La pratique chantée dans le Sud Gascogne est particulièrement originale en France comme en Europe. Très peu connu du grand public, ce chant de la convivialité, « chant d’auberges », engageant « hautes et basses » a un nom savant : polyphonie ; c’est-à-dire une pratique vocale à plusieurs voix distinctes produites dans cette région en dehors de tout apprentissage musical savant. Ce savoir-faire de tradition orale est général dans les Pyrénées et le piémont basque et gascon (Béarn et Bas-Adour) ne franchissant pas, au nord, l'Adour.
Si le chant en solo existe, la polyphonie le recouvre dès lors que les chanteurs sont au moins deux. Très populaire, son existence se perd dans les brumes de la mémoire collective, les témoignages écrits les plus anciens signalant déjà son existence à la fin du XVIIIe s.
[imatge id=21610]La polyphonie est en effet une pratique éminemment sociale. Produite au sein de la communauté, en famille, entre amis ou connaissances ; au cours de fêtes, de repas, au café ou encore à l’église.
Le chant est l’affaire de tous : hommes comme femmes. Si la polyphonie était pratiquée au café dont les hommes représentaient autrefois la population quasi exclusive, les femmes se faisaient entendre à l'église ou dans le cercle familial, divisions sexuées qui se sont aujourd’hui estompées.
Actuellement, le réflexe polyphonique est toujours bien ancré. Il est la représentation musicale des valeurs de la société pyrénéenne traditionnelle, il y a peu encore essentiellement tournée vers l'élevage et donc la gestion de terrains communaux privilégiant les comportements collectifs aux comportements individuels.
L'Immortèla, une chanson devenue hymne
La chanson De cap tà l'immortèla est l'œuvre la plus connue du groupe béarnais Los de Nadau, devenu Nadau en 1986. Elle fait partie du troisième album du groupe, L'Immortèla, gravé en 1978 chez Ventadorn, le grand label occitan de l'époque. Bien que chanson de création, De cap tà l'immortèla est devenue en seulement une quarantaine d'années, une chanson véritablement populaire dans les pays d'oc, souvent considérée comme traditionnelle.
L'immortèla aborde la question de la démarche de recherche pour retrouver la langue perdue. Elle constitue donc une sorte de contrechant de la chanson contestataire qui s'attaque au système accusé d'avoir détruit cette langue. La langue et ce qui s'y rattache (le pays, la culture perdue) y sont représentés par la métaphore d'une fleur, l'Immortèla, nom occitan de l'edelweiss dans les Pyrénées, plante supposée ne jamais mourir et ne pas craindre le gel et les intempéries, qualités transposées sur la langue qui, bien que maltraitée, ne meurt pas. Le narrateur est représenté comme un chercheur, quelqu'un qui escalade la montagne à la recherche de la langue-fleur. L'accent est davantage mis sur la démarche de quête et les difficultés de cette démarche, que sur la fleur elle-même (la libertat, qu'ei lo camin, la liberté, c'est le chemin) et sur les espoirs toujours renouvelés qui invitent à aller plus loin malgré le découragement (après lo malh un aute malh, après la lutz ua auta lutz, après la montagne, une autre montagne, après la lumière, une autre lumière).
La chanson prend place dans un album globalement bâti sur un ton revendicatif et militant, dans l'esprit général de la Nouvelle chanson occitane des années 1970, dont Los de Nadau fut l'un des groupes emblématiques. Dans ce mouvement artistique et musical, la chanson sert à dénoncer ce qui relève du « colonialisme intérieur », concept popularisé notamment par Robert Lafont et appliqué à l'Occitanie, sur les plans culturel, économique et politique. Le rôle joué par l'école de la République à partir de la fin du XIXe siècle dans la déconstruction à la fois de la compétence linguistique et du patrimoine culturel des populations des pays d'Oc est largement mis en avant, à l'instar de la chanson-titre Mossur lo regent, parue dans le premier album éponyme en 1975. Los de Nadau s'inscrivent pleinement dans ce mouvement jusqu'au début des années 1981, où l'amorce d'une décentralisation ainsi que les évolutions des goûts et des genres amorceront le déclin de ce premier âge de la Nouvelle chanson occitane. Los de Nadau, puis très vite Nadau, connaît de profondes mutations d'effectif, de style et de propos qui accoucheront d'un groupe différent tout en étant la suite du premier. De cap tà l'Immortèla cessera d'être enregistrée au disque, avant de faire son retour au début des années 1990 sur l'enregistrement vidéo Nadau en Companhia, qui capte la prestation du groupe au Zénith de Pau en 1993. La chanson réapparaît sous une forme légèrement différente. Le branle au débit rapide de 1978 s'est ralenti, en même temps qu'il gagnait en solennité. Le chant de marche est devenu un hymne.
