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Minerve : presqu'île de pierre
Centre inter-régional de développement de l'occitan (Béziers, Hérault)
Minerve, entre Cévennes et Montagne Noire, porte d'entrée du Parc naturel régional du Haut-Languedoc, attire chaque année touristes et curieux venus découvrir un site naturel grandiose, et une cité au riche patrimoine historique. (immersion totale sur les lieux du drame + Musée Hurepel). 

Minerve constitue après Béziers et Carcassonne, le troisième fait d'armes important de la Croisade des Albigeois. Le siège qu'elle endure au cours de l'année 1210 marque également un tournant dans le conflit. Après une vague de succès rapides dans le camps croisé, on assiste de la part du camp méridional à un apparent sursaut. Alors survient l'épisode de Minerve et de son bûcher, le premier d'une longue série.

 

I/ Le roc de Minerve / Lo ròc de Menèrba

A/ Minerve, presqu'île de pierres

Minerve, capitale historique du Minervois, se dresse à près de 200 m d'altitude, une cité de pierre surplombant le causse. Comme tout droit sortie de terre, la ville domine les gorges de la Cesse et du Brian qui ont au cours des millénaires, dessiné ici des reliefs tortueux dans la roche, reliant la cité à ses environs au gré d'un ensemble de ponts naturels. De fait, le site de Minerve n'est à l'époque relié au nord que par un isthme d'une dizaine de mètres de large (cf.FERRER, Jean-Pierre. Le petit guide de Minerve, village du Minervois dans l'Hérault : à l'usage des écoliers, des collégiens et des visiteurs. [S.l.] : J.-P. Ferrer, 1990. P.17).
 
Ce site géologique d'exception offre a priori toutes les conditions d'un site protégé, une forteresse naturelle imprenable. De fait les seigneurs de Minerve y construisirent un premier castrum, château et village accueillant quelques dizaines d'âmes. Au IXe siècle, alors que l'autorité centrale de Carcassonne s'effrite au gré des luttes d'influences internes, les seigneurs de Minerve obtiennent que leurs terres soient érigées au rang de vicomté. La cité demeure toutefois vassale des comtes de Carcassonne, puis, à la faveur de l'achat d'une partie des terres par les Rois d'Aragons, elle passe également sous l'autorité de ces derniers, réunissant ainsi dans ses protecteurs, les principaux acteurs du drame cathare.
 


B/ Minerve et le catharisme dans le tournant des années 1208-1210

Au début du XIIIe siècle, alors qu'éclate la Croisade des Albigeois, le vicomte de Minerve porte le nom de Guilhem. Ce seigneur, dont les sources semblent indiquer qu'il ne se convertit pas lui-même au catharisme, semble toutefois avoir témoigné une certaine tolérance vis-à-vis des « bonshommes » qui trouvent en Minerve un abri (CORDES, Léon. Le petit livre de Minerve / Lo pichòt libre de Menèrba. [S.l.] : [s.n.], 1974 (Lodève) : impr. des Beaux-Arts). P.64). Parmi cette foule de cathares inconnus, se distingue un nom, celui du troubadour Raymond de Miraval.
 
Le catharisme, branche qualifiée d'"hérétique" par l'Église catholique, prend forme au milieu du XIIe siècle. Ses adeptes se font appeler vrais chrétiens ou Bons hommes. Le catharisme diffère du christianisme sur un certain nombre de points. Sont notamment rejetés les principes de l'incarnation dans la communion et le récit de la Passion du Christ, tandis que l'accent est mis au contraire sur la Pentecôte, la transmission de l'Esprit aux apôtres, ainsi que sur le consolament, l'imposition des mains, placé au cœur de leurs rituels (cf. Patrimoines en Minervois : Histoire, mémoires et territoire. « Minerve, 1210, de roc, de sang et de cendres ». Eté 2010. Pp.5-6).

Ces "Parfaits" trouvent dans le Midi de la France un terreau favorable à leur développement, où ils mènent une vie austère et dépouillées propre à leurs croyances. La prédication s'y fait dans la langue vernaculaire maternelle de leurs disciples, la langue d'oc. Portée originellement par des prédicateurs itinérants, l'Église cathare se structure progressivement se dotant d'une hiérarchie propre, sur le modèle des églises chrétiennes primitives et compte dans le Midi trois évêchés principaux : ceux de l'Albigeois, du Toulousain et du Carcassès, le Minervois dépendant de ce dernier. (cf. Patrimoines en Minervois : ibid).
 
