts ans à Sarragousse,
Atendén miélhou temps, prcgan Diu que boulousse
Rénde à la sente may déu nouste Saubadou
U loc qui, d'autes cops, flouribe à soun auyou.
Ue noeyt, sus pri-soum — ô neyt dus cops urouse !
Et bedou déus sosrays la troupe gloriouse
Dab palmes à las mas, dab ournaments nabèts
Y de taus diamants coum nou'n bi d'auta bèts ;
E puch, dessus la bie, et bi toute parade
I
�LES CHANOINES DE SARRANCE
i3o
-— la Reine du Ciel, couronnée d'étoiles ; — son voile
éclatant éclipsait le soleil, — son visage, ses traits
étaient grâce et douceur.
Capdequi s'écria : « Reine de bonté, — donnez-moi,
donnez-moi aussi la céleste couronne ! — Il manque
encore un moine aspois à votre cour, —pourquoi d'un
corps mort porte-t-il seul le poids ? »
La Vierge Immaculée et du Père bénie — lui répond:
« Vingt-neuf ont donné pour moi leur vie, — le trentième qu'a-t-il fait ?... Dépouille-toi de tes biens —
Dieu te les rendra au Ciel, car — Dieu ne laisse rien
sans récompense. — Va, l'homme s'enrichit quand il
dépense pour Lui, — Vois-tu tes frères ? En retour de
leur vie mortelle, — Jésus leur a fait part à son éternelle
gloire ; — ils ont perdu seulement de leur première
vie — le don de pouvoir souffrir. La perte est bien
petite ! — Mais ceux qui se croyaient forts quand ils les
ont tués, — ceux-là sont bien morts et perdus à jamais.
■— La puissance du mal s'en va détruite — et l'Eglise en
ton pays ne se voit plus dans l'empêchement — de
laver les péchés et les crimes du monde — dans le sang
de l'Agneau. Rlessé par le démon, — le Béarn revit au
soleil de France !
« Maintenant, il te faut t'en aller : Dieu te veut à
Sarrance.
Elle dit et disparaît. Cette vision — inonda Capdequi d'une joie consolante ; — en faisant ses préparatifs
pour un voyage plus heureux, — ses pleurs abondants
baignaient son visage.
�LOUS
CANOUNYES
DE
SARRAJNSE
l3l
La Reyinc déu Cèu d'cslcles courounadc,
Sous boèlcs clareyants esclipsaben lou sou,
Sa fàci, touts souns trèyts ercn gràci y douçou
Gapdequi s'esclama : « Reyine toute bounc,
« Dats-me, dats-me tabé la celèste courounc !
« A boste cour que manque engoère u moùnye aspés :
« Perqué dounc d'u cos mourt e porte soul lou pés ? »
La Bièrye immaculade y déu Pay benedile
Lou tourne : « Bint-e-nau an dat per you lur bite.
« Lou trentième qu'a hèyt ?... Despulhe-t déu to bé,
« Que t'at tournara Diu au Cèu à tu tabé :
« Diu nou lèche yamey arré chens recoumpense.
« Bèn, lomi s'enrichèch quoan per et hè despense.
<( E bédés lous tos rays ?... Per lur bite mourtau,
(( Yèsus lous a hèyt part à sa glòri eternau.
« Qu'an pergut soulemén de lur permère bite
« Lou poudé de soufri. La pèrte b'ey petite !...
« Mes lous qui-s credèn horts, quoan lous oun auciguts,
« Aquets yé soun pla mourts y per yamey perguts !
« La puchence déu mau que s'en ba destruside,
« Y la glèyse au to pèys nou's bed mey empedide
« De laba lous pecats y lous crîmis déu moun
« Hens la sang de l'Agnét. Herit per lou demoun,
(( Lou Biarn s'arrebiscole au sourelh de la France !...
« Adare t'en eau î : Diu le bòu à Sarranse ».
Que dits e disparech. — Aquere bisiou
Inounda Capdequi de counsoulaciou ;
En han souns préparais ta u mey urous biàtye,
L'aboundance déus plous negabe toun bisàdye.
�l32
LES CHANOINES DE SARUANCE
XII
Fidèle exécuteur des ordres du Ciel, — le moine, de
retour, fit construire aussitôt — au lieu même où fut
la dévote chapelle, — avec ses propres biens, une nouvelle église ; — et, comme autrefois, on eut soin de
mettre — la pierre du miracle au-dessus du maîtreautel, — de telle sorte qu'aujourd'hui l'image miraculeuse — est, comme au temps passé, la gloire du village.
Notre-Dame par sa protection, garde — ceux qui,
dans ce lieu vont en dévotion.
Aurais-je cent voix, je ne pourrais vous dire — le
concert qui s'élève pour l'y bénir, — si grand est le
cahier où sont constatées les infirmités — guéries par
Marie, et qui proclament ses bontés.
En terminant, laissez-moi vous conter un trait d'histoire — où la gloire de la Mère de grâce éclate : —
Je serais un indigne si je ne m'employais pas — à exciter tout le monde à chanter ses louanges !
Quel est ce petit « Chicou » (***) qu'une femme accompagne ? — C'est un muet de naissance, venant de l'Espagne. — La femme, c'est sa mère : elle vient le consacrer — à la Vierge qu'ici veut honorer sa foi. — ils
sont à genoux tous deux.-.
A peine l'enfant eût-il levé la tête vers la sainte
image, — quel miracle de Dieu ! — qu'il se mit à parler
en invoquant Marie et priant avec ferveur.
Forbert, un protestant, l'oracle du Parlement, —
pour son propre salut, témoin de ce miracle, — touché
de la grâce, y vit le doigt de Dieu : — il était catholique
en sortant de là.
�LOUS CAPsOUNYES DE SARRANSË
i33
XII
Fidèl etsecutou déus mandeménts déu Cèu,
Lou mounye, de retour, hè construise auta lèu
Au loc medich oun hou la debote capère,
Ab souns pròpis dequés ue glèyse nabère.
Toutu coum d'autes cops, aben soegn de bouta
La pèyre déu miràgle au soum déu mèste-auta,
De tau sorte qu'oey la merbelhouse imàdye
Ey, coum au temps passât, la glòri déu bilàdye.
Nouste Dame rend saubs per sa proutccciou
Lous qui t'a d'aquet loc ban en debouciou.
Quoan abcri cent bouts you nou'b pouyri redise
Lou councert qui s'eslhèbe enta la-y benedise,
Ta gran ey lou cayè de las enfirmitats
Goarides per Marie, anounçan sas boentats ?
Lechat-me, en acaban, counta-b u trèyt d'istòri
Oun de la May de gràci esclatc pla la glòri.
Be seri lou poc-bau, si n'èri pas yelous
D'cncita tout lou moun à canta sas laudous !
Quau ey aquet chicoy qu'ue hemne acoumpagne ?
Qu'ey u mud de nachence arriban de l'Espagne.
La hemne qu'ey sa may. Ere e-u bié counsacra
A la Bièrye qu'aci sa fé bòu ounoura.
Que soun de youlhs touts dus...
A pene lou maynàdye
Abou lhebat lou cap dessus la sente imàdye
■— Quin miràgle de Diu ! — à parla que-s metou
En inboucan Marie e pregan dab ferbou.
Forbert, u proutestant, déu Parlament l'ouràgle,
Per soun pròpi salut temoèn d'aquet miràgle,
De la gràci toucat, e-y bi lou dit de Diu :
Et ère catoulic en se sourtin d'aquiu.
�LÉS
CHANOINES
DÉ
SAHRANCË
XIII
Et ma langue aussi était muette et retenue ! — 0
Reine des Martyrs ! vous l'avez déliée — en m'inspirant
aujourd'hui un chant en leur honneur ; — je suis à
vos pieds comme le jeune Espagnol, — de mon chant,
Vierge Sainte, agréez l'hommage ! — Rejuge de l'auteur, bénissez son œuvre — si, dans votre cœur d'or
vous daignez le conserver, — et, sous votre toit, le sauver de l'oubli, — Sarrance rebâtie sera pour mon nom
■— l'arche que Bètharram est pour le nom de Bastide (****).
Faites que l'orgueil ne se mêle à mon désir : — un
tel guide égare au lieu de bien conduire.
Si je voulais que mon nom volât d'âge en âge, — aurais-je, moi, recours à notre vieille langue — qui ne se
parlera plus en peu de temps peut-être ? — On écrit en
français pour se faire lire longtemps... ■— Mats je né
désire autre chose que rester sous votre aile, — comme
le dernier cailleteau éclos au nid de la caille; — au plaisir vaniteux d'être partout vanté, — je préfère la grâce
et votre amour. — Et puis, ne faut-il pas que tout
meure ? ■— Notre monde lui-même cessera de vivre, —
les paroles, alors, ne serviront de rien, — seules les
œuvres vaudront quelque chose...
— 186U —
�LOUS CANOUNYES DE SARRANSË
XIII
Y ma loengue, tabé, qu'ère mude y drabade,
O Reyne déus Martirs ! bous l'abét desligade,
En m'inspiran oey, u cant en lur aunou.
You soy à bòstes pès, coum lou yoen Espagnou,
De moun cant, Sente Bièrye, agradat-me l'oumàdy
Refùdye de l'autou, bcnediset l'oubràdye !
Si hens bòste co d'or lou degnat counscrba
Y débat bosle teyt déu desmoumbre sauba,
Que sera, tau me noum, Sarransc arrebastide,
L'arche qui Bètharram ey tau noum de Bastide !...
Empêchât que l'ourgulh nou's mescle à moun desi
U tau guide csbarrech au loc de coundusi.
Si bouli que moun noum boulèsse d'àdye en àdye
Abcri you recours au nouste bielh lengàdye
Qui nou's parlara plus, dilhèu, en chic de temps ?
Om qu'escriu en Francés ta's ha lève lougtcmps...
Mes nou bouy auts qu'esta débat la boste aléte
Coum lou darrè piloy au nid de la calléte ;
Au plasé banitous d'esta pertout bantat,
You prefèri la gràci y la boste amistat.
Y puch, nou eau toutu qu'à la mourt tout arrîbe ?
Nouste mounde et medich que s'estara de bîbe.
Las paraules, labéts, nou serbiran d'arré,
Las obres soulemén baleran quauqu'arré.
�Notre=Dame de Buglose
■
LÉGENDE COVRONNÉE A BÉZ1ERS
Le Jeudi 25 Mai i865
Fête de l'Ascension de JSolre-Seigneur.
�Nouste Dame de Buglose
LEYENDE FLOUCADE A BEZIÈS
Lou Didyaus 25 de May 1865
Hèste de l'Ascensiou de Nouste - Ségne
�Rosa Myslica !
I
Comme le lys royal qui embaume l'atmosphère, —
s'élève quelquefois parmi de tristes ronceraies, — ainsi
Buglose, au diocèse d'Aire, —fleurit au milieu de forêts
de pins.
Ecoutez... Qui fait donc ainsi trembler le sol ? —■
Quelle sourde rumeur ! Quels furieux sifflements ! —
Ne dirait-on pas qu'au bruit lointain du tonnerre, —
se mêlent les mugissements de vingt taureaux !
C'est la poste nouvelle à la vive allure, — glissant
comme un trait sur la voie ferrée, — avec soixante
wagons, avec deux locomotives — aussi noires que
deux monstres d'enfer...
Mais le train s'arrête et vomit sur la bruyère — des
pèlerins par milliers... Sm'pris, presque effrayés — de
se trouver tout à coup en si nombreuse compagnie, —
les voilà debout et immobiles...
�Rosa Mystica î
1
Coum lou lîri reyau qui-ns embaume tout l'àyre
Crech à bèts cops au miey de tristes segassas,
Buglose, atau medich au diocèse d'Ayre,
Flourech enter lous pignadas...
Escoutat... Qui hè dounc tant tremoula la terre ?
Quine estrànye rumou ! quins rabious siulets I
Be diserén, de loegn, qu'à l'arrut déu tounerre,
Bint taures mesclen lurs buglets...
Qu'ey la poste nabère à las fayçous anibes,
Eslengant coum u trèyt sus soun cami de hèr,
Dab sichante bagous, dues locomotibes
Nègres coum dus moustres d'ihèr...
Mes lou tri que s'estangue y boumech sus la brane
Pelegris à milès... susprés, coum espantats
De-s béde atau, de cap, coumpagnie auta grane,
Que s'estan, aquiu, touts plantais...
�NOTRE-DAME DE BUGLOSE
II
Allons, marchez, ■— comme vous perdez du temps !
■— marchez... Notre-Dame vous appelle tous. — Allez
la voir en sa chapelle : — elle veut vous rendre heureux.
En considérant la sainte image, — gravez ses traits
en vos cœurs. — Il vous faut l'emporter. Une fois éloignée, — il n'y a plus rien qui la représente, — plus
rien qui rende ses attraits.
Pas de pinceau de grand maître — gui ait su la saisir;
— nul artiste, pas le plus expert dans l'art de bien
disposer sa palette, — n'a pu jusqu'ici la rendre parfaitement.
Attendez que le soleil descende sur l'horizon — et
la frappe de sa lumière. — A ce moment, quelle rare
vision, — dont ailleurs le ciel est avare !... Contemplez
la mère de Jésus.
Ah ! mon Dieu ! qu'elle est radieuse — et de jeunesse
et de beauté ! ■— Qu'elle a de grâce avec son enfant, —
cette mère, Vierge pieuse ! — En elle, tout est noblesse
et bonté...
�KOUSTE DAME DE BUCLOSE
II
Aném, marchât, — be-b trigat hère,
Marchât : Nouste-Dame b'atend ;
Nouste-Dame à touts que-b apère.
Anat-la béde en sa cappère :
Que-b bòu rende lou cô countent.
En espia l'imàdye sente,
Grabat en bous-auts lous sos trèyts.
Empourtat-la-b... U cop absente,
Arré mey nou l'arrepresente,
Arré nou tourne souns atrèyts.
Nou y-a pincèu de ta gran mèste
Qui l'aye sabude pintra ;
Nad artisa, pas lou mey lèste,
Per pla qui souns arnés aprèste,
Nou l'a poudude arrencountra.
Atendet que lou sou debàre
Y la toque de soun array...
Labets, quine bisiou rare,
Doun aulhous ey lou cèu abàre !...
De Yèsus remirats la may.
Diu de you ! b'ey dounc radiouse
Y de yoenessc y de béutat !
Dab soun frut quin ey graciouse
Aquere may, Bièrye piouse !...
Qu'ey toute grandesse y bountat...
�l42
1NOTRE-DAME DE 13UGLOSE
A Saragosse, on vénère — depuis dix-huit siècles —
la Vierge sacrée du Pilar, — parée de soie, d'argent et
d'or, — et toujours couverte de diamants.
Que si, fidèle au culte de la sculpture antique, —■
quelqu'un de ses dévots — pénètre dans l'église d'Asté,
il ne trouvera pas, — je l'accorde, ■— la moindre tache
dans la madone de Médous.
Oh ! mais il faut pousser jusqu'à Buglose, — pour
y savourer la fraîcheur— de la fleur mystérieuse éclose
au soleil de la Lande. — Ce n'est que là qu'elle exhale
ses parfums.
III
Un jour, au plus fort de la tempête, — le feu de la
persécution était alors dévorant, — on crut la divine
statue engloutie dans le naufrage des symboles religieux.
En effet, qu'était-elle devenue ?... ■— Nul ne le savait
dans tout le pays des pins. —Elle était bien perdue, —
depuis soixante-dix ans qu'elle avait disparu de la contrée, — lorsqu'un jeune berger la retrouva.
�NOUSTE DAME DE BUGLOSE
À Saragoussc cy bcncrade,
Desempuch dèts-e-oeyt-cents ans,
Déu Pilar la Bièryc sacrade,
De sede, d'aryent, d'or oundrade
Y cubèrtc de diamans (*)•
Fidèu à l'esculplure antique,
Si quauqu'u déus sos aymadous
liens la glèyse d'Asté se hique,
— Qu'at bouy, — nou trobe pas arique
En la madone de Medous.
0 ! mes eau bié dinqu'à Buglose,
Enta-y saboura la frescou,
De la mysteriouse arrose
Au sourelh de la lane esclosc :
Nou repend qu'aquiu soun aulou.
III
U die, au mey hort de l'auràdye,
— Qu'ardè de tout soun hoec la persecuciou,
Touts cregoun la dibine imàdye,
Engloutide dens lou naufràdye
Déus sinnes de la Reliyou.
En effèyt, qu'ère debiengude ?...
Au terradou déus pis, arrés que n'at sabè,
Quoan despuch septante ans pergude
Y déu parsa disparecheude
U yoen pastou la retroubè .
�NOTRE-DAME DE BUULOSE
Chaque jour, un taureau s'écartait — du gros du
bétail, peu à peu, sans avoir l'air de rien, — et puis,
s'agenouillant — tout doucement léchait — quelque
chose à fleur d'eau.
Surpris de ce manège, vous pouvez m'en croire, —
un matin, comme l'aube commençait à poindre, —
notre pastoureau, qui désirait y voir plus clair, — prit
un peu d'avance et, vivement, — se hissa sur un petit
chêne.
Et le voilà perché sur sa branche ! — Le taureau
arriva... De son huchoir, il le vit bientôt lécher, ■— à
genoux, une jolie petite main blanche — qui s'échappait du limon, — éclatante de blancheur, parmi les
touffes de glaïeuls.
Il saute de l'arbre, dirige sa course — vers les taillis
fourrés et les terres vagues de l'ouest, — marche, tout
droit, vers son village, — va comme le vent, et, de
suite, — avertit Monsieur le Curé.
Accompagné de tous ses paroissiens, — le bon Curé
se transporta alors sur les lieux. — On travailla avec
joie et ardeur- — La charmante image fut relevée ; —
un rustique autel lui fut dressé.
�iNOUSTE DAME DE BLT.LOSE
I
Tout die, u taure s'escartabe
Déu mayram, chic à chic, sens ha semblan d'arré,
Dehens u grabot s'ayulhabe ;
Y puch, après, tout dous lecabe,
A llou d'aygue, bèt quauqu'arré.
Susprés d'aco, — y-at poudet créde, —
Coum aube se hasè, lou nouste pastouret,
Per ço qui boule miélhou béde,
S'abança quoàte pas, y réde,
E-s puya sus u cassouret.
Y qu'ère apourat sus sa branque,
Quoan lou taure biengou... Que-u bi d'aquiu leca,
De youlhs, ue manete blanque
Qui s'escapabe de la banque,
Y clareyabe, à miey cesca.
Et bâche de l'àrbe e se bire
De cap aus bouscarras, aus hèrms de caparrè,
Sens torse en so bilàdye tire,
Cour coum lou bouhet... y, de tire,
Abertech à Moussu Curè.
Dab toute la yent déu bilàdye
Lou bou Curè labets sou loc se transpourta.
Que s'y hén dab goust y couràdye,
Relheban la charmante imàdye
Y lou hén u rustic auta.
�i46
NOTHE-DAME DE BUGLOSE
Et là fut la Vierge honorée, — pendant qu'au souffle
des zéphirs, fleurirent deux printemps, — et nul n'implora jamais en vain — l'assistance de cette mère bien
aimée, — durant cette période.
IV
Mainte histoire merveilleuse, — qui avait cours de
tous côtés, — excita la jalousie de la ville : — la madone
du miracle fut réclamée — par les bourgeois de Dax.
L'Evêque, tout le corps de ville — l'altèrent chercher
processionnellement, ■— et, de crainte qu'elle ne se
trouvât fragile, — le transport, — inutiles soins ! — en
fut ordonné avec des précautions infinies.