L'Immortèla est immédiatement devenue une chanson emblématique du groupe, puis de la musique occitane tout entière, et enfin du mouvement occitaniste qui l'a rapidement assimilée à un « hymne » occitan officieux, aux côtés du Se canta et de la Copa santa, qui possèdent également cette dimension. Échappant à ses auteurs, elle devient une chanson populaire occitane comme si elle avait toujours existé. La chanson est reprise sur plusieurs disques de Nadau à partir des années 1990, et sur tous leurs DVDs. Le groupe l'interprète à chaque concert depuis les années 1990, parfois en fin de soirée, parfois en introduction. Elle constitue à chaque fois un point d'orgue indéniable de la prestation et est reprise en chœur par le public. Elle est également entonnée lors des manifestations occitanistes et autres évènements revendicatifs.
Paroles de la chanson
Enregistrements
L'Immortèla, Ventadorn, 1978, sous le titre De cap tà l'Immortèla.
Nadau en companhia, VHS, 1993.
S'aví sabut, CD, 1995.
Nadau en companhia, CD en public au Zénith de Pau, avec chœurs et orchestre 1996.
Nadau a l'Olympia, VHS, 2000.
Nadau en companhia, Hèsta de las Calandretas, zénith de Pau, VHS, 2002.
Nadau a l'Olympia, DVD, 2005.
Nadau, Olympia 2010, DVD et CD, 2010.
Nadau, Zénith de Pau, 2017, DVD et CD, 2017.
Les tensions entre viticulteurs du Languedoc et pouvoir central ne cessent de s’endurcir tout au long de la décennie 1970 et aboutissent au drame humain de Montredon-des-Corbières (Aude). Une action qui tourne mal, un mort dans chaque camp, un vigneron des Corbières, un CRS breton.
Lui-même fils de viticulteur, La Sauze est un des chanteurs de cette « Nouvelle chanson » à texte occitane. Il signe, avec Montredon, enregistré quelques mois après les événements, un tract sonore d’une humanité bouleversante. De quoi en faire une chanson-monument pour des générations de Languedociens.
Version connue
La Sauze - Montredon (33 tours La Sauze 2, Ventadorn, 1979)
Auteur : Marcel Sauzel, auteur, compositeur, chanteur, musicien
Paroles
Dos òmes son tombats sul sòl de Montredond.
Emili èra occitan, Joël èra breton.
Son mòrts e cresi pas qu’aquò plan importèssa
Qu’un siá viticultor e l’autre C.R.S. :
A Brèst o a Quimpèr se se torna passar,
Emili serà flic e Joël païsan.
Èra un quatre de març, veniá roge lo cèl.
Sus la plana fumava encara l’escaucèl,
Quand la mòrt uniguèt dos fraires de misèria,
Dos innocents pastats dins la mèma matèria
Que, sens saber perqué, gendarme e vinhairon,
Son tombats coma un sol al mièg d’un carrairon.
Un es mòrt per sa tèrra e l’autre per pas res.
Sauprem pas jamai lo pus de plànher quan es.
Vos demandi tanben, e mai se vos arraca,
De los plegar ensem dins la meteissa saca
E de pas pus cercar a tot pèrdre, cossí
De l’un ne faire un sant, de l’autre un assassin.
Bretanha e Lengadòc, cadun perdèt un filh,
Mas los murtrièrs son pas los qu’avián un fusilh.
Èran dins de burèus, tirats a quatre espillas,
Rosetas al revèrs, consciéncias tranquillas.
Los copables per los trapar valddriá melhor
Gaitar cap a París, l’Elisèu, Matinhon.
Jutjaretz benlèu qu’es tardièra ma cançon,
Qu’es passada de mòda e pas pus de sason.
Vos vesi romegar e me faire la tronha :
"Desenterrar los mòrts, s’es pas una vergonha !"
Podètz totjorn bramar, mas per ieu es segur
Que Montredond es mai vivent que Montsegur.
Dins vint ans i aurà pus degun a Montredond.
Pus degun, e de vin aurà rajat jol pont.
Mas del quatre de març, aurem grand gaug encara,
Per ne nos remebrar, del cant d’una guitarra,
E per tornar trapar, foguèssa roge o blanc,
Al vin setanta sièis, un rèire-gost de sang.
