Les années 1970 sont marquées par la contestation sociale et économique d’un certain modèle de l’état. De 1968 et la contestation de la France gaulliste aux chocs pétroliers et ses conséquences économiques et sociales, la période est un foisonnement de mouvements contestataires, alternatifs, à travers toute l’Europe, parfois favorables à l’usage de la violence.
Dans les pays d’Oc, cette période correspond au fameux borbolh créatif et idéologique qui voit la naissance de la Nouvelle chanson occitane, mais aussi la théorisation de certains concepts comme le Colonialisme intérieur, un des thèmes développés par Robert Lafont et largement repris par de nombreux théoriciens de la pensée occitane.
L’idée que dans le contexte étatique français, les pays d’Oc soient traités comme des pays colonisés - en plus de ce que l’on peut considérer comme une colonisation culturelle - sur le plan du développement économique, se répand. La stratégie économique des pays du Midi serait limitée à en faire des nids à touristes, envahis par l’industrie hôtelière et les promoteurs immobiliers, servant de jardin à Paris et sa banlieue. Des pays sans économie propre - détruite par les politiques agricoles françaises - tout juste bons à être placés sous tutelle.
Cette idée, associée à un contexte d’intense militantisme occitan, donne naissance à des comités d’action, des groupes de petite taille décidés à passer à la vitesse supérieure dans leur quête de reconnaissance de l’identité occitane, quitte à envisager l’action directe et le recours à la force.
Deux régions sont particulièrement touchées par ce phénomène. Le Languedoc, en proie à la crise viticole et possédant une tradition « rouge » de contestation sociale et le Périgord, pays hautement touristique. Tous deux se sentent dépossédés de leur patrimoine. Dans une moindre mesure Bordeaux, base arrière des groupes occitanistes, recrute beaucoup dans les milieux associatifs occitans et universitaires. Le Périgord notamment fait partie des régions occitanes où la langue et la culture sont demeurées vivantes, avec un Félibrige actif sans être politisé et une vie musicale et poétique occitane intense.
C’est dans ce contexte qu’apparaît le Comité d’Action Sarladais (CAS), autour de slogans comme « Le capital croque le Périgord » ou « Lo Perigòrd es pas a vendre » (le Périgord n’est pas à vendre). Ce dernier fait référence au rachat de fermes abandonnées et de terres par de riches « colons » empêchant l’installation de jeunes agriculteurs. On recense aussi l’utilisation plus marginale du slogan « Lo vent a bufat, l’Estat a pas paiat » (le vent a soufflé, l’État n’a pas payé) qui fait référence à une tempête ayant saccagé des noyers et aux promesses d’indemnisations des agriculteurs non tenues. De petits groupuscules fleurissent : outre le CAS apparaît également le « Front de Liberacion de la Val de Dròpt », tous deux tentés par l’action directe et les opérations coup de poing. Au sein de ces groupes, chaque membre ne connaît qu’une partie des autres membres, la clandestinité est de règle. Ils seront bientôt réunis dans la mouvance de « Volèm Viure Al País », qui prône alors l’action directe et une certaine forme de violence, en particulier dans le Sarladais et du côté de Sainte-Foy-la-Grande, avec des ramifications à Bordeaux, en Lot-et-Garonne et en Sud-Gironde. Il existe aussi un « Moviment Anarquista Occitan » (mouvement anarchiste occitan) en particulier en Périgord. Quelques petits journaux satiriques occitans sont également imprimés, comme Lo Pelharòt à Bergerac.
L'Immortèla, une chanson devenue hymne
La chanson De cap tà l'immortèla est l'œuvre la plus connue du groupe béarnais Los de Nadau, devenu Nadau en 1986. Elle fait partie du troisième album du groupe, L'Immortèla, gravé en 1978 chez Ventadorn, le grand label occitan de l'époque. Bien que chanson de création, De cap tà l'immortèla est devenue en seulement une quarantaine d'années, une chanson véritablement populaire dans les pays d'oc, souvent considérée comme traditionnelle.