Deux paires de bœufs la traînaient, ■— parés de banderoles blanches et bleues. — Au départ, ils allaient à
ravir ; — mais, à trois cents pas, ils faisaient des
façons ; — à cinq cents pas, ils étaient arrêtés.
Peut-être en doublant l'attelage ?... — Non : c'est la
volonté de Dieu ! — Tout ce qu'on put faire fut inutile :
■— les forces réunies de quatre paires de bœufs — ne la
purent tirer de là.
�NOUSTE DAME DE BUGLOSE
Aquiu hou la Bièrye aunourade,
Méntre lous ayroulets hén flouri dus printemps,
Y nou-y hou yamés emplourade,
L'ayde d'aquere may aymade,
En balles, per tout aquet temps.
IV
Mantue istòri merbelhouse,
Qui-s countabe de touts coustats,
En rendou la bile yelouse :
La madone miraculouse
Que la claman las yents de Dacs.
L'Abésque, tout lou cos de bile,
L'anan coèlhe en proucessiou,
Y, de pòu qu'estoussc frayile,
Entau carrey, — pene inutile ! —
Ourdounan gran precauciou.
Dus pas de boéus que la tiraben,
De ribans blancs y blus floucats.
Au parti, hère pla qu'anaben ;
Mes à très cents pas s'arrestaben,
A cinq cents èren estancatsDilhèu en doublan l'atelàdye
Nani : qu'cy u boulé de Diu !
En baganaut estou l'oubràdye :
De quoàte parelhs lou couràdye
Nou la poudou tira d'aquiu.
�i48
NOTRE-DAME DE BUGLOSE
« Ceci n'est pas naturel, — dit l'Evêque, — pas le
moins du monde. — Ne pourrait-il pas se faire — que
cette céleste sculpture — fut destinée par Dieu à rester
ici ?...
« Bêchons, à l'instant même sur cette place ; —
creusons, faisons parler le sol. — A l'œuvre, enfants,
tous ensemble ! — Nous saurons le mot de l'énigme,
et nous verrons ce qu'ordonne le ciel ».
On fit donc des fouilles en cet endroit, — à l'ordre
de Monseigneur, — et l'on ne tarda pas à découvrir —
les fondations de l'antique sanctuaire — où la Madone
autrefois était honorée.
On y rebâtit ensuite la chapelle — transformée bientôt en église : — c'est là que fait éclater aujourd'hui sa
gloire, — là que daigne agréer mon chétif hommage
— l'aimable souveraine du Ciel.
V
C'est Buglose !... Ce nom, transmis de siècle en
siècle, ■— rappelle, à lui seul, les événements si bien
contenus dans sa formation. — Le bel émail du vitrage
— va nous en faire relire toute la suite.
�NÔUSTE DAME DE BUGLOSE
i4g
« N'ey pas aço ley de nature, —
Digou l'abésque, — nou pas, nou !
« Si-s hasè que, per abenture,
« La celestiau esculpture
« La boulousse aci lou Segnou ?...
« Houdyém, are, en aqueste place,
(( Curém, hasiam parla lou sòu,
« A l'obre, maynats, touts amasse !
« Qu'auram rasou de ço qui-s passe,
« E beyram ço qui lou Cèu bòu ».
Aquiu dounc houdilhan la terre,
Au manament de Mounsegnou,
Y descroubin, sens cerca hère,
Parets de l'antique capère
Oun la Madone ère en aunou.
Puch qu'arrebastin l'ouratòri
Tresmudat en glèyse betlèu,
Oun oey hè resplandi sa glòri,
Y bòu que you, caytiu, l'aunòri
L'aymable Reyine déu Cèu.
V
Qu'ey Buglose ! Aquet noum, trametut d'àdye en àdye,
Ba publican lous fèyts qui countié de bèt talh.
Aus beroys tablèus déu bitràdye,
Qu'en bat, de punt en punt, relève lou detalh.
�NOTRE-DAME DE ÊUGLOSÉ
Vous y verrez encore la Reine d'Espagne — qui, courant aux parfums de la fleur mystique, — n'a pas
redouté les fatigues d'une longue route, — pour venir
au désert respirer son odeur suave.
Mais contemplez surtout le grand Saint de la Lande,
■— à l'autel de Marie, implorant son appui. — Sa ferveur est vive comme sa foi : — son tableau exhale aussi
des senteurs de Saint.
0 Saint Vincent, merci ! Convié à la grande fêle, —
il m'a été donné d'admirer la Vierge dans toute sa
beauté. — Elle est toujours prêle à (exaucer : — dis-lui
d'enflammer mon cœur d'une étincelle de ta charité !
— 1865 —
�N0USTE DAME DE BUGLOSE
Que-y bat béde en seguide à la Reyne d'Espagne
Qui, courrén à l'alet de la mislique flou,
N'a pas cragngut de ha campagne,
Enta biéne au desèrt respira soun aulou.
Countemplats-y sustout lou gran Sent de la Lane,
A l'auta de Marie, implouran soun ayut.
Coum sa fé, sa ferbou qu'ey grane :
Lou so cadre tabé qu'a sentous d'elegut.
0 Sent-Bisents, mercés ! Coumbidat à ta hèste,
Qu'èy poudut admira la Bierye en sa béutat.
A t'escouta qu'ey toustemps preste :
Dits-lou que-m boute au cô drin de ta caritat !
�TRADUCTION
JOLI CANTIQUE

Composé par un pieux Evéque {*)
sur l'Apparition
de la Sainte-Vierge à Lourde,
précédé et suivi de quelques autres versets
en l'bonneur de JS.-D.
�TRADUCCIOU
D'U BEROY CANTIQUE
Coumpousat per u pious Abésque
sus l'Apariciou
de la Sente -Bièrye à Lourde,
dabanteyade y seguide per quauques auts bersets
en l'Aunou de N.-D.
�Mère du Christ, ô vous qui vous montrâtes toujours
ma mère, — je vous célébrai autrefois à propos du nom
de Bètharram. — J'étais jeune : la jeune Académie de
Béziers — me décerna le laurier d'argent.
Depuis lors, ce laurier brille au bord du Gave, —
comme un symbole qui dit à vos serviteurs — que,
par votre secours, Vierge invincible et clémente, — les
plus faibles combattants obtiennent la victoire.
�May déu Christ, qui toustém b'èt moustrade la mie,
You-b cantèy d'autes cops s'oun noum de Bètharram,
Qu'èri yoen : de Besiès la yoene académie
De laurè que m'aufri l'arram.
Lou laurè desempuch lusech au bord déu Gàbe,
Coum u sumbol qui dit à bostes serbidous
Que per la boste ayud, Bièrye imbencible y bràbe,
Lous mey fébles soun bencedous.
�TRADUCTION
o'uN
JOLI CANTIQUE
I
Chantez, enfants de Marie,
Chantez un chœur triomphant !
A Lourdes une petite enfant
A vu cette mère chérie.
Elle était belle, et ses yeux
Lançaient des regards joyeux.
Ni larmes, ni plainte arrière :
Au-dessus du rosier fleuri,
Elle a souri, bonne mère,
La bonne mère a souri.
II
Sa robe était blanche et pure,
Son voile blanc comme un lis,
Et, pour nous cacher dans ses plis,
Elle portait une ceinture.
A la place de souliers,
Une rose sur ses pieds...
Mais pas une plainte amère !
Au-dessus du rosier fleuri,
Elle a souri, bonne mère,
La bonne mère a souri.
III
Quand la pauvre bergerette
Vit pour la première fois
Cette Mère du Roi des Rois,
La frayeur la rendit muette ;
�TRADUCCIOU D'U BEROY
CANTIQUE
I
Glòrie à la Bièrye sacrade I
A la noustc may, laudous I
A Lourde, ô quin hat urous !
Qu'a bist sa fàcie ue maynade.
Que de béutats ! souns oelhs dous
Qu'abèn eslàmpres gauyous.
Plou ni plagn, oh ! pas lou méndre
Au soum de l'arrousè flourit,
Que s'en arrit, la may tendre,
La tendre may s'en arrit.
II
Souns boèls, sa raube chens tinte
Déu lîri qu'abèn l'esclat,
Y ta-ns escoùne au sou coustat,
Ere pourtabe làrye cinte.
Au loc d'u petit souliè,
Arrose yaune sou pè...
Mes pas u plagn, pas lou méndre ;
Au soum de l'arrousè flourit,
Que s'en arrit, la may téndre,
La téndre may s'en arrit.
III
La pastourete espauride,
Quoan bi blangue coum la nèu
L'adourable Reyne déu Cèu,
Que demoura toute esmudide ;
�TRADUCTION D'UN JOLI CANTIQUE
Et puis elle s'enhardit,
Et confiante elle se dit :
« Loin de moi la crainte amère
« Au-dessus du rosier fleuri,
« Elle a souri, bonne mère,
u La bonne mère a souri ».
IV
Marie, en touchant la terre,
A fait jaillir un ruisseau
Si clair et si frais qu'à son eau
Chaque passant se désaltère.
C'est l'image des bienfaits
Qu'elle répand désorniais.
Loin de nous la crainte amère :
Au-dessus du rosier fleuri,
Elle a souri, bonne mère,
La bonne mère a souri.
V
Là, de nouveau, le ciel brille
Pour l'aveugle bien souvent ;
Plus d'un boiteux se relevant,
A suspendu là sa béquille.
Que de pauvres affligés
S'en retournent soulagés !
Loin d'eux toute crainte amère,
Au-dessus du rosier fleuri,
Elle a souri, bonne mère,
La bonne mère a souri.
�TRADUCCIOU D'u BEROY CANTIQUE
Puch après que rebien gou
Y dab yoye que-s digou :
« Ah ! n'èy pas you pòu la méndre.
<c Au soum de l'arrousè flourit,
« Que s'en arrit, la may téndre,
« La téndre may s'en arrit ».
IV
En toucan lou sòu, Marie
Qu'en a hèyt yessi bèt riu,
Tan estigglat, tan frese, tan biu
Qu'entà-y bébe om que s'aparie.
Qu'ey lou miralh lou mey cla
Déu be qui hè d'are-en-là :
Pòu nou-n ayam dounc la méndre
Au soum de l'arrousè flourit,
Que s'en arrit, la may téndre,
La téndre may s'en arrit.
V
L'abùgle, en aquere place,
A bist relusi lou cèu ;
Y mantu tort, dret autà lèu,
A penut aquiu soun escasse.
Quoan de praubes afliyats
E s'en tournèn counsoulats I
Abèn pòu ? Nou pas la méndre :
Au soum de l'arrousè flourit,
Que s'en arrit, la may téndre,
La téndre may s'en arrit.
�i6o
TRADUCTION D'UN JOLI CANTIQUE
VI
Surtout combien sa clémence
Prend en pitié les pécheurs !
Comme elle sait gagner les cœurs,
Par sa miséricorde immense !
Désormais tout à Jésus,
Ils ne l'offenseront plus.
Pour calmer leur crainte amère,
Au-dessus du rosier fleuri,
Elle a souri, bonne mère,
La bonne mère a souri.
VII
Mais pourquoi ce doux sourire,
Cette paix, cet air joyeux
Et cette vision des deux !
D'un seul mot je vais vous le dire :
L'Immaculée est son nom !
Sa devise est le pardon.
Pour nous plus de crainte amère,
Au-dessus du rosier fleuri,
Elle a souri, bonne mère,
La bonne mère a souri.
A
Quoique blanchi par l'âge, ô rose mystique ! — j'ai
chanté naguère, en langue romane, — votre légende
de Buglose, — et je me suis vu récompensé par le
rameau d'olivier.
�IRADUCCIOU D'U
BEKOY
CANTIQUE
VI
Per dessus tout sa cleménci
Pren pietat déus pecadous.
Ah ! quin ère lous rend mous
Per la soue aymàble presénci !
D'are-en-là, touts à Yesus,
Que nou l'aufençaran plus.
Ta u màye d'ets coum ta u méndre
Au soum de l'arrousè flourit,
Que s'en arrit, la may téndre,
la téndre may s'en arrit.
VII
Mes perqué tan dons arrîse,
Tan de pats, l'èr ta gauyous ?
Perqué déu cèu las bisious ?
D'u mout soulet you b'at bau dise :
L'Immaculade ey soun noum ;
Ere bié sauba lou moun.
Pòu nou-n ayam dounc la méndre,
Au soum de l'arrousè flourit,
Que s'en arrit, la may téndre,
La téndre may s'en arrit.
***
Maugrat moun péu blanquit, misteriouse arrose,
Qu'èy, sus u toun rouman, nou y a goàyre, eantat,
Boste leyende de Buglose
Y l'arram d'oulibiè m'en a recoumpensat.
�162
TRADUCTION* D'UN JOLI CANTIQUE
Maintenant l'olivier d'argent scintille parmi les pins
■— comme un signe de paix aux yeux des pécheurs —
et rappelle au monde que Notre-Dame — est la véritable
arche, pleine de grâce et de pardon.
Ce que je vous offre aujourd'hui éclipse mon œuvre :
— c'est l'hymne d'un pieux évêque. —Je le traduisis en
langue vulgaire, — dans l'unique but de le faire apprépier dans mon pays.
Aimable et tendre Mère, qui avez souri au poète —
aussi doucement qu'à votre bergerette, — daignez aussi
favoriser le traducteur d'un de vos gracieux sourires.
— 1858 —
�TRADUCCIOU D'u BETflOV CANTIQUE
Adare, enter lous pis, lusech aquere arrame
Goum u sinne de pats aus oelhs déu pecadou,
Y dits au moun que Nouste-Dame
Ey l'arque qui countié la gràci y lou perdou.
Ço qui-b aufrecbi ouey esclipse moun oubràdye !
Per u pious abésquc aço que hou dictât.
Qu'at tournèy soulaméns en moun simple lcngàdy
Ta qu'au me pèys housse goustat.
Aymàble y téndre may, dab tan de graciete
Bous qui b'en arridèt de cap au bràbe autou,
Coum de cap à la pastourote,
Arridét-b'en loutu de cap au traductou.
�Autrefois et Aujourd'hui
—
LOURDE
{MÉDITATION)
—
�Autes Cops y Ouey
—
LOURDE
(MEDITACIOU)
—
�I
Lourde offre à l'œil attentif de l'observateur — un
miroir en petit de la Ville-Eternelle : — sa renommée a
brillé dans la guerre comme le soleil, — et la Religion
l'embellit, à l'heure qu'il est, d'un nouveau lustre.
Assis comme un nid d'aigle sur un rocher, — son
château commande cinq i'outes. —Seul, il put protéger
autrefois la plaine, — ses vassaux de Bigorre et les villages d'alentour.
Avant la poudre et ses effets terribles, — les machines de guerre connues n'avaient sur lui aucune puissance. — Les Romains et les Francs ne purent s'en rendre maîtres : — « Ce château, déclarèrent-ils, est imprenable ».
L'empereur Charles, le plus grand homme de sa race,
y perdait son latin depuis trais mois, — quand l'orgueilleux Sarrazin (*) qui défendait le fort — consentit
à se rendre, mais parce qu'il se fit chrétien.
Oui, certes ! mais sans l'aide de la Vierge sacrée, — le
fameux conquérant de Horra (**), honteux et traînant
l'aile, au milieu de son armée, — se $<"•<!•> retiré &»n.s
avoir pu vaincre.
�I
Lourde, à l'oelh atentiu déu qui pla l'estudie,
Aufrech u miralhet de la Bile Eternau :
Soun renoum per la guerre a lusit coum lou die,
Y la Reliyou l'oundre, are, d'esclat tout nau.
Soun castèt assietat sus u roc de mountagne
Coum u nid d'agle, aquiu coumande à cinq camis.
Et tout soul, d'autes cops, empara la campagne,
Souns somés de Bigorre y lous locs coumbesis.
Sus et, abans la poudre y soun effèyt terrible,
Lous enyéns couneguts n'abèn pas nat poudé.
Lous Boumas y lous Francs lou trouban imbencîble :
« N'ey pas, aquét, castèt, — sa digoun, — prenedé »
Karle l'Emperadou, lou màye de sa race,
Despuch très més ença que-y perdè soun lati,
Quoan lou Mourou ourgulhous qui defendè la place
La rendou libraméns, per ço que-s coumberti.
Obio ! mes sens l'ayud de la Bièrye sacrade,
Déu coumlat de Horra lou gran counquistadou,
Hountous, ale-penent, au miey de soun armade,
Aplegat se seré chens esta bencedou.
�AUTREFOIS ET AUJOURD'HUI
II
Six siècles écoulés, un prince (***) d'Angleterre, —
jaloux d'affermir sa domination, — y laissa des commandants renommés, — et l'Anglais fut longtemps
maître du pays.
Au moyen-âge, Lourde était la clef — du Béarn, de
la Bigorre, de la France et de l'Espagne. — Il n'est donc
pas étonnant que, placés au pied des monts, — ceux
de Tarbes et ceux de Pau voulussent garder cette clef.
Je ne suis pas surpris non plus de certaines contestations de famille, — entre parents qui voulaient tous
avoir le dessus, — entre Esquivât et Gaston, deux seigneurs voisins, — au sujet de biens nobles et fiefs de
Pétronille.
Pétronille ?... Oh ! le drôle de nom ? — En dépit de
ce nom, la dernière comtesse du pays de Bigorre —■
trouva force partis, aussi bien que princesse de son
temps, ■— et son siècle la vit contracter successivement
cinq mariages.
Trop
monde
laissent
le nom
souvent, hélas ! la mémoire des grands du
ne peut échapper à l'oubli, — parce qu'ils ne
pas assez de traces dans les cœurs. — A Lutèce,
d'une bergère a cent fois plus d'écho — que les
noms des Rois !
Mais toi aussi, tu as un nom qui ne peut pas périr,
Lourde ! car toi aussi tu as ta gentille pastourelle.
■— Tel qu'un lys éclatant, le nom de Bernadette — va
•— ô
désormais fleurir sur ton terroir.
�AUTES COPS Y OUEY
II
A cheys-cents ans d'aquiu, u prince d'Angleterre,
Yelous d'assegura-y sa douminaciou,
Y lécha castelas de reputaciou,
Y l'Anglés, u gran temps, hou mèstc de la terre.
En l'àdye mieyancè, Lourde qu'ère la clau
De Biarn, de Bigorre, y de France, y d'Espagne :
N'ey pas dounc estounan qu'au pè de la mountagne
La bouloussen goarda lous de Tarbe y de Pau.
Nou m'estounen tapauc lous countests de familhe
De parents qui boulèn empourta-s'en lou bou,
Déus dus segnous besis, Esquibat y Gastou,
Dessus lous bés de sang y fius de Petronilhe.
Petronilhe 1... Oh ! quin noum? Au bou pèys bigourda,
En despieyt d'aquet noum, sa darrère coumtesse
Trouba de-hèt partits auta pla coum princesse,
Y soun sècle dab cinq la bedou s'arcourda.
La memòri déus grans trop soubén nou biu hère,
Permou nou lèchen pas tras suficients au cô.
A Lutèce, cent cops be trobe mey d'echo
Que tous lous noums reyaus lou noum d'ue beryère .'
Qu'as u noum, tu tabé, qui nou pod pas péri,
Lourde, car tu tabé qu'as ta pastourelete ;
Coum u lîri 'stiglant lou noum de Bernadete
Sus lou tou terradou, d'are-en-là, ba flouri.
