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La Cadichounne
Escarpit, David (1980-....)

La Cadichounne de Bordeaux (1877-1878), premier journal politique en occitan

Le lundi 10 septembre 1877, dans un contexte politique tendu entre républicains et royalistes, à la veille d’élections législatives qui s’annoncent virulentes, paraît dans les rues de la capitale girondine un nouveau journal, d’opinion  clairement royaliste, entièrement rédigé en occitan : La Cadichounne.

Le nom choisi se réfère à l’univers du poète gascon Meste Verdié et des recardeyres, les marchandes ambulantes bordelaises. Ces recardeyres ont le verbe haut et l’insulte facile. Le ton est donné d’emblée dans le titre du journal : il s’agira de faire preuve de franc-parler, de dire ce que l’on pense sans crainte d’offenser, et au besoin d’allumer la mèche de la polémique. Le rédacteur en chef, directeur et concepteur du journal est un certain Eugène Druilhet-Lafargue.

Le journal paraît en deux séries : d'abord onze numéros du 10 septembre au 17 novembre 1877, puis 12 numéros (dont neuf seulement nous sont parvenus) entre le 15 décembre 1877 et le 30 avril 1878, mais cette seconde série en réalité montre une Cadichounne qui est devenue un journal satirique en français avec quelques textes occitans.

La Cadichounne n'est pas le premier journal entièrement publié en occitan : sa parution est postérieure de dix mois à celle du périodique marseillais Lou Tron de l’Èr, dont le premier numéro paraît le 6 janvier 1877. Cependant La Cadichounne s’affiche comme un cas à part, d’abord du fait qu’il se donne pour ambition d’être entièrement en occitan, des titres aux publicités finales, sans un seul mot de français, et surtout qu'il s'agit d'un journal d'opinion, un journal politique (ce que n'était pas Lou Tron de l’Èr).[imatge id=20685]

Un contexte politique tendu : la lutte entre républicains et royalistes

Le contexte est celui d’une crise politique qui a entraîné la quasi-paralysie de l’État : la crise parlementaire de 1876-1877, laquelle voit la République en tant que force politique prendre véritablement le pouvoir, malgré les tentatives du président légitimiste Patrice de Mac Mahon. Les origines de la crise remontent à son élection au printemps 1873. Face à la montée du camp républicain, mené par Léon Gambetta, le vieux maréchal se raidit dans son attitude de « lieutenant général du royaume ». Les élections législatives de février-mars 1876, prévues par les lois organiques de 1875 qui instaurent les bases de la IIIe République, confirment la poussée républicaine. Les préfets reçoivent des directives sévères : interdiction et saisies de journaux, interpellations.

En Gironde, le préfet Jacques de Tracy applique avec rigueur ces directives. Gambetta, député de Bordeaux, fait voter le 17 mai une motion de défiance contre le gouvernement. Mac Mahon dissout la Chambre le 25 juin 1877. Les nouvelles élections législatives auront lieu les 14 et 28 octobre. La campagne commence en septembre, marquée par une violence dans les échanges entre protagonistes des deux camps. C’est dans ce contexte que paraît La Cadichounne.

Un journal taillé pour le combat.

Avec ses trois colonnes à la une (le même format que La Petite Gironde à la même époque), son goût prononcé pour les titres percutants, pour les dessins satiriques, pour les slogans efficaces, La Cadichounne est un journal d’affrontement, de polémique et de provocation. On sent que Druilhet a fabriqué son journal comme il a pu, un peu de bric et de broc. C’est un journal de récupération, qui recycle des matériaux d’autres organes de presse et même de livres. Mais les articles sont, eux, originaux.

