Ismaël Girard (Gensac, Gers, 1898, Toulouse, 1976), médecin, fondateur de la revue ÒC en 1923, acteur majeur de l’occitanisme, membre fondateur de la Société d’Études Occitanes (SEO) en 1930 l’Institut d’Études Occitanes (IEO) en 1945.
On sait peu de choses de la jeunesse d’Ismaël Girard à Gensac, près de Montpezat, dans le Gers. Si ce n’est ce qu’il put en dire, brièvement lors d’une interview pour Radio-Toulouse publiée dans la revue Per Noste (n° 20, sptembre-octobre 1970) : « La mia origina sociala e familiala se resumeish ende jo per un mot : Gensac. Aquí vivevan en un temps – parli d’aqueth temps que va dinca la guèrra de 14- 18 – on la vita s’anava au briu de las sasons e deus fruts de la tèrra. Sense autò, sense avion, sens radiò e sense television. A l’ostau, lo Gascon, que’u parlavan cada jorn, mesclat au Francès, mitat l’un, mitat l’aute, coma s’escaijèva. Dehòra, guaire ben sonca lo Gascon » (Mon origine sociale et familiale se résume pour moi en un mot : Gensac. Là, nous vivions en un temps – je parle de ce temps qui va jusqu’à la guerre de 14-18 – où la vie s’écoulait au fil des saisons et des fruits de la terre. Sans auto, sans avion, sans radio, sans télévision. À la maison, le gascon, nous le parlions chaque jour, mêlé au français, moitié l’un, moitié l’autre, comme cela tombait. Au dehors, guère que le gascon).
Mobilisé au moment de la Première Guerre mondiale, après plus d’un an « viscut au ras deu Rhin » (vécu au bord du Rhin – Òc n° 217, juillet-septembre 1960) il est envoyé en garnison en Avignon, ce qui est pour lui l’occasion de fréquenter la bibliothèque du musée Calvet et les œuvres félibréennes, de rencontrer Valère Bernard et Pierre Rouquette, mais aussi de découvrir, à travers l’ouvrage de Joaquim Folguera, Les Noves valors de la poesia catalana, la poésie catalane et, dit-il, « qu’aqueth sentiment de dignitat que cercavi ençò de nòste sens poder trobà’u, èra ua realitat viva delà deus Pireneus » (que ce sentiment de dignité que je cherchais chez nous sans pouvoir le trouver, était une réalité vivante de l’autre côté des Pyrénées – Ibidem).
Démobilisé, il entreprend des études de médecine à Toulouse et obtient son doctorat de médecine en 1926. Il s’installe alors à Toulouse pour exercer son métier d’une manière apparemment particulière, comme le relève un autre médecin, Max Rouquette, dans l’hommage qu’il lui rend dans le numéro 256 d’Òc : « Metge, diguèt encara NON a la medecina oficiala, desumanisada, emmandarinada, en causiguent d’èstre aquí encara l’eretge que tant e tant de malautes venguts de l’Occitania tota venián veire per i atrobar garison, paraula umana e consolament » (Médecin, il dit encore NON à la médecine officielle, déshumanisée, emmandarinée, en choisissant d’être là encore l’hérétique que tant et tant de malades venus de toute l’Occitanie venaient voir pour trouver guérison, parole humaine et consolation ). Il semble aussi qu’il se rapproche en ce début des années 1920 de l’Action Française ainsi que le révèle une de ses lettres à Pierre Rouquette en date du 16 octobre 1921 : « Ah ! oui, quelle belle œuvre ils font en Catalogne ! À les connaître et à les mieux connaître j’ai éprouvé autant de satisfaction et de joie libératrice que le jour où j’ai connu l’Action Française. »
Mais l’activité essentielle de Girard est, tout au long de sa vie, tournée vers l’occitanisme.
La révélation, pour Ismaël Girard, ainsi qu’il l’explique dans le numéro 210 de la revue Òc (octobre- décembre 1958), a lieu dès l’école. Après s’être fait taper sur les doigts quand il parlait patois en primaire, il découvre dans le secondaire le cours de gascon dispensé par Léopold Médan aux élèves de 6ème sacrat occitanista » ([...] il me donna ce qu’on appelle le « feu sacré » qui est devenu le feu sacré occitaniste).
Après sa démobilisation, toujours passionné par la langue et la culture gasconnes, il entre en contact avec le Béarnais Michel Camélat avec lequel il se lie d’amitié et commence à collaborer épisodiquement à la revue félibréenne béarnaise Reclams de Biarn e Gascougne. Il devient par ailleurs secrétaire-adjoint de L’Escòla Occitana, école félibréenne qui vient de se créer à Toulouse. C’est aussi à cette époque qu’il rencontre Camille Soula, professeur de physiologie mais aussi ami d’Antonin Perbosc et passionné de littérature et d’arts et qui, comme Girard, est fort sensible à l’exemple catalan. C’est ensemble que, avec Perbosc et Déodat de Séverac, ils fondent en 1923 la « Ligue de la Patrie Méridionale » qui entretient des liens avec le « Comité d’Action des Revendications Nationales du Midi » créé l’année précédente en Provence notamment par Joseph d’Arbaud et Frédéric Mistral-Neveu.