Au tournant de 1208, le Pape Innocent III lance contre les cathares jugés hérétiques, une grande croisade à la suite de l'assassinat de son légat Pierre de Castelnau, aux environs de Saint-Gilles. Débute alors un conflit d'une vingtaine d'années (1208-1229), tant religieux que politique, conduisant tant à la disparition du catharisme qu'au rattachement du Languedoc à la couronne de France.

 II/ Le siège de 1210

A/ Simon de Montfort, seigneur de Carcassonne

Dans la longue série de batailles et de sièges qui émaillent le conflit cathare, le siège de Minerve de 1210 constitue chronologiquement le troisième événement important, derrière le sac de Béziers en 1209 et la prise de Carcassonne la même année (cf. BOYER, Charles. Le siège de Minerve : 1210. Carcassonne : E. Roudière, 1934. P.5). 

Suite à ces deux faits d'armes et à la mort du seigneur Trencavel dans les geôles carcassonnaises, Simon de Monfort devient maître des terres du défunt vicomte. Dans les faits, ces terres nouvelles demeurent à conquérir. Le nouveau maître de Carcassonne - dont l'autorité n'est pas reconnue par Pierre II d'Aragon, son suzerain - doit également faire face à de nombreuses révoltes et à des trahisons au sein même de ses proches, comme Guiraud de Pépieux (cf. Patrimoines en Minervois, ibid, p12).

Ainsi, après les succès rapides des croisés dans les premiers temps du conflit, le début de l'année 1210 est marqué par un ralentissement tandis que côté Cathares et leurs alliés, les rangs se resserrent, une organisation nouvelle se met en place. Sentant le vent tourné, Simon de Montfort comprend qu'il lui faut consolider ses premières victoires (cf. BOYER, Ch. Ibid. P.5). Dans cette "Guerre des châteaux" qui débute, la zone Corbières / Minervois constitue la clé de voûte stratégique afin de tenir tout le pays. La chose est ardue, et c'est consécutivement à la défaite de Cabaret du mois de juin 1210, que Montfort entreprend le siège de la cité sur le roc, Minerve (CORDES, ibid. Pp.64-65).

 

B/ Le siège et ses légendes

À l'instar de bien des épisodes de la Croisade des Albigeois, le siège de Minerve nous est rapporté par La Canso ou Chanson de la Croisade Albigeoise, texte contemporain des événements, ainsi que via l'Historia Albigensis (Petri Vallium Sarnai monachi) et L'histoire anonyme de la guerre des Albigeois de Dom Vic et Dom Vaissette (Histoire générale de Languedoc, Toulouse, édit, Privat, 1874-1894, t.VIII, p.46.).

 
Le siège de Minerve nous y est retranscrit avec force détails, dont certains demeurent sujets à caution. En voici les grands traits. C'est au mois de juin 1210 que s'ouvre le siège de Minerve. Les troupes de Simon de Montfort prennent alors place aux pieds d'une cité réputée inexpugnable. Elles ont été rejointes par les troupes alliées narbonnaises, auxquelles certaines sources attribuent d'ailleurs la responsabilité du siège (dont Jean-Pierre Sarret), nouvel épisode de la lutte fratricide qui oppose Narbonne et Minerve, et dépasse les cadres du conflit albigeois. A leurs côtés, se trouvent également un légat du pape, Arnaud-Amaury, chef religieux de la croisade, Bérenger l'archevêque de Narbonne, les évêques de Riez, Raymond d'Uzès, Foulques de Toulouse, Raynald de Béziers et le chanoine Thédise de Gènes. Les forces en présence peuvent être estimées à 1000 d'un côté, contre 400 certainement du côté des assiégés. (cf.p.12, Guide du voyageur de Minerve).

Débute alors une guerre d'usure entre assaillants et assiégés. Les remparts sont attaqués par les catapultes et trébuchets menés sur place par les troupes croisées. Les trois mangonneaux et un pierrier géant, la Malavesina en occitan (Malvoisine en français), mitraillent de manière continue les murs de la cité. Le siège se poursuit ainsi durant sept semaines. Les Minervois, comme avant eux les Carcassonnais (cf. NELLI, René, Carcassonne d'heureuse rencontre, Aix-en-Provence : Edisud, 1980), sont finalement pris en défaut par le manque d'eau. La destruction du puits Saint-Rustique, leur principal point d'alimentation en la matière, les privent d'une denrée vitale, réel talon d'Achille des assiégés. (CORDES. Ibid. Pp.66-67).

