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Les « poètes-ouvriers »
Bertrand, Aurélien
Eyraud, Noémie

Introduction

« Poètes-ouvriers » est une appellation donnée à une génération d’auteurs et de poètes actifs durant le XIXe siècle. Employée dans les textes d’analyses littéraires occitanes depuis le début du XXe, elle revêt cependant des significations parfois différentes selon son contexte d’utilisation et ne fait, encore aujourd’hui, pas consensus.
D’abord parce que le concept « d’ouvrier » est en pleine évolution au XIXe siècle. La signification du mot telle qu’employée depuis le XVIIIe de « celui ou celle qui travaille à la main » se transforme en celle de travailleur de la grande industrie qui, au cours du XIXe siècle, est en plein développement.
Ensuite parce que le terme « ouvrier » peut avoir indistinctement trait à des patrons aisés du secteur manufacturier, à des propriétaires terriens ou des ouvriers de la plus simple condition.
Enfin, parce que la question du thème traité par le « poète-ouvrier » dans ses écrits se pose à plusieurs titres : un auteur travaillant dans le secteur de l’industrie peut-il être considéré comme « poète-ouvrier » s’il écrit un texte purement comique et sans aucune forme de réflexion sur son contexte social ? Et à l’inverse, un prêtre publiant un texte à propos de sa condition sociale et de celle de ses fidèles peut-il être considéré comme un « poète-ouvrier » ? De même, pour un haut-fonctionnaire rédigeant un texte à propos de la misère sociale dont il peut être témoin.

 

Ces différentes problématiques inhérentes au concept même de « poète-ouvrier », ainsi que l’émergence au début du XXe siècle de la littérature prolétarienne, autre genre littéraire proche mais distinct, ont mené les chercheurs contemporains à faire évoluer la notion vers celle de « voix d’en bas » embrassant ainsi un corpus littéraire plus large mais plus clair et dont l’illustration la plus récente est la publication en 2009 de l’ouvrage collectif Mémoires de pauvres, qui interroge individuellement la situation sociale de neuf auteurs occitans pouvant être rattachés à l'appellation « poète-ouvrier ».

Histoire de la notion

Alphonse de Lamartine par François Gérard  

Le premier spécialiste ayant employé la notion de poète-ouvrier pour la littérature occitane est le félibre, écrivain et professeur de langue et de littérature provençale, Émile Ripert, dans sa thèse La Renaissance provençale : 1800-1860. Il y consacre la seconde partie de son second chapitre « Les poètes-ouvriers en Provence ». S’il n’y définit pas la notion de « poètes-ouvriers », ne faisant qu’une présentation des auteurs qu’il intègre au mouvement, il effectue, dans le chapitre précédent, une analogie entre « poésie-ouvrière » et « poésie-populaire » et sous-entend que ces notions sont plus générationnelles qu’esthétiques ou littéraires. Les « poètes-ouvriers » y sont ainsi présentés comme les héritiers des « protecteurs de la poésie populaire » : comme les influents George Sand et Alphonse de Lamartine, tous deux poètes, actifs contributeurs de la vie intellectuelle et littéraire française du XIXe siècle et promoteurs de la mouvance d’émancipation populaire par la littérature. L'appellation est donc employée pour une génération de poètes actifs durant la période romantique et n’a pas été pensée pour être interprétée au pied de la lettre quant à l’activité professionnelle des auteurs auxquels elle fait référence. Elle reflète davantage le paternalisme de la bourgeoisie littéraire française vis-à-vis d’une génération d’auteurs nouvelle ainsi que sa vision presque idéalisée de sa situation professionnelle. 
L'appellation « poète-ouvrier » disparaît avec la période romantique en ayant eu une influence bien plus importante pour la littérature française que la littérature occitane. Elle s’est ainsi surtout employée durant une période comprise entre la Monarchie de Juillet et le début du Second Empire soit entre 1830 et 1852.
Par la suite, plusieurs spécialistes de la littérature vont tenter de définir cette notion ou plutôt de redéfinir le concept même de « poète-ouvrier », trop sujet à interprétation. La proposition retenue aujourd’hui par les spécialistes du domaine occitan est celle proposée par Edmond Thomas dans son livre Voix d’en bas : la poésie ouvrière du XIXe siècle, édité chez François Maspero en 1979, dans la troisième note de la page 22 :