Parmi les nombreuses impressions de cantiques spirituels en occitan (plus ou moins mêlé avec le français) du XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, nous pouvons citer :
Exposé dans de nombreux pays, connu du grand public pour ses œuvres, ses performances, ses interventions dans les médias, figure de l’avant-garde artistique (mouvement Fluxus notamment) Ben est sans conteste le plus connu des artistes engagés pour la reconnaissance et la promotion de l’occitan.[imatge id=21636]
Benjamin Vautier, alias Ben, est né à Naples en 1935. Voyageur jusqu’à ses 14 ans, il s’installe à Nice en 1949. C’est là qu’en 1958 il ouvre sa célèbre boutique de disques d’occasion, qui devient le lieu de rencontre et d’exposition de nombreux artistes, notamment ceux que l’on regroupera dans « l’école de Nice ». [imatge id=21637]
En 1974, Ben démonte son magasin pour le remonter à l’identique au Musée national d’Art Moderne qui l’achète pour l’intégrer aux collections nationales.
Créateur, provocateur, agitateur, volontiers mégalomane, ardent défenseur du débat et de la discussion, son art est un art de l’idée, qui provoque brusquement une nouvelle « matière à penser » dans l’esprit du spectateur. S’il ne se revendique pas comme « occitan », dans ses œuvres comme dans ses interventions publiques, Ben a régulièrement été un promoteur de la langue et d’une certaine revendication occitane, très influencée par sa rencontre et son amitié durable avec François Fontan.
C’est à Nice dès 1962 que Ben fait la connaissance de François Fontan (1929-1979), idéologue anticolonialiste dans les années 1950 et penseur du concept « d’ethnisme ». François Fontan est alors un homme de pensée et d’action occitaniste important, qui vient de fonder le Parti nationaliste occitan en 1959.
[imatge id=21639]Ben adhère au concept ethniste de Fontan et l’explore dans nombre de ses œuvres et dans son engagement pour la défense des cultures « indigènes », à commencer par la langue et la culture nissardes / occitanes. Ben revendique une action artistique et une pensée « ethnistes » et devient lui-même compagnon de route du mouvement occitan contemporain (participation aux manifestations Anem Òc des années 2000, don de création pour des affiches, des couvertures de livre, des radios, des événements occitans, etc.) Dans la droite ligne de la pensée de Fontan, il défend par son art « l’idée que les groupes linguistiques ont droit à leur indépendance et à un espace territorial sur cette planète. Selon lui l’oppression de ces peuples par des puissances coloniales et par des intérêts stratégiques et financiers provoque d’immenses souffrances chez les humains… [imatge id=21638]
En conséquence Ben soutien l’Occitanie libre et le concept d’un peuple basque libre, il est contre le génocide linguistique, contre la suppression des groupes linguistiques par les puissances dominantes.[1] »
Il a réalisé un site web dédié à l’ethnisme : http://ethnisme.ben-vautier.com/
À Nice il travaille avec les artistes du collectif Nux Vomica, investissant le contre-champ du Carnaval de Nice devenu vitrine touristique de la Ville, avec le char de la Ratapinhata, émanation de l’esprit populaire de Nice venu reprendre ses droits sur une culture et un imaginaire qui lui sont propres.
« P - Peinture et ethnisme (1985) : La situation de rapports de force de l’art mondial n’accepte pas la modernité des peuples minoritaires : la notion de modernité a été structurée de telle façon qu’elle élimine toute modernité des peuples dominés en dévalorisant leurs oeuvres qu’elle classe dans la catégorie de l’art dit primitif ou folklorique. Ce qui est injuste car je ne vois pas pourquoi un Français travaillant en 1985 ferait de l’avant-garde alors qu’un Meo ou un Kurde travaillant en 1985 ferait de l’art primitif. Bref, le domaine de l’art moderne reflète la situation mondiale des rapports de force entre ethnies. » (Note de Ben issue de ses billets d’information - devenus depuis ses fameuses « newsletters »).
[1] Jon HENDRICKS, « Ben : Pouvoir, ethnisme, politique » dans : Strip-tease intégral de Ben. Paris et Lyon : Somogy et Musée d’art contemporain de Lyon, 2000.
Le chant de la Sibylle est un chant annonciateur de la fin des temps, dont la plus ancienne version connue remonte au Xe siècle. Une version occitane du texte est conservée aux archives départementales de l’Hérault.
Son appellation « Sibylle » fait référence à la portée divinatoire du texte, Sibylle étant le nom donné depuis l’Antiquité aux prophétesses qui pouvaient occasionnellement faire œuvre de divination.