Si cette expérience aboutit assez rapidement à un échec, y compris pour ce qui est d’une de ses émanations qui semblait la plus prometteuse, La Ligue pour la Langue d’Oc à l’École menée par Jean Bonnafous, la fin de l’année 1923 est un tournant majeur pour Ismaël Girard et pour l’occitanisme. En effet, en septembre 1923, après le coup d’État militaire de Primo de Rivera en Espagne, Antoni Rovira i Virgili, Leandre Cervera et Lluis Nicolau d’Olwer, les leaders du parti catalaniste Acció Catalana, pourchassés par le nouveau pouvoir, se réfugient à Toulouse chez Camille Soula. De cette rencontre naît le projet du journal Òc, dont le premier numéro paraît le 27 janvier 1924. Culturel, revendicatif, mettant en avant l’exemple catalan et laissant une place de choix aux catalanistes dans ses colonnes, Òc se veut, comme le note Jean-Frédéric Brun, « l’organe de combat de la renaissance culturelle et linguistique des pays d’oc » (Jean-Frédéric Brun, « Ismaël Girard à travers sa correspondance avec Max Rouquette (I) », Les Cahiers Max Rouquette, n° 4, mais 2010, p. 70-73).
Cette proximité avec le catalanisme donne l’occasion à Girard de diffuser encore plus largement son message. En particulier par le biais de la revue culturelle catalane de Sitges L’Amic de les Arts dont le directeur Joseph Carbonell i Gener lui confie la composition d’un numéro spécial publié en 1927 et consacré à la culture occitane qui aura un grand retentissement, tant en Catalogne que du côté occitan.
En 1930, c’est encore avec Carbonell i Gener et avec Louis Alibert, autre catalanophile travaillant seul à la normalisation de la langue d’oc en s’appuyant sur l’exemple catalan, qu’Ismaël Girard fonde la Société d’Études Occitanes.
Accaparé par son métier, Girard prend un peu de recul dans les années suivantes mais s’évertue tout de même à porter la voix de l’Occitanie au travers notamment d’une collaboration régulière avec la revue médicale catalane de Leandre Cervera, La Medicina Catalana, dans laquelle il tient une rubrique intitulé « Occitania medica ». En 1939 lorsque Carbonell entreprend de développer les activités de la SEO, Ismaël Girard reprend du service. Il participe à l’accueil d’intellectuels catalans réfugiés à Toulouse à la suite de la défaite de la République espagnole et du gouvernement autonome catalan de la Generalitat, action dont Soula est le maître d’œuvre.
On retrouve Ismaël Girard aux affaires après la défaite de la France en 1940 et l’arrivée au pouvoir du maréchal Pétain. Girard reprend alors les commandes d’Òc dont il avait provisoirement abandonné le et de 5ème : « [...] que’m dèc çò qu’aperam lo « huec sacrat » qu’es devengut lo huec titre, pour une édition de guerre, à Pierre-Louis Berthaud, et est à l’origine d’une requête conjointe des félibres et occitanistes au Maréchal dans le but de voir la langue d’oc enseignée à l’école. Le semi-échec de cette tentative de profiter de la conjoncture pour faire avancer la cause de la langue d’oc qui aboutit à ce que Girard appellera dans Òc (numéro d’été de 1942) « la pallishòta reforma Ripert-Carcopino » marque la fin des tentatives de Girard d’obtenir quoi que ce soit du régime de Vichy. En 1943, Girard quitte Toulouse – Robert Lafont, dans ses Pecics de Mièg-sègle – dit qu’il devient médecin d’un maquis et, au printemps 1944 il s’installe à Saint-Saturnin, près d’Aniane, dans une maison inoccupée appartenant à la famille de Max Rouquette.
De retour à Toulouse vers la fin de 1944, Ismaël Girard entend encore profiter des événements et de la conjoncture politique pour mener à bien un projet qui lui tient à cœur depuis les années 1920, la création d’un Institut d’Études Occitanes. Avec l’aide d’un Camille Soula auréolé d’une gloire de résistant actif et ami de Tristan Tzara et de Jean Cassou qui a manqué devenir commissaire de la République, et malgré l’arrestation de Louis Alibert accusé de collaboration et de la dénonciation ayant entraîné l’exécution d’un résistant et qui risque d’éclabousser l’occitanisme, Girard tente même d’obtenir la dissolution de l’Académie des Jeux Floraux avec laquelle il a maille à partir depuis les années 1920. L’IEO est finalement officiellement créé en avril 1945 lors d’une réunion solennelle tenue dans l’amphithéâtre de la faculté de Lettres de Toulouse en présence de Pierre Bertaux, commissaire de la République ; Jean Cassou en est le premier président et Ismaël Girard en devient provisoirement le secrétaire général.
S’il reste toujours en retrait, Ismaël Girard, de 1945 à 1964 (qui voit la scission de l’Institut entre les tenants d’une voie économiste et politique menée par Robert Lafont et ceux d’une voie culturaliste emmenée par Girard, Bernard Manciet et Félix-Marcel Castan) est, de l’avis de tous, celui qui tire les manettes de l’IEO. Il est son éminence grise, mais aussi son financier, qui assure des rentrées d’argent dans les caisses pour le fonctionnement de la revue ÒC et de l’Institut, y compris sur ses fonds personnels.
Prêt à s’effacer pour laisser les jeunes mener l’action, il est celui qui met le pied à l’étrier de Robert Lafont, Félix-Marcel Castan, Hélène Cabanes ou Pierre Lagarde et les encourage à s’engager dans l’Institut. Mais homme d’action lui-même, il met aussi en place en 1956 avec Pierre-Louis Berthaud et Robert Lafont la revue Occitania, hors de l’IEO auquel elle est cependant liée par les hommes, dont l’objet est de s’éloigner de l’intellectualisme des Annales de l’Institut d’Études Occitanes pour fournir aux Occitans un journal accessible et éclectique touchant à tous les domaines, économique, culturel, sportif... en mettant en avant la spécificité occitane.
Après la scission des années 1960, Ismaël Girard reste en retrait de l’Institut d’Études Occitanes qu’il a fini par quitter, mais continue la publication de la revue Òc jusqu’à sa mort en 1976.