Poète languedocien originaire de Castelnaudary, journaliste, historien albigéiste, fédéraliste. La première partie de son œuvre est écrite en français puis, vers 1875, encouragé par Mistral et Achille Mir, il commence à publier en occitan. Mistral le complimente alors beaucoup sur sa poésie. Il est, avec Louis-Xavier de Ricard, un des "félibres rouges", républicain et anticlérical. Ils fondent en 1876 l'almanach La Lauseta, dont ne paraîtront que quatre numéros entre 1877 et 1885. En 1881, il est proclamé majoral du Félibrige (Maintenance du Languedoc) et bénéficie de l’appui de Frédéric Mistral.
Dans la lettre du 6 décembre 1875, Mistral félicite Fourès pour ses œuvres et son entrée dans le Félibrige. Toutefois, il l’encourage à adopter une graphie et un style plus occitans, c’est à dire moins proches du français. Il lui conseille donc de s’inspirer des troubadours pour sa graphie et de puiser davantage l’inspiration dans son pays pour le style. Dans la mission qu’il s’est donnée pour la langue occitane à travers le Félibrige, Mistral s’attache à rester toujours au plus proche de ce qui se fait en matière de création occitane, à entrer en contact avec toutes les personnes susceptibles d’apporter leur pierre à l’édifice et à les guider dans ce sens.
Dans la lettre du 10 mars 1882, Mistral presse Fourès de ne pas l’apparenter publiquement aux Républicains. Ce passage pointe l'ambiguïté qui touche l’orientation politique de Mistral : après une jeunesse républicaine déçue, il semble abandonner tout véritable engagement politique et il se rapproche de la tendance idéologique du Félibrige imposée par un Roumanille blanc. Son unique engagement va à la “Cause provençale”.
Le 17 janvier 1883 Fourès demande l’appui de Mistral pour un acte de solidarité en faveur de l’Alsace-Lorraine victime d’inondations. Il veut prouver à la capitale l’attachement des félibres à la patrie et contrer les accusations de séparatisme dont ils font l’objet : il veut les solliciter pour publier un fascicule de vers occitans, vendu au bénéfice des sinistrés. C’est un Républicain, politiquement engagé, et il ne veut pas prendre le risque que ses idéaux fédéralistes soient mal interprétés.
Mistral lui répond le 19 du même mois, d’abord par le paiement de sa contribution, mais aussi par un conseil : il doit bien réfléchir à son projet de soutien à l’Alsace-Lorraine qui pourrait ne pas marcher aussi bien qu’il l’espère. Sur la question du séparatisme, Mistral estime que les accusations ne doivent pas inquiéter les Félibres qui prouvent suffisamment leur attachement à la France. Ces remarques semblent traduire la désillusion de Mistral sur le plan politique : hors d’un contexte politique, des accusations de séparatisme ne représentent pas une menace réelle à la crédibilité du Félibrige. On perçoit un décalage entre les préoccupations de Fourès, politiques, et celles de Mistral, devenues presque exclusivement poétiques et culturelles.
Instituteur et poète audois. Il fonde plusieurs écoles félibréennes. Il est membre de l’Académie des Jeux Floraux de Toulouse. En 1900 il est élu majoral du Félibrige. En 1927, il fonde le Collègi d’Occitanìa. Il dirige plusieurs revues dont Lo Gai Saber, et il élabore avec Antonin Perbosc une graphie inspirée des troubadours qui servira de base à la “graphie classique” de l’occitan. Il entretient une correspondance amicale avec Frédéric Mistral entre les années 1890 et 1910, dans laquelle Mistral le complimente sur sa poésie et commente, parfois en les lui reprochant, ses choix orthographiques.
La lettre du 31 mars 1895 est un compliment de Mistral pour Lou Terradou. Il en salue le lyrisme et l’authenticité : “i’a qu’un fiéu de la terro pèr ama coum’acò e pèr canta la terro maire”. Il semble avoir une véritable et profonde admiration pour les œuvres d’Estieu, ses critiques sont élogieuses et passionnées, il emploie fréquemment dans sa correspondance le terme d’“artiste” pour désigner son ami et rapproche son art de celui d’un orfèvre.
Par ailleurs, Mistral lui envoie des quantités de petites cartes jouant sur le nom d’Estieu qui en occitan veut dire été et semble rendre exactement l’image qu’il se fait de son ami.
En revanche, Mistral admire beaucoup moins ses choix orthographiques : d’un côté Estieu ne respecte manifestement pas toujours la graphie des troubadours qu’il a pourtant élue comme modèle, de l’autre il conserve des lettres qui, selon Mistral, sont encombrantes pour la lecture. Cette question revient souvent dans la correspondance.