Pour ses illustrations, Druilhet insère de nombreuses gravures pittoresques. Ces gravures ne sont pas originales, elles n’ont pas été réalisées exprès pour La Cadichounne. Elles proviennent des Contes balzatois. Ces petits contes villageois ont pour cadre la vie rurale de deux petits villages charentais : Balzac et Vindelle. L’auteur, Jean Condat dit Chapelot (1824-1908) a rencontré un réel succès à Paris avec ces petits contes naïfs et humoristiques. Il fait appel au dessinateur en vogue Barthélémy Gautier (1846-1893) pour illustrer ses histoires. Gautier commence à se faire un nom de dessinateur dans la presse parisienne : Le Petit Journal pour rire, Le Journal amusant, La Vie parisienne, mais aussi Le Gaulois. Dans La Cadichounne sont insérées, à la fin de chaque numéro, des publicités (en occitan) pour les contes de Chapelot. Il n'y a aucune trace connue de collaboration officielle entre Chapelot ou Gautier et Druilhet-Lafargue, autorisant ce dernier à recycler les illustrations des Contes balzatois. Le dessinateur n’est d’ailleurs cité à aucun moment dans La Cadichounne comme auteur des gravures. Une simple phrase, au bas des publicités, précise que lous imatges de La Cadichounne soun tirats d’aquets countes. Il est difficile de dire si Druilhet avait réellement l’autorisation de réutiliser ces œuvres. Dans tous les cas, cela permet à La Cadichounne de s’offrir pour ses colonnes une « pointure » de la caricature de presse parisienne du temps.

Qu’est-ce qui a pu motiver Druilhet-Lafargue, royaliste et catholique intransigeant, à recycler les illustrations des contes de Chapelot, républicain modéré et probablement franc-maçon ? Rien ne nous permet de l’affirmer, mais vraisemblablement la seule nécessité d’avoir d’urgence des illustrations de qualité pour son journal en déboursant le moins possible, et rien du tout si possible.

Eugène Druilhet-Lafargue : « le petit lutteur courageux » (P.-L. Berthaud).

Eugène Druilhet-Lafargue est un personnage mal connu. Propriétaire, rentier, Druilhet-Lafargue était un publiciste, un polygraphe, amateur éclairé à la façon du XIXe siècle, membre de plusieurs sociétés savantes, publiant brochures et monographies sur des sujets aussi disparates que la botanique, la biologie, la paléontologie, l'agronomie, la zoologie, la philosophie ou encore l'archéologie. Il était également musicien, joueur d'harmonium réputé. Ses adversaires même saluent sa « distinction » et son élégance. Catholique militant, de sensibilité orléaniste, proche de l’Ordre Moral, Druilhet s’est à plusieurs reprises attaqué au positivisme et au scientisme de son temps et semble s’être passionné pour la question de la conciliation des sciences et de la religion. Druilhet fut aussi un homme politique, puisqu’il fut candidat malheureux aux élections législatives à Bordeaux face à Léon Gambetta en personne. Il fut aussi un éphémère président de la commission municipale de Caudéran, exerçant par décret présidentiel la fonction de maire de la commune.

Membre de plusieurs sociétés savantes, en Gironde et au-delà, Druilhet-Lafargue a pu côtoyer au sein de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux quelques personnalités locales attachées à l’occitan, comme l’abbé Hippolyte Caudéran, l’abbé Arnaud Ferrand, Achille Luchaire, Jules Delpit, Jean-François Bladé ou encore Léo Drouyn.. Également membre correspondant de la Société des Lettres, Sciences et Arts de l’Aveyron, Druilhet pouvait y rencontrer des personnalités attachées à la cause de l’occitan dont l’abbé Justin Bessou (1845-1918), une figure pionnière du félibrige en Aveyron.

Un journal bordelais et panoccitan

 

