Quelqu’un tape à la porte en criant :
- Jeanne, Jeanne !
Sur l’escalier de l’entrée de la maison maigre, vieille et toute en pleurs la voisine de René, l’Angèle :
- Jeanne au secours ! René s’est pendu dans son garage et si je viens te voir c’est qu’il a laissé une lettre.
- Et alors ? C’est terrible mais je n’y peux rien, il est venu hier et je l’ai fichu à la porte. Je ne voulais plus entendre les histoires sur notre jeunesse qui m’ont fait tant mal.
- Lis cette lettre !
- Si tu veux mais maintenant c’est un peu tard pour faire quelque chose.
À mon village tant aimé,
Toute ma vie depuis l’école primaire j’ai été amoureux de Jeanne. Sûr que je l’ai abandonnée pour la Rosetta à 20 ans. Mais aujourd’hui la Rosetta est partie et je pensais que le rêve pouvait devenir réalité... Je viens d’apprendre qu’elle est amoureuse et qu’elle va se marier avec un américain. Donc je ne veux plus continuer à vivre. Quand les rêves sont morts il n’y a plus de raison de vivre.
Adieu à vous tous votre ami René le malheureux.
- Encore une fois je ne peux rien faire, ce n’est pas de ma faute. Il est venu me voir hier et il était furieux.
- Tout le monde va dire que c’est de ta faute !
Et l’Angèle furieuse s’en va. Huit heures du soir. Temps de téléphoner à Rémy.
- Allo ! Rémy !
- Comment vas-tu amour de ma vie ?
- Je n’ai pas trop le temps de parler. Mathilde m’a appelée. Mathilde est enceinte et veut venir faire son petit chez moi. Le problème c’est qu’elle n’a pas un sou pour payer le billet d’avion. Est-ce que tu peux lui envoyer l’argent ou mieux prendre le billet et le lui envoyer à Philadelphie ou par internet ? L’adresse : Mathilde Delbas chez Fred Tiafran 23 45 Hillwiew Avenue Philadelphia. Et le téléphone: 410 587 90 87.
- Je vais le faire. Ne te fais pas de souci. Mais est-ce que tu es sûre de ce que tu fais ? Tu n’as jamais eu d’enfant et tout d’un coup tu vas te retrouver mère et grand-mère, ce n’est pas simple.
- Mais tu seras avec moi et je ne serais plus seule. Tu m’aideras. Et en plus le père du petit est noir, chanteur ou musicien, je n’ai pas compris. Je t’appelle bientôt. Et d’un autre côté il y a des problèmes au village. Je te raconterai tout ça la prochaine fois. Adieu et bises mon Rémy !
- Adieu ma belle !
Tout va bien. C’est bon de ne plus être toute seule. Et encore le téléphone. Qui peut appeler maintenant ?
- Mademoiselle Belcaire ?
- Oui c’est elle ! Que voulez-vous ?
- Ici la gendarmerie du village. Je sais qu’il est tard mais nous voudrions vous voir. Monsieur René Delrieu s’est pendu et a laissé une lettre qui parle de vous. Et en plus une voisine Madame Soulages a entendu une dispute entre vous, hier à deux heures.
- Et que puis-je faire ? Ce n’est pas moi qui l’ai pendu !
- Madame, si vous voulez nous pouvons venir vous voir chez vous.
- Demain matin ?
- Non maintenant. Avant de donner le permis d’inhumer il serait bon de parler avec la dernière personne qui l’a vu.
- Eh bien je vous attends !
Mais avant il me faut manger un petit bout et surtout boire un petit coup de vin. Un peu de jambon, de fromage avec une tranche de pain et une pomme reinette du Vigan. Ils sont déjà là avec la voiture de police.
Je commence à me demander si j’ai bien fait de revenir au village. Evidemment la mort de René n’est pas un plaisir pour moi. J’ouvre la porte. Une femme et un homme entrent. La femme je l’ai déjà vue : Madame Blanquet. L’autre, l’homme je ne l’ai jamais vu.
- Est-ce que nous pouvons nous asseoir ?