Très populaire en Castille, en Catalogne, en Italie, et en France durant tout le Moyen Âge, il est aujourd’hui surtout interprété dans les églises de Majorque, Catalogne et Sardaigne au cours des Matines de Noël, la nuit du 24 décembre.
La version majorquine du chant de la Sibylle a été inscrite en 2010 par l'UNESCO sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel.
Il existe de nombreuses variations du texte, souvent accompagné d’un acrostiche (strophe où les initiales de chaque vers, lues dans le sens vertical, composent un nom ou un mot-clé), parfois de sa musique et plus rarement encore d’un titre. [imatge id=21092]
< « Version romane du chant de la sibylle » (ancienne appellation)
< « Ell iorn del iuzizi » (incipit de la version occitane)
< « Canto de la Sibila » (version castillane du titre)
< « Cant de la Sibil·la » (version catalane du titre)
1 exemplaire connu :
Le manuscrit qui comprend la version occitane du chant de la Sibylle est connu sous le nom de « Lectionnaire de l’office » et date du XIIe siècle.
Il est conservé aux Archives départementales de l’Hérault sous la cote 10 F 120.
Il se présente sous la forme d’un registre parchemin de 294 folios (37 × 26 cm).
Lien vers la numérisation
La version occitane du chant de la Sibylle est connue grâce au travail de Joseph Berthelé (1858-1926), archiviste, qui a recueilli, aux environs d’une ancienne abbaye d'Aniane dans l’Hérault, un lectionnaire (livre liturgique contenant les passages des textes religieux lus à l'occasion des cérémonies religieuses) copié à la fin du XIIe siècle et l’a transporté aux archives départementales de Montpellier. Ce lectionnaire comprend, outre dont la fameuse version occitane du chant, de nombreux autres textes comme des sermons, des Actes des Martyrs et des homélies.
Le texte de la version occitane du chant de la Sibylle est accompagné d’un unique feuillet de musique notée dans le mode de Ré qui pourrait être une transition entre le Mineur antique et le Majeur moderne de l’air de la chanson.
Le texte de la chanson est une adaptation en occitan d’une version latine et apparaît comme l’une des plus anciennes versions en langue non latine du texte. Cette adaptation est réalisée en vers rimés rythmés, groupés quatre par quatre qui s'adaptent à la mélodie. Elle permet ainsi de passer de la version latine à la version occitane entre chaque couplet, peut être à des fins de réappropriation par une population occitanophone.
La version occitane du texte ne comprend pas l'acrostiche présente dans la plupart des autres versions connues du texte.
Le contenu de la version occitane du chant de la Sibylle ne diffère pas fondamentalement des autres versions connues. Le chant narre les visions d’une prophétesse qui n’est pas présentée et dont les visions sont liées au jugement dernier de Dieu et donc à la fin de temps. En cela la chant de la Sibylle peut être qualifié d’eschatologique (dont le propos est lié à la fin des temps).
Ces visions font références à divers éléments et évènements bibliques (conséquences de la mort de Jésus-Christ sur Terre, ouverture des portes de l’Enfer pour les pécheurs…) et concernent autant les fizel (fidèles) que les descrezen (mécréants). Elles ont donc une valeur de mise en garde et d’avertissement auprès des fidèles.
Il faut probablement voir dans ce chant de la Sibylle et son succès le reflet de l’angoisse du passage vers l’an Mil dans la société occidentale du Haut Moyen Âge.
La version occitane de l’œuvre a fait l’objet d’un travail de réinterprétation en 2019 par l’artiste Clément Gauthier autour d’un projet collectif intitulé “Le chant de la Sibylle”.
Dès 1954, Robert Lafont amorce une réflexion sur les « aspirations profondes, encore qu'inconscientes, d'une très vaste collectivité », qu’il observe en particulier dans la révolte des vignerons languedociens de 1907. En 1961-1962, le mouvement des mineurs de Decazeville fait émerger une prise de conscience autour du concept de colonialisme intérieur. On le retrouve en filigrane du fameux rapport de Michel Rocard « Décoloniser la province » (1966). Avec La Révolution régionaliste, paru à grand tirage chez Gallimard en 1967, Robert Lafont parachève l’émergence d’une conception, largement diffusée, du fait régional français ; il y trace une feuille de route qui sera un des socles de la pensée et de l’action régionaliste pour toute une génération.
La FELCO-CREO est un regroupement d’associations régionales d’enseignants d’occitan de l’Éducation nationale. Fondée en 1987, la FELCO (Fédération des Enseignants de Langue et Culture d’Oc) œuvre à l’amélioration des conditions d’enseignement, tant pour les élèves que pour les enseignants, et développer cet enseignement à tous les niveaux.