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Sujet : Théâtre (genre littéraire) occitan -- 20e siècle
Portail : Enciclopèdia
Tipe : Òbra
Les textes ci-dessous, écrits par Claude Alranq, sont tirés de la publication de La Pastorale de Fos (Paris : P.J. Oswald, 1975).

L'histoire de La Pastorale de Fos

À Pamparigouste - que la légende méridionale livre comme le pays du monde à l'envers - les personnages les plus caractéristiques de la mémoire populaire proven­çale se sont donnés rendez-vous.
La pastorale y convie ses gardians de Camargue, ses bergers de la Crau et les pêcheurs de la « Venise Pro­vençale » ; le théâtre marseillais y convoque son Chi­chois ; l'histoire régionale y délègue un Nostradamus mythique, la Fête-Dieu d'Aix, ses « La Badache » et « La Besoche »... Mais, cette fois, ce ne sera pas pour la galéjade, car il y est question de vie ou de mort. Le droit de vivre occitan va-t-iI supporter la sauvage et brutale réappari­tion de la Tarasque ? Ce coup-ci le monstre n'est plus de crocs et d'écailles. Il est manipulé par la « Confrérie des Entarasqués », une sorte d'inquisition de triste mé­moire dans l'âme méridionale.
Pamparigouste pollué, exproprié, embétonné, vidé de sa personnalité culturelle voit parallèlement arriver dans son « terraire » un peuple en bleu de travail, sans pays : les boumians de l'âge moderne. Les deux peuples s'épient. La crise sévit. Les entarasqués poussent à l'affrontement.
Mireille, la pamparigoustienne, rencontre « Boumian », « l'estrangier »...
Une pastorale nouvelle pousse dans les bourgeons de l'actualité, faisant éclater les masques de la duperie et retrouvant dans le dépassement de la classique pas­torale religieuse, la promesse de sa continuité et la flamme carnavalesque et païenne de ses origines.