Il n'y a pas d'ouvrier dans le sens où on l'entendra à partir des années 1840. Le sens actuel de "travailleur de la grande industrie" ne pouvait naître qu'avec celle-ci. Le mot est donc encore pris dans le sens où l'employaient Rousseau et les hommes du XVIIIe siècle : "celui ou celle qui travaille à la main à quelque ouvrage que ce soit. Tout artisan qui travaille de quelque métier que ce soit" (Trévoux 1771). Je l'utilise dans ses acceptions successives, mais il est évident que la première poésie ouvrière, également antérieure aux grandes concentrations urbaines, ne pouvait être écrite que par des artisans. D'autre part, l'ambiguïté de certaines désignations de métiers peut faire courir le risque d'assimiler des patrons aisés ou propriétaires terriens bien pourvus à des ouvriers : imprimeur, cultivateur, vigneron, horloger-bijoutier, graveur par exemple.

La spécificité occitane

Le poète agenais Jasmin (1798-1864)

Au delà des difficultés intrinsèques de définition de la notion de « poète-ouvrier », l’histoire littéraire occitane connaît des difficultés spécifiques pour adapter ce concept à ses propres auteurs. 
La principale difficulté est directement liée à la situation économique de l’Occitanie (au sens de territoire géographique s'étendant de Bordeaux à Nice en remontant jusqu’à Clermont-Ferrand) qui connaît au XIXe siècle un développement industriel bien moins important que dans le Nord de la France limitant de par ce fait l’existence même de poètes-ouvriers potentiels. Cette difficulté est également accentuée par l’éloignement géographique des cercles littéraires parisiens qui impulsent les modes, protègent et parrainent des auteurs en devenir mais bien souvent résidant plus près de la capitale. Seuls quelques rares auteurs comme Jasmin parviendront à faire tomber la barrière linguistique qui séparent alors les poètes occitans de la reconaissance nationale.

Conclusion

Le XIXe siècle marque un tournant pour la littérature occitane. Celle-ci connaît un regain de vitalité extrêmement important d’abord impulsé par les romanistes, précurseurs d’un grand mouvement d’étude de la poésie des troubadours. Les poètes-ouvriers, épiphénomènes d’un élan plus vaste de renouveau littéraire leur emboîtent le pas bientôt suivis par le Félibrige, dont le chef de file, Frédéric Mistral, sera couronné par le Prix Nobel de littérature en 1904.
Les poètes ouvriers s’inscrivent ainsi dans le second temps de l’histoire littéraire occitane du XIXe siècle. S’ils sont pour certains parvenus à rencontrer un succès populaire parfois localement important leurs situations professionnelles très diverses couplée à une appellation vague pouvant être sujette à interprétation a mené le concept à évoluer aujourd’hui vers une acception plus large du sujet aussi bien sur le concept de poète que sur celui d'ouvrier.

Proposition de liste de « poètes-ouvriers »

La liste ci-dessous est proposée à titre provisoire et reste ouverte à toutes suggestions et redéfinitions du corpus auquel elle fait référence. 


Identité de l'auteur Origine géographique Profession(s) Lien vers les œuvres disponibles sur Occitanica Lien vers la biographie de l'auteur
         
Abric, Louis Lunel, (Hérault) Boulanger Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Allavène, Adolphe Aix-en-Provence, ; Marseille, (Bouches-du-Rhône) Doreur-Miroitier Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Arnaud, Joseph Vaucluse Cordonnier

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Astier, Jean-Baptiste Marseille, (Bouches-du-Rhône) Cristallier Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Aubry, François Avignon, (Vaucluse) ; Nîmes, (Gard) Serrurier    
Bellot, Pierre Marseille, (Bouches-du-Rhône) Marchand et fabricant de drap

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Bénazet, Olympe-Louis Toulouse, (Haute-Garonne) Nombreux métiers dont chanteur des rues Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Benoît, Robert Périgueux, (Dordogne) Coiffeur Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Blanc, François Marseille, (Bouches-du-Rhône) Cordonnier    
Boillat, Justin Nîmes, (Gard) Commis chez un marchand de vin puis greffe au tribunal de commerce Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Boissier, Auguste Die, (Drôme) Artisan-tanneur Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Bonnet, Pierre Beaucaire, (Gard) Cafetier