�AUTREFOIS ET AUJOURD'HUI
III
« Ah ! si vous saviez ce que j'ai vu, — dit l'enfant, —
une dame du ciel !... Prêtres, écoutez : -— Je l'ai vue,
je lui ai causé. — Elle est vêtue de blanc : Elle s'appelle
l'Immaculée. — Il n'est pas ici bas de beauté pareille !
« Son regard est caressant comme l'étoile du matin.
■— Mon Dieu, quel doux sourire ! Oh ! je m'en souviens
bien ! — La ceinture qui noue sa robe est de la couleur
du ciel, — symbole de celle qui nous sauve. — Sur
chacun de ses pieds s'étale une belle rose.
« La dame m'ordonna de me laver et de boire, —■
et je fis quelque pas vers le Gave. — Je ne pouvais pas
comprendre, en effet, que l'ordre étrange qu'elle venait
de me donner, — pût recevoir ailleurs aussi bien que
là son exécution.
Sur un nouveau signe, je courus où elle m'appelait
■— et m'approchai jusqu'à ses pieds. Je n'y vis ni fontaine, ni le moindre ruisseau. — Seulement comme la
terre suintait, — je la pressai du bout des doigts... Je
bus donc où l'eau s'amassait — et me lavai ensuite
dans le même petit creux.
« Monseigneur et vous, prêtres, ici, votre reine —
vous demande, par ma voix, un temple dédié à sa Conception, — seule exempte du péché originel ! » ■—
L'évêque, dans le but de découvrir la volonté de Dieu,
— s'entoura des lumières d'un Conseil.
�AUTËS
eor-s
Y ÔUEY
III
« Si sabèts ço qu'èy bist, — sa digou la maynade, —
« Ue daune déu Cèu !... Gaperas escoutats :
« You l'èy biste, you l'èy parlatde.
« Qu'ey bestide de blanc ; que-s dits l'Immaculade,
« Nou y-a pas aci bach de parières béutats !
« Soun oelh ey amistous coum l'estele de l'aube.
« Diu, quin arrisoulet ! Yé m'en soubiéni, yà !
« La cinte qui noude sa raube
« Ey de coulou déu cèu, sumbol de la qui-ns saube,
(( Sus cadu déus sous pès bère arrose que y-a.
« La dame m'ourdouna de laba-m y de bébe,
« Y you hey quauques pas de cap au gran arriu,
« Nou poudi pas brigue councébe
« Que l'ourdi incounegut qui bieni de recébe
« Poudousse esta seguit aullious ta pla qu'aquiu.
(( Sus u sinne nabèt, anèy oun m'aperabe,
« Au sos pès : nou-y bedouy hount ni cap d'arribet,
« Soulaméns la terre sudabe...
« You la prestî déus dits ; oun l'aygue s'amassabe
« Que bebouy, que-m labèy, puch, au medich cloutet.
« Mounsegnou, caperas, aci boste Reyine,
« Per ma bouts clame u temple à sa Gouncepciou,
<( Soûle chens taque d'ouriyine ! »
L'abésque, per cerca la boulentat dibine,
Manda que-u hesse luts ue Goumissiou...
�I72
AUTREFOIS ET AUJOURD'HUI
IV
Et le temple s'élève à la place où Bernadette, —
éclairée seule d'une grâce particulière, — vit jusqu'à
dix-huit fois notre céleste Mère ; — et déjà, au sein du
rocher, des chapelles souterraines reçoivent, grandes
ouvertes, — les populations impatientes d'y accourir.
Auriez-vous visité les églises de Toulouse — et vu,
dans celle de Saint-Sernin, la crypte fameuse — qui
répand sur la ville une si suave odeur de sainteté ?...
■— Vous n'y avez pas, certainement, trouvé des
colonnes, des chapiteaux et des voûtes — qui s'harmonisent mieux avec la pensée religieuse, — qui portent
d'avan tage à la piété.
Qui peut donc opérer de si grandes merveilles ? —
Le Seigneur qui confond l'orgueil, — celui qui se plaît
à employer de faibles instruments, — choisit pour son
œuvre une enfant naïve, — pauvre des biens de ce
monde, mais ornée d'innocence — et riche de bons
sentiments.
Et, pour qu'on ne pût douter de sa parole, —■ du
point où cette enfant venait de donner des preuves
d'obáissance — en buvant et se lavant, on vit soudain,
jaillir un ruisseau, ; — et ceux qui, animés de l'esprit
de foi, firent usage de son eau limpide, -— eurent lieu
d'en bénir le Seigneur.
�AUTES COPS y OUEY
i73
IV
Y lou temple s'eslhèbe au loc oun Bernadete,
Per gràci 'speciau esclayrade soulete,
Bedou dèts-e-oeyt cops nouste celèste may ;
Y hens lou sé déu roc, capères sosterranes
S'ourbéchen sospendent alandades y grancs ,
A la yent tentade d'ana-y.
Aberet bisitat las glèyses de Toulouse
Y bist de Sent-Serni la quèbe ta famouse
Qui repend sus la bile aulou de sentetat ?...
Ho ! nou y-abets pas bist pialas, chapitèus, botes
Qui biénguen miélhe ayda las pensades debotes,
Qui pòrten mey à la pietat.
Qui pod dounc aupera causes ta merbelhouses ?
Lou Segnou qui counfound las amnes ourgulhouses,
Lou qui-s plats à-s serbi de fébles instruments,
Esleyi per soun obre ue simple maynade,
Praube de bés moundas, mes d'inoucense ournade,
Mes riche de bous sentiments.
Per fi que sa paraule oubtiengousse credence,
Déu loc oun ère hé probe d'aubeïssence,
En bébe e se laba, que sauta bèt arriu ;
Y lous qui dab fé hen de soun ayguetc usàdye,
Malauts de toute traque, estroupiats de tout àtye,
En benedigoun lou Boun Diu.
�AUTREFOIS ET AUJOURD'HUI
V
Cette eau abondante et claire, — que personne n'y
avait encore vue — et qui n'a jamais tari depuis, — est
un fait merveilleux, sans doute.
L'aveugle qiii, conduit dans cet endroit, — a revu
la lumière du ciel en y lavant ses yeux ; — le boiteux
qui, ne pouvant se mouvoir qu'à l'aide de béquilles, —•
a été soudain redressé par la même vertu ;
L'infirme qui, vaincu par la maladie depuis longues
années, — brisé et cloué sur son lit par la douleur, —
se voit incontinent guéri par les ondes puisées — à la
nouvelle fontaine, voilà encore des faits merveilleux.
Ils sotit assurément miraculeux ces faits. Oh ! mais
cette foule — qui couvre la grand-route, allant et
venant sans cesse — parce que le Seigneur veut que ses
flots abondent comme l'eau du ruisseau, — ceci est un
miracle plus surprenant encore.
Les uns se rendent ici, Vierge Sainte, — dans l'intérêt d'un corps difforme ou malade, — tandis que les
autres, moins préoccupés de la vie présente, ■— vous
prient de les guérir du péché, le seul mal véritable.
�AUTES
cova
y
OVEY
75
I
V
Aquere ayguc, aboundante autan coum estigglade,
Qu'arrés nou y-abè bist permè d'aquet moument,
E qui, despuch ença, nou s'ey yaméy secade,
Ey u fèyt merbclhous, asseguradament.
L'abùgle qui, miat dessus aquere place,
En s'y laban lous oelhs a bist la luts déu cèu ;
Lou tort qui nou poudè boudya-s que dab l'escasse,
Per incdiche bertut redressât auta-lèu ;
Lou praubot qui bençut péu mau despuch anades,
Crouchit y claberat au lheyt per las doulous,
Ey soubtament sanit per las oundes pudsades
A la nabère hount... que soun fèyts merbclhous.
Miraculous yé soun !... Ho ! mes aquéstc mounde
Qui crob lou caminau, touslcmps anan, bicnén,
Per ço que lou Segnou coum l'arriu bòu qu'abounde,
Aço qu'ey u miracle encoè mey susprenént.
Lous us biénen aci dcmanda-b, Bièryc-Sente,
D'arrepara-us u cos countrahèyt ou malau ;
Lous auts, mench soucious de la bite présente,
De-us goari déu pecat, soul beritàble mau.
�!76
AUTREFOIS ET AUJOURD'HUI
VI
Quant à moi, ô Reine immaculée, — je
de ceux qui viennent implorer vos bontés
soulagement du corps ; mon âme aura bien
ployé son temps, — si elle peut recouvrer
ne suis pas
— pour le
mieux emun peu de
santé.
Non, je ne vous demanderai pas de rendre la jeunesse
à mon sang refroidi. — Il me faut une faveur plus
grande ; exaucez-moi, comblez mes vœux, Vierge pure:
— embrasez-moi du pur Amour !
— 1867 —
�AtJTES COPS Y OLEV
VI
You nou soy pas d'aquets, o Rcyne immaculade !
Qui biénen imploura peu cos boste boentat :
Moun amne abera miélhe emplegat sa yournade,
Si pod cruba drin de santat.
De tourna la yoentut à ma sang arréulide,
Nou b'at demanderèy. Que-m eau màye fabou ;
Audits-me Bièrye pure, y coumplits moun ahide :
Abrasats-me déu pur Amou !
��POÉSIES FRANÇAISES
��Diable et le Croisé
LÉGENDE
GASCONNE
qui a remporté le Prix
dans le Concours du 3 Mai 1835,
l'ACADÉMÎE
des JEVX FLORAUX.
�Dans les murs profanés de l'antique Solyme,
Un croisé, du destin déplorable victime,
Au fond de son cachot languissait loin du jour.
L'infortuné, sept ans, implora tour à tour
Le Ciel, l'Enfer, les Saints, les Anges et les Diables ;
Il doutait, à bon droit, des êtres secourables,
Lorsque, sur la minuit, il entendit soudain
Approcher, par degrés, un long bruit souterrain ..
Il se voit inondé d'une lueur livide
Qui s'épand à grands flots, monte, remplit le vide.
Du soufre, au même instant il respire l'odeur.
— Le Diable, dit Bénac, veut-il me faire peur ? —
Satanas, à ces mots, sort du sein de la terre,
Grandit jusqu'au plafond. — « Ma présence t'atterre,
« Beau chevalier, dit-il ; Quoi ! te voilà dompté 1
« Ton corps est abattu, ton âme est sans fierté !...
BÉNAC
Mon âme, devant toi se relève, au contraire,
Crois-tu m'avoir soumis, arrogant adversaire ?
LE DIABLE
Mon pauvre chevalier, tu fais le fanfaron 1
Songe que tu n'es plus, pour parler de ce ton,
L'effroi des Sarrazins, l'ornement de Bigorre,
Ce terrible jouteur dont Tarbe parle encore,
Ce marquis qui joignait, sur les bords de l'Adour,
Les lauriers des tournois aux myrthes de l'amour ;
Tu sens trop le moisi...
�LE DIABLE ET LE CROISÉ
183
BÉNAC
Destin impitoyable !...
Qu'il est dur de servir de passe-temps au Diable 1...
LE DIABLE
Mon dessein n'était pas de te railler, pourtant :
Je venais te donner un avis important.
Ecoute, chevalier : tu sauras que ta dame,
Qui te croit chez les morts, va devenir bigame.
L'époux qu'elle choisit est la fleur du canton :
C'est le jeune Desangle, il a rang de baron.
Dans trois jours, cet amant, par le dieu d'Hyménée
Verra dans ton château sa flamme couronnée
Si tu ne vas toi-même, avant l'instant fatal,
Arracher ta moitié des bras de ton rival.
BÉNAC
Qu'entends-je ? Dis-tu vrai, père de tout mensonge
Mais comment l'empêcher ? C'est en vain que j'y songe.
Quand les indignes fers qui retiennent mes pas
Tomberaient à l'instant, je ne le pourrais pas :
Nul voilier ne ferait assez de diligence
Pour me porter à temps aux rives de la France.
D'un voyage si long, pour achever le cours,
Il me faudrait un mois et je n'ai que trois jours...
Quoi ! je verse des pleurs !... Et, cédant à sa flamme,
Ma perfide moitié sent amollir son âme !
Elle se donne... ah ! ciel...
�i84
LE DIABLE ET LE CROISE
LE DIABLE
Cesse de t'agiter,
puis briser tes fers, je puis te transporter
En trois jours, si tu veux, au pied des Pyrénées,
Aux lieux qui virent fuir tes plus belles années.
Pour un si grand bienfait, jure de m'accorder
Ce qu'en retour, ici, je vais te demander.
Je
BÉNAC
Pour remplir tes souhaits, il faudrait les connaître.
LE DIABLE
De ton âme, Bénac, je veux être le maître.
BÉNAC
Dieu seul le fut, Satan, et Dieu seul le sera,
Sur mon âme, toujours, le Seigneur régnera.
LE DIABLE
Donne-moi donc ton corps.
BÉNAC
Un trop dur esclavage
M'a, de la liberté, fait sentir l'avantage
Et tu n'ignores pas que j'ai donné ma foi ;
Que ma vie appartient à ma Dame, à mon Roi.
�LE DIABLE ET LE CROISÉ
1
LE DIABLE
Un splendide festin en ce moment s'apprête
Au château de Bénac. Tu seras de la fête,
Promets-moi seulement les restes du régal.
BÉNAC
A t'accorder cela, je ne vois aucun mal.
L'ange infernal, alors, de sa griffe puissante
Toucha notre héros, et la chaîne pesante
A cet attouchement tomba. Le chevalier,
L'esprit toujours rempli de son noble métier,
Ceignit avec transport la redoutable épée
Qui du sang musulman fut autrefois trempée,
Chaussa ses éperons, mit son heaume faussé
Et se couvrit le dos d'un haubert fracassé.
■— Me voilà prêt, dit-il. — Bon, tente l'aventure,
Tu seras, dit Satan, content de ta monture.
A mes cornes de bouc accroche-toi des mains,
De tes maigres genoux serre bien fort mes reins...
Tiens-toi ferme à présent. — Il dit : la voûte s'ouvre
Le ciel brillant de feux, à leurs yeux se découvre ;
Ils partent, et bientôt le prince des Enfers
Avec un sifflement fend la vague des airs.
Ils s'élancent déjà sur l'élément liquide.
Satan rase les flots de son aile rapide :
Tel que le martinet se jouant sur un lac,
En cent endroits divers il te porte, ô Bénac !
Il rit de ta frayeur, te fait doubler l'espace,
De te plonger dans l'eau quelquefois te menace,
Mais tu sais, à propos, forcer l'esprit malin,
En vertu du contrat, à suivre son chemin.
�i8ô
LE DIABLE ET LE CROISÉ
Il franchit en trois bonds l'archipel de la Grèv,_,
Puis, différant encor l'effet de sa promesse,
Gomme un coursier rétif, l'indomptable Satan
S'arrêta tout-à-coup sur le cap Matapan.
Tandis qu'avec le jour l'ombre luttait encore,
Prompt à s'effaroucher d'un regard de l'aurore,
Le démon se plongea dans le gouffre infernal.
Sur la pointe d'un roc, debout, comme un fanal,
Bénac, du fond du cœur, adresse sa prière
A Gelui qui répand la vie et la lumière ;
Il admire à plaisir le tableau ravissant
Que déroule à ses yeux le soleil en naissant,
Mais, des plus beaux aspects l'œil de l'homme se lasse,
Et le feu de nos sens se convertit en glace.
Oh ! qu'un esprit orné d'un peu d'instruction,
Aurait au chevalier valu d'émotion !
Son pied foulait un sol si fameux en histoire I
Sparte, Athènes, Gorinthe, ô terres de la gloire,
Des arts et des vertus, que vos noms enchanteurs
Et ceux de vos héros sont puissants sur les cœurs I...
Quand la chauve-souris, amante des nuits sombres,
En sillons tortueux vint griffonner les ombres,
Au moment où l'orfraie et l'importun hibou,
S'éveillant en sursaut, sortirent de leur trou,
Lorsque leur cri funeste attrista la nature,
Bénac, auprès de lui retrouva sa monture.
Satanas, aussitôt, sur les mains se baissa,
Sur le dos du démon le héros se plaça.
Ils laissèrent au nord les îles d'Ionie :
Côtoyant quelque temps les terres d'Ausonie,
Ils doublèrent bientôt le cap Sparlivento ;
�LE DIABLE ET LE CROISE
De là, rasant la mer comme un léger bateau,
Par une brise d'Est un instant ils voguèrent,
Sans accidents fâcheux en Corse ils arrivèrent,
Mais, vers Ajaccio, le caprice du vent
Leur défendit enfin de pousser plus avant.
Ils se sont abattus sur un rocher stérile.
— Vouloir pousser plus loin serait chose inutile,
Dit Satan ; jusqu'au soir tu vas camper ici.
De ce retard, pourtant, ne prends aucun souci,
Tu seras à Bénac avant le mariage,
Ne l'ai-je pas promis ?... relève ton courage...
La lumière bientôt chassa l'archange noir,
Et Bénac, fatigué, s'endormit jusqu'au soir.
Aussitôt que la nuit, traînant ses sombres voiles,
Eut relancé son char à travers les étoiles,
Pour la troisième fois, le prince de l'Enfer
Vint voiturer Bénac dans les plaines de l'air.
Le vent d'Ouest tombé lui rend le vol facile,
Il glisse sans effort sur une mer tranquille.
Tel paraît l'épervier traversant un vallon.
L'île est déjà loin d'eux, ils touchent à Toulon,
Ils élèvent leur vol sur les terres de France ;
Traversant, comme un trait, les champs de la Provence
Et ceux du Languedoc, et suivant leur chemin,
Sur les bords de l'Adour ils arrivent enfin.
Bénac était bien près du château de ses pères.
« Quel démon me poussait aux rives étrangères ?
<( Disait-il dans son cœur, que les hommes sont fous !
« Ils poursuivent la gloire et rapportent des coups.
.« Oh ! que j'eusse mieux fait, modérant mon courage,
�i88
^E DIABLE ET LE CROISE
« De ne jamais sortir de mon humble village,
« Que d'aller, de ce monde entreprendre le tour ! »
Raisonnant de la sorte, il entrait dans la cour.
« Nous voilà, dit Satan, au terme du voyage,
(( Le reste te regarde, achève ton ouvrage :
« Renverse, en te montrant, un hymen déloyal ;
« Le jour qui naît me pousse au séjour infernal ;
« Adieu, songe, à ton tour, à tenir ta parole,
« Je reviendrai ce soir. » — A ces mots il s'envole.
Par leurs chants cadencés, tous les coqs d'alentour
De l'aurore vermeille annonçaient le retour.
Un vieux cheval hennit, sentant venir son maître.
Quel merveilleux instinct ! Le héros voit paraître
Une belle levrette et son bon chien courant,
S'empressant près de lui, tous les deux le flairant.
Bénac se sent ému jusques au fond de l'âme :
Il va revoir l'objet de sa constante flamme...
Mais, ò douleur ! Edith le traite d'imposteur,
L'accable de mépris, lui déchire le cœur.
Il était si changé ! Cette pâle figure,
Ces habits en lambeaux, ces débris d'une armure
Ne pouvaient rappeler le brillant paladin
Qui devait renverser l'empire d'Aladin.
Et pourtant, à l'anneau que Bénac fit paraître
Il fallut, pour époux encor le reconnaître.
L'officier fit porter, de suite, un restaurant :
Bouillon substantiel, onctueux, odorant ;
Il y joignit encore une bonne bouteille
D'un vin vieux qui, jadis, eut la couleur vermeille.