Dans La Cadichounne,  le choix de l'occitan est justifié par un discours linguistique que nous pourrions quasiment qualifier de militant qui s’attaque aux enrichis franchimands et dédaigne la langue du pays afin de s’élever en apparence sur l’échelle sociale. Il fournit également des données chiffrées – fantaisistes mais l’intention est là – et des propos qui renvoient en grande partie à la tenue, en octobre 1861, de la vingt-huitième session du Congrès scientifique de France, dont les actes furent imprimés chez les imprimeurs associés Coderc-Dégreteau-Poujol en 1864. Ils renferment notamment le Mémoire sur les idiomes du Midi de la France en général, et sur celui du centre de la Guienne en particulier, de l’inspecteur de la Société Française d’Archéologie, Auguste du Peyrat, qui semble avoir marqué les esprits bordelais. Nous verrons que le contexte bordelais, ainsi que les relations et les champs d’activité de Druilhet-Lafargue explique cette portée théorique et revendicative. Si l’on ajoute à cela qu’il existait alors au sein de l’Académie de Bordeaux plusieurs personnalités intéressées par l’étude et la valorisation de ce qu’on commençait déjà à appeler la « langue d’oc », que les oeuvres complètes de Verdié venaient d’être réimprimées, il apparaît que Druilhet-Lafargue baignait dans un climat sensibilisé à l’occitan. Il existait dans le Bordeaux de cette époque un intérêt de certains intellectuels locaux pour l'occitan, même s'ils ne forment clairement pas un « front » unifié. Druilhet, quand il s’amusera à attaquer des journaux républicains bordelais, recevra d’ailleurs de certains d’entre eux des réponses plus ou moins aimables en occitan. Notons du reste qu’un (ou une) des chroniqueurs(euses) du journal signe « Clémence-Isaure », du nom de la fondatrice mythique du Consistòri del Gai Saber de Toulouse.

Cet élément explique que, seul de tout le paysage de la presse bordelaise, Druilhet-Lafargue fasse montre dans son journal d’une approche réflexive sur l’occitan, ou pour être exact, qu’il utilise un discours tendant à valoriser l’occitan comme argument contre ses détracteurs.

En ce qui concerne la langue, c’est bien de l’occitan bordelais qui est employé. Druilhet n’est pas particulièrement attentif à la qualité de sa langue, c’est le moins que l’on puisse dire : gallicismes, barbarismes et erreurs de syntaxe émaillent un occitan que l’on ressent néanmoins comme authentique. Il fourmille par ailleurs d’expressions idiomatiques et de localismes. Certains chroniqueurs – qu’il s’agisse de Druilhet lui-même ou non – revendiquent même une appartenance locale, l’emploi du parler pishadèir c’est à dire celui du quartier Saint-Michel. Il y a dans La Cadichounne nous l’avons dit une dimension engagée, qui en fait non seulement le premier journal politique de langue occitane, mais le premier journal de cette sorte à porter un discours revendicatif sur l’occitan. À partir du n° 3 (22 septembre), paraît en outre dans chaque numéro de La Cadichounne un extrait de l’Essai grammatical sur le gascon de Bordeaux. Guillaoumet debingut grammérien (Bordeaux, Coderc-Dégreteau-Poujol, 1867) de Guillaume Dador. Cette présence peut s’analyser de plusieurs façons : besoin d’étoffer le contenu du journal, vite à court d’informations au fur et à mesure que les échéances pour lesquelles il était né passent ; parrainage d’un auteur d'expression occitane bien connu à Bordeaux dans les milieux catholiques, mais aussi peut-être intérêt simplement pédagogique, pour une grammaire « du peuple », accessible malgré ses défauts. La Cadichounne se pare donc d’une dimension supplémentaire, à prétention pédagogique : on peut même y trouver un cours d’occitan en feuilleton.

Avec le temps et la nécessité de varier le contenu pour ne pas lasser le public, nous voyons apparaître des contributions dans d’autres variantes de l’occitan : en parler du Bazadais, puis du Libournais d’abord. Puis, dans les derniers numéros, nous rencontrons des textes de l’abbé Léon Maumen (1803-1888) d’Aire-sur-l’Adour, figure du parti catholique dans les Landes, et même un sonnet nîmois, extrait de L’Embarras de la fieiro de Beaucaire célèbre texte de 1657, par Jean Michel (1603-1689) dans son édition de 1700, que Druilhet a probablement tiré de ses connaissances philologiques occitanes. Vers la même époque, Druilhet comble des vides de plus en plus béants dans les colonnes de La Cadichounne en y faisant paraître de larges extraits des Usages et chansons populaires de l'ancien Bazadais : Baptêmes, noces, moissons, enterrements de Lamarque de Plaisance (Bordeaux, Balarac, 1845). Le journal, alors même qu’il est sur le déclin, revêt donc en apparence une dimension panoccitane inattendue. Mais bien sûr, tous ces artifices ne servent qu’à cacher une réalité qui n’est que trop visible : l’occitan recule, au profit d’articles en français, et ne se réduit bientôt plus qu’à un ou deux textes, une chanson, au milieu d’un journal quasiment francophone.