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Borghero, Louis Marseille (Bouches-du-Rhône) Tonnelier Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Brousse, Guillaume Fonbarrade (Lot-et-Garonne) Laboureur    
Caillat, Jean-Baptiste Bouches-du-Rhône Serrurier Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Carvin, Jean-Baptiste Marseille (Bouches-du-Rhône) Musicien Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Cassan, Denis Avignon, (Vaucluse) Prote Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Castela, Jean Tarn-et-Garonne Meunier Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Cazaux, Jacques Montréjeau, (Haute-Garonne) Tailleur Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Cazes, Antoine Millau, (Aveyron) Fumiste Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Chauvier, Philippe Bargemon, (Var) Forgeron, ouvrier cloutier

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Cluzel, Pierre Sauzet, (Drôme) Tailleur Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Coumbettos, dit Couquel Castelnaudary, (Aude) Tourneur

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Courbin, Jean Portets, (Gironde) Forgeron, serrurier Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Daniel, Claude Nîmes, (Gard) Ouvrier typographe    
Delbès, Antoine Agen, (Lot-et-Garonne) Tailleur

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Desanat, Joseph Tarascon (Bouches-du-Rhône) Divers métiers dont : taillandier, forgeron puis charcutier

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Favier, François Avignon, (Vaucluse) Marbrier

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Fédières, Adrien Montpellier, (Hérault) Maître-maçon Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Galséran, Félix Marseille, (Bouches-du-Rhône) Tonnelier Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Gélu, Victor Marseille, (Bouches-du-Rhône) Nombreux métiers dont  cheminot Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Granier, André-Louis Marseille, (Bouches-du-Rhône) Forgeron    
Grenier, Arnaud Lot   Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Grivel, Roch Crest, (Drôme) Tisserand Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Gruvel, Josselin Haute-Garonne Ouvrier corroyeur

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Guisol, François Brignoles, (Var) Tanneur

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Honnoré, Louis Marseille, (Bouches-du-Rhône) Ouvrier typographe Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Jasmin Agen, (Lot-en-Garonne) Coiffeur Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana Biographie de l'auteur
Julié, Louis Millau, (Aveyron) Ouvirer gantier

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Lacombe, Joseph Caussade, (Tarn-et-Garonne) Menuisier Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Lacroix, Mathieu Gard Maçon Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Laugier, Fidèle Marseille, (Bouches-du-Rhône) ; Var Cordonnier Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Maillet, Alphonse Vaucluse Tailleur Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Mazabraud, Joseph Haute-Vienne Tailleur Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Mengaud, Lucien Toulouse, (Haute-Garonne) Peintre, bijoutier Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Palay, Jean Pyrénées-Atlantiques Tailleur Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Payan, Toussaint Marseille, (Bouches-du-Rhône) Ouvirer tonnelier Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Pélabon, Louis Toulon, (Var) Voilier Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Petit, Jean Creuse Maçon et tailleur de pierre Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Peyrottes, Jean-Antoine Clermont-l'Hérault, (Hérault) Potier Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana Biographie de l'auteur
Poncy, Charles Toulon, (Var) Maçon Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana Biographie de l'auteur
Mestre Prunac ; Liberat, Jacques Sète, (Hérault) Boulanger Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Reboul, Jean Nîmes, (Gard) Boulanger Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Revel, Pierre Marie Aude Prêtre Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Richier, Amable   Maréchal-ferrant Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Rieu, Charles Bouches-du-Rhône Maçon Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Rigal, Jean Agen, (Lot-en-Garonne) Tailleur Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Roch, Hippolyte Montpellier, (Hérault) Ferblantier Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Tavan, Alphonse Bouches-du-Rhône Cultivateur puis employé des chemins de fer Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Verdié, Jean-Antoine Bordeaux, (Gironde) Boulanger, grenadier, vannier, marchand de journaux Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana Biographie de l'auteur
Vestrepain, Louis Toulouse, (Haute-Garonne) Cordonnier-bottier Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana Biographie de l'auteur
Veyre, Jean-Baptiste Cantal Sabotier Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Vidal, Jean-Paul Issel, (Aude) Potier Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
Younet, Jean Montauban, (Tarn-et-Garonne)   Voir les œuvres de et sur l'auteur disponibles sur Occitana  
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CIRDÒC-Mediatèca occitana, fonds Les amis de la langue d'oc
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Fondation du Félibrige
CIRDÒC - Mediatèca occitana
Le groupe de "Primadié" en 1854 à Font-Ségugne. De gauche à droite : au premier rang, Frédéric Mistral, Joseph Roumanille, Jules Giéra ; au second plan, Théodore Aubanel, Paul Giéra, Alphonse Tavan et celui que Roumanille qualifiera dans sa correspondance de "troubadour inconnu".  (Source iconographique : Achille REY, Frédéric Mistral : Poète républicain, Cavaillon : Imprimerie Mistral, 1929, p.31. Original conservé au Palais du Roure, Avignon) 