Lorsque, par ce secours, le triste voyageur
Eut, à ses sens usés rendu quelque vigueur,
Il sentit qu'il devait s'occuper de sa mise ;
�LE DIABLE ET LE CTiOlSÉ
Aus', pour un moment, quitta-t-il la marquise.
Edith, dès lors s'arma de toute sa vertu...
Quand d'un habit décent il se voit revêtu,
L'impatient seigneur vient retrouver sa belle.
Madame, cette fois, se montre moins cruelle,
Raconte à son époux, qui n'en est point surpris,
Comment, un jour plus tard, clic eût eu deux maris.
Elle-même présente à cet époux qu'elle aime
L'amant qu'elle devait épouser le soir même.
Bénac le trouve bien et convient, dans son cœur,
Que Desangle serait un digne successeur.
La dame, en même temps, dans son esprit rapproche
Les deux nobles rivaux. Pour rester sans reproche
Sa trop rare vertu fit le sublime effort
De préférer celui que lui rendait le sort :
Dans la comparaison, Bénac eut l'avantage.
La fleur des jeunes ans n'est plus sur son visage,
Mais tous ses traits sont beaux, son air est imposant,
Et vingt fois on le vit menacer le croissant.
Au château, cependant, pour la fête on s'empresse :
Ossun, Ilis, Montgalhard (la fleur de la noblesse),
Félicitent Bénac, sa femme ; admirent tous
Le sort dont la faveur réunit ces époux.
« Seigneurs, on a servi ». Chacun se met à table ;
Le repas fut très gai, la chère délectable.
Les convives, rivaux dans leurs aimables jeux,
Attaquaient tous les mets qu'on plaçait devant eux.
Sur la fin du repas, l'amphytrion remarque
Que tout a disparu. Songeant au noir monarque,
« Mon démon, se dit-il, sera bien attrapé,
« Quand nous lui porterons les restes du soupe ».
Plaisamment inspiré par le vin de Champagne,
�19°
LE DIABLE ET LE CROISÉ
Il dit tout haut ces mots qu'un sourire accompagne :
« Pour boire sec, varlets, n'apportez que des noix ».
Les convives ont tous applaudi d'une voix.
L'officier se conforme à cet ordre du maître...
L'instant d'après l'on vit, pour tout dessert, paraître
Deux plats de noix portes dans un grand appareil.
On rit : à quel gala vit-on dessert pareil ?
Par ordre de Bénac, avec soin l'on ramasse
Les coques de ces noix ; ensuite on les replace
Dans les plats où le fruit avait été porté,
Et, jusques à la nuit on les mit de côté.
Bénac sortit le soir : il aperçut le Diable
Attendant, dans la cour, qu'on fût sorti de table.
Le croisé marcha droit à l'esprit infernal :
« Je t'apporte, dit-il, les restes du régal.
<( Ils sont peu succulents, mais ce n'est pas ma faute.
<( En doutes-tu ? Suis-moi, viens dans la salle haute,
« Tu seras convaincu que ce pays nourrit
« Des seigneurs distingués par leur bon appétit ».
Tout honteux et confus d'être ainsi pris pour dupe,
Satanas ne dit mot, mais son esprit s'occupe
Des moyens de venger dignement cet affront.
Il reste tout pensif ; sa main frotte son front...
Que fera-t-il ? Ce maître en l'art cabalistique
Trace auprès de la porte, une enceinte magique,
Un des plus forts piliers dans ce cercle est compris.
Bénac le regardait, l'air soucieux, surpris,
Mais à la catastrophe encor loin de s'attendre.
Une vague rumeur d'abord se fait entendre,
Tels ces bruissements, ces murmures douteux
Qui, la nuit, quelquefois, font dresser les cheveux ;
�LE DIABLE ET LE CROISÉ
I
En vapeurs transformé, le démon se balance,
En nuage orageux, s'épaissit, se condense ;
Il assiège la porte, et de pâles éclairs,
Echappés de ses flancs, se croisent dans les airs.
Un coup part en grondant : soudain la terre tremble
Les convives surpris accourent tous ensemble,
L'on s'informe, l'on voit le pilier renversé
Et le marbre en éclats dans la cour dispersé.
Le marquis de Bénac raconta son histoire,
Histoire merveilleuse et difficile à croire.
Histoire, néanmoins, dont on ne peut douter.
Du château de Bénac fais le pèlerinage :
Tu verras soutenir par tout le voisinage
Que, jamais, nul maçon ne trouva de mortier
Oui pût, au mur fatal, rejoindre le pilier.
— 1835 —
��A la Mémoire d'un Père Chéri.
POÈME
LYK1QVE
Ma Préface est là, toute prête.... Faut-il la produire au
grand jour ? Comme tout le monde, deis-je la placer en tête
de mon œuvre?.... Mais mon sujet s'explique asseye lui-même.
De plus, si ce petit Poème est mauvais, quand je me ferais
humble jusqu'à plier les deux genoux, il ne serait pas trouvé
bon ; et si par hasard il est bon, il peut se passer de Préface.
Ainsi, lecteur, je vous fais grâce de tout discours préliminaire.
Puissiez-vous, en retour d'une si rare concession, vous dépouiller
ici de tout préjugé contre les vers de province !
Pontacq, le i Novembre 1S57.
V.
DE
B.
�Les Funérailles
Remontez avec moi jusqu'à l'heure fatale
Où mon père paya son tribut à la mort.
Pardonnez à mes pleurs !... Quelle amertume égale
Celle dont m'abreuva l'impitoyable sort ?
De mon meilleur ami la dépouille pâlie
Depuis deux jours est là ! J'ai contemplé ses traits,
Traits sublimes de calme et de mélancolie
Que l'œil d'aucun vivant ne reverra jamais.
Hélas ! tout est fini ! La terre le réclame.
La Mort, l'avare Mort n'aliène point ses droits :
Mon père ! de tes jours elle a tranché la trame,
Elle m'envie cncor jusqu'à tes restes froids.
Lorsqu'imposant silence à ma douleur extrême
J'accompagne au tombeau ces restes vénérés,
Peut-être me croit-on cruel envers moi-même
Qu'importe ! J'accomplis des devoirs bien sacrés.
Et puis, qui peut savoir si ton ombre, ô mon père,
Ne sera pas sensible à l'hommage d'un fils ?
Cet espoir rend déjà ma douleur moins amère :
Deg Consolations les Devoirs sont suivis..,
�LE DEUIL
Lorsque je m'avançais, l'œil" fixé sur la bière
Où repose celui que je chéris trente ans,
Je ne concevais plus dans la nature entière
Que ce lugubre objet : quels terribles instants !
Mais bientôt je saisis, dans la gothique église,
Quelques mots d'avenir et d'immortalité.
L'espérance, ô mon Dieu, m'est-ellc encor permise ?
Siècles, écoulez-vous !... Salut éternité !
Une larme naissait au bord de ma paupière
Quand vers le champ des morts on conduisit mes pas ;
Mon regard, tout-à-coup, retomba sur la bière,
Ma douleur fut atroce, et je ne pleurai pas.
Restes saints, au tombeau vous allez donc descendre !
Adieu ! cher père, adieu !.. Voici le fossoyeur...
Le bruit sourd de la pelle alors ee fit entendre,
Et d'affreux contre-coups vinrent briser mon cœur.
La Première Hirondelle
O désolation ! Quel vide affreux, immense,
Et quel isolement !
Aucun bruit n'interrompt le lugubre silence
De cet appartement...
Tout me tue en ces lieux... Ouvrons cette croisée :
Mes sens ont besoin d'air.
Si mon âme pouvait, par le jour apaisée,
Sortir de cet enfer !
�ig6
LE DEUIL
Essayons si l'aspect de nos belles campagnes
Pourra me soulager...
Etonnés de mon deuil, les bois et les montagnes
Semblent le partager.
Combien tout me paraît désolé dans ces plaines !
Voyez comme les vents
Font lentement flotter les ombres incertaines
Des nuages mouvants.
Que vois-je ? — Une hirondelle. — Oh ! pourquoi
Perce-t-elle mon cœur ?
[comme un glaive
Est-ce donc sans motif, ainsi que dans un rêve,
Qu'augmente ma douleur ?
Non. L'oiseau que j'ai vu prévient notre hémisphère
Du retour du zéphyr,
Et lorsque tout renaît, ta famille, ô mon père,
Vient de te voir mourir.
La Maison de mon Père
Je ne puis le revoir... Il n'est plus ce bon père !
Que son image au moins vive au fond de mon cœur ;
Que ma piété l'y vénère
Sous les aimables traits qui faisaient mon bonheur !
Il me semble encor qu'il respire ;
Je vois son noble front, son gracieux sourire,
Son teint frais et vermeil, ses cheveux blancs, ses yeux
Où se peignait l'azur des deux,
�LË DEUÍL
Jh ! combien je l'aimais !... Avant que les années
Effacent mes regrets, les pics des Pyrénées,
Ces pics hérissés de glaçons,
Par lesquels nous voyons nos montagnes bornées,
Seront au niveau des sillons.
O mon père ! daigne m'en croire,
Avant que ton enfant se puisse consoler,
Qu'il cesse de chérir, de pleurer ta mémoire,
Le Gave béarnais cessera de couler !
A m'occuper de lui dans ces lieux tout m'invite ;
J'y trouve à chaque pas des souvenirs pieux :
Le toit qui maintenant m'abrite
Longtemps nous protégea tous deux.
Loin des embarras de la ville,
Sous Formel et le chêne il choisit cet asile
Où, comme l'eau, coulaient nos jours ;
Tels, aux flancs de nos monts les tétras solitaires
Sous leurs sapins héréditaires,
Couvent le fruit de leurs amours.
Ici, lorsque le sort me ravit une mère,
Hélas ! bien digne aussi de mon affection,
Il fut ma consolation,
11 me restait un si bon père 1
***
Un jour qu'assailli par l'ennui,
Je voulus me lancer dans l'océan du monde,
Tel qu'un vieux nocher qui, sur l'onde
Voit son enfant tout prêt à s'embarquer sans lui,
Il m'offrit ses conseils, il devint mon appui,
�LE DEUIL
Et, sans me suivre, il fut mon guide,
Mais, battu par les vents, sur cette mer perfide,
Craignant d'être englouti par leur puissant effort,
Bientôt je regagnai ce port ;
Et je n'ai plus quitté le père que je pleure
Jusqu'à l'instant fatal... Je l'ai vu par la mort
Arraché de cette demeure !
Combien de fois, causant dans nos riants jardins,
Avons-nous en pitié regardé la folie
De ceux qui vont user leur vie
Dans les difficultés des voyages lointains I
L'infortune souvent, au fond de cette allée,
S'ouvrait à cet homme de bien,
Et s'en retournait consolée.
Des pauvres il fut le soutien ;
C'était pour le pays une autre Providence.
A sa vénérable présence
J'ai vu l'homme méchant quelquefois s'attendrir
Et renoncer à sa vengeance.
Fut-il des malheureux qu'il ne sût secourir ?
Est-il un coin de ce domaine
Qui n'ait vu s'accomplir une bonne action ?
Oh ! quelle charité, quelle religion !
Là-haut sa couronne est certaine.
Tantôt de cet appartement
Où mes vers aujourd'hui coulent avec mes larmes,
Avec lui j'admirais la fraîcheur et les charmes
Du vallon qui paraît si triste en ce moment ;
�LÉ DU IL
Et tantôt Walter Scott était là pour nous dire
Des croisés d'Albion la gloire et les destins...
Mais aujourd'hui, quand je veux lire,
Le livre échappe de mes mains ;
Et, tout-à-coup, des pleurs roulent dans ma paupière,
Et vers le champ des morts se tournent mes regards.
Mon père, il est donc vrai qu'au sein de ces remparts
Tu dors dans une froide bière !...
Sous le signe sacré de l'espoir du chrétien,
Ah ! près de son tombeau, laissez un tombeau vide,
Pour qu'au terme certain d'un voyage rapide-,
Mon cœur repose auprès du sien.
Le Dogme Consolateur
Que le plus fortuné pèse dans la balance
Ce qu'il a ressenti de joie et de douleur ;
Qu'il compare aux longs jours de deuil et de souffrance
Ses éclairs de bonheur I
L'homme, à titre onéreux possède cette vie.
Ne serait-elle pas le plus lourd des fardeaux,
Si d'un sort plus heureux elle n'était suivie
Pour compenser ses maux ?
Ceux qui disent : Tout meurt quand notre corps
[succombe ;
Nous ne sommes pas faits pour un sort immortel,
N'auraient-ils pas raison de chercher dans la tombe
Le repos éternel ?
�200
LE DEUIL
Mais tel qu'un voyageur, quand la chaleur brûlante
Dans le sein du torrent l'invite à se plonger,
Cède à l'intime voix qui d'abord lui présente
La grandeur du danger,
Tel le Chrétien comprend sa haute destinée
Et ne se plonge pas dans les bras du sommeil,
De peur de voir bientôt son âme consternée
Par un affreux réveil...
Quand la faulx de la mort frappa mon tendre père,
Et me ravit d'un coup le plus sûr des amis,
Je pensai qu'au tombeau, par ma douleur amère,
Bientôt je serais mis.
Les genoux chancelants et la tête inclinée
Je me sentais courbé sous une main de fer ;
J'éprouvais la terreur de l'âme condamnée
Aux peines de l'enfer.
Le souffle de mon sein s'exhalait avec peine ;
Les objets me semblaient confus et désunis ;
Et mon œil répandait sur leur forme incertaine
Un lugubre vernis.
L'haleine des zéphyrs ne tirait du feuillage,
Aux plus beaux jours de Mai, que des gémissements ;
Et ma voix se taisait, car j'en perdis l'usage
Dans ces cruels moments.
Comme sur un cadran, je croyais voir les heures
Tourner autour du globe, y répandre le deuil,
Poussant, à chaque pas, dans les sombres demeures
Les hôtes du cercueil.
�LE DEUIL
20I
Quels tourments je souffrais, quelle angoisse indicible :
Dans les fortes douleurs rien ne peut consoler...
Rien, si quelque secret de l'empire invisible
Ne vient se révéler.
Vers le déclin du jour, assis au pied d'un chêne,
Qui fut hélas ! planté par de bien chères mains,
Je laissais mes regards s'égarer dans la plaine
Et les bosquets lointains.
Je voyais s'effacer les fleurs et la verdure,
La nuit sur le vallon jeter son noir manteau,
Et la blanche Phébé, consolant la nature,
Monter sur le coteau.
Un rayon caressant, entr'ouvrant la feuillée,
Vint avec le sommeil sur mon front se poser :
Ce doux rayon pressait ma paupière mouillée,
Comme un tendre baiser.
Et, cependant, vibrait une invisible lyre
Qui confiait aux vents d'ineffables accords ;
Et moi je comprenais... mais qui pourrait traduire
Ce que j'ouïs alors ?
Les pleurs qui quelquefois humectaient mon visage
Et ne pouvaient calmer l'excès de ma douleur,
S'ouvrant à mon réveil un plus libre passage,
Soulagèrent mon cœur.
Et bientôt je sentis mon courage renaître ;
Mon esprit retrempé plana sur l'univers ;
Mes regrets, qui jamais ne pourront disparaître,
Semblèrent moins amers.
�Ĺli DEUIL
S'il est vrai qu'en ce temps la puissance infinie,
Chère âme, te permit de charmer mes douleurs,
Que ne puis-je avec toi des fleuves d'harmonie
Remonter les hauteurs !
11 fallait m'entrainer à la source divine
D'où tombent en torrents les sons mélodieux ;
Nos transports, épurés à leur chaste origine,
Seraient dignes des cieux.
Ilosanna ! Gloire à vous, être bon, saint, immense !
Dirons-nous à Celui que sans doute tu vois,
Heureux de l'adorer, de chanter son essence,
Et d'unir nos deux voix !...
Mais que dis-je ? Le Ciel me condamne à la vie.
Eh bien, sans murmurer, je subirai mon sort :
Plus par l'adversité mon âme est poursuivie,
Plus je dois être fort.
Mon père, je vivrai pour cultiver l'enfance
Des tendres rejetons qui souvent t'ont souri,
Pour semer dans leurs cœurs l'honneur et la constance
Dont le tien fut nourri.
Je vivrai pour guider, dans ce trise voyage,
Celle qui partagea ma joie et mon chagrin,
Dès l'instant que son sort, comme l'onde au rivage,
S'unit à mon destin.
Oui, je suis ton exemple, ô mon vertueux père I
Je veux garder le poste où mon Dieu m'a placé,
Afin que par son ordre, en quittant cette terre,
Je sois récompensé ;
�LE DEUIL
Afin que vers mon lit, pour délier mon âme,
L'ange qui l'assista descende au dernier jour,
Et me porte en ton sein, sur son aile de flamme.
Au fortuné séjour.
Le Mausolée
Oui, j'ai gravé son nom sur le noir mausolée
Que les monts réservaient à notre humble vallée.
Regardez : j'ai choisi le marbre le plus dur,
Pour que le monument qu'embellit son histoire,
Contre la nuit des temps protégeant sa mémoire,
La transmit à l'âge futur.
J'ai voulu qu'on taillât ce marbre en pyramide,
Car la pierre, au niveau d'un terrain bas, humide,
S'efface sous le pas des générations ;
Jaloux de conserver des souvenirs utiles,
Devais-je confier à des tables fragiles
Mes pieuses inscriptions ? (*)•
Toutefois, ò mon père, à leur tour effacées,
Tes belles qualités, sur ce bloc retracées,
A la fin céderont au ravage des ans :
Ainsi le voyageur voit les tombeaux antiques
Dispersés sur sa route, et, bornes historiques,
Attester la marche du temps.
Bien plus, que savons-nous de ces rois si splendides
Dont la cendre repose au sein des Pyramides ?
Furent-ils la terreur ou l'amour de Memphis ?...
Mais qu'aux siècles obscurs vienne à briller Homère
Nous connaîtrons Hector et sa féconde mère,
Et le vaillant fils de Thétis.
�2o4
LE DELIL
Un poêle inspiré peut seul, par ses ouvrages,
Préserver ses élus du danger des naufrages :
Son livre en leur faveur comme un port vient s'ouvrir
Heureux donc, bienheureux celui dont le génie
Peut entourer un nom d'un fleuve d'harmonie !
Ce qu'il aima ne peut périr...
Oh ! si j'avais la voix des cygnes de notre âge,
Cher père, de l'oubli tu braverais l'outrage ;
Tes vertus parviendraient aux siècles à venir ;
Ton oreille entendrait, de ta sphère sublime,
Murmurer ces doux mots d'une voix unanime
Comme un précieux souvenir :
«
((
«
«
«
Des qualités du cœur il offrit le modèle,
Doux, simple, bienfaisant, à l'amitié fidèle,
11 observa toujours la loi de charité ;
Mais, à ces dons heureux joignant la modestie,
Il cachait avec soin la plus grande partie
(( Des traits nombreux de sa bonté.
«
((
«
«
«
Telle qu'en nos jardins la simple violette
Cherche à se dérober à la vue indiscrète,
Et soudain se trahit par sa suave odeur,
Sitôt qu'elle fleurit, on la sent, on la nomme :
Telle fut la vertu de cet excellent homme,
« Qui se trahissait par son cœur... »
A l'envi répété par les bouches mortelles,
Mes chants s'élèveraient aux hauteurs éternelles,
Et te seraient rendus par les échos des cieux.
A mes succès d'enfant ton cœur jadis sensible
Tressaillerait encor d'une joie indicible,
Aux accords de l'hymne pieux.