Une présentation  

Cette pièce a été créée après quatre mois d'enquêtes et d'animations sur la région de Fos-Etang de Berre, en col­laboration avec les centres culturels de Martigues et Arles. C'est une peinture de l'industrialisation qui s'empara de cette zone de 1970 à 1973 et ses conséquences actuelles sur la population locale.
Cette région est marquée par de fortes traditions culturelles. La Crau, le pays d'Arles, la Camargue sont le berceau de la culture provençale. Tout autour, des formes de jeu plus carnavalesques, suscitées directement par la fête méridionale ( « Fêtes Dieu » de Aix et de Salon; « Théâtre Marseillais », etc.) imprime à cet héritage un caractère très populaire. Des coutumes antérieures au christianisme et à la romanisation (la tarasque par exem­ple) continuent à réveiller des manifestations folkloriques plus profondes qu'un simple asservissement régional au goût touristique.
C'est également dans cette région que les « mouvements nationalitaires provençaux » - du nationalisme français et provincialiste du Martégal Maurras au fédéralisme d'un Mistral, de « l'escola felibrenca » conservatrice et passéiste au félibrige rouge d'un autre Martégal Hughes - ont vu naître leurs principaux dirigeants.
Dans cette flore culturelle complexe, toujours très imprégnée par l'idéologie régionaliste des « petits et moyens producteurs » locaux s'opère donc une industrialisation et une urbanisation soudaines que les gouvernants présen­taient comme un modèle international de technicité et d'en­vironnement.
De fait allions-nous assister à une assimilation de ces phénomènes, ou à un nouvel exemple d'impérialisme éco­nomique, culturel, voire politique ?
La pièce apporte la réponse livrée par une enquête sur le terrain, en tout lieu et tout milieu. Certes, elle ne prétend pas être exhaustive mais elle est le reflet théâ­tralisé de cette réalité à un moment donné.
Pourtant, sur le plan formel, elle n'est aucunement le décalcage pointilleux et réaliste de l'actualité. Si la pièce s'en tient scrupuleusement aux lois et aux significations du phénomène évoqué, elle laisse néanmoins emporter son propos par une théâtralisation qui puise abondamment dans l'univers baroque des références locales.
Les jeux, les situations, les personnages sont très liés au patrimoine. Ainsi la forme culturelle choisie est l'an­cienne mais très populaire pastorale provençale. Ce genre littéraire cherchait à travers la fable de Marie, de Joseph et de la naissance du Christ à peindre une fresque de la vie provençale. Nous adaptons et revenons aux sources en ramenant la fable liturgique à hauteur d'homme: l'aventure d'une fille du pays avec un ouvrier étranger à la région sert d'alibi pour évoquer la chronique d'un certain aménagement. Ce qui naîtra ne sera pas fils de Dieu mais l'enfant menacé des hommes à un moment crucial de leur émancipation.
Le propos de cette pastorale moderne est donc essen­tiellement profane. Il l'est même jusqu'à la démentielle quotidienneté de sa crèche électronique, transposant le mystère de la nativité dans l'horizon parqué des cités de béton. C'est pourquoi il peut renouveler la classique pas­torale religieuse, car en retrouvant la dimension populaire et ses problèmes sociaux il se retrempe dans les jeux théâ­traux qui ont présidé à ses origines mais que les répressions d'Église et d'État ont expurgés comme suppôts de l'enfer.
1609: le concile de Narbonne défend de représenter dans les églises, la nuit de Noël, les prophéties et les ber­gers, d'y faire voler des pigeons, etc.
1677 : édit de Louis XIV interdisant les compagnies théâtrales des « confrères de la passion »
1725: le concile d'Avignon prohibe définitivement les Noëls pour leurs « vains bavardages et jeux de mots mal­sonnants».
Cette tentative théâtrale est donc à la fois une reconquête du patrimoine occitan et une marche en avant dans l'actua­lité.
Un certain folklore a cristallisé « l'âge d'or » de la pas­torale sous forme de santons. Ces icônes sociaux ne révèlent plus de miracles autres que ceux du commerce et du passé, mais ils font partie de l'imagerie provençale et populaire. C'est une raison suffisante pour leur redonner vie. Nous l'avons fait en les plongeant dans l'idéologie actuelle des couches régionales qui assurent leur continuité historique, et nous avons voulu les faire sursauter « jusqu'au sub­conscient » en les confrontant au retour de la tarasque à visage d'industrie et de béton.
Entre les dents de la Tarasque, préfèreront-ils vendre leur patrimoine pour se trouver une place au soleil dans un pays où ce soleil ne sera plus car ils l'auront eux-mêmes mis à l'encan ?
Entre les dents de la Tarasque préfèreront-ils lutter en brandissant leur droit de vivre jusqu'à la haine de tout ce qui leur est étranger (et peut-être jusqu'à finir sous le même drapeau que ceux qui leur ont volé celui de la Provence) ?
Entre les dents de la Tarasque, choisiront-ils de lutter en brandissant leur droit de vivre avec les Boumians, ces parias méprisés de la pastorale de jadis, ces ouvriers craints de la pastorale d'aujourd'hui ?
Et la Tarasque est-elle mauvaise en soi ?
Ce sont là questions d'avenir et en Provence quelle céré­monie est-elle plus significative de l'engagement sur le futur que la millénaire tradition du « cacha-fuàc » !
Pour le solstice d'hiver (Noël), l'ancien (le vieux jour, celui qui meurt) portait la bûche au feu avec le benjamin (le jour nouveau, celui qui naît et se développe), renouve­lant ainsi clarté et saisons et resserrant dans le mystère du moment les liens de la communauté familiale.
Sous la pression de l'histoire, le « cacha-fuàc » conserve le pouvoir sacré de faire sourdre la lumière d'où jaillira le printemps, mais scellera-t-il dans la sève montante une « communauté de sang » oubliant parjures et concussions de certains de ses enfants ou scellera-t-il une nouvelle communauté, celle de lutte, qui n'oublie pas, juge et frappe ?

La méthode de travail du Teatre de la Carrièra

Poursuivant sa recherche dans le sens d'un théâtre populaire contemporain enraciné dans la réalité occitane, « lo teatre de la Carriera » a créé la pastorale de Fos après deux mois d'enquêtes et deux mois de représentations et d'animations critiques auprès de la population concernée.