- Je vous en prie. Venez par ici sur la terrasse.
Ils se mettent chacun dans un fauteuil de jardin. Je vais chercher de l’eau et des verres à la cuisine.
- Vous avez une jolie maison Mademoiselle Belcaire ! Ne vous faîtes pas de souci nous aurons vite fait. Ce n’est que de la routine.
Je leur raconte notre histoire avec René depuis le début jusqu’à notre dispute d’hier sur le devant de la maison. Ils écrivent tout ce que je dis et s'en vont.
Je suis allée me coucher et j’ai dormi toute la nuit sans me réveiller. Aujourd’hui est un autre jour. Hier c’est le passé.
Bonjour tout le monde, adieu les souvenirs. Ma vie commence maintenant ! Le soleil brille sur mon toit tout neuf !
Donc il me faut appeler Mathilde. Je dois attendre six heures. Midi de l’autre côté. Peut-être que le matin elle a besoin de dormir un peu si elle est enceinte. Je ne veux pas décider avant ce que je vais faire avec elle.
De toute façon j’ai du travail dans la maison : il faut vider les valises. Surtout téléphoner au notaire pour savoir ce qui s’est passé avec le toit.
- Maître Bardot ?
- Bonjour. Madame?
- Jeanne Belcaire. Vous ne me reconnaissez pas? Quand même je ne pense pas que j’ai pris l’accent américain!
- Excusez-moi ! Sûr que je savais que vous étiez revenue : tout le village le sait : « l’américaine est revenue sans sa filleule! »
- Merci pour tout votre travail : le toit, les papiers, les impôts. Je voudrais savoir ce qui s’est passé avec le toit.
- Il y a eu un gros orage et le dessus du toit de votre maison s’est retrouvé dans le jardin. Mon maçon a bien travaillé. Il a changé les tuiles et tout réparé. Il a nettoyé votre jardin et j’ai tout payé.
- Donc je vous dois de l’argent. Quand vous voulez je peux venir au bureau.
- Il y a aussi d’autres choses dont nous devons discuter ensemble : qu’allez-vous faire de la maison de votre oncle et de ses vignes ? 20 hectares c’est beaucoup de terres dans un pays de bon vin ! Le Sud de France est de plus en plus connu. Peut-être que j’ai trouvé quelque chose qui serait bien pour vous et le village. Nous en parlerons tous les deux. Quand pourriez-vous venir ?
- Je voudrais attendre un peu. Il y a tant de choses à venir dans les jours qui arrivent ! Je vous appellerai en fin de semaine.
- N’attendez pas trop : on ne sait jamais… A bientôt Jeanne !
- Au revoir Maître Bardot !
Et maintenant un petit thé à l’orange, celui qu’aime mon homme américain si lointain ! Quel plaisir d’être sur la terrasse sur une chaise de jardin en toile rouge sous le soleil pas encore trop chaud ! Avec un petit brin de vent qui court dans les arbres du jardin : le chêne toujours vert été comme hiver et le pin aussi.
Ce n’est pas l’heure d’appeler Rémy qui doit toujours être à l’université. Tout d’un coup je me réveille : le « jet lag », le décalage horaire ! J’ai dormi deux heures !
Je vais chercher le téléphone, le numéro, j’ai peur. Il faut que je sache que maintenant ma vie est avec Rémy. De toutes façons il faut choisir : Mathilde ne sera jamais ma fille mais demain Rémy sera mon mari !
- Allo ! Mathilde ?
- Jeanne ! Quelle merveille d’entendre ta voix ! Comment vas-tu ? Ça fait longtemps que tu es retournée au village ?
- Et toi Mathilde, qu’est-ce que tu fais? Tu dois tout me dire car je me fais du souci. Qu’as-tu fait pendant tout ce temps ?
- Si tu veux tout savoir : je suis heureuse mais toujours perdue. Encore une fois je ne sais plus où j’en suis.
- Mais qui est le père de ce petit que tu attends ?
- C’est compliqué. Peut-être que c’est mieux d’attendre de se voir pour te raconter l’histoire. Est-ce que je peux venir chez toi ?