�LE DEUIL
20J
Car, grâce aux traits heureux que le génie inspire,
Les talents, les vertus, tout ce que l'on admire
Passe de siècle en siècle à la postérité ;
C'est par là qu'échappés des vagues infidèles,
Au milieu des débris surgissent des modèles
De foi, d'honneur, de probité.
Ainsi nous avons vu le plus sage des hommes
Vainqueur du pâle oubli jusqu'au siècle où nous somAborder parmi nous sur l'aile de Platon :
[mes,
Mais en vain ses vertus auraient orné la Grèce ;
Sans l'écrivain, le temps plus fort que la sagesse,
Aurait triomphé de son nom.
Ainsi de Despréaux la modeste famille
A la faveur d'un livre où l'atticisme brille,
Brave encor de l'oubli l'injurieux effort ;
Et cent noms fastueux qu'aujourd'hui l'on envie,
Après le faux éclat d'une stérile vie,
Seront effacés par la mort.
L'Inspiration
I
L'homme au terrible jour qui borne sa carrière,
Oppose tout son être à l'ardeur meurtrière
Dont il est dévoré.
Il pense, après l'effort d'une pénible lutte,
Avoir vaincu le mal auquel il est en butte ;
Il se croit délivré,.,
�206
LE DEUIL
Mais de son cœur, bientôt, l'espérance est bannie
A ce repos trompeur succède l'agonie ;
Il faut céder au sort.
Alors il voit sous lui s'entr'ouvrir une tombe ;
L'heure fatale sonne et le malheureux tombe
Dans les bras de la Mort !
Vainqueur des passions qui bouleversent l'âme,
Ainsi l'amour de l'art, avec sa chaste flamme,
Purifiait mon sein,
Ainsi le calme en moi succédait au délire,
Quand par un coup affreux j'ai vu briser la lyre
Dans ma tremblante main.
Mon père, fallait-il ,lorsque la poésie
M'offrait en souriant sa coupe d'ambroisie,
Me quitter pour toujours ?
Ta présence chassait la triste inquiétude ;
Non moins purs que les eaux de cette solitude,
S'écoulaient nos beaux jours.
Au bord de ce torrent qui sous mes pieds s'élance,
Dans la sombre forêt j'attendais en silence
Le souffle inspirateur ;
Et bientôt j'éprouvais l'impression divine,
Et je sentais bondir au fond de ma poitrine
Mon indomptable cœur.
�LE DEUIL
II
Avec cette onde qui bouillonne
Roulait mon vers tumultueux,
Et sur le vent qui tourbillonne,
Il s'élançait impétueux.
Porté sur le flanc des nuages,
Mon esprit suivait des orages
Le vol affreux et solennel ;
Et parmi ces tableaux sublimes,
Planant au-dessus des abîmes ,
Je glorifiais l'Eternel.
Souvent j'écoutais le murmure
Du plus limpide des ruisseaux ;
L'azur des cieux et la verdure
Se réfléchissaient dans ces eaux.
Alors ma voix était suave ;
Si je ne lançais pas la lave,
Mes vers avaient un autre prix.
Hélas ! ces riantes images,
O mort, ont subi les outrages !
Qu'est devenu leur coloris ?
Combien de fois, de la fougère,
Mon œil vit monter dans les airs
L'alouette à la voix légère,
Amante des pieux concerts !
Elle célébrait les louanges
De Celui que le chœur des anges
Chantent dans le divin séjour ;
Et moi, comme elle, dès l'aurore,
A ce Dieu que la terre adore,
J'offrais l'hymne de mon amour,
�LE DEUIL
Quand brillait le front des étoiles,
Quand ces myriades de feux
Dont la nuit enrichit ses voiles,
Le soir venaient charmer mes yeux,
Quelquefois mon âme attentive
A cru de la céleste rive
Entendre les échos lointains...
Ainsi le fidèle génie
Comprend, d'ici-bas, l'harmonie
Et les transports des Séraphins.
Tels les poètes de Solyme,
A l'aspect des célestes corps,
Trouvaient sur la harpe sublime
Les plus magnifiques accords,
Et telle mon âme saisie
Se transformait en poésie
Et s'exhalait comme l'encens...
O toi que l'univers adore,
Dis-moi, pourquoi ne puis-jc encore
Secouer le joug de mes sens
Mais alors il fallait traduire
Et fixer ces divins accents.
Je ne puis maintenant bien dire
Que la douleur que je ressens.
Ce n'est pas quand elle est flétrie
Que l'on retourne à la prairie
Pour y cueillir la tendre fleur :
Car à peine est-elle passée,
On ne peut plus par la pensée,
Lui rendre sa vive couleur.
�LE DEUIL
209
Prière du Poète
Ta main, ô Jéhovah, s'est donc appesantie !
Je l'oubliai jadis et ton bras me châtie :
Jeune, j'offris des vœux à l'autel de Baal ;
Et toi, Seigneur, jaloux de régner sans partage,
Tu refuses l'hommage
Du mortel trop longtemps soumis à ton rival.
Un glaive flamboyant a brillé sur ma tête ;
Comme un frêle roseau brisé par la tempête
Mes yeux ont vu tomber, sous les coups de la Mort,
Le meilleur des amis, le plus tendre des pères ;
Et tes décrets sévères,
0 mon Dieu, d'embarras ont hérissé mon sort.
"1
Regarde-moi, Seigneur, permets que je respire,
Rends-moi les doux loisirs auxquels mon âme aspire ;
Ah ! de ton serviteur écarte un peu ta main !
La poésie en moi gît comme dans la tombe,
Tu le vois, je succombe,
Mais si tu le voulais, je chanterai demain.
O toi qui de la nuit sus retirer Lazare,
Opère en ma faveur un miracle aussi rare :
Que l'instrument brisé devienne harmonieux !
Puisse mon âme en deuil vibrer comme une lyre !
Que ton souffle m'inspire
Des chants consolateurs, purs et mélodieux !
�2IO
LE DEUIL
Si tu ne prends pitié de ma douleur profonde,
Tel qu'une pâle fleur qui sèche faute d'onde,
Le germe poétique en mon sein périra :
Et, dans l'obscurité par l'ennui poursuivie,
Mon inutile vie,
Ainsi qu'un jour d'hiver sombre et froid, passera.
�La Chasse d'Hiver
Trahit sua quemque vcluplas.
�I
Tout brille dans la plaine, et tout sur la colline
Eblouit le regard ; le pic qui les domine
Nous frappe encor par sa blancheur.
La neige donne à tout des teintes vaporeuses,
Et les objets, réduits à des formes douteuses,
Se confondent par la couleur.
Les flancs de la montagne ont leur blanche ceinture,
Un feuillage argenté remplace la parure
Dont les bois s'ornaient aux beaux jours,
Et les fleurs, dont l'hiver a desséché les têtes,
Sont semblables aux fleurs que dans ses nobles fêtes,
Isaure offre à ses troubadours.
II
Vos trumeaux élégants aux surfaces polies,
Dites, valent-ils mieux que les glaces unies
Qu'on admire sur nos canaux ?
Et ces lustres pendant aux saules de la rive,
Bercés par l'aquilon sur cette onde captive,
Brillent-ils moins que vos cristaux ?
— Nous savons, dites-vous, que toujours la nature,
En manteau de frimas, en robe de verdure,
Offre mille agréments divers ;
Mais nous, nous aimons mieux un salon confortable
A l'air froid le foyer nous paraît préférable,
Durant les rigoureux hivers.
�CÎIASSE D'HIVEIÎ
Gardez donc le foyer... Moi, je suis dans la plaine
Ces groupes de chasseurs que le plaisir entraîne
Et dont le froid n'ose approcher.
Le vrai chasseur ressemble au soldat intrépide ;
Ni le vent glacial, ni le sec, ni l'humide,
Rien ne l'empêche de marcher.
01
Combien le tableau s'anime !
Je vois les oiseaux des mers
Fendre d'un vol unanime
Le champ grisâtre des airs.
Mon œil suit leur longue file,
Passant par dessus la ville,
Aussi fière, aussi tranquille,
Que sur d'arides déserts.
Oh ! que de scènes changeantes !
L'on rencontre sous ses pas
Des traces toutes récentes,
Empreintes sur les frimas ;
Sur la neige qui le guide,
Il suit le lièvre timide
Qui, dans sa course rapide,
En vain croit fuir le trépas.
L'autre suit, sur la bruyère,
Le cours des tièdes ruisseaux
Dont l'hiver, dans sa colère,
Ne peut entraîner les eaux.
Tout-à-coup part la sarcelle,
Sa plume lisse étincelle,
De son corps l'onde ruisselle
Et se transforme en cristaux.
�âi4
CHASSE D'HIVER
Quoi ! c'est en vain que son aile
Crie et siffle avec effort,
Sous une grêle cruelle
Ce bel oiseau tombe mort,
Ah ! tout atteste sa perte !
La blanche rive est couverte
De pourpre et de plume verte ;
Le chien la saisit d'abord.
IV
Il l'apporte... Mais non, voyez comme il s'arrête.
Interrompant ses bonds et relevant la tête,
Sur trois pieds il est demeuré ;
On dirait, à le voir dans sa pose immobile,
Un chef d'œuvre moulé par une main habile,
Un griffon de bronze doré.
V
Le tireur s'avance,
Accourt au signal.
Le gibier s'élance
D'un vol inégal.
A la carabine
Répond la colline,
Mais la bécassine
Fuit le plomb fatal.
�CHASSE D'HIVER
Aussitôt des nues
Fond un épervier
Aux griffes crochues.
II s'en va lier
La faible ennemie
Dont, avec furie,
Il poursuit la vie,
En vrai flibustier.
D'une aile rapide
Le pauvre oiseau fuit ;
D'un vol intrépide
Nisus le poursuit.
Leur course rivale,
Sous un ciel d'opale,
Décrit la spirale
De l'éclair qui luit.
Enfin, le corsaire
A gagné le vent
Sur son adversaire.
Il brise, en tombant
Comme un projectile
Lancé sur l'argile,
Le gibier fragile
Sous lui succombant.
2l5
�CHASSE D'HIVER
La campagne offre au loin l'image de la guerre ;
Mille coups redoublés font tressaillir la terre,
Tout s'émeut au bruit effrayant,
Le ciel s'est obscurci de pluviers et de canes
Et de vanneaux criards. Les longues sarbacanes
Les font tomber en tournoyant...
Ils tombaient, ils tombaient (oh ! vous pouvez m'en
[croire !)
Mais, vers le soir, le ciel reprit l'écharpe noire
Qui s'étendait à l'horizon.
Avertis à propos par ce sombre présage,
Tous les chasseurs ont fui devant l'affreuse image
Avant qu'il neigeât à foison.
Oh ! que ce jour a vu succomber de bécasses I
Que de lièvres trahis par leurs perfides traces
Des chasseurs ont rempli les vœux !
Et que de maladroits, grâces à la fortune,
S'étonnent d'avoir part à la prise commune,
Et, tout fiers, retournent chez eux \
— 1837 r
�Les Enfants de Moncade
POEME
qui a remporté le Prix dans le Concours du 3 Mai 1843,
à V ACADÉMIE des JEUX FLOPAVX
I. Préambule — II. Invocation — III. Les Deux Anges
IV. L'Exilée — V. Les Vicomtes de Béarn
VI. Le Drame — VII. La Sagesse.
ÉPILOGUE
�I
Aux beaux jours du Béarn, la princesse Marie
Voulut, à l'Aragon, asservir sa patrie.
Moncade, son époux, dans un traité fatal,
D'ildefonse, à son tour, se reconnut vassal.
Nos pères, menacés dans leur indépendance,
Du trône, à cet affront, proclamant la vacance ,
Choisirent, en Bigorre, un chevalier fameux.
11 jura leurs vieux fors, puis, il régna sur eux.
Mais, bientôt, au mépris des règlements antiques,
Ce seigneur viola les franchises publiques.
La Cour s'assemble à Pau. — Cédez, prince hautain
Beconnaissez vos torts ! — Il résiste. Soudain
On l'immole au pays comme parjure et traître.
Pour la seconde fois, le trône était sans maître.
D'un chevalier d'Auvergne on vantait la valeur :
D'un peuple libre et fier il fut nommé seigneur.
La terre de Béarn, par ce chef gouvernée,
Fleurit pendant deux ans, paisible, fortunée ;
Mais deux ans écoulés, l'injustice et l'orgueil
Du nouveau souverain creusèrent le cercueil.
Il osa violer la loi fondamentale,
Le peuple prononça la sentence fatale,
Et, quelques jours après, ce brillant chevalier
Expirait sous les coups d'un obscur écuyer.
�LES ENFANTS DE MC-NCADE
On se souvint alors de la jeune princesse
Qui, chez les Catalans, expiait sa faiblesse ;
En elle on révérait le pur sang de Clovis.
D'un seul enfantement, elle avait eu deux fils.
Le Béarn résolut d'élire l'un des princes
Pour soumettre à ses lois les heureuses provinces
Où, trois siècles entiers, par la faveur des Cieux,
Avaient su prospérer ses illustres aïeux.
II
Doux charme de la vie, aimable enchanteresse,
Dont le moindre récit émeut, plaît, intéresse,
Divine poésie ! Accours, raconte-nous
Comment les Béarnais, de leurs droits si jaloux,
Députant vers l'Espagne une simple ambassade,
Choisirent leur vicomte au berceau de Moncade.
L'Histoire, de ces faits ne peut m'entretenir,
Elle en conserve à peine un vague souvenir.
III
Pour le représenter aux terres étrangères,
Le peuple avait déjà nommé ses mandataires :
Grat, prélat d'Oloron, l'oracle de la Cour ;
L'impétueux Robert, châtelain de Montmour ;
Et Perarnault, jurât aussi loyal que sage :
Ils devaient dans trois jours commencer le voyage.
L'évêque en son palais à peine est retourné,
Qu'au pied du Crucifix humblement prosterné,
Il consulte le Ciel ; sa fervente prière
Invoque ainsi l'esprit de joie et de lumière :
2
�LES ENFANTS DE jYIONCADÉ
« Esprit de l'Eternel, daigne entendre ma voix
« Sur qui des deux jumeaux doit tomber notre choix ?
« Parle et que tout soit fait pour ta plus grande gloire ! »
Il dit. Au même instant, le gothique oratoire
Est tout illuminé d'un jour suave et pur
Et l'éther à flots d'or ruisselle dans l'azur..Puis Grat voit apparaître une forme vivante
Un ange ; de blancheur sa robe est éclatante,
Ses longs cheveux sont bruns, son front haut, et ses yeux
Reflètent la couleur de la voûte des cieux.
D'esprit et de bonté c'est un heureux mélange :
Du Béarn, à ses traits, Grat a reconnu l'ange.
Et l'ange dit : « Je viens de la part du Seigneur,
« Ecoute ses décrets : Né pour votre bonheur,
« L'un des fils de l'exil, doux, simple, pacifique,
« Fera, dans ses Etats, fleurir la paix publique.
(( D'un prince libéral il aura le renom ;
« De sa bonté naîtra son glorieux surnom ;
« Qu'il règne. Du second, la jeunesse orageuse,
<( Dans le chef de l'Etat serait trop dangereuse.
« Un jour, quand son esprit triomphant de son cœur,
« De ses emportements l'aura rendu vainqueur,
« A son tour rappelé de la terre étrangère,
« 11 consolidera l'ouvrage de son frère...
« Remplis ta mission, et des signes certains
« T'annonceront le choix du Maître des humains »•
A ces mots, secouant ses deux ailes dorées,
L'ange sort au travers des vitres diaprées,
Subtil comme un rayon qui nous porte le jour,
Et remonte, en son vol, au glorieux séjour.
�LES ENFANTS DE M0NCADE
221
Satan, à l'œil de lynx, a suivi dans l'espace
Du messager des cieux l'imperceptible trace :
Il a tout soupçonné, s'il n'a tout découvert.
Il sort donc de l'abîme et va trouver Robert.
Seul, au fond d'un caveau, dans son avare joie,
Celui-ci pesait l'or que ses hommes de proie
Avaient porté la veille au donjon de Montmour,
Et qu'il avait caché dans sa plus forte tour.
Mais l'ouragan mugit ! la tour est ébranlée ;
Par un nuage affreux la lumière est voilée ;
De livides éclairs glissent sous les vousseaux,
Enfants impurs du gaz exhalé des tombeaux ;
Et, cependant, au sein de l'infernale nue,
Robert entend le son d'une voie bien connue :
<( 0 fils des conquérants, prends garde, dit la voix,
« Qu'un prêtre d'Oloron ne t'impose son choix.
ce Sans doute, mieux vaudrait n'obéir à personne,
« Mais puisqu'on veut un chef, décerne la couronne,
« Car, sous un suzerain choisi par un prélat,
« Un jour les fainéants seraient tout dans l'Etat ;
« Ces trésors passeraient entre les mains des moines...»
Le nuage bientôt se dissipe dans l'air,
Et le démon descend sur le dernier éclair,
Tel, si vous parcourez une stérile plage,
Aux arides aspects, désolé paysage,
Dans quelque lac sans fond, parfois vous pouvez voir
Le plongeon à vos yeux dérobant son dos noir.
�222
LES ENFANTS DE MONCADE
IV
Quand, le troisième jour, l'aurore triomphante
Ouvrit à l'astre-roi sa carrière brillante,
En jetant sur le globe un amoureux regard,
Des trois ambassadeurs elle vit le départ.
Muse, tu te plairais, selon l'antique usage,
A nous entretenir de ce lointain voyage,
A nous peindre les mœurs de diverses cités,
A redire les faits qu'on t'aurait racontés,
Mais, pour tous ces détails ne pouvant trouver place,
Poursuis ton vol rapide et dévore l'espace.
Grat, Robert, Perarnault pressaient leurs palefrois,
Sur leurs traces volaient vingt coursiers navarrols ;
On craignait de trouver, dans la nuit avancée,
Le pont-levis debout et la herse baissée.
La députation, arrivant vers le soir,
Du seigneur de Moncade aborda le manoir ;
Et tous avaient franchi les poternes obscures
Quand Phébé de la cour éclaira les sculptures.
Le château les reçut avec de grands honneurs.
<( A-t-on cru, dit Marie aux trois ambassadeurs,
(( Que l'éducation m'ait faite Aragonaise ?
« Vous le savez, je suis, par le sang, Béarnaise ;
« Je le suis par le cœur !... Parlez, parlez de Pau,
« Du Gave, de ses bords, des montagnes d'Ossau...
<< Je chéris le Béarn ! un beau soleil y brille ;
« C'est là qu'est mon berceau. Béarn, je suis ta fille !
Cet accueil provoqua l'aimable effusion ;
Et Grat, l'homme de Dieu, dans son émotion,
Exposa, simplement, sa harangue fleurie,
�LES ENFANTS DE MONCADE
2
Les vœux et les besoins de sa chère patrie.
Moncade, avec bonheur, cédant à son désir :
« De nos enfants, dit-il, le Béarn peut choisir ».
La princesse ajouta : « Nation généreuse,
(( Puisses-tu, par mon fils du moins te voir heureuse
On reconnut Marie à ce cri d'un bon cœur,
Elle aimait son pays. A la cour d'un tuteur
On put voir, il est vrai, sa jeunesse égarée
Mais, chaque jour, depuis, la faute était pleurée,
Et, chaque jour, fidèle à son culte pieux,
En faveur du Béarn, elle invoquait les Cieux.