L'immortèla aborde la question de la démarche de recherche pour retrouver la langue perdue. Elle constitue donc une sorte de contrechant de la chanson contestataire qui s'attaque au système accusé d'avoir détruit cette langue. La langue et ce qui s'y rattache (le pays, la culture perdue) y sont représentés par la métaphore d'une fleur, l'Immortèla, nom occitan de l'edelweiss dans les Pyrénées, plante supposée ne jamais mourir et ne pas craindre le gel et les intempéries, qualités transposées sur la langue qui, bien que maltraitée, ne meurt pas. Le narrateur est représenté comme un chercheur, quelqu'un qui escalade la montagne à la recherche de la langue-fleur. L'accent est davantage mis sur la démarche de quête et les difficultés de cette démarche, que sur la fleur elle-même (la libertat, qu'ei lo camin, la liberté, c'est le chemin) et sur les espoirs toujours renouvelés qui invitent à aller plus loin malgré le découragement (après lo malh un aute malh, après la lutz ua auta lutz, après la montagne, une autre montagne, après la lumière, une autre lumière).
La chanson prend place dans un album globalement bâti sur un ton revendicatif et militant, dans l'esprit général de la Nouvelle chanson occitane des années 1970, dont Los de Nadau fut l'un des groupes emblématiques. Dans ce mouvement artistique et musical, la chanson sert à dénoncer ce qui relève du « colonialisme intérieur », concept popularisé notamment par Robert Lafont et appliqué à l'Occitanie, sur les plans culturel, économique et politique. Le rôle joué par l'école de la République à partir de la fin du XIXe siècle dans la déconstruction à la fois de la compétence linguistique et du patrimoine culturel des populations des pays d'Oc est largement mis en avant, à l'instar de la chanson-titre Mossur lo regent, parue dans le premier album éponyme en 1975. Los de Nadau s'inscrivent pleinement dans ce mouvement jusqu'au début des années 1981, où l'amorce d'une décentralisation ainsi que les évolutions des goûts et des genres amorceront le déclin de ce premier âge de la Nouvelle chanson occitane. Los de Nadau, puis très vite Nadau, connaît de profondes mutations d'effectif, de style et de propos qui accoucheront d'un groupe différent tout en étant la suite du premier. De cap tà l'Immortèla cessera d'être enregistrée au disque, avant de faire son retour au début des années 1990 sur l'enregistrement vidéo Nadau en Companhia, qui capte la prestation du groupe au Zénith de Pau en 1993. La chanson réapparaît sous une forme légèrement différente. Le branle au débit rapide de 1978 s'est ralenti, en même temps qu'il gagnait en solennité. Le chant de marche est devenu un hymne.
L'Immortèla est immédiatement devenue une chanson emblématique du groupe, puis de la musique occitane tout entière, et enfin du mouvement occitaniste qui l'a rapidement assimilée à un « hymne » occitan officieux, aux côtés du Se canta et de la Copa santa, qui possèdent également cette dimension. Échappant à ses auteurs, elle devient une chanson populaire occitane comme si elle avait toujours existé. La chanson est reprise sur plusieurs disques de Nadau à partir des années 1990, et sur tous leurs DVDs. Le groupe l'interprète à chaque concert depuis les années 1990, parfois en fin de soirée, parfois en introduction. Elle constitue à chaque fois un point d'orgue indéniable de la prestation et est reprise en chœur par le public. Elle est également entonnée lors des manifestations occitanistes et autres évènements revendicatifs.
Paroles de la chanson
Enregistrements
L'Immortèla, Ventadorn, 1978, sous le titre De cap tà l'Immortèla.
Nadau en companhia, VHS, 1993.
S'aví sabut, CD, 1995.
Nadau en companhia, CD en public au Zénith de Pau, avec chœurs et orchestre 1996.
Nadau a l'Olympia, VHS, 2000.
Nadau en companhia, Hèsta de las Calandretas, zénith de Pau, VHS, 2002.
Nadau a l'Olympia, DVD, 2005.
Nadau, Olympia 2010, DVD et CD, 2010.
Nadau, Zénith de Pau, 2017, DVD et CD, 2017.