- Qui est le père de l’enfant ?
- Un musicien.
- De musique classique ?
- Non : de jazz africain si tu veux tout savoir ! Noir ! Fred Tiafran.
- Et tu veux venir avec lui au village ? Je ne sais pas si tu le sais mais au village pour les dernières élections la droite/droite et la gauche étaient à 49/51% !
- Et alors ?
- Je pense que ce serait mieux que tu viennes toute seule.
- Ça tombe bien : il a du travail et ne peut pas venir. Mais moi je veux venir.
- Et quand l’enfant arrivera sûr qu’il ne sera pas blanc !
- Jeanne, tu me déçois. Je te croyais plus ouverte au monde moderne ! Tu le sais bien que la terre est de plus en plus petite.
- Moi je le sais mais dans le village ils ne le savent pas encore. Donc si tu venais seule tout serait bien. Quand est-ce que tu arrives ?
- Il y a un problème : je n’ai pas un sou pour acheter le billet d’avion.
- Et ton homme il n’a pas d’argent pour toi, la mère de son enfant ?
- Un jour peut-être quand il sera connu comme musicien. Mais on n’y est pas encore. Dans ce pays les artistes n’ont pas d’aide pour vivre. Pas « d’intermittent du spectacle » !
- Donc où est-ce que je dois envoyer l’argent pour le billet ?
- Sur la banque de Fred, un virement.
- Je pense que le mieux est de demander à Rémy qu’il prenne ton billet pour te l’envoyer. Donne-moi ton adresse. Je viendrai te chercher à Montpellier.
- Alors : Mathilde Delbas chez Fred Tiafran 23 45 Hillview Avenue. Philadelphia US.
- Trop compliqué ! Je demanderai à Rémy de t’appeler demain matin. A bientôt.
- Bises !
- Dis-moi c’est un garçon ou une fille ?
- Je n’ai pas voulu savoir : on découvrira ensemble ! Ciao !
Peut-être que je suis trop vieille mais je n’ai pas pu dire non ! Temps d’appeler Rémy….
À l'heure du rapprochement des régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées, le comité d'organisation de la 9e Rencontre Internationale du Patrimoine historique a choisi d'aborder cette année, les origines de ces deux régions par l'histoire des comtes de Toulouse.
Durant ces trois journées, nous verrons avec les intervenants comment ces comtes ont permis le développement des arts et la naissance d'un sentiment d'appartenance à un territoire qui deviendra ce nouveau Languedoc.
Sentiment qui persiste aujourd'hui et qui persistera demain.
Jean-Louis Lacroix
Président de l'association Histoire et Cultures en Languedoc
Si on peut s’interroger sur la présence d’un état toulousain au XII° siècle, on ne peut nier l’existence d’une entité territoriale dont la culture est le fondement. Le mécénat des Comtes de Toulouse appuie une politique de rayonnement et de prestige dont les troubadours sont au centre du dispositif.
Les musiciens poètes rimeront 200 ans la vie intellectuelle avec « saber » et « coneissença ». Les Comtes de Toulouse attirent à leur cour les plus grands : Marcabru, Jaufré Rudel, etc.
Ce phénomène crée une rivalité politique entre Toulouse et les grandes maisons voisines : Duc d’Aquitaine, roi d’Angleterre, comtes de Barcelone, rois d’Aragon, car, tous, veulent rivaliser en excellence. C’est un enjeu culturel mais, avant tout, politique. Peu à peu, Toulouse apparait comme un véritable centre culturel face aux autres villes comtales. C’est la capitale languedocienne de la culture.
Cette société culturelle qui gravite autour du prince forme un ensemble hétérogène socialement et géographiquement. On y voit princes et comtes participer aux débats poétiques mais aussi les troubadours se mêler aux débats politiques. C’est ainsi qu’avec la guerre lancée contre les albigeois naitra « la chanson de la croisade ». Cette « canso » ne sera pas seulement une geste répondant à un processus littéraire de composition mais bien une chanson de partisans, dira Benjamin Assié, où, pour la première fois, se soudera une entité territoriale qu’on retrouvera dans la croix occitane.