Au lieu de son repos, les meubles, tous les êtres
Bappellent le palais bâti par ses ancêtres :
Là, ces grands, de la mort par le talent vengés,
Vivent en cent tableaux, le long des murs rangés.
Tel est ton privilège, admirable peinture !
Dans ce cercle muet, à son antique armure
On distinguait Centoing, guerrier qui, tour à tour
Fut du Maure Andalous la terreur et l'amour.
Puis, c'est son fils qui meurt par la dague cruelle
D'un chevalier félon, à l'honneur infidèle.
Ce seigneur, à l'air grave est Centulle-le-Vieux,
Son maintien nous révèle un fondateur pieux ;
Entouré de vassaux que son regard atterre,
Le grand dominateur de notre vieille terre
Eclipse son aïeul. Entre eux est un Gaston,
Au clergé de Lescar donnant le fief d'Asson
Et recevant, pour prix de cette investiture,
Deux coursiers dont sa suite approuve l'encolure,
Les élégants contours, les muscles vigoureux,
La crinière flottante et les jarrets nerveux.
�224
LES ENFANTS DE MONCADE
L'un des tableaux voisins, nous rend Centulle Quatre,
Maître en l'art de régner, vaillant s'il faut combattre ;
On se plaît à le voir, le front ceint de lauriers,
Plus grand dans son conseil que sur les champs
[guerriers.
Deux plans, à tous les yeux montrent son double
[ouvrage :
D'Oloron rebâti l'un présente l'image,
D'Oloron qu'autrefois les ravageurs northmans
Avaient bouleversé jusqu'en ses fondements.
Et dans l'autre dessin, le vicomte contemple
Un monument de l'art, un noble et digne temple
Dont quelque beau débris avait été sauvé,
Sur ses piliers romans à la fin relevé.
Admirons ce héros marqué du divin signe !
Nul, aux bords du Jourdain ne se montra plus digne,
Parmi les chevaliers, les princes et les rois,
De faire triompher la cause de la Croix.
Grand Dieu ! Comme son bras sème les funérailles !
Solyme, devant lui, voit crouler ses murailles ;
Le pâle Musulman, fuyant de toutes parts,
Cesse de disputer l'approche des remparts ;
Les courtines, les tours, les bastions, tout cède
Sous le fatal bélier des soldats de Tancrède.
Ses glorieux travaux ont illustré son nom,
Et l'Arabe s'incline en parlant de Gaston.
L'artiste, à son côté, fixa sur le mélèze
Les traits délicieux de l'aimable Talèze
Qui, joignant au Béarn les champs de Montancr,
Agrandit le pays qu'elle venait orner.
Plus loin, c'est Gabarrct, fameux en Ibérie
�LES ENFANTS DE MONGADE
220
lit l'altière Guiscarde et la douce Marie.
Ces tableaux renvoyaient un jour harmonieux
Aux rosaces de chêne, aux lambris curieux ;
Tant de preux, de héros, célèbres dans l'histoire,
Semblaient tout éclairer des rayons de leur gloire.
VI
C'est là que reposaient, dans le même berceau
Deux enfants, frêle espoir des maîtres du château.
Leurs délicates mains se montraient découvertes ;
Or, pendant son sommeil, l'un les tenait ouvertes,
l.e front de cet enfant était calme et serein.
Le second, au contraire, avait un air mutin,
Et d'un brillant hochet, comme d'un glaive armée,
Hors du riche berceau pendait sa main fermée.
Le premier, du prélat fixa l'attention.
« Voilà, dit-il, le chef de notre nation !
<( Il sera généreux, bon, d'une humeur égale.
<( Sans doute, les vertus d'une âme libérale,
<( Enfant prédestiné, dans ton sein germeront,
<( Dieu même, de son sceau marqua ton jeune front ».
Robert, avec l'accent d'une amère ironie,
Dit alors : « Grâce au ciel, notre tâche est finie,
« Et l'on peut espérer que, couronné par Grat,
« Le prince de Béarn ne sera pas ingrat ;
« Que, par l'impiété trop souvent désolée,
« L'épouse de Jésus se verra consolée,
« Que les fruits de la terre apaiseront, enfin,
» De nos hommes sacrés l'insatiable faim ».
Le prélat répondit : « Vous vous trompez, Messire,
« L'intérêt de l'Etat est le seul qui m'inspire ».
�226
LES ENFANTS PE MONCADE
ROBERT
L'intérêt de l'Etat ! Oh ! tout ambitieux
Se fait de ce grand mot un masque officieux.
GRAT
La passion de l'or ne souille point mon âme !
Me préserve le Ciel de cette lèpre infâme !
L'abeille à peu de frais sait distiller son miel,
Un seul bien lui suffit, le sourire du ciel.
ROBERT
Les frelons gâtent tout...
GRAT
Le Très-Haut se déclare ;
Accepte, ô mon pays le don qu'il te prépare :
Un prince vertueux, partisan de la paix,
Avare de rigueurs, prodigue de bienfaits.
Sous son gouvernement prospéreront les villes,
Tes champs, tes champs si beaux deviendront plus ferL'abondance, partout, éclora sous ses pas,
[tiles ;
Je le choisis pour toi !
ROBERT
Je ne le choisis pas !
Et que m'importe à moi votre avis ?... Je préfère
Cet air plus décidé qu'on remarque en son frère,
Et qui dit hautement que, né pour les combats,
Il saurait au besoin défendre ses Etats...
�LES ENFANTS DE MONGADE
227
VII
jinfin, pour apaiser ce violent orage,
La Sagesse survint, couverte d'un nuage,
Sur Pérarnault penchée, et, réfrénant sa voix :
« Je te fais, lui dit-elle, arbitre de ce choix.
« La discorde triomphe, impose-lui silence :
(( Le Béarn, en tes mains a remis la balance ;
(( Te montrer, jusqu'au bout, calme, sans passion,
« Honorable jurât, telle est ta mission ».
« Oui, répond Pérarnault, mais dirige ma langue ;
» Que je ne fasse pas une froide harangue ! »
Puis, élevant le ton : « Messeigneurs, comme vous,
« Je crois que le Très-Haut tient l'œil ouvert sur nous,
« Qu'il daigne quelquefois dévoiler ses mystères.
« S'il nous révèle ici les divers caractères
<< Qui doivent distinguer ces rejetons des preux,
« L'un sera pacifique, humain, grand, généreux ;
« Le second, fier, hautain, prompt, violent peut-être,
« Voudra dicter des lois et gouverner en maître.
« Pour vrais, pour accomplis prenons ces résultats :
« Ne les admettant point, que seraient nos débats ?
(( Pourrions-nous préférer l'un des jumeaux à l'autre ?
« Vous ne le croyez pas ; mon avis est le vôtre.
« Or, partant de ce point, pour nous fondamental,
« Je donne mon suffrage au prince libéral.
« Premier sujet des lois, ce seigneur équitable
« Sera l'appui du bon et l'effroi du coupable.
« D'innombrables bienfaits marqueront ses beaux
« Rien, du fleuve fécond n'arrêtera le cours,
[jours,
« Car, par mille canaux nos tributs volontaires
« Viendront alimenter ses ondes salutaires.
�228
LES ENFANTS DE MONCADE
« Un esprit éclairé conduira son bon cœur,
« Ainsi, de ses sujets, il fera le bonheur.
« Mais on ciwint que le prince, un jour, ne favorise
« Les intérêts privés des moines, de l'Eglise.
« Il apprendra, s'il tient les rênes de l'Etat,
<( Qu'il est l'élu du peuple et non pas d'un prélat,
« Et qu'il doit maintenir, dans un juste équilibre,
« Les divers éléments d'une nation libre ;
« Avant de gouverner, il jurera nos fors.
« Qu'il dote, j'y consens, de ses propres trésors,
<( Quelques asiles saints, le désespoir du vice ;
(( Un prince généreux est tel sans injustice,
« Sans fouler ses vassaux. Lorsqu'on fonde un couvent,
<( Loin d'appauvrir le peuple on l'enrichit souvent.
« Nous voyons des terrains, maudits de la nature,
« Dans les mains du clergé changer par la culture,
« Et, grâce à lui, suffire aux différents besoins
« De milliers d'indigents que font vivre ses soins.
«
«
«
«
((
«
«
«
«
«
J'accorde qu'un seigneur plus versé dans la guerre,
En cas d'invasion défendît mieux sa terre,
Mais, le mien, modéré, fort de nombreux amis,
Dans un si grand péril jamais ne sera mis.
Et si quelque voisin cherchait à le surprendre,
Les autres accourraient d'abord, pour le défendre.
Que dis-jc ? Aurait-il donc besoin de l'étranger ?
Ses sujets, ses enfants feraient face au danger :
Pressés autour du trône, et bravant la tempête,
Comme un vivant rempart ils couvriraient sa tête ».
�LES ENFANTS DE MONCADE
2
VIII
En ces mots mesures, s'exprima le jurât.
A force de raison, ce digne magistrat,
Par le seul ascendant d'une parole sage,
Entre Grat et Robert sut lever le partage.
L'évèque, du succès ne fut point étonné ;
L'audacieux baron demeura consterné.
« Comment, se disait-il, une austère éloquence
« Peut-elle, à ce tribun donner tant de puissance ?
(( Ainsi, le choix d'un prêtre, aidé d'un plébéien
« En ce moment fatal l'emporte sur le mien !
« A cet excès de honte aurais-je dû m'attendre ? »
Son orgueil, aux abois, fut contraint de se rendre.
Dès ce jour décisif, au silence obligé,
Il couva dans son cœur la haine du clergé...
Et, désormais certain de réparer ses pertes,
Le Réarn accueillit le prince aux mains ouvertes (*)
— m3
��Vision de Charles Martel
ODE
Présentée au Concours des Jeux Floraux (1845).
Célébrez avec nous ce jour que Dieu bénit,
Dont le monde chrétien s'honore et retentit,
Le triomphe si beau, la victoire immortelle
Qui soumit au vrai Dieu le croissant infidèle.
F. Ducos (Epopée Toulousaine).
I. Réveil de l'Armée ; II. L'Etendard de la Croix ;
III. Concert des Anges, des Elus et des Vierges ;
IV. La France Transfigurée ; V. Réoeil du Héros.
�I
La nuit, en ramenant ses heures solennelles,
Avait, au camp français, endormi tous les bruits,
Hors les pas cadencés des rares sentinelles
Qui des exploits du jour nous assuraient les fruits...
Mais la Loire élevait sa voix retentissante,
Et semblait s'attendrir, plaintive, gémissante,
Pour pleurer quelques preux par le nombre accablés
Tandis que dans son lit se heurtaient mille armures ,
Inutiles parures
Du soldat du Coran par les ondes roulés.
Dans un ciel de saphir l'astre des nuits s'élance...
Mille sanglants débris, les boucliers dorés,
L'yatagan barbare et le casque et la lance
Rassemblent en faisceaux ses rayons égarés.
Cercle mystérieux de terreur et de gloire,
Ces reflets entouraient aux rives de la Loire
Les simples pavillons de nos héros vainqueurs.
Sur le plus haut, flottait l'électrique oriflamme
Dont l'aspect, seul, enflamme
Des soldats de la Croix les intrépides cœurs.
�VISION DE CHAULES MARTEL
Là, repose, au milieu de sa fidèle armée,
Martel, l'illustre fils de Pépin-d'Héristal,
Martel dont le beau nom, cher à la renommée,
Proclame le courage aux Sarrasins fatal.
Mais le corps seul est là... Sa grande âme ravie
Plane dans les hauteurs de l'éternelle vie,
Où Dieu va lui montrer les destins des Français.
Avant que de tes jours la mort tranche la trame,
O vainqueur d'Abdérame !
Pénètre l'avenir et comprends tes succès.
Tel qu'à nos yeux de chair le vent du nord efface
Les vapeurs qui, du jour, outrageaient le flambeau,
Et de l'astre vengé nous dévoile la face,
Gomme un corps glorieux affranchi du tombeau,
Tel, en tourbillon d'or balayant les étoiles,
Le souffle créateur a soulevé les voiles
Qui cachaient l'étendard du monarque des cieux,
Tel, il a découvert dans la splendide enceinte
Qui clôt la cité sainte,
Enchâssés à la croix, sept astres radieux (*).
Autour de ce drapeau, magnifique symbole,
Sont rangés les neuf chœurs des célestes Esprits,
Echos intelligents de la sainte parole
Qui leur a donné l'être et leur a tout appris ;
Les élus de la terre aux tuniques blanchies,
Offrant au Rédempteur leurs âmes affranchies,
Et les vierges, miroirs de grâce et de beauté,
Roses qu'en aucun temps on ne verra fanées,
Par l'époux même ornées
De la robe des lys et de leur pureté.
2
�234
VISION DE CHARLES MARTEL
Or, les cieux assemblés célébraient la victoire
Que la valeur française assurait à la Croix,
Mariant aux doux airs de cent lyres d'ivoire,
Aux sons des harpes d'or leurs immortelles voix.
Silence, vents, tombez, cessez vos harmonies,
Dans les grandes forêts, aux grandes eaux unies !
Mer, suspends tes accords, tes bruits majestueux !
Taisez-vous tous, ruisseaux au murmure limpide !
Sur ton lilas humide,
Plilomèle interromps ton chant mélodieux !
II
ce Adonaï, Dieu tout puissant,
En ton juste courroux ton seul regard foudroie.
Tu te lèves... l'altier Croissant
Voit les siens à la mort abandonnés en proie.
Comme un torrent dévastateur,
Descendaient du désert les enfants de l'esclave ;
L'Afrique, volcan destructeur,
Lançait sur la moisson sa plus ardente lave.
Mais, Celui qui dit à la mer :
« Tu n'iras pas plus loin, qu'ici ta rage expire ! »
Pouvait-il souffrir que l'enfer
Sur le saint héritage étendit son empire ?
Oui, des descendants d'Ismaël
Les cadavres impurs engraisseront la terre !
Le Seigneur, le Dieu d'Israël,
Sous son vivant marteau par milliers les atterre.
�VISION DE CHARLES MARTEL
a35
Où sont leurs escadrons poudreux ?
Tu les a vus tomber, ô fertile Touraine !
Non moins pressés, aussi nombreux
Que les épis dorés, ta couronne de reine...
Un jour, d'intrépides guerriers,
— lis sont toujours sans peur les enfants de la France —
Détruiront, couverts de lauriers,
Des ennemis du Christ la dernière espérance.
Par un équitable retour,
L'Arabe se soumet au conquérant rapide.
Ruinez l'aire du vautour (**),
Aigles, et poursuivez votre essor intrépide.
Gloire à l'arbitre des combats !
Rendons grâces à Dieu de sa faveur insigne :
11 sauve le monde, et, là-bas,
Du salut des humains fait triompher le signe.
III
Sous l'éternelle voûte ainsi chantaient les Anges,
Les Elus, poursuivant ce concert de louanges,
Célébraient nos futurs exploits :
(( Quels Français, disaient-ils dans leur ardeur sublime,
Quel héros va s'asseoir au trône de Solyme,
Et dicte les plus justes lois ?
�236
VISION DE CHARLES MARTEL
<( La croix couvre son cœur, rehausse sa bannière,
La croix, c'est l'ornement, que, dans sa cour guerrière,
Ses chevaliers prisent le plus :
Les écus, les cimiers, les fidèles épées,
Dans l'infidèle sang en vingt combats trempées,
Portent ce signe des élus.
» Si l'antique dragon, dans sa noire furie,
Ravageait des croisés la nouvelle patrie,
Ces preux, plus puissants que les rois,
Souverains redoutés d'un rocher solitaire,
Rendraient, par leurs exploits, le Croissant tributaire
De ce boulevard de la Croix.
« Bienheureux Augustin, la brûlante contrée
Qui par tes saints travaux fut jadis illustrée,
Secouant le joug oppresseur,
Et bénissant le Dieu dont le bras la protège,
Contemple avec respect, sur ton antique siège,
Tes vertus dans ton successeur (***).
« Et toi qui prétendais bannir des basiliques
Les oraisons des saints, l'encens et les cantiques,
Maure, à cet espoir dis adieu :
Les églises du Christ ne sont plus attaquées ;
Déjà, même, tu vois transformer tes mosquées
En temples dignes du vrai Dieu.
« Hosanna ! Hosanna ! l'arbitre des armées,
Des nations du nord, un instant alarmées,
Guide les guerriers triomphants.
Martel, conduit par lui sur les bords de la Loire,
A ses heureux drapeaux enchaîne la victoire ;
Le père sauve ses enfants ».
�VISION DE CHARLES MARTEL
23 7
Les Vierges ajoutaient : « Jeunes filles de France,
Aimez la gloire de vos preux,
Leur valeur qui vous ouvre une ère d'espérance :
Oh ! ne redoutez plus le sort de Numérance (****)
Ni du désert l'aspect affreux.
« L'œil ne verra jamais votre beauté flétrie
Au souffle du simoun brutal ;
Vous n'irez pas au loin pleurer votre patrie ;
Mais, telles que les fleurs, filles de la prairie,
Vous fleurirez au sol natal...
« Sois béni, Dieu clément, toi qui les environnes
D'amour, de paix et de bonheur,
Toi qui des malheureux les établis patronnes,
Toi qui de blonds enfants composes leurs couronnes
Et revêts leurs charmes d'honneur !
<( Mais, marchant sur nos pas, un grand nombre
[d'entre elles
De t'aimer seul font leur emploi.
Des plus rares vertus doux et simples modèles,
Qu'il est beau de les voir, sans rides et fidèles,
Soumises à ta seule loi !...
« Chères Sœurs, franchissez le céleste portique
Aux colonnes de diamant ;
Livrez-vous aux transports de votre ardeur mystique,
Entonnez avec nous le suave cantique,
Chastes délices de l'amant ».
�238
VISION DE CHARLES MARTEL
IV
Ainsi chantaient les cieux. — Reine transfigurée,
La France parut dans le vague des airs :
Le beau ciel qui l'entoure est sa robe azurée ;
Ses joyaux, cent cités ; son écharpe, trois mers.
Au milieu de ses fils, heureuse libre et fière,
Des grandes nations s'avançant la première,
Son front resplendissant verse de tous côtés
Des torrents de lumière
Au monde qui gravite autour de ses clartés.
Et parmi tous ces feux dont l'éclat l'environne,
Qui des humains ravis font l'admiration,
Trois astres, beaux fleurons de l'auguste couronne
Captivent du héros toute l'attention :
Du clergé gallican l'un est le fier génie ;
L'autre un divin poète, un ange d'harmonie ;
Puis, c'est le pur flambeau de l'humaine raison,
Qu'en vain la calomnie
Obscurcit un moment, de son affreux poison... (**
Mais soudain se dessine au centre de la nue
Un triangle de feu, d'éclairs environné,
Soleil dont la lumière, ici-bas inconnue,
Dévorerait bientôt notre horizon borné ;
Et la foudre ébranlant l'enceinte circulaire :
« 0 toi dont la valeur a le droit de me plaire,
Poursuis — dit une voix — chasse les musulmans
Comme le vent, dans l'aire,
De la paille brisée emporte les fragments ».
�VISION DE CHARLES MARTEL
Réveille-toi, Martel, et que ton camp se lève !...
Le héros accomplit les ordres du Seigneur ;
De sa prison sonore il arrache le glaive,
Et conduit les Français au chemin de l'honneur :
Du matin, cependant, la lumière indécise,
Parmi les peupliers caressés par la brise,
Des donjons et des tours argentaient les créneaux ;
Et, sur l'opale assise,
L'aube au tendre regard contemplait nos drapeaux
— 18b5
��Le Château de Mirambel
Castellum Lapurdense inexpugnabile esl.