A la mi-juillet face à une situation qui se dégrade progressivement, Guillaume de Minerve engage les pourparlers. "Le légat suggéra aux deux adversaires de rédiger par écrit et séparément les conditions de la reddition." Face aux demandes des assiégés, Montfort rejette toute conciliation. La capitulation minervoise advient finalement le 22 juillet après 7 semaines de siège. Le légat du pape se voit confier la mission de l'après : le sort des vaincus est placé entre ses mains. La conversion ou le bûcher telle est à grands traits, la politique du prélat. (BOYER. Ibid. P.13) De fait, ce sont près de 140 cathares qui sont menés au feu, constituant une triste première dans une série qui émaille par la suite l'ensemble de la Croisade.

La ville occupée par les croisés, devient possession de Simon de Montfort et avec elle, l'ensemble de la vicomté. Ce succès rapide après une série de déconvenues côté croisés, relance les troupes de Simon de Montfort sur les voies de la conquête. Ainsi Peyriac et Rieux, deux des principales villes du Minervois, qui avaient résisté jusqu'alors, ne tardent pas à succomber à leur tour (voir Douais, la soumission de la vicomté de Carcassonne Boyer p44).

L'ancien seigneur de Minerve, Guilhem IV reçoit en échange quelques terres nouvelles aux environs de Béziers. Il s'engage alors, puis son fils après lui, dans la résistance aux côtés des Trencavel. La Canso le place ainsi à Beaucaire en 1216 (La Canso de la Crozada, laisses 167 et 169. Réédition numérique de P.Meyer), siège qui voit la défaite de Simon de Montfort, et à Toulouse en 1219. Son ancienne vicomté, occupée par les troupes croisées, ne prendra pas part aux soulèvements. En 1242, la vicomté de Minerve est supprimée, devenant chef-lieu de bailliage. Dernière étape, le 11 mars 1258, le roi d'Aragon cède tous ses droits sur le Carcassès et le Minervois à Louis IX à l'occasion de la signature du traité de Corbeil. (Guide du Visiteur de Minerve p.13).


III/ Minerve, dans la légende

A/ Un siège légendaire

Cité inexpugnable, château de pierre au milieu des causses, mais surtout premier des bûchers de la Croisade, bien des images accompagnent l'épisode de Minerve. De fait, de nombreuses histoires vinrent enrichir la légende du Siège de la capitale Minervoise.
Dans son Òme de Menèrba, dont la trame puise dans le légendaire local, Léon Cordes revient notamment sur l'une des épisodes clés de l’événement. Ainsi l'histoire voudrait que d'une trahison serait advenu la fin du siège. Une fille de Minerve, qui avait son ami dans les troupes de Montfort (comptant en effet des troupes locales, notamment les alliés narbonnais), aurait ainsi confié aux croisés le talon d'Achille de la ville : le manque d'eau et la réserve principale constituée par le puits. (CORDES. Ibid. Pp.66-67). Le puits, élément clé dans la stratégie poliorcétique, a marqué l'imagination populaire aussi bien que celle des auteurs, et de fait, l'on trouve de bien nombreuses versions de l'épisode Minervois : Jeanne Boujassy, J. de la Cave, Georges Bordonove...
 
"Monument" du patrimoine oral et musical occitan, le chant du bouvier, Lo Boièr, serait pour certains, un souvenir du bûcher de Minerve, entonné par les cathares durant leurs derniers moments. Ils soulignent à ce propos l'ambivalence d'un chant aux paroles parfois burlesques interprété comme un chant sacré. Ces mêmes paroles seraient d'ailleurs ambiguës à dessein, afin de cacher leur véritable nature aux troupes de l'Inquisition. Toutefois, la nature religieuse de ce chant reste à démontrer. René Nelli le classe ainsi dans les chants de métier, d'ailleurs postérieur à la croisade. (cf. NELLI, R. Ibid. P.72).
 