On passera du symbole féodal au symbole fort d’un territoire.
Le trobar n’est pas le seul fer de lance du mécénat des Raimondins. Le XII° siècle est une époque prospère qui bénéficie d’un enrichissement lié au va et vient en Orient et aux échanges avec le monde ibérique.
C’est la période des grands chantiers où les ateliers d’Arles, de Moissac, de Toulouse tournent à plein régime. De passage à Toulouse, le voyageur Emile Mâle, cité par Alem Sure Garcia dans son livre « clochers et minarets » écrira : « De loin, l’église ressemblait à une forteresse. J’y entrais et je sentis que j’entrais dans une autre France. C’était une nef unique, sans pilier, sans bas-côté, une grande salle voutée sur croisées d’ogive…. C’était l’art du midi que je rencontrais en venant du nord. Un autre génie s’y manifestait. »
Cette nef raimondine que le voyageur admirait dans la cathédrale Saint-Etienne sera le prototype de l’art gothique occitan. Sa clé de voute porte la croix occitane aux 12 perles, symbole du pouvoir des Comtes.
De la Garonne au Rhône, telle était l’ambition de Raimond IV et de ses successeurs, pour asseoir la dynastie Raimondine. Ce large horizon ne cache pas la fragilité d’un ensemble qui manque d’unité politique.
Depuis le XI° siècle, la Grande Guerre Méridionale (1080-1194) a mis en évidence la faiblesse du pouvoir comtal. Des vicomtes ont progressivement constitué des territoires indépendants et n’hésitent pas à faire allégeance au comte de Barcelone, au roi d’Aragon ou au duc d’Aquitaine. Le départ de Raimond IV pour la croisade accentue ce phénomène de dislocation des principautés vassales. Il faudra attendre l’arrivée de Raimond V au pouvoir pour repositionner le Grand Languedoc dans l’escarcelle Raimondine.
Cependant, on assiste à une mutation du droit féodal. Les seigneurs prennent de plus en plus de distance envers les liens de féodo-vassalité. Face aux deux volontés hégémoniques que portent Toulouse et Barcelone, leur choix politique sera opportuniste au service de leurs ambitions.
Pour les Raimondins, il importe donc de neutraliser ce jeu de « bascule ». Leur politique s’appuie sur l’activité diplomatique, les alliances matrimoniales et, en dernier ressort, la guerre. Les comtes de Toulouse poursuivent deux objectifs : étendre leur domination en reprenant dans leur giron les vicomtés rebelles tout en poursuivant leur extension territoriale et affirmer la volonté d’une politique méditerranéenne qui se heurtera à Barcelone.
Au cours de ce long conflit, une césure marque la politique non alignée des Trencavel, mais aussi des Guilhem de Montpellier qui, par leur réseau d’alliances, leur parentèle et leur rapport bienveillant avec les Papes, seront un handicap certain à l’édification du grand comté voulu par les Raimondins.
On peut s’interroger sur la gouvernance d’un territoire écartelé, en conflit constant, avec une cour en perpétuel mouvement dans le long cortège d’une capitale à l’autre, de Saint Gilles à Toulouse. Pour pallier ce handicap et consolider leur autorité, les dynastes développent et mettent en place des structures administratives, sénéchaussées en Toulousain et Agenais par exemple. Puis, au sein des possessions, bailes et viguiers assurent l’ordre. Les chancelleries sont dotées de personnels compétents.
L’époque est prospère, les villes se développent et, face à cette émergence, les comtes appuient la mise en place de consulats, donnant aux villes une certaine autonomie dans la gestion de leurs affaires. La présence Raimondine est alors avérée sur les deux grands axes économiques du Rhône et de la Garonne, mais, présence et domination constituent-elles un état ? L’identité territoriale sera plus tardive.
Il faudra attendre la création des Etats du Languedoc par Charles VII pour que de l’entité territoriale émerge une identité propre à ce vaste territoire. Ce fut le rêve non abouti des Raimondins.
Maguy Chapot-Blanquet
Docteur en Sciences Humaines