Dans l’ensemble, ce que Mistral reproche à Estieu, c’est moins le choix du modèle que la cohérence globale de la graphie qu’il a élaborée avec Antonin Perbosc. Mistral, qui déplore une francisation de la graphie occitane, incite les écrivains à s’appuyer sur celle des troubadours pour la réformer en tenant compte des particularismes dialectaux, mais en l’harmonisant tout de même suffisamment pour éviter les foisonnements graphiques. Cependant ses propres choix graphiques ne sont pas exempts de tout reproche, et laissent transparaître quelques incohérences ainsi qu’une certaine subjectivité.
Peut-être par jeu, une petite carte datée du 4 juin 1898 est écrite en graphie “classique”.
Une autre thématique qui doit avoir intéressé Estieu est développée dans cette abondante correspondance. Elle concerne la légende d’Esclarmonde : le 7 juillet 1911 Mistral retranscrit pour son ami un échange dans lequel il refuse le titre de vice-président du “Comité parisien du monument d’Esclarmonde de Foix”, au motif qu’il ne croit plus à l’histoire de cette “militante cathare” divulguée par Napoléon Peyrat. On déduit de la formulation qu’il emploie qu’il y a cru à une époque, mais ses propres recherches ne lui dévoilent que de trop rares et brèves mentions pour justifier le symbole. Mistral a bâti sa poésie et sa Cause provençale sur un certain nombre de mythes historiques et de projets politiques qui, de déceptions en remises en question, sont passés du statut de convictions à celui d’illusions à ses yeux mais n’ont pas diminué son attachement à la poésie ni à la Cause. Ils en ont peut-être simplement modifié l’essence.
Aquafortiste, peintre, graveur, professeur à l'École des Beaux-Arts de Marseille. Il est aussi l’auteur d’une œuvre importante en poésie et en prose occitane. C’est à Paris qu’il découvre le Félibrige, dont il sera majoral en 1893 et, poussé par son ami Mistral, capoulié de 1909 à 1919. Il collabore à de nombreuses revues et avec Philadelphe de Gerde et Prosper Estieu il fonde puis dirige L’Estello de 1910 à 1911.
Joséphin Péladan (1859-1918), aussi connu sous le pseudonyme de Sar Péladan, est un écrivain français symboliste et idéaliste, wagnérien. Il s’intéresse aux sciences occultes et mystiques: d’abord membre de l’Ordre Kabbalistique de la Rose-Croix, il fonde ensuite l’Ordre de la Rose-Croix catholique et esthétique du Temple et du Graal. Il est l’organisateur des Salons de la Rose-Croix. Il participe à de nombreuses revues artistiques et littéraires et est l’auteur de traités d'initiation et de tragédies.
Dans la lettre datée du 8 mars 1888, Mistral remercie Péladan pour “l’envoi” en son honneur, inscrit dans son ouvrage À Cœur perdu. Il s’agit probablement d’une dédicace manuscrite que Péladan aurait annotée dans un exemplaire envoyé à Mistral. Il n’est pas rare que Mistral reçoive et lise les ouvrages d’autres auteurs, après quoi il complimente le poète et fait une petite critique de l’œuvre, quitte à ce que celle-ci comporte des aspects négatifs.
Ici, il le remercie mais ne s’attarde pas sur la critique: “vous dire par écrit mon impression sincère serait compromettant, et je la garde pour moi”. Il est donc difficile de savoir exactement dans quel sens il faut entendre ce “compromettant”. Le personnage de Joséphin Péladan est tel qu’il ne peut pas laisser Mistral indifférent : ce dernier adopte dans la suite de la lettre un ton moralisateur, un peu sentencieux, il semble vouloir mettre Péladan en garde contre son attitude ou ses propos trop provocateurs, mais il reste vague et mystérieux, ne citant aucun fait précis. Peut-être cette lettre est-elle un bon témoin de la prudence caractéristique de Mistral.
La lettre suivante, datée du 13 février 1897, est plus sereine. Dans le temps qui sépare ces lettres, les deux hommes ont dû apprendre à se connaître davantage, du moins entretiennent-ils des liens amicaux: “nous vous remercions, ma femme et moi, de la charmante visite que vous nous fites le mois passé”. Péladan continue de lui envoyer ses œuvres en lui dédiant des épigraphes et Mistral salue chez Péladan autant l’œuvre poétique que l’homme : ce qui était probablement de la provocation dans la première lettre est devenu dans la seconde des “idées courageuses”, de l’“indépendance fière” et des “nouveautés fécondes”.