Les légendes touchent également le patrimoine naturel local, fortement propice à débrider les imaginations. La cité de Minerve possède notamment plusieurs grottes, celle de l'Aldène notamment dont l'histoire inspira en son temps l'auteur occitan Achille Mir au XIXe siècle : « Passejado dal 17 d'octobre 1884 a la groto de Minerbo ». Une grotte également dite de Minerve, de Fauzan ou de la Coquille, qui inspira d'ailleurs une trentaine d'année plus tôt, le poète narbonnais Hercule Birat (cf. La semaine du Minervois du 8 août 2013, pp.7-10). Le minervois Léon Cordes rapporta dans son Pichòt libre sus Menèrba, une légende sur l'une de ces balmas (grotte en occitan). L'histoire voudrait qu'une d'entre elles, aménagée en souterrain, permette via la sacristie de circuler sous la ville. Ces grottes ne contiendraient-elles pas les trésors et réserves de toutes sortes des cathares réfugiés dans la ville avant 1210 ? (cf. CORDES. Ibid. P.60).

 

 

Bibliographie

 
BOYER, Charles. Le siège de Minerve : 1210. Carcassonne : E. Roudière, 1934. (Cote CIRDOC : CAC 6508).
 
CORDES, Léon. Le petit livre de Minerve / Lo pichòt libre de Menèrba. [S.l.] : [s.n.], 1974 (Lodève) : impr. des Beaux-Arts). (Cote CIRDOC : 988.94 MIN).
 
FERRER, Jean-Pierre. Le petit guide de Minerve, village du Minervois dans l'Hérault : à l'usage des écoliers, des collégiens et des visiteurs. [S.l.] : J.-P. Ferrer, 1990. (Cote CIRDOC : CBB : 417-21).
 
NELLI, René, Carcassonne d'heureuse rencontre, Aix-en-Provence : Edisud, 1980. (Cote CIRDOC : 988.97 CAR).
 
Patrimoines en Minervois : Histoire, mémoires et territoire. « Minerve, 1210, de roc, de sang et de cendres ». Eté 2010. ( Cote CIRDOC : H3).
 
La semaine du Minervois. N°du 8 août 2013, pp.7-10
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Videoguida : Lo Caçolet (en lenga occitana sostitolada francés)

Tolosa, Carcassona e Castèlnòu d’Arri, que caduna propausa sa recepta de caçolet, pròpria a son terrador, se ne contèstan la paternitat.  Mas lo gastronòm lengadocian Prosper Montagné regla la question en favor del caçolet castèlnòudarrienc.

Aquesta videoguida d'animacion foguèt realizada en 2014 dins l'encastre del projècte e-Anem, finançat pel FEDER en Lengadòc-Rosselhon.

Version occitana sostitolada en francés.

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Enregistrements sonores en occitan de la collection des Archives de la parole (1911-1914) / par Ferdinand Brunot
Brunot, Ferdinand (1860-1938)
Créées en 1911 par le grammairien et historien de la langue française Ferdinand Brunot, les Archives de la parole furent la première institution en France à collecter et sauvegarder la documentation sonore. Poursuivant un projet d'Atlas phonographique de la France, Ferdinand Brunot mène des enquêtes dialectologiques de terrain. Seules trois missions sont finalement menées en 1912-1913, dont une en Limousin centrée sur la dialectologie occitane (août 1913)

Le fonds de l'enquête phonographique en Limousin est constitué de 72 enregistrements sonores réalisés par Ferdinand Brunot entre le 22 juillet et le 30 août 1913 en Corrèze. Il représente un des plus anciens et des plus précieux témoignage de l'oralité occitane vivante à la veille de la guerre de 1914-1918. Ferdinand Brunot a notamment enregistré plusieurs personnalités du Félibrige limousin, comme Eusèbe Bombal ou Marguerite Genès. 
Parallèlement à l'enquête de terrain en Limousin, Ferdinand Brunot a produit plusieurs enregistrements en occitan dans le cadre des enregistrements de personnalités en studio à la Sorbonne. 

Le fonds des Archives de la parole, aujourd'hui conservé à la Bibliothèque nationale de France (Département de l'audiovisuel) a été intégralement numérisé par la BnF et rendu disponible dans Gallica (gallica.bnf.fr). Les ressources listées ci-dessous représentent l'ensemble des enregistrements en occitan du fonds des Archives de la parole (72 enregistrements provenant de l'Enquête phonographique en Limousin et 8 provenant des enregistrements en studio à la Sorbonne).