Le 21 mai 1854, au Château de Font-Ségugne à Châteauneuf-de-Gadagne (Vaucluse), un groupe de sept jeunes poètes, rassemblés à l'occasion d'un banquet, se réunissent autour d'un projet de restauration de la littérature provençale. Selon la version relatée par Frédéric Mistral (1830-1914), aussi connue sous le nom de "légende dorée", le groupe serait constitué, outre celui-ci, de Joseph Roumanille (1818-1891), Paul Giéra (1816-1861), Théodore Aubanel (1829-1886), Alphonse Tavan (1833-1905), Jean Brunet (1822-1894) et Anselme Mathieu (1833-1895). Une incertitude subsiste quant à la présence de ces deux derniers.

Les poètes réunis autour de cette cause s’organisent peu à peu sous l’impulsion de Frédéric Mistral et de Joseph Roumanille son aîné. Mistral devient rapidement la figure de proue et l’animateur du mouvement, jusqu’à ses derniers jours. Le Félibrige se dote d’une organisation structurée et hiérarchisée, dédiée à la défense et illustrant la langue d’oc. Son objectif principal est de rendre à la langue occitane sa dignité littéraire et de mettre en valeur la richesse de la culture d'oc. Cette orientation est largement suivie et relayée dans les régions méridionales par l’organisation d’événements et de commémorations et la publication d’ouvrages et de revues.

Son action politique et linguistique vise à promouvoir l’usage de la langue d'oc "dis Aup i Pirinèu". Pour cela, les félibres disposent d’un outil : Lou Tresor dóu Felibrige, ou Dictionnaire provençal-français embrassant les divers dialectes de la langue d'oc moderne, publié par Frédéric Mistral en 1886. L’ouvrage, fruit de trente années de travaux et de collecte linguistique, est encore aujourd'hui un instrument scientifique de référence.
 

1-Origine

La première rencontre des félibres, le jour de la Sainte-Estelle, reste le symbole de l'association et ce jour marque depuis le rendez-vous annuel des félibres, sous le nom de fête de la Santo Estello ou "félibrée". En 1855, moins d'un an après leur première rencontre, paraît le premier volume de l'Armana prouvençau adouba e publica de la man di felibre, almanach qui porte encore de nos jours la parole des poètes de langue d'oc. 


Le mot félibre est rapidement vulgarisé par les œuvres de ceux qui revendiquent leur appartenance au félibrige. L'origine de ce mot est cependant soumise à controverse. Il aurait été adopté par Mistral, soit sur la base d'un mot issu du bas-latin signifiant "nourrisson", soit sur celle d'une confusion: la transformation de "Sépher, libre de la Lei" (entendu dans l'Oraison de Saint Anselme) en "Set felibres de la Lei", qui se prononce de la même façon. Il donne de nombreux dérivés : félibrige, félibrejado, félibrejar1.

2-Organisation

En vertu de ses statuts officiels de 1876, le félibrige est dirigé par un Capoulié (de cap, tête ou chef), assisté d'un chancelier et d'un Consistoire de félibres Majoraux (assemblée) dont le nombre est fixé à cinquante. Les félibres Majoraux se distinguent par la Cigalo (cigale d'or) qu'ils arborent à la boutonnière. Celle-ci, qui a valeur de titre et d’appellation, se rattache le plus souvent à un qualificatif régional ou symbolique et se transmet à leur mort à la suite d'élections2

Le premier des Capoulié, Frédéric Mistral, sera élu en 1876. C'est le Capoulié qui porte à la boutonnière l'étoile à sept branches3 ainsi que la Coupo4 et qui préside le Consistoire5. Tous les sept ans, les félibres se donnent une reine qui est choisie par le poète lauréat des Jeux Floraux du félibrige6.