La Cadichounne présente ainsi dans ses colonnes, courant septembre 1877, un roman-feuilleton, qui est le deuxième en langue occitane connu. C’est un roman d’inspiration réaliste et d'atmosphère sombre, qui n'est pas sans rappeler les styles de Ponson du Terrail ou d'Eugène Sue : Lou Curt daous praoubes, signé Suzanne Blanc dite Mayan. Seuls les trois premiers feuilletons seront publiés  dans les colonnes de La Cadichounne, laissant l'ouvrage inachevé. Ce roman suit de sept ans l’œuvre du chroniqueur bordelais républicain Théodore Blanc (1840-1880) qui, en 1870, avait fait paraître dans La Gironde du Dimanche le premier roman-feuilleton en langue d’oc jamais répertorié, Caoufrès, roman de guerre également inachevé après onze livraisons.

Pour le reste, les recettes de La Cadichounne ne diffèrent pas de celles des autres journaux satiriques de l’époque : attaques frontales, ton ricaneur, grinçant et cynique. Les candidats républicains sont moqués sur leurs physiques, leurs traits de caractère, leurs défauts (bégaiement, manque d’éloquence, irritabilité), leurs religions ou leurs engagements idéologiques. Des chansons, parfois d’origine, parfois détournées d’airs connus, émaillent le journal que viennent égayer les gravures de Barthélémy Gautier. Ces chansons sont impitoyables, comme les articles qui les accompagnent. Nous trouvons à plusieurs reprises le topos obligé de la scène des deux paysans, l’un – stupide – qui veut voter pour le candidat républicain et l’autre – intelligent et cultivé – qui l’incite au contraire à donner sa voix au candidat conservateur. Le rôle du bon sens et de la clairvoyance est parfois attribué à la propre épouse de l’idiot, qui fait voter son mari pour le camp « qu’il faut » sous la menace de son balai.

    Une fin rapide faute de combattants

Druilhet/Mayan réitère chaque fin de numéro qu’il ne fera pas d’appels de fonds, qu’il s’en sortira tout seul, que La Cadichounne ne se donnera à personne, etc. Bien sûr, il est facile de remarquer l’épuisement des ressorts comiques, du propos et de la verve, surtout après le n°8 (jeudi 20 octobre), qui paraît au lendemain de la victoire écrasante des républicains en Gironde, dès le premier tour (il n’y aura pas besoin d’un second), et le n°11 (10 novembre), au lendemain des élections départementales et d’arrondissement, qui confirment la victoire républicaine. Le « Père Mayan » ne s’en relèvera pas et son journal non plus. Le 30 avril 1878 paraît le dernier numéro de La Cadichounne. Le journal achève sa seconde série, entamée en janvier. Deux mois de silence séparent donc les deux séries de La Cadichounne, mais en réalité tout les sépare. Le journal entièrement rédigé en langue d’oc, a laissé la place à un journal satirique en français, où ici et là vient s’ajouter un article gascon. La Cadichounne avait été créée pour un affrontement : celui-ci passé et perdu, elle n’a plus lieu d’exister. Eugène Druilhet-Lafargue lui aussi disparaît totalement des écrans à la suite de la mort de La Cadichounne. Déjà mystérieux, le personnage devient une énigme. Son nom disparaît des sociétés savantes qu’il fréquentait. Nous le retrouvons quelques années plus tard en Bretagne, où il fait fonction d'éditeur. Le lieu et la date de son décès sont inconnus.