En savoir + sur l'histoire des Archives de la parole et les collections conservées à la BnF : 


Consulter la fiche de fonds : Bibliothèque nationale de France. Département de l'audiovisuel, Sous-fonds : [Archives de la parole]. [Enquête phonographique en Limousin]
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Trobairitz en Gevaudan
Centre inter-régional de développement de l'occitan (Béziers, Hérault)

L'Occitanie accueille au XIIe et XIIIe siècles, un renouveau littéraire initié par le duc d'Aquitaine et premier troubadour, Guillaume IX de Poitiers. Cet art du trobar, acquiert progressivement, et en langue d'oc, ses lettres de noblesse. Trobadors et trobairitz, leurs consœurs, chantent durant ces deux siècles qui constituent l'âge d'or de cette lyrique, fin'amor, joi et joven (amour raffiné, joie d'amour et jeunesse).

 

I/ Lozère, terre de Trobar

Le souvenir de ces poètes médiévaux est parvenu jusqu'à nous grâce à un ensemble de textes, appelés chansonniers, dont les principaux intitulés H et W sont respectivement conservés au Vatican (Rome) et à la Bibliothèque nationale de France (Paris). On conserve également des Vidas e Razòs, courts textes biographiques accompagnant les poésies et qui donnent quelques éclaircissements sur l'origine et l'existence de leurs auteurs. Ces écrits dressent la liste de pas moins de 2500 troubadours et d'une vingtaine de trobairitz.

Terre occitane, le Gévaudan est également terre de troubadours et de trobairitz. Ces mêmes sources évoquent pour ce seul territoire - dont les contours dépassent aujourd'hui le département administratif de la Lozère en débordant également sur l'Ardèche ou le Gard -, un ensemble d'au moins quatorze troubadours dont quatre femmes, se répartissant autour de 1180, en deux fécondes générations d'écrivains. Garin le Brun, Guillem Gasmar, Grimoart Gausmar, Garin d'Apcher ou Torcafol, débutent leur création alors que e courant ouvert par le poitevin Guillaume IX, duc d'Aquitaine, est déjà bien établi. Leur production témoigne de l'accomplissement rencontré par cette littérature.

Au regard de l'abondante œuvre laissée par leurs confrères masculins, les quelques chansons écrites par des trobairitz gévaudanaises semblent un bien maigre ensemble. Elles n'en demeurent pas moins un témoignage d'exception quant à la place des femmes de ce temps et de cette aire, l'Occitanie. Notons d'ailleurs l'importance, comparativement à l'ensemble d'une vingtaine de noms connus seulement pour tout le monde occitan, des trobairitz du Gévaudan, au nombre de quatre.

 

II/ Voix de femmes en Occitanie

Contrairement à la prose des troubadours, celle des trobairitz, quantitativement moindre il est vrai face à un ensemble de plus de deux mille voix, fut longtemps reléguée au second plan. Le tournant des années 1970, à la faveur des différents mouvements féministes, puis les analystes contemporains ont permis de revenir sur ce pan de la lyrique troubadouresque, d'en étudier les particularités, l'origine de leurs auteurs... définir dans les faits s'il existe une voix féminine du trobar différente d'une langue que l'on pourrait dire "masculine".

Le portrait général des femmes que dressent les biographies des Vidas, est assez succinct. Rédigés bien souvent de façon postérieure à la mort de leurs sujets, ils sont dans le cas des trobairitz limités à quelques lignes, quand ces dames ne figurent pas uniquement dans la Vida oula Razò d'un troubadour qui fut l'un de leurs proches ou avec lequel elles dialoguèrent. A travers les vingt portraits de femmes connus, un portrait-type, que des sources nouvelles pourraient conduire à modifier, semble se dégager. Les femmes prenant la plume, furent principalement de noble extraction. En dépit d'une situation relativement privilégiées en Occitanie, espace qui leur accorde un certain nombre de droits, tel celui d'hériter, il est à noter que ces poétesses s'expriment en un temps, le Haut Moyen Âge, qui demeure peu favorable à la gent féminine. Avoir la possibilité de coucher sur le papier leurs idées et leurs « amours », puisque tel est le principal sujet de débat, demeure le fait d'une poignée de femmes socialement favorisées. Les thèmes qu'elles abordent sont communs à leurs homologues masculins : fin'amorjoi et joven y trouvent ainsi une place de choix, avec peut-être un regard et surtout, une posture dans l'échange amoureux, quelque peu différents.