La cellule de base de l'organisation félibréenne est l'Escolo (École), dirigée par un Capiscol. Les Escolo sont regroupées au sein de Maintenances, sortes de divisions administratives qui correspondent aux grandes composantes dialectales de la langue d’oc (Prouvènço et Coumtat, Dóufinat, Lengadò, Roussihoun, Guiano, Gascougno, Limousin e Auvergno, Bearn e Fouis)7.

3-Historique

L’association qui voit le jour dans la seconde moitié du XIXe siècle réunit peu à peu un grand nombre de personnalités du Midi et de sympathisants animés par l’idée de refaire de la langue d’oc la grande langue de création littéraire qu’elle avait été au temps des troubadours. Le succès rencontré par le poème Mirèio, de Frédéric Mistral, en 1859, et le prix Nobel de littérature qui lui est attribué en 1904, ainsi que l’impact de l’ensemble de son œuvre permettent au félibrige d’accéder à une notoriété nationale et internationale. Peu à peu, le projet félibréen dépasse l’aventure littéraire pour investir le champ politique et historique.  

Le félibrige de 1854 (date de sa création) pose les bases d’une institution originale qui évolue autour du personnage de Mistral et de son œuvre. Mistral, à la fois instigateur et modèle du mouvement en tant que penseur et écrivain, en est également le théoricien par son œuvre de lexicographe. Par la publication en 1876 du dictionnaire Lou Tresor dóu Felibrige, fruit du collectage et de la compilation des parlers des pays de langue d’oc, il propose un outil pour l’usage de la langue (graphie dite "mistralienne" ou "félibréenne"). Frédéric Mistral et ses amis posent le problème de la reconnaissance d’une diversité linguistique et au-delà de la décentralisation et du fédéralisme.

L'institution regroupe des hommes d'opinions différentes aussi bien du point de vue politique (de l'extrême-droite à l'extrême-gauche) ou religieux qu'en ce qui concerne ce que doit être le but de l'action félibréenne (purement culturel, ou déjà politique, autour de la revendication fédéraliste), d'où des débats parfois vifs au cours de son histoire Les questions de choix linguistique, de pédagogie, d’enseignement, de politique sont au cœur des débats. Volontairement détaché des questions politiques, Mistral maintient avec difficulté cette position de neutralité face à l’ampleur du mouvement confronté au centralisme français et aux tentations de revendications fédéralistes ou nationalistes.

Le félibrige réuni quelques centaines d'adhérents, puis quelques milliers pendant l'entre-deux-guerres, majoritairement issus des classes moyennes. Il est à l’origine d’une importante production littéraire qui marque un déclin à partir de 1914, année de la disparition de Mistral et début de la première guerre mondiale, facteur d'érosion des forces vives de la nation. Son influence diminue au lendemain de la seconde guerre mondiale avec l’apparition officielle de l’Institut d’Estudis Occitans (IEO), né à la libération (1945) qui se détache du modèle et des personnalités du félibrige pour proposer un nouveau mode d’action et d’écriture (graphie normalisée dite alibertine du nom du linguiste Louis Alibert).


Notes

1 René Jouveau, Histoire du félibrige. 1854-1876, Aix en Provence, 1984, p. 76.

2
Comme les fauteuils pour les Académiciens de l’Académie française.

3 Étoile à sept branches symbole du félibrige en mémoire des sept félibres fondateurs. Cartabèu de de Santo Estello, 1877, p. 11.

4 Coupo félibrenco, coupe d’argent donnée par les Catalans aux poètes provençaux qui en offrent une semblable aux poètes catalans en 1878 et qui a inspiré la chanson de la Coupo Santo (Trésor p. 637).

5 Assemblée des félibres Majoraux.

6 Les concours littéraires organisés par le félibrige ont pris le nom de Grand Jo Flourau dóu Felibrige et Jo Flourau de Mantenènço.

7 Cartabèu de santo estello recuei dis ate ouficuiau dóu felibrige pèr la pountannado de 1877-1882, p. 7, 104.