L'enquête

Elle a été menée en collaboration avec des habitants de la région de Martigues sur les divers aspects du sujet traité, en tout lieu et tout milieu (les traditions provençales en Camargue, dans la Crau et le pays d'Arles Critique de la vie quotidienne dans la zone du « grand Fos » - Étude de l'implantation du complexe sidérurgique et de ses conséquences - Aménagement, pollution, environne­ment, etc.).
Des journées de synthèse étaient régulièrement tenues et ouvertes à tous et leurs conclusions confrontées à des conférences publiques où des spécialistes étaient invités.
Un bulletin hebdomadaire diffusant le calendrier des enquêtes et le compte rendu des réunions était envoyé à toute personne désireuse de suivre le travail entrepris.
Des animations ponctuelles visant à soulever des « dis­cussions sur le vif » auprès de gens directement impliqués étaient également produites (marché, comités d'entreprise, associations diverses, etc.).

La création 

Après une synthèse finale classant les problèmes ren­contrés et restituant l'horizon culturel vécu, une fable dramatique était présentée et soumise à un débat public (ainsi que la première écriture de la pièce dans une deuxième période). Des lycéens et des jeunes travailleurs s'associaient alors au travail de réalisation et prenaient des rôles importants lors des quatre premières soirées critiques. Cette façon de procéder quadruplait le public martégal et amassait un matériau critique très positif pour s'attaquer (uniquement avec les professionnels de la troupe, cette fois), à une deuxième version de la création, cette fois en Arles.

Assimilation de la critique

Tour à tour baptisé « Calendes Martégales », « Pampa­rigouste » et « Pastorale de Fos », la pièce poursuivait son chemin sur ce schéma d'intervention et d'assimilation de la critique dans diverses localités vivant le « phénomène Fos».

Crédits (lors des premières représentations en 1975) :

Texte : Claude Alranq
Mise en scène : Jean-Pierre Agazar et Claude Alranq
Régie : Jean Hébrard
Distribution :
Jean-Pierre Agazar : Codon
Claude Alranq : Chichois
Catherine Bonafé : Bartomieta
Marie-Hélène Bonafé : Mireille
Anne Clément-Bénichou : Fée Titène / La Badache
Jean-Marie Lamblard : Nostradamus
Mohamed Rabia : Boumian
Charles Robillard : Le préfet
Mise en ligne : 29/08/2011
Tipe : Grope

L’Action Jeune Théâtre (AJT) Languedoc-Provence est une association créée en 1977 comme un collectif des jeunes compagnies qui ont émergé dans le sillon de mai 1968, particulièrement en zone occitane autour du Teatre de la Carrièra et de Claude Alranq, de la Nouvelle Compagnie d’Avignon-Théâtre des Carmes et d’André Benedetto, du Centre Dramatique Occitan de Toulon et d’André Neyton. La section  régionale « Languedoc-Roussillon-Provence-Alpes » de l’AJT constitua en réalité la part active et la plus marquante du mouvement. [imatge id=169]

1969-1970 : Le Teatre de la Carrièra crée un théâtre populaire, social et occitan

Par « jeune théâtre », il faut entendre le théâtre indépendant qui se développe dans le sillage de Mai 68, en rupture avec le théâtre académique soutenu par les institutions, ouvert sur de nouvelles formes, notamment par l’intervention dans l’espace public, et prenant pour sujet les réalités sociales, économiques et culturelles des populations auxquelles il souhaite s’adresser. 
Ce mouvement connaît une dynamique particulière dans l’espace occitan où convergent deux mouvements, celui d’une évolution théâtrale générale vers un théâtre populaire et social, explorant des formes loin du théâtre conventionnel (rue, cirque, danse, musique, etc.) et celui d’un mouvement de revendication sociale, politique et culturelle autour du mouvement « Volèm viure al país », à son apogée au milieu des années 1970 en Occitanie.

Le théâtre populaire, social et occitan naît avec le Teatre de la Carrièra autour du metteur en scène et acteur Claude Alranq dès 1969-1970 et une pièce « fondatrice » pour la rencontre entre le mouvement du jeune théâtre régional, le mouvement occitan et les mouvements sociaux languedociens, Mort et Résurrection de M. Occitania. Cette pièce, farce tragique jouée sur les places des villages languedociens devant des milliers de spectateurs, fait le procès du « mal méridional » en pleine crise de la viticulture. Elle est emblématique d’une prise de conscience et d’une revendication massive contre le « colonialisme intérieur » et pour le droit à « vivre et travailler au pays » pour reprendre deux mots d’ordre qui dominent l’Occitanie des années 1970. [imatge id=111]

Les origines d’un collectif pour le théâtre populaire occitan : les Rescontres occitans d’Avignon (1973)

À Avignon, André Benedetto et la Nouvelle Compagnie d’Avignon (Théâtre des Carmes) entament une réflexion sur les conditions d’un théâtre populaire qui doit être un théâtre « enraciné » dans son territoire, son environnement social et culturel. En Provence, André Neyton avait entamé dès 1966 une collaboration avec Robert Lafont pour créer un théâtre bilingue militant qui s’adresse au public provençal, entreprise qui le conduit à fonder dès 1970 une compagnie, le Centre Dramatique Occitan, à Toulon.
En 1973, lors du Festival d’Avignon, une première convergence des acteurs culturels occitans a lieu avec les « Rescontres Occitans » initiés par André Benedetto qui met à disposition son théâtre des Carmes : écrivains, éditeurs, artistes, compagnies de théâtre, intellectuels et militants mettent le Festival d’Avignon à l’heure d’une Occitanie culturelle engagée dans un combat de « libération ». [imatge id=166][imatge id=167]

1977 - Création de l’Action Jeune Théâtre (AJT) et de l’Accion culturala occitana (ACO)

En 1977, la convergence des acteurs culturels s’organise autour de l'ACO (Accion culturala occitana) d’un côté, regroupant chanteurs, musiciens, plasticiens, poètes, cinéastes et acteurs, et de l’AJT (section Languedoc-Provence) pour les revendications spécifiques des compagnies de théâtre en français et en occitan qui ne se reconnaissaient pas entièrement dans le syndicalisme artistique national trop tourné sur les problématiques du théâtre institutionnel.

L’AJT Languedoc-Roussillon-Provence-Alpes regroupe 37 compagnies et organise le 17 novembre 1977 une « Grande marche du Théâtre Régional » à Montpellier autour des deux mots d’ordre, l’un social - « Vivre et travailler au pays » - et l’autre théâtral - « Les théâtres en Occitanie vivront ».
En 1978, l’AJT produit un rapport de réflexion Pour que se développe le théâtre en Languedoc-Roussillon-provence : la régionalisation culturelle et interpelle le Ministre de la Culture sur la situation des théâtres indépendants en région en demandant une réforme des moyens alloués au théâtre en France. En juillet 1978 lors du festival d’Avignon, l’AJT organise une journée d’action pour le jeune théâtre.

Le début des années 1980 voit le déclin et la disparition de l’AJT, confrontée à la crise générale du mouvement « Volèm viure al país » et à l’évolution de la politique culturelle nationale désormais davantage favorable aux formes théâtrales populaires et en région.
Pour le théâtre occitan, les compagnies continuent leur production, qui tend à évoluer dans ses formes scéniques, ses thèmes, et la place de la langue. Les années 1980 voient une forme de sécurisation des compagnies autour de structures ou de projets désormais subventionnés. C’est le cas du Centre Dramatique Occitan de Toulon d’André Neyton et de la Carriera qui se rapproche d’une jeune compagnie montpelliéraine, le théâtre de la Rampe. La Carriera et la Rampe vont proposer plusieurs projets structurants pour le développement du théâtre occitan (projet de Centre de création et d’expansion du théâtre occitan dès 1981, Estudios d’actors occitan en 1982, etc.) et qui aboutissent notamment à la création du La Rampe-TIO (Teatre interregional occitan) à Montpellier.

Mise en ligne : 20/03/2019