 

III/ Voix de femmes en Lozère

  • Voix de femmes en Lozère

     

Hasard des sources ou véritable symbole d'une situation particulière à cet espace, le Gévaudan accueillit un quart des trobairitz répertoriées à ce jour, la plupart d'entre elles appartenant par ailleurs à la seconde génération des troubadours gévaudanais. La prudence demeure de mise face à cette production vieille de plusieurs siècles, et pour cela soumise aux aléas du temps et de la destruction. Ces trobairitz gévaudanaises sont donc au nombre de quatre : Almucs de Castelnou ou Almoïs de Châteauneuf (selon les commentateurs), Iseut de Chapieu ou Iseu de Captio, Azalaïs d'Altier et Na Castelloza, cette dernière s'installant en Gévaudan après son mariage.

Moins connues que leurs homologues masculins, dont Perdigon, auteur originaire de Lespéron, aux environs de Langogne (aujourd'hui administrativement située en Ardèche), ou Garin d'Apchier ; nous savons en définitive peu de choses des trobairitz de cette zone, dont peu de pièces et de maigres biographies constituent les uniques traces. Laissons de côté Azalaïs d'Altier, demoiselle issue de la noble famille du même nom et connue par son salut à Clara d'Anduze, pour étudier plus en détails ses trois comparses, très vraisemblablement contemporaines comme le suggèrent leurs écrits.

 

  • Almoïs de Châteauneuf et Iseut de Chapieu

Almoïs de Châteauneuf et Iseut de Chapieu sont principalement connues du fait des échanges épistolaires qu'elles entretinrent. Toutes deux sont originaires d'une région voisine.

Almoïs de Châteauneuf serait en effet issue de la famille de Châteauneuf-Randon, résidant dans le captium du même nom à quelques kilomètres de Langogne sur la route en direction de Mende, un château rendu célèbre par le chevalier Du-Guesclin mort à cet endroit. Nous la connaissons principalement par une courte biographie présentée dans le chansonnier H conservé au Vatican à Rome. Un acte d'hommage datant de 1219 et relatif au seigneur de Châteauneuf, le dénommé Guillaume, indique que la mère de celui-ci portait le nom d'Almoïs. Clovis Brunel et avec lui d'autres historiens, on fait depuis le rapprochement entre la trobairitz et la noble dame. (cf. TREMOLET DE VILLERS, Anne. Trobar en Gévaudan. Mende, Association du Festival de Mende, 1982. Pp.67-70, et BRUNEL, Clovis. « Almois de Châteauneuf et Iseut de Chapieu », Extrait des Annales du Midi, t.XXVIII, Toulouse, 1916).

Iseut de Chapiu ou Iseu de Captio. Les commentateurs voient en elle une dame de Chapieu, du nom d'un château situé alors sur le Causse de Mende et aujourd'hui en ruines. Trobairitz de la seconde génération également, elle aurait produit ses pièces entre 1187 et 1250 environ.

Dans le cadre de la tenson qui les réunit ( tenson = dialogue poétique), Iseut de Chapieu endosse le rôle de médiatrice entre Almoïs et son amant, dénommé Guigue de Torna ou de Tournel en fonction des commentateurs et qui fut peut-être, un parent de la demoiselle de Chapieu. Les seigneurs de Tournel portèrent en effet successivement les titres de Villaforti (de Villefort), de Capione (de Chapieu), leur préférant à compter du XIIIe siècle celui de Tornello (Tournel). (cf. Clovis Brunel, ibid.).

Le dialogue ouvert par Iseut se compose d'une seule cobla (couplet), précédée d'une Razò, fragments épars d'une œuvre possiblement plus vaste mais désormais perdue. Iseut prend la défense du sieur Guigue, accusé par sa maîtresse de trahison. Les échanges par leur tonalité suggèrent une proximité entre les deux femmes qui dépasse le simple échange épistolaire. Le langage s'y fait plus direct, le ton et le style en sont quoi qu'il en soit riches et soutenus.

Toute question demandant réponse, Almoïs prend à son tour sa plume afin de justifier sa position face à cet amant rejeté. Son couplet nous révèle un peu plus l'histoire amoureuse qui se trame derrière ces quelques lignes. Elle y engage son amant à demander pardon d'une faute, la tromperie, particulièrement mal perçue par la société occitane de l'époque. Nous ne possédons de cette dame qu'une œuvre unique, insuffisante pour connaître la finalité de cette médiation.