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Lou Mayrau medouquin
CIRDOC - Institut occitan de cultura

Lou Mayrau medouquin, texte médocain anonyme pour l’enrôlement dans les armées de Louis XIV

Le document intitulé Vers composés par M..., sur le départ de François Baudouin et ses compagnons médoquins allant à l'Armée, souvent désigné Lou Mayrau medouquin, est une brochure anonyme, sans date ni mention d’imprimeur, connue par un seul exemplaire découvert tardivement dans les collections de la Bibliothèque municipale de Nantes.
Si le texte pourrait être contemporain des faits historiques qu’il décrit, c’est à dire du dernier tiers du XVIIe siècle, sa diffusion sous la forme d’un texte imprimé est dans doute postérieure de près d’un siècle. Au-delà de la rareté de l’ouvrage - on n’en connaît qu’un seul exemplaire - son sujet - la guerre de Hollande - et sa provenance - la région bordelaise - le rendent exceptionnel dans le corpus de l’écrit occitan de l’époque moderne (XVIe-XVIIIe siècle).
Le texte est couramment intitulé par son premier vers, Lou Mayrau medouquin (Le vacher médoquin), qui désigne le personnage principal, un certain François Baudouin, laboureur propriétaire dans les environs de Lesparre dans la partie landaise du Médoc (actuelle Gironde). Lassé de sa vie de paysan, Baudouin raconte, dans ce récit en vers à la première personne, comment il répond favorablement à la sollicitation d'un officier recruteur, M. de Rouchon, venu lui proposer de s'engager dans les armées royales. Après avoir mis ses affaires en ordre auprès du notaire de Lesparre, Baudouin se lance dans le recrutement d’une troupe de compagnons prêts à le suivre à la guerre. Il se met à leur tête, avec entrain mais non sans une certaine gravité, le spectre de la mort au combat planant en permanence. Le texte s'arrête au moment où ils se mettent en route pour les Pays-Bas et Maastricht qu’il s’agit de reprendre à l’ennemi.

Une œuvre unique dans le corpus de l’écrit littéraire occitan

C’est Pierre-Louis Berthaud qui découvre en 1938 ce texte par sa seconde édition (Lesparre : Barbouteau, 1851 ; tout aussi rare que l’édition originale). L’édition originale restant introuvable, Lou Mayrau Medouquin fut même parfois considéré comme une supercherie littéraire du XIXe siècle. Il faut attendre les années 1980 pour que François Pic localise enfin l’édition originale du texte dans les collections de la Bibliothèque de Nantes. Si François Pic confirme les conclusions de Pierre-Louis Berthaud sur l'authenticité du texte - et non une fabrication du XIXe siècle - l’étude de l’édition originale, en particulier ses caractères matériels et iconographiques, semble orienter vers une impression bordelaise de la seconde moitié du XVIIIe siècle. François Pic a identifié les motifs utilisés par l’imprimeur ainsi que la gravure placée en frontispice. Ses recherches ont démontré qu’il s’agissait de motifs en usage chez de nombreux imprimeurs de Bordeaux et de Toulouse au XVIIIe siècle. Alain Viaut, spécialiste de l’occitan gascon, a publié une édition critique du texte en 1990 dans la revue Garona. Selon lui, les marqueurs chronologiques nombreux et précis qui émaillent le texte semblent indiquer qu’il s’agit bien d’un texte composé et diffusé au moment de la guerre de Hollande, même s’il ne fut imprimé que bien plus tard.

Le caractère exceptionnel de ce texte vient également de sa provenance. La région bordelaise n’a pas connu l’abondance de  production imprimée occitane que connaissent d’autres foyers, de la Renaissance à la Révolution. Pour le Médoc, il s’agit du seul texte littéraire occitan connu pour la période.

Un texte de propagande dans le contexte de la guerre de Hollande ?

Lou Mayrau medouquin a tout l’air d’un texte de propagande pour l’enrôlement des paysans médocains dans l’armée de Louis XIV, alors en guerre contre une bonne partie de l’Europe. Le texte fait en effet de nombreuses références directes à la guerre de Hollande qui, de 1672 à 1678, opposa le royaume de France et son allié anglais à l’Espagne, au Saint-Empire romain germanique et aux Provinces-Unies (actuels Pays-Bas).

Baudoin parle d’aller à la guerre contre l’Amperure d’Allemagne (l’empereur d’Allemagne), lou Flamand (le Flamand), qui a mis sourdats en campagne (des soldats en campagne) pour tourna (faire revenir) dans Mestriq (Maastricht) le prince d’Orange. Une fois dans la place, ledit prince d’Orange se verra encauga (emprisonner) dans la ville. Toutes ces indications pourraient faire référence à un épisode précis de la guerre de Hollande : le siège de Maastricht par les armées du prince d’Orange et des Pays-Bas espagnols pour reprendre la cité aux Français en 1676. L’action se passerait donc en 1676, et non en 1672 comme l'indique une mention sur la page de titre .