�Esprits vains dont l'orgueil jamais ne veut se rendre,
Sur les sommations d'aucun héraut mortel,
Venez à Lourde, pour apprendre
Qu'il est beau de céder à la Reine du Ciel.
I
Ce cercle étincelant qui, barrant la campagne,
Vers Saint-Georges, Hyppolite et Ferragut s'épand,
Et serre en ses nœuds de serpent
Le donjon de Mirât, c'est l'ost de Charlemagne...
Qu'il faisait beau le voir, le sublime Empercu .
Vêtu comme l'éclair au sein de la tempête, (*)
Dominant de toute la tête
Son escorte de Francs et sa garde d'honneur !
En ce moment, il parle à ses comtes fidèles :
« Nous avons tout soumis au pays de Horra,
Tout, sauf le château de Mirât :
Faudra-t-il donc qu'il reste aux mains des infidèles ?
<( Partez, sommez Mirât de se faire chrétien,
— Fit-il à ses hérauts — tant de lenteur me lasse ;
Qu'il me livre aujourd'hui sa place,
Je le fais chevalier et lui rends tout son bien.
�I.E
CHATEAU
DE
MJHAMBEIJ
II
Il dit : les hérauts s'avancèrent,
Et quatre trompettes sonnèrent
Le défi le plus triomphant ;
Et leur fanfare vers la nue
S'élevait, encor soutenue
Par les notes de l'olifant.
i
Dès qu'on ouït sur la montagne
L'ultimatum de Charlemagnc,
Roi des Francs, empereur Romain,
Mirât, dédaigneux de l'aubade,
Parut debout sur l'esplanade,
Son grand cimeterre à la main.
«
«
«
((
((
((
Tout beau Yie Roi des Francs se trompe
S'il pense qu'au son de sa trompe
Croulent les tours de Mirambel.
Allez : faites-lui bien apprendre
Que Mirât ne saurait se rendre
Aux sommations d'un mortel.
((
«
«
«
«
«
L'Empereur Romain s'imagine
Me réduire par la famine
A devenir son chevalier ?
Je le guérirai de son doute :
Je veux qu'aujourd'hui même il goûte
Du poisson de mon vivier ».
�■M
LE CHATEAU DE MIIIAMBEL
III
Orgueil de Lucifer ! audace sans égale 1
On parlait d'en avoir raison,
Quand parut, sur le seuil de la tente royale,
Un géant, noir enfant de l'Afrique centrale,
Portant un monstrueux poisson.
Des poissons sur ce roc ! sans doute l'art magique
Eternise un siège si lent...
En ces lieux comme ailleurs rien ne marche et s'explique,
L'on est déconcerté, l'on craint une panique,
On dit tout bas le nom d'Aland.
Seul, l'évêque du Puy porte haut sa pensée ;
Seul il rassure Karloman,
Car il croit de son Dieu la gloire intéressée :
Dieu veut-il qu'une place en Horra soit laissée
Aux disciples de l'Alcoran ?
« Notre-Dame du Puy, Prince, nous vient en aide.
« Mirât sera chrétien », dit-il,
« Pour sa pauvre âme, au ciel, la Mère de Dieu plaide,
« Mirât, déjà soumis du fond du cœur lui cède ».
Le Roi répond : « Ainsi soit-il ! »
IV
Le chef Maure avait vu s'abattre sur ses terres,
Et planer sur son lac, et plonger dans ses eaux,
Un aigle qui saisit le poisson dans ses serres,
Et le porta vivant au faîte des créneaux.
�LE
CHATEAU DE MÍRAMBEL
Son esprit éclairé du rayon de la grâce
Eleva ses regards au céleste séjour.
Aussi, quand le prélat parut devant la place,
Le commandant, pour lui, descendit de la tour.
Et l'évêque lui dit : « Puisque ton fier courage,
Mirât, ne peut subir la loi du conquérant,
Puisque de Mirambel tu refuses l'hommage
A l'Empereur et Roi, des mortels le plus grand ;
« Ne voulant pas de maître, honore une maîtresse,
Et de ton roc altier fais hommage aujourd'hui
A la plus noble dame et plus haute princesse
Qui soit dans l'univers : Notre-Dame du Puy ;
« A la mère de Dieu, sainte Vierge Marie,
Dont le pouvoir béni s'étend au monde entier,
A Celle que pour toi depuis neuf jours je prie,
Je suis son serviteur, deviens son chevalier... »
V
« Eh bien ! je me rends à ta Reine !
•— Répond Mirât, — Qu'en souveraine
Elle règne sur tous mes biens !
Reçois pour elle mon hommage.
Rientôt je ferai davantage :
Je suivrai la loi des chrétiens.
�40
LE CHATEAU DE MIRAMBEL
(( Je lui serai vassal fidèle
Mais ne relèverai que d'elle...
D'elle, Noire-Dame du Puy.
Je stipule, encor, pour ma race
La franchise de cette place
Et des lieux dont elle est l'appui ».
L'évêque dit : « Suivant l'usage,
Ne veux-tu rien donner en gage
De l'hommage que tu lui rends ? »
Puis, se penchant sur la prairie,
Il prit un peu d'herbe fleurie
Et poursuivit : « Châtelain, prends ;
« Offie-lui du moins ce brin d'herbe ».
Mirât reprit d'un ton superbe :
(( Ah ! garde tes conseils ! merci I
Je suis le maître dans ma terre,
A ma guise je prétends faire ».
Le prélat dit : « Qu'il soit ainsi ! »
VI
L'habile ambassadeur de la Vierge sacrée
Fut reçu par le Prince franc,
Et d'un mot dissipa, sous sa tente dorée,
Les noirs soucis du conquérant .
— (( Repartez vite, allez, retournez au chef Maure,
Pieux évêque, et dites-lui :
'< Il plaît à l'empereur que ton hommage honore,
Surtout, Notre-Dame du Puy ».
�LE CHATEAU DE MIRAMBËL
L'honorable traité fut conclu le jour même.
Le sourcilleux fort se rendit.
Les neuf chœurs des Esprits, toute la cour suprême,
Au plus haut des cieux applaudit.
Les défenseurs du fort, au fer des lances mirent
Des guirlandes d'agrestes fleurs ;
Et puis, par la Guienne, en Yelay se rendirent,
Le front haut, en triomphateurs.
Ces guerriers, parvenus dans la célèbre enceinte
Où toute la France se rend,
Jonchèrent le parvis de la chapelle sainte
De fleurs, leur tribut odorant.
VII
Mirât se fit chrétien et reçut le baptême,
Quitta son premier nom, prit celui de Lorus,
Fut créé chevalier par Karloman lui-même
Suivant les héraldiques us.
Il reprit tous ses droits, ses titres, son domaine,
Par le traité conforme à son ultimatum,
Et de son nom le fort, construction romaine,
Prit le nom de Lordum.
Esprits vains dont l'orgueil jamais ne veut se rendre,
Sur les sommations d'aucun héraut mortel,
Venez à Lourde, pour apprendre
Qu'il est beau de céder à la Reine du Ciel.
- 1SU7 —
��Vicomte d'Orthe
ODE
�1
Sur un mont qui s'élève au-dessus des orages,
Où de nos longs malheurs il méditait les pages,
Le poète, appuyé contre un bloc de granit,
Etait las de forfaits, las de guerre civile,
Quand son regard tomba sur les murs d'une ville
Que le souffle des mers brunit.
Là, sous l'un des Valois, aux jours les plus critique
S'écria-t-il, un chef plein de vertus civiques
Protégea des proscrits contre un arrêt fatal.
Gloire au grand citoyen, ô ma fidèle lyre !
TOrthe était béarnais : la muse qui m'inspire
C'est l'amour du pays natal.
11
Autour de votre front quelle gloire rayonne,
Vous qui pour Charles Neuf commandez dans Bayon
Le Louvre a donc transmis des ordres inhumains I
Ah ! ne prenez conseil que de votre courage,
Que vous fait Médecis ? Devez-vous à sa rage
Le glaive qu'honorent vos mains ?
�LE VICOMTE D'ORTHE
25l
Pour servir les fureurs de l'infâme princesse,
Que d'indignes guerriers, révélant leur bassesse,
Se changent en bourreaux au mépris de leur rang ;
Qu'aux remparts de Paris un séide farouche
Le poignard à la main, l'ironie à la bouche,
Se baigne dans des flots de sang !
L'exemple, grâce au ciel, ne peut rien sur votre âme :
Qu'une cour corrompue ou vous loue ou vous blâme,
Commandant, vous suivez la ligne du devoir.
Votre bras est acquis aux causes légitimes ;
Mais vous ne sauriez pas immoler des victimes
Aux vains caprices du pouvoir.
— « Charles, qu'ordonnes-tu ? Le parti calviniste
Dormait près de ton trône... Ah ! faut-il qu'il existe
Chez des Français soumis à votre sainte loi
Moins de grands sentiments, moins d'honneur, d'hé[roïsme
Que parmi les guerriers fauteurs du nouveau schisme,
Déserteurs de l'antique foi ?
« Ils croyaient aux serments. Leur probité trompée
Pour le crime jamais n'aurait tiré l'épée ;
Cependant, la plupart, grand Dieu, sont massacrés !
Généreux Coligny, comment pourriez-vous croire
Qu'un roi poussât si loin le mépris de sa gloire,
Et l'oubli des serments sacrés !
�LE VICOMTE n'ORTHE
« Quand la mort dans son vol embrasse les provinces,
A-t-elle respecté les têtes des deux princes ?
Ciel ! préserve du fer deux tiges de héros.
Le prince de Béarn est un héros lui-même.
Ah ! puisse-t-il un jour ceindre le diadème !
Eloigne de lui les bourreaux ».
Tels que le feu central qui féconde la plaine,
Ces pensers fermentaient au sein d'une âme humaine,
Le commandant tremblait pour les jours de Henri ;
Car, bien qu'il se trouvât au service de France,
D'Orthe aimait à tourner ses regards d'espérance
Vers les champs qui l'avaient nourri.
C'était un des enfants de cette franche terre
Qui jamais ne subit le joug de l'Angleterre,
Quand l'Anglais en vainqueur s'étendait en tout lieu :
Un jour le Prince Noir en réclamait l'hommage,
Mais Gaston répondit, plein d'un noble courage :
« Nous ne dépendons que de Dieu ».
Plus tard, lorsque l'enfer, déchaînant l'anarchie,
Aura brisé des Francs l'antique monarchie,
Que l'ordre aura croulé sous un pouvoir fatal,
A l'honneur béarnais nos députés fidèles (*)
Déroberont leurs fronts aux taches éternelles
Qu'imprimera le sang royal.
�LE VICOMTE p'oRTHE
253
III
L'aigle qui vit le jour sur une haute cime
Se sent tout disposé pour un essor sublime :
Aux montagnes de l'air il monte sans efforts.
0 loyal commandant, toi que l'honneur enflamme,
C'est ainsi qu'aujourd'hui tu vas montrer une âme
Digne du berceau d'où tu sors.
Déjà sur le glacis la garnison s'assemble ;
Au-dessous des remparts le sol s'émeut et tremble ;
L'Océan courroucé soulève au loin ses flots ;
Sillonné par l'éclair le ciel brumeux s'entr'ouvre ;
D'Orlhe lit cependant l'ordre émané du Louvre,
Et puis il poursuit en ces mots :
« Vous avez entendu ce que la cour ordonne.
On a trompé Valois ; l'honneur de sa couronne,
Son intérêt sacré nous défend d'obéir.
Le devoir quelquefois est dans la résistance :
Prostituer aux rois sa lâche obéissance,
0 mes amis, c'est les trahir.
« Ah ! portons-nous le fer pour cet indigne usage ?
Quoi ! nos bras réservés au plus affreux carnage
Seraient rougis du sang d'un peuple désarmé !
Nous ,de vils meurtriers !... C'est en vain qu'on l'espère:
Je vous ai vus rougir de honte et de colère,
Braves soldats que je formai,
�254
LE VICOMTE D 0RTIIE
(( Un refus, je le sais, peut exposer ma tète,
Mais dût à l'insant même éclater la tempête,
On ne me verrait pas lâchement transiger,
Et par l'assassinat deshonorer ces armes
Que j'illustrai peut-être au milieu des alarmes ;
IN on, je braverai le danger ».
IV
D'Orthe écrivit au Roi : « Sire, vos gens de guerre
Se montrent aujourd'hui ce qu'ils étaient naguère
Prêts à tirer pour vous le glaive du fourreau :
Je vois de toutes parts, dans cette citadelle,
D'intrépides soldats, pleins d'honneur et de zèle,
Mais je n'y vois pas un bourreau.
« Contre vos ennemis faites-nous marcher, Sire !
En sujets dévoués nous saurons nous conduire,
Heureux de soutenir vos droits, votre grandeur,
Que votre Majesté soit dignement servie !
Prince, prenez nos biens, nos bras et notre vie ;
Prenez... mais laissez-nous l'honneur ».
Vicomte, accomplissez votre tâche sublime,
A force de vertu faites rougir le crime...
Mais soit qu'il rende hommage à votre loyauté,
Soit qu'il ose blâmer votre belle conduite,
N'importe, poursuivez : vous serez dans la suite
L'idole de l'humanité.
�2
LE VICOMTE D'ORTIIË
Courriers, volez au Louvre, apportez la réponse...
Parmi les noms fameux que tout Français prononce
D'Orthe, je vois inscrit votre héroïque nom.
De l'éclat le plus pur resplendit votre gloire,
0 vous qui d'une page embellissez l'histoire
Et nous léguez une leçon...
Un enfant du Béarn, au haut des Pyrénées,
En remontant ainsi le fleuve des années.
Traduisait dans ses chants de généreux transports :
Les roulements lointains des cascades, des gaves,
Et l'orgue des forêts aux tons mâles et graves
Se mariaient à ses accords.
Son chant national roulait dans la montagne
Comme un noble défi de la France à l'Espagne,
Bépété mille fois par les échos surpris ;
Les rochers, les forêts tressaillaient d'allégresse,
Et l'ange du Béarn, partageant son ivresse
L'encourageait d'un fier souris !
— 1857
��Les Deux Berceaux
Parallèle d'Henri IV et de Charles-Jean
Une Nuit d'Été à Pau — Le Palais et la Maison
La Trompette et la Harpe.
II
Au Berceau d'Henri — A celui de Charles-Jean
L'Archange du Tonnerre — Une Comète Inconnue
Coutras, Arques, Iury — L'Elster et le Rhin
Le Traité de Veroins — Réunion de la Norvoège à la Suède
Générosité de Bourbon — Clémence de Bernadotte
Les Statues de ces Héros.
�I
Oh ! la nuit était belle et tiède et parfumée,
Sous ses voiles d'azur, éclatants de saphirs !
Pau, du monde élégant la cité bien-aimée,
Reposait aux doux bruits du Gave et des zéphirs ;
L'ombre régnait encore aux flancs de la colline ;
La lune se leva ; le château des Gastons,
Comme un haut casque d'héroïne,
Tout à coup resplendit, couronné de rayons.
Quel magnifique aspect ! on eût dit, à cette heure,
Qu'un céleste architecte, en ces lieux enchantés,
Pour léguer au Béarn une auguste demeure,
Eût élevé ces tours et ces toits argentés !
Et, parmi d'humbles sœurs, sous l'étoile polaire,
Une fière maison se distinguait encor,
Comme l'on voit, dans un rosaire,
Entre vingt grains de jais, scintiller un grain d'or.
Mais, ô transports sacrés dont la muse est avare !
N'entcnds-je pas l'accent de l'airain belliqueux ?
Puis, quand se tait l'airain, entre chaque fanfare,
La harpe d'Ossian aux tons majestueux ?...
Dans ce mâle concert, que j'aime à reconnaître
Deux voix qui, sur ces bords, ne savent que bénir,
Et de deux rois quHls virent naître
Rappellent, tour à tour, l'immortel souvenir.
�LES
DEUX
BEECEAUX
2
II
LA FRANCE
Monument de la Renaissance
0 Vieux palais ! plus vieille tour,
Témoin d'une antique puissance
Que tu vis passer sans retour !
Pour la plus haute destinée,
Dans votre enceinte fortunée,
Naquit le modèle des rois,
Le seul dont le nom populaire
Quelquefois brise la colère
Des contempteurs de tous leurs droits !
LA
SUÈDE
Salut, à toi, cité, de ces bords souveraine,
0 précieux fleuron du bandeau de Pyrène !
Ainsi qu'au temps passé, féconde au temps nouveau
Tu mis au jour un fils, mon idole naguère,
Et tu cachas, modeste mère,
L'un de mes plus grands rois dans un petit berceau.
LA FRANCE
Tel que l'archange du tonnerre,
Porté sur l'aile de l'éclair,
Ebranle les cieux et la terre
Et rend ainsi le calme à l'air :
Tel, foudroyant l'hydre infernale,
A mes provinces si fatale,
Parut l'héritier des Valois.
Tel vainqueur des guerres civiles,
Il sut ramener dans mes villes
La paix et le règne des lois.
�2Ô0
LES DEUX BERCEAUX
LA
SUÈDE
Parfois une comète, (*) astre inconnu, se lève,
Menaçant les mortels de la fureur du glaive,
Et puis leur verse à flots un nectar généreux.
C'est ainsi qu'un guerrier, grandi dans les alarmes,
Brillant de l'éclat de ses armes,
Au trône de Wasa fit deux peuples heureux.
LA FRANCE
Dieu, quelle formidable ligue
En face du roi conquérant !
Mais que peut la plus forte digue
Qu'on oppose aux bords d'un torrent ?
En vain Joyeuse, en vain d'Aumale
Que nul de son parti n'égale,
Prétendent arrêter Henri ;
Henri poursuit ses destinées,
Toujours vainqueur dans les journées
De Coutras, d'Arqués et d'Ivry.
LA
SUÈDE
Aux rives de l'Elster, les peuples d'Allemagne
Egalent aux exploits du nouveau Charlemagne (")
Les exploits dont leurs yeux sont encore éblouis,
Le Bhin, trois fois dompté, honteux d'un triple outrage,
Murmure et confond dans sa rage
Ces noms fameux : César ! Bcrnadottc ! Louis 1
�LES
DEUX BERCEAUX
261
LA FRANCE
L'Ibère, au sein de mes provinces
Faites par leurs divisions,
Prétendait m'imposer ses princes
Et m'effacer des nations ;
Mais dès qu'il vit dans la balance
Le glaive sauveur de la France,
Aux conférences de Vervins,
Il repassa les Pyrénées
Avec ses bandes consternées,
Et ses beaux projets furent vains.
LA
SUÈDE
Le czar me déniait la Finlande usurpée,
Quand mon prince royal, la main sur son épée :
« Empereurs, rois, dit-il, considérez ce fer...
« Ce fer vous fait pâlir !... Eh bien ! qu'il vous protège,
« Mais qu'on nous cède la Norwège ! »
Et je n'eus plus dès lors de bornes que la mer.
LA FRANCE
Nourrir dans ses propres murailles
Un peuple qu'il faut assiéger,
S'opposer à ses funérailles,
Quand le ciel semble nous venger,
D'une âme grande et magnanime
C'est la vertu la plus sublime,
C'est l'effort le plus généreux :
Cette belle page à l'histoire
Manquait avant Bourbon... Sa gloire
Eclipse le temps fabuleux.