  • Na Castelloza

La vie et l’œuvre de Na Castelloza, originaire d'Auvergne, est dans les faits liée au Gévaudan et à ses poétesses qui furent ses contemporaines et ses interlocutrices. Dans « Ja de chantar non degr'aver talan », elle entame ainsi un dialogue avec une « Dompna N'Almueis », qui ne serait autre que la dame de Châteauneuf.

Mariée à Turc de Mairona, de Meyronne en Gévaudan (Haute-Loire), Na Castelloza a laissé à la postérité au moins trois écrits. Contrairement à la position de la Domna, dominatrice et indépendante, adoptée notamment par Almoïs de Châteauneuf, elle laisse pour sa part le portrait d'une dame soumise et implorante vis-à-vis de son amant. 

La littérature médiévale en Gévaudan fut comme ailleurs en Occitanie, particulièrement florissante durant l'âge d'or du Trobar. De ces troubadours demeurent quelques images, chansons et des noms, liés aux domaines de ces seigneurs et poètes.

 

 

BIBLIOGRAPHIE

Petite anthologie des écrivains lozériens de langue d'oc. [Mende] : s.n., impr.1982.

ANATOLE, Christian, "Las trobairitz" in Lo Gai Saber n°394, avril 1979.

BEC, Pierre, Chants d'amour des femmes-troubadours. Paris, Stock, 1995.

BOGIN, Meg. Les femmes troubadours. Paris, Denoël/Gonthier, 1978.

BRUNEL, Clovis. « Almois de Châteauneuf et Iseut de Chapieu », Extrait des Annales du Midi, t.XXVIII, Toulouse, 1916.

GIRAUDON , Liliane, ROUBAUD, Jacques. Les Trobairitz. Les femmes dans la lyrique occitane. Paris,Action poétique, 1978.

LAFONT, Robert ; ANATOLE, Christian, Nouvelle histoire de la littérature occitane, Paris, P.U.F. 1970.

NELLI, René, Ecrivains anticonformistes du moyen-âge occitan. La femme et l'Amour. Anthologie bilingue, Paris, Phébus, 1977.

REMIZE, Félix. Biographies lozériennes : les noms célébres du pays de Gévaudan. Le Coteau-Roanne, Horvath, 1989.

SOUTOU, A. « L'enracinement des troubadours : Bertran de Marseille et le terroir de Ste-Enimie (Lozère » in Annales de l'Institut d'études occitanes 0180-4200 ; N° 18, 1954. Pp. 29-33.

TREMOLET DE VILLERS, Anne. Trobar en Gévaudan. Mende, Association du Festival de Mende, 1982.

VASCHALDE, Henry. Histoire des troubadours du Vivarais et du Gévaudan. Paris, Maisonneuve et Ch. Leclerc, 1889.

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Molière e lo teatre d'òc
Centre inter-régional de développement de l'occitan (Béziers, Hérault)

« Jean-Baptiste Poquelin est né à Paris, Molière est né à Pézenas ». Marcel Pagnol.

Molière était déjà Molière (il adopte le pseudonyme dès 1644) quand l'échec de sa première compagnie parisienne l'entraîne sur les routes de France aux côtés de la compagnie de Charles Dufresne. Ses pas le conduisent bientôt à Pézenas en Languedoc, ville des Montmorency, grande famille de France et gouverneurs du Languedoc qui l'ont élue pour capitale. 

Par ailleurs ville d'États (les États généraux s'y regroupent à diverses occasions sous l'Ancien Régime), Pézenas connaît alors un véritable renouveau. Après le coup d'arrêt impulsé par l'exécution d'Henri II de Montmorency, cette ville traditionnellement active et riche (elle est ville de foires drapières depuis le Moyen Âge) retrouve en effet un second souffle avec l'installation en ses murs d'Armand de Bourbon-Condé, héritier du comté de Pézenas.