Guerre coûteuse, la guerre de Hollande fit l’objet d’une intense propagande hostile au royaume de France à travers l’Europe. En outre, des tentatives de séditions contre Louis XIV, encouragées par les Habsbourg dans le royaume de France, se firent jour, particulièrement en Normandie et dans les provinces méridionales (Guyenne, Languedoc, Provence, Dauphiné). Dans ce contexte politique et militaire compliqué pour le roi de France, la création et la diffusion de textes de propagande en langue du peuple comme Lou Mayrau medouquin semble tout à fait plausible même si le plus grand mystère demeure sur l’auteur et ses motivations réelles. Il est à signaler qu’en 1672, la seigneurie de Lesparre appartenait à la grande famille gasconne de Gramont dont un membre, Antoine IV (1641-1720), s’est illustré justement comme général pendant la guerre de Hollande. En d’autres termes, il n’est pas impossible que le texte émane directement de l’entourage de cette puissante famille gasconne, une des plus puissantes du royaume et d’Europe. Le Mayrau medouquin vu sous cet angle, peut faire penser à une levée d’ost seigneurial (le droit du seigneur de lever des troupes) de la maison Gramont sur ses terres médoquines. Mais rien ne permet toutefois d’étayer cette hypothèse.

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Le vacher médoquin
Le document intitulé Vers composés par M..., sur le départ de François Baudouin et ses compagnons médoquins allant à l'Armée, souvent désigné Lou Mayrau medouquin, est une brochure anonyme, sans date ni mention d’imprimeur, connue par un seul exemplaire découvert tardivement dans les collections de la Bibliothèque municipale de Nantes.

 Il s'agit d'une œuvre à part dans le corpus écrit occitan. Par son sujet, l’enrôlement de soldats dans l’armée de Louis XIV, ainsi que par sa provenance, la région bordelaise, qui a donné peu d’imprimés occitans antérieurs au XIXe siècle.
Le document garde en outre une importante part de mystère. Ne lui connaissant ni auteur, ni éditeur, ni lieu d'impression, il pose davantage de questions qu'il ne fournit d'informations. D'après les conclusions des chercheurs qui s'y sont penchés, le texte semble être contemporain des faits historiques qu’il décrit, c’est-à-dire du dernier tiers du XVIIe siècle. En revanche sa diffusion sous forme de texte imprimé est dans doute postérieure de près d’un siècle.

Lou Mayrau medouquin raconte l'histoire d'un paysan du Médoc (dans l'actuel département de la Gironde), François Baudouin qui, suite à la visite d'un officier recruteur, s'engage dans les armées de Louis XIV comme soldat pour aller prendre part au siège de Maastricht, aux Pays-Bas. Baudouin se fait à son tour recruteur, convaincant plusieurs de ses camarades de le suivre, de telle sorte que c'est à la tête d'un petit groupe de futurs soldats qu'il se met en route vers les Pays-Bas.


Document accessible sur le site de la Bibliothèque municipale de Nantes

Lien vers la notice du document sur le site de la Bibliothèque municipale de Nantes

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Manifeste « Mon país escorjat » (Mon pays écorché)
Lafont, Robert (1923-2009)
Maffre-Baugé, Emmanuel (1921-2007)
Chabrol, Jean-Pierre (1925-2001)
Le manifeste Mon païs escorjat est paru en 1979, dans le numéro 2 de la revue occitaniste Aici e ara. Il est publié à nouveau quatre ans plus tard comme supplément du numéro 4 de la même revue, sous la forme d’une affiche bilingue (français-occitan).
Le manifeste est signé de trois noms : Robert Lafont, Jean-Pierre Chabrol et Emmanuel Maffre-Baugé, ainsi que « 10 000 autres signataires ».
Emmanuel Maffre-Baugé (1921-2007) est une figure du syndicalisme viticole héraultais, député européen de 1979 à 1989, par ailleurs petit-fils du félibre Achille Maffre de Baugé, de Marseillan. Sympathisant communiste, Maffre-Baugé s’illustre dans la défense des revendications des vignerons languedociens dans les années 1970, notamment dans leur lutte contre l’entrée dans l’Union européenne de l’Espagne, de la Grèce et du Portugal, concurrents directs des viticulteurs et fruiticulteurs occitans.
Le manifeste porte également les noms du cinéaste Jean-Pierre Chabrol (1925-2001), originaire des Cévennes gardoises, également figure du Parti communiste, et de l’universitaire, écrivain et poète Robert Lafont (1923-2009), figure de la décentralisation et de la reconnaissance politique et culturelle de la langue et de la culture occitanes.
Dans l’ouvrage de Jean-Claude Bouvier et Jean-Noël Pelen Récits d’Occitanie est publiée la réponse donnée par Robert Lafont à l'article d'un autre universitaire montpelliérain, Jean-Marie Guillon. Robert Lafont y affirme être le premier auteur de Mon païs escorjat, qu’il aurait écrit à Heidelberg avant de le soumettre à Maffre-Baugé et Jean-Pierre Chabrol, le syndicaliste héraultais lui disant « On va le faire signer ».
Le texte a pour thème principal le refus par ses auteurs de l’intégration de l’Espagne, du Portugal et de la Grèce dans le Marché commun, pour des raisons économiques. Selon eux, cette triple incorporation entraînerait une concurrence déloyale avec les agriculteurs des pays d’oc, dans les domaines viticoles, de la production de fruits et légumes (fraises, pêches, abricots, tomates) ainsi que de l’élevage ovin. Maffre-Baugé y voit, ainsi qu’il le développe dans l’interview qu’il accorde à Jean-Pierre Laval pour Aicí e ara, une stratégie des “grands lobbies”, comprendre des entreprises de la grande distribution qui, associés à l’état centraliste, vont saigner l’économie des régions occitanes. Au discours économiste vis à vis du Marché commun vient donc s’adjoindre un discours régionaliste aux relents séparatistes : ce serait l’économie de l’Occitanie, pensée en tant que territoire propre,  que la France, poursuivant une logique de destruction, et les “multinationales”, envisageraient de détruire.
D’un autre côté, dans un propos d’ouverture culturelle, les signataires précisent - tout comme Maffre-Baugé dans son article - que ce rejet est purement économique et qu’ils ne seraient en aucun cas opposés à une Europe “des peuples”, une construction européenne basée sur le rapprochement des cultures, et notamment des « pays frères », mais que tel n’est pas le projet réel de cet élargissement du Marché commun. Le propos occitaniste transparaît avec la mention explicite d’une Occitanie en pleine renaissance culturelle, terre de combats sociaux et émancipateurs, convoquant les Cathares, les Camisards et enfin les Maquisards de la Deuxième guerre mondiale.
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Les 20 ans des Trad'Hivernales de Sommières - Tè Vé Òc
Gravier, Michel. Metteur en scène ou réalisateur

Émission du 6 février 2019

Chaque année, Tè Vé Òc a pris l'habitude de vous proposer un reportage tourné aux Trad'Hivernales, une institution culturelle qui anime Sommières tous les mois de janvier, et avec laquelle nous sommes partenaires. Pas d'exception, cette année nous avons à nouveau couvert le festival, qui a fêté sa vingtième édition ! Une rencontre anniversaire qui a rassemblé de nombreux artistes et autant d'animations. Dans notre émission, vous verrez les temps forts des Trad'Hivernales, avec entre autres Claude Marti, le plateau radio, les concerts nomades avec Laurent Cavalié, et surtout la soirée anniversaire, "Le Bal des 20 ans".  Avec une myriade de musiciens invités sur scène aux côtés de Coriandre et Garric.

Un reportage de Michel Gravier.

[résumé de Tè Vé Òc

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Nimes l'occitana vista per d'escrivans, Tè Vé Òc (réal.)
Association Tè Vé Òc
Centre Interrégional de Développement de l'Occitan

De Frédéric Mistral à Robert Lafont, d'Antoine Bigot à la nouvelle génération d'auteurs occitans (Mathieu Poitavin, Sarà Laurens...), ce film est une invitation à parcourir les rues et les quartiers de Nîmes, pour redécouvrir la ville à travers les mots des auteurs qu'elle a vu naître ou s'épanouir. 
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Portrait d'un vigneron conteur - Tè Vé Òc
Cros, Amy. Metteur en scène ou réalisateur

Émission du 17 janvier 2018

Nous vous emmenons dans le Vaucluse, à la rencontre de Jean-Loup Guigue. Homme de la terre qui tient son domaine viticole à Violès, face aux Dentelles de Montmirail, il a aussi une passion pour le conte. Voilà quelques années qu'il a intégré l'équipe du Théâtre Rural d'Animation Culturelle (TRAC), pour travailler ses créations. C'est dans la vigne, pendant qu'il effectue les actions les plus répétitives, qu'il imagine ses histoires. Il les compose dans sa tête mais ne les écrit pas. Ses contes sont emprunts de la culture de la vigne, avec des inspirations traditionnelles qui se changent en créations originales qu'il présente à l'équipe du TRAC, puis au public. Jean-Loup Guigue nous raconte ainsi ses histoires à l'occasion d'une soirée littéraire à la librairie Elan Sud, puis son métier de vigneron, chez lui.

Un portrait d'Amy Cros.

[résumé de Tè Vé Òc]

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Rencontre avec L'Aucèu libre (maison d'édition) - Tè Vé Òc
Cros, Amy. Metteur en scène ou réalisateur

Émission du 9 janvier 2019

Ancien médecin-chercheur, Paul Martin est rentré au pays avec la volonté de créer sa propre maison d'édition. Il a commencé l'aventure en publiant des ouvrages déjà connus, et a publié son premier texte inédit en 2009. Ses collections contiennent beaucoup d'écrits en langue d'oc, accompagnés de leur traduction. Avec sa femme Marie-Hélène, ils font vivre à deux une véritable entreprise. À l'occasion de la Journée du livre à Laudun-L'Ardoise en automne 2018, nous avons rencontré Paul Martin et deux auteures éditées chez Aucèu Libre, Danièla Julien et Estèle Ceccarini. Plongez dans le monde de l'édition et ses enjeux à travers cette maison spécialisée dans les écrits d'ici (qu'ils soient en occitan ou en français), et qui vient de fêter ses 15 ans d'existence en 2018.

Un reportage d'Amy Cros.

[résumé de Tè Vé Òc]

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Escrituras femininas de l'après 68 / Marie-Jeanne Verny
Verny, Marie-Jeanne
Après avoir fait le constat de la faiblesse du nombre de femmes dans l'expression littéraire et artistique occitane avant le milieu des années 1960, Marie-Jeanne Verny, enseignante-chercheuse à l'Université Paul-Valéry Montpellier-III, spécialiste de littérature occitane contemporaine, analyse la place et la création des femmes dans le théâtre, la chanson et la poésie en occitan après 1968.

L'article est issu d'une communication faite en 2013 lors de la 37e Université Occitane d’Été de Nîmes sur le thème « Femnas d'aicí d'ailà ».
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Retorn sus l'Estivada 2018 - Tè Vé Òc
Gravier, Michel. Metteur en scène ou réalisateur

Émission du 2 janvier 2019

Bien que 2018 soit passé, nous vous proposons un retour à l'été passé, pour mieux nous réchauffer en cette période hivernale. À Rodez a eu lieu la 24ème édition de l'Estivada, une manifestation bien connue comme festival interrégional des cultures occitanes. Concerts, théâtre, poésie, conférences-lectures, apéritifs littéraires, cinéma et balètis ont rythmé l'Estivada qui s'est déroulée sur trois jours. Dans cette émission, vous verrez des extraits du festival, entre autres avec Francis Cabrel qui s'est essayé à l'occitan à l'occasion d'un concert. C'est Jean Bonnefon qui a traduit les textes de Francis Cabrel en occitan, pour une soirée où participaient aussi des écoliers de Calandreta, de classes bilingues et du Conservatoire.

Un reportage de Michel Gravier.

[résumé : Tè Vé Òc]

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