�262
LÉS
DEUX BERCEAUX
LA
SUÈDE
Puisque dans Rome antique un seul trait de clémence
Put faire au nom d'Auguste une auréole immense,
Ah ! dçnnez une place à part, au premier rang,
Au héros qui, vingt fois menacé dans sa vie,
Finit par désarmer l'envie
Sans me jamais coûter une goutte de sang.
LA FRANCE
Partout avec reconnaissance
Je vois l'art me rendre les rois
Qui surent fonder ma puissance,
Ou l'agrandir par leurs exploits :
Ici ma joie est ineffable ;
Béarnais invincible, aimable,
0 toi, ma gloire et mon bonheur,
A l'aspect de ton blanc panache,
Emblème d'un renom sans tache,
Toujours au chemin de l'honneur !
LA
SUÈDE
Mais d'où vient qu'en ces murs je cherche en vain
D'un autre Béarnais si digne de l'hommage
[l'image
Que réclame son nom dans le pays natal ?
Quand verrais-je l'élu d'une race guerrière,
Au bout d'une illustre carrière,
Saluer son berceau de son haut piédestal !
�LËS DEUX BËKCEAUX
2 63
III
ENVOI
Ainsi chantaient la France et la Scandinavie,
Et deux concerts rivaux résonnaient dans les airs.
Pays dont les forêts sont l'abri de ma vie,
Tressaille en ton orgueil au bruit de ces concerts.
Comme un fidèle écho, seul je peux te les rendre :
Tout dormait dans ton sein lorsque pour les comprendre,
Seul je prêtai l'oreille à ces nobles accents.
A moi donc de te les apprendre,
Pour te faire, ô Béarn, sentir comme je sens.
��Deux Sonnets à la Vierge
�au Pic du Midi
Mulier amicla sole.
Non, rien n'effacera de mon àme ravie
Le pic qui souriait à mon riant berceau,
Son aspect m'égaya sur le seuil de la vie :
Je veux qu'il me console aux portes du tombeau.
Pourrais-jc l'oublier ? Le doux nom de Marie
M'attache à ce sommet par un lien nouveau,
Du trône de Pyrène, ô ma Mère chérie,
Pour m'élever vers toi, j'ai fait mon escabeau.
Mon Angélus montait au-dessus de l'abîme...
Et j'étais, moi, chélif, sur l'orgueilleuse cime,
Moindre qu'un passereau sur un clocher géant,
Quand le soleil, ton voile, exalta ma prière :
Pour échelle, ajoulai-je, octroie à mon néant.
Un de ces rayons d'or à mon heure dernière.
— 1857 —
�dans la Grotte des Eaux - Chaudes
A
mon fils
GUILLAUME
Ora pro nobis,
Sancta Dei Genitrix,
JVunc et in hora morlis nostrcc.
Amen.
La nature en ces lieux, pleure, morne et voilée.
Une profonde nuit l'environne en plein jour,
C'est l'heure où l'Angélus monte de la vallée :
Mais la voix du torrent couvre l'hymne d'amour.
Oh ! n'importe, prions... L'horreur s'est envolée,
Nos flambeaux de la grotte éclairent le contour...
Quoi ! le décorateur de la voûte étoilée
De saints, d'anges de marbre a peuplé ce séjour !
Ainsi, lorsque la mort, nous couvrant de son aile,
Viendra nous menacer d'une nuit éternelle,
Recourons à Marie : elle priera pour nous.
Et nous serons heureux, ô mon petit Guillaume,
Transportés dans les cieux, encore à deux genoux,
D'y voir ce que jamais n'ont vu les yeux de l'homme.
— Î85S —
��NOTES
L'ESTATUE D'HENRIC IV. — Œuvre du sculpteur Ruiggi, inaugurée à Pau, sur la Place Royale, en 1843.
(**) Les Etats du Béarn avaient demandé la statue du bon roi,
on leur envoya celle de Louis XIV, trop insuffisante iiclie de
consolation ! Le pays a toujours désiré l'image de son Henri.
Enfin le Chef de l'Etat comble ce vœu. Les Béarnais se sont pas
ingrats : toutes les opinions à l'heure qu'il est se confondent
en une juste reconnaissance.
(Note de l'Auteur).
CANT BIARNÉS. — (*) Prix des Jeux floraux.
(**) La statue de Riquet fut inaugurée à cette époque à Béziers.
(***) Allusion au blason de Riquet qui porte une bourse et
une oie avec la devise Monnaie fait tout.
LA MOURT DE ROLAND. — (*) Le pic des Trois-Sœurs, montagne
de la Chaîne des Pyrénées.
Lou TRIBUT DE LA SENT-MIQTJÈU.— (*) Le sol morlan ou Morlàas
valait environ trois francs de notre monnaie.
— Voir, à propos de cette légende, l'Histoire de Béarn, de
Marca (p. 348).
Lou BALOU DE L'OUSSE. — (*) Il convient de relever ici une
erreur de traduction des franchimans : la commune de Poeyferrié est dénommée par tout le monde, en gascon, Poey-arrè,
monticule au nord, par rapport au fort de Lourdes pris comme
centre, car le nord, en gascon est désigné par arrè ou darrè
(derrière), tandis que le sud est daban ou dauan (devant). Nos
modernes traducteurs, ignorant sans doute le gascon, ont
traduit par Poey-ferrié, ce qui n'a aucune signification, ni
raison d'être.
Page 88-89. — Totleben (François-Edouard, comte) général
russe, né à Mittau (Courlande) 1818-1884. Il se fit connaître au
�270
NOTES
siège de Sébasfopol, dont il dirigea la défense avec un talent
qui le fit considérer comme un des premiers ingénieurs militaires de l'Europe.
(**) La fontaine a été, depuis, modifiée et, aujourd'hui, la
statue de Barbanègre, par Marqueste, se dresse sur la place.
Lous CANOUNYES DE SARRANSE. — (*) Pouquets, (petits), sobriquet des habitants de la vallée d'Aspe.
(**) Probablement Gaston de Foix, baron de Coarraze qui,
ayant pris parti pour le vicomte de Narbonne contre Catherine
et ,Tean d'Albret fut châtié.
(***) Chicou, sobriquet donné aux espagnols.
(****) Pierre de Bastide, chapelain de N.-D. de Bètharram, né
au lieu de Tauzian, dans le diocèse d'Auch, il mourut vers
l'année 16G3. Il ne nous reste presque aucun détail de ce chapelain : tout ce que l'histoire ajoute, — mais ce peu de paroles
valent un long panégyrique, — c'est qu'il jouit constamment de
la plus grande réputation par ses talents et par la sainteté
de sa vie.
Il est l'auteur d'un ouvrage intitulé : « Carmen topographicum
et historicum de Virgine Deipara, quce Betharami in Benearnia
colitur », imprimé en 1667, mais composé dès l'année 1658.
Dans ce remarquable poème en vers hexamètres et divisé en
128 strophes de dix vers chacune, il y a quatre parties ou P. de
Bastide traite successivement de l'origine et des accroissements
de la dévotion, de la description du lieu, des miracles opérés à
Bètharram, et, enfin, des occupations des prêtres de la chapelle
et des pèlerins. Ce cadre indique assez que l'on y trouve des
détails du plus grand intérêt.
NOUSTE-DAME DE BUGLOSE. — (*) La Vierge du Pilar éblouit par
sa richesse ; celle de Médous était célèbre par sa beauté plastique. Quant à Notre-Dame de Buglose, elle porte un cachet
inimitable : c'est une éternelle jeunesse, une bonté ineffable,
un heureux mélange de grâce et de majesté.
La dévotion du Pilar est trop fameuse en Espagne, celle de
Buglose est trop fréquentée par nos populations du Midi, pour
qu'il soit nécessaire d'en dire plus long ; mais le monastère de
Médous n'existe plus, et la statue qui en faisait le principal
ornement ne' serait aujourd'hui connue que de quelques amis
des arts, si d'éminents écrivains ne l'avaient sauvée de l'oubli.
« A l'entrée de la vallée de Campan, près de Bagnères-deBigorre, — dit M. de Lagrèze, — s'élevait jadis un monastère
renommé par une sainte image de la Vierge, Notre-Dame de
Médous, Sancta Maria de mette dulci. Le couvent jadis habits
par des Capucins est détruit ; la statue existe encore ; sauvée
pendant la Révolution par la piété populaire, elle orne aujour-
�NOTES
27I
d'hui le maître-autel de l'église d'Asté ». — (Les Pèlerinages des
Pyrénées, page 187, par Gustave Bascle de Lagrèze).
« Cette statue, apportée, dit-on, d'Italie, présente des qualités
de premier ordre et porte le cachet des maîtres italiens du
xviie siècle. La. divine pureté de la tête de la Vierge, la majesté
de sa tenue, l'ampleur des draperies indiquent un ciseau qui
savait s'inspirer des dessins de Raphaël. Au milieu du profond
dénuement de nos provinces pyrénéennes à l'endroit des œuvres artistiques de la Renaissance, on est heureux de retrouver
dans l'église d'un village, un marbre qui ne serait pas indigne
de figurer dans une des belles basiliques de Rome ». — (Voyage
archéologique et historique de l'ancien comté de Bigorre,
page 100, par M. Cénac-Moncaut).
Celui qui a présenté Nouste-Dame de Buglose au dernier
concours de poésie néo-romane, ouvert à Béziers, a vu depuis
peu de temps les trois madones dont il parle dans sa pièce :
il peut donc les comparer, sans courir risque de confondre ses
impressions et ses souvenirs.
(Noie de l'Auteur).
(") Toute notre légende est peinte sur les verrières de la
chapelle. Deux vitraux représentent aussi ses plus illustres visiteurs, une reine d'Espagne et Saint Vincent de Paul. On passe
devant la brillante princesse ; on s'arrête devant l'humble prêtre. Qui n'aimerait à le voir prier avec toute la ferveur d'un
saint, dans le sanctuaire où la Reine du Clergé lui fit connaître
sans doute, dès ses plus jeunes années, sa sublime vocation ?
Ce sanctuaire est situé sur le territoire de l'ancienne paroisse
de Poey, aujourd'hui commune de Saint-Vincent. C'est dans ce
village que naquit, en 1576, Saint Vincent de Paul, l'une des
plus belles gloires de la France.
(Note de l'Auteur).
TRADUCTION D'UN JOLI CANTIQUE. — Voici la lettre insérée en tête
de l'opuscule qui fut imprimé dès l'apparition du cantique :
« Nous Evêque de Tarbe-s,
«
«
«
«
« autorisons volontiers, par ces présentes, l'impression d'un
manuscrit béarnais et français sur Notre-Dame de Lourdes,
que nous a présenté M. Vincent de Bataille-Furé. Cette
poésie pleine de piété et de grâce, sera lue avec bonheur par
les serviteurs de Marie et les personnes de bon goût.
« Tarbes, le 25 Juin 1867.
4
LES ENFANTS DE MONCADE.
relate ce fait.
B. S. Ev. de Tarbes. »
— (*) Le préambule des Fors de Béarn
�272
NOTES
LE VICOMTE D'ORTHE. — Aspremont (d'), vicomte d'Orthe, gouverneur de Bayonne sous Charles IX, à l'époque de la SaintBarthelémy, fut un des hommes courageux et vraiment fidèles
qui osèrent désobéir aux ordres de la cour, lorsqu'ils n'auraient
pu la servir que par des assassinats. « J'ai trouvé, écrivait-il
au prince, parmi les habitants et les gens de guerre, des hommes dévoués à Votre Majesté, mais pas un bourreau. Ainsi, eux
et moi nous vous supplions de n'employer nos bras et nos vies
qu'en choses possibles, quelque hasardeuses qu'elles soient ».
— (Dict. Michaud).
LE DEUIL. — Voici l'inscription que Vincent de Bataille a fait
graver sur le tombeau de son père :
CI-GIT
JEAN
DE
BATAILLE-FURÈ
NÉ LE 23 JUILLET 1757
MORT
LE
6
MAI
1835.
IL
MAIRE DE PONTACQ
EN DES TEMPS DIFFICILES
SE MONTRA ZÉLÉ ET PRUDENT,
IL
FUT
BON
IL
HOMME
DE
ÉPOUX, BON
AMI SUR.
BIEN,
PÈRE,
IL AIDA LES PAUVRES,
ENVISAGEA LA MORT AVEC
TRANQUILITÉ,
SOUTENU PAR UNE FERME ESPÉRANCE
ET UNE GRANDE CONFIANCE
EN DIEU.
— Charlemagnc portait une casaque écarîate.
Horra ou Orra, capitale de la Bigorre sous Rome.
Mirât, seigneur de Mirambel.
Edouard, prince de Galles, surnommé le Prince Noir.
LOURDES.
VISION DE CHARLES MARTEL. — (*) La Foi, l'Espérance et la
Charité ; la Prudence, la Force, la Justice et la Tempérance :
sept vertus surnaturelles, révélées au monde par le Christianisme.
(") Alger. La prophétie de Bossuet s'est accomplie de nos
jours.
(**") Monseigneur Dupuch. Puisse l'illustr'e pfrélat agréer
l'expression, quoique trop faible, de l'hommage si légitimement
dû à ses vertus évangéliques !
�NOTES
(****) Cette malheureuse princesse, plus connue sous le nom
de la belle Lampagie, lut envoyée dans le sérail du calife de
Damas.
(""**) Qui n'a d'abord nommé Descartes, Racine et l'Aigle de
Meaux ?
(Notes de l'Auteur).
LES DEUX BERCEAUX. — (*) La fameuse comète de 1556, coïncida avec une récolte de vin d'une qualité remarquable. On sait
qu'après l'apparition de la petite comète de 1811, le vin fut
aussi d'une qualité remarquable.
(**) Napoléon 1er.
�ERRATA
>*<Pages
— 48, ligne 3, lire expié au lieu de espié.
— 62, ligne 7, lire chaînes au lieu de chaînes.
— 67, vers 2, lire quilal au lieu de quilém.
— 8t, vers 7, lire quin hal au lieu de quin ai.
— 91, lire :
Y que-s desmoumbrèn lèu lous embirous de Pau.
au lieu de :
Y que-s desmroumbèn lous embirous de Pau.
— 108, ligne 8, lire haches, au lieu de haches.
— 119, vers 7, lire :
Bien segu, coum souldal, b'eisecula lous ourdis.
au lieu de :
Bien segu, coum souldat, b'elseculabe, etc.
— J2i, mettre une virgule à la fin du 2e vers au lieu
d'un point.
— 127, vers 10, lire canoùnyes au lieu de councùnyes.
— 129, vers t3, lire :
Ou per ets arrounçats, etc.
au lieu de :
Oun per els arrounçals, etc.
— i85, vers 17, lire voûie au lieu de voule.
— 220, vers 10, lire voûie au lieu de route.
— 242, vers
9, lire "Empereur au lieu de Empereu.
■— 254, vers
2, lire inslanl au lieu de insant.
�TABLE DES MATIÈRES
Avant-Propos.
Préface.
POÉSIES BÉARNAISES
LA CAPÈRE
DE BÈTHARRAM
L'ESTATUE
D'HENRIC
CANT
15
BIARNÉS
LA MOURT DE
Lou
5
IV
TRIBUT
23
ROLAND
35
DE LA SENT-MIQUF.U
L'ADOURACIOU
DÉUS
47
PASTOUS
59
FURÈ
71
Lou BALOU DE L'OUSSE
Lous CANOUNYES DE SARRANSE
103
NOUSTE DAME DE BUGLOSE
137
TRADUCCIOU
D'U
AUTES
Y OUEY
COPS
83
BEROY CANTIQUE
153
165
POÉSIES FRANÇAISES
LE DIABLE ET LE CROISÉ
181
LE
DEUIL
193
LA
CHASSE
LES
D'HIVER
ENFANTS
VISION
DE
CHÂTEAU
LE
VICOMTE
DEUX
211
MONCADE
CHARLES
LE
LES
DE
217
MARTEL
231
DE MIRAMBEL
241
D'ORTHE
249
BERCEAUX
257
DEUX SONNETS A LA VIERGE
NOTES.
265
:
-
.
�Aquéste Lîbe
Qu'ey estât acabat d'emprima
per
G.
LESCHER-MOUTOUÉ
de Pau
Lou permè de Septéme
1911
���»
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Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Patrimoine écrit occitan:imprimés
Description
An account of the resource
Ce set contient les imprimés numérisés par le CIRDÒC issus des collections des partenaires d'Occitanica
Libre
Item type spécifique au CIRDÒC : à privilégier
Région Administrative
Languedoc-Roussillon
Variante Idiomatique
Gascon
Aire Culturelle
Béarn
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Oeuvres choisies : poésies béarnaises et françaises / Vincent de Bataille ; recueillies et publiées par M. le Chanoine Quidarré
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
Oeuvres choisies de Vincent Bataille, sélectionnées par le Chanoine Quidarré
Subject
The topic of the resource
Poésie béarnaise
Description
An account of the resource
<p>Ce n'est seulement que quarante ans après sa mort que le chanoine Raymond Quidarré rend hommage à Vincent de Bataille-Furé (1799-1872) en publiant une partie de ses œuvres, notamment celles qui ont été couronnées aux "Jeux floraux de Toulouse" ainsi que celles primées par la Société archéologique, scientifique et littéraire de Béziers.</p>
<p> Comme le disait Lamartine : "la poésie n'était pas mon métier, c'était un accident, une aventure heureuse, une bonne fortune dans ma vie...". Vincent Bataille est devenu poète sans trop s'en douter. La poésie était pour lui le "papier journal de ses impressions" et la confidente de ses rêves. </p>
<p>Impressionnable et sensible, deux qualités qui selon lui font de bons poètes, il puise dans trois principales sources d'information : sa famille, le Béarn et la religion.</p>
<p> Quidarré, auteur de la préface, qualifie l'œuvre de naturelle et sensible. Pour étayer son argumentation, il cite Pascal (<em>Les Pensées</em>).</p>
<table width="548" cellspacing="0" cellpadding="2" border="0" bgcolor="#e6e2af"><colgroup><col width="544" /> </colgroup>
<tbody>
<tr>
<td width="544">
<p>"Quand on voit le style naturel, on est tout étonné et ravi, car on s'attendait de voir un auteur et on trouve un homme"</p>
</td>
</tr>
</tbody>
</table>
<p> Ce volume réunit des poésies variées permettant au lecteur de se faire une juste idée de l'écrivain et du poète que fut Vincent Bataille. </p>
Ce volume réunit des poésies variées permettant au lecteur de se faire une juste idée de l'écrivain et du poète que fut Vincent Bataille.
Appartient à l'ensemble documentaire : PrnS001
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Bataille, Vincent de (1799-1872)
Source
A related resource from which the described resource is derived
Mediatèca occitana, CIRDOC-Béziers, CAC 2141
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Édition de "La bouts de la Terre" (Pau)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1911
Contributor
An entity responsible for making contributions to the resource
Quidarré, R, ed. scientifique
Rights
Information about rights held in and over the resource
Domaine public
License
A legal document giving official permission to do something with the resource.
Licence ouverte
Relation
A related resource
vignette : http://www.occitanica.eu/omeka/files/square_thumbnails/ae7dbb55566131318a5e37a2dc1ff8e9.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol. (lxi, 273 f.) ; 22 cm
Language
A language of the resource
fre
oci
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://occitanica.eu/items/show/650
FRB340325101_CAC-2141
Spatial Coverage
Spatial characteristics of the resource.
Béarn (France ; sud)
Temporal Coverage
Temporal characteristics of the resource.
19..
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Poésie occitane
Vincent de Bataille-Furé