 

 

I/ De Poquelin à Molière en passant par Pézenas

  • Molière à la cour du Prince de Conti

De son vrai nom Jean-Baptiste Poquelin, Molière grandit dans le milieu bourgeois d'une famille de tapissiers parisiens. Le jeune homme se détourne toutefois de la vocation paternelle et fait le choix des arts, rejoignant dès 1653 la troupe de l'"Illustre Théâtre" où il rencontre les Béjart, notamment Madeleine. L'échec de cette première compagnie pousse le jeune Molière et ses compagnons à prendre le chemin de la province en compagnie de la troupe de Charles Dufresne. C'est le début de treize années passées sur les routes de France, loin de la capitale. Ses pérégrinations le conduisent en Languedoc, auprès du Prince de Conti.

Descendant des Montmorency par sa mère, Charlotte-Marie, sœur d'Henri II de Montmorency, le jeune prince de sang (les Condé sont une branche cadette des Bourbons) a trouvé refuge sur les terres familiales à la suite de la Fronde des princes (1650-1653). Le Prince de Conti, devenu gouverneur du Languedoc en 1661 à la mort de Gaston d'Orléans, a installé sa cour à la Grange des Prés à Pézenas, et recherche pour celle-ci des divertissements. En 1653, Molière et sa troupe obtiennent faveur et pension du prince au détriment de la troupe de Courtier. Le jeune comédien qui en est encore aux balbutiements de sa carrière, a déjà effectué à cette date plusieurs séjours dans la région entre le 24 octobre 1650 et le 14 janvier 1651, et reviendra encore dans cette ville quelques années plus tard entre 1655 et 1656. La date de 1653, et le soutien affiché du gouverneur du Languedoc, constitue toutefois un tournant pour ceux devenus les « Comédiens des États de Languedoc et de S.A.R. (Son Altesse Royale) Le Prince de Conty ». Cet illustre patronage facilite dès lors le travail des comédiens qui obtiennent plus facilement l'autorisation des consuls de la Région pour réaliser dans leur ville des représentations théâtrales, art et profession décriés.

La troupe enchaîne alors les représentations chez le Prince, les nobles piscénois et dans les villes de la région, se mêlant parfois à la population locale. La tradition prête ainsi à Molière des habitudes dans le salon de coiffure du barbier de Pézenas, le dénommé Géli, dont la maison se dresse toujours place de l'ancien hôtel de ville. Là, l'auteur en résidence se serait assis sur un grand fauteuil de bois aujourd'hui présenté dans les collections du musée de la ville, le musée Vulliod-Saint-Germain, tirant son inspiration des petites scènes du quotidien qui s'y jouaient.

Le soutien princier perdure jusqu'en 1655, date à laquelle l'ancien libertin que fut Conti opère une conversion radicale, rejetant les plaisirs et mœurs de sa jeunesse pour une vie plus austère et conforme aux principes de la religion. Dès lors le Prince, empreint de remords, se détourne du théâtre ; pire, il en devient l'ennemi déclaré. Du jour au lendemain, Molière se trouve alors sans appointements ni protecteur, dans une région où le théâtre n'est plus en odeur de sainteté. Après un vraisemblable dernier passage dans la ville en 1657, le comédien s'éloigne de cette province. Elle demeure toutefois étroitement liée à son œuvre.

  

  • La naissance d'un mythe, Molière et Pézenas au XIXe siècle

Les années d'errances du comédien hors de la capitale, demeurent aujourd'hui encore sources de réflexions pour les historiens, faute d'une historiographie et de sources conséquentes en ce domaine. Le passage de Molière à Pézenas, comme ailleurs, fait l'objet d'interrogations et s'accompagne de nombreuses historiettes à l'authenticité plus ou moins avérée.

Après des dizaines d'années de quasi oubli, la fin du XVIIIe siècle et surtout le XIXe siècle se révèlent "moliéristes", tout particulièrement à Pézenas s'appuyant sur les années du comédien à la cour du Prince de Conti. De passage dans la ville en 1750, l'auteur dramatique puis académicien Cailhava, enregistre le premier les récits autour de la présence de Molière à Pézenas, notant l'importance du Languedoc dans l'œuvre du comédien. (publication en 1802 des Études sur Molière, Paris, Éd. Debray). Emmanuel Raymond (Galibert) reprend par la suite la foule d'anecdotes recueillies par Cailhava mais jamais publiées, prenant pour cadre la boutique du perruquier et les échoppes voisines.

Le comédien y apparaît dans toute sa gloire, et sa figure, quasiment érigée au rang de mythe, fait l'objet de commémorations et hommages divers. Le sculpteur biterrois et occitaniste Antonin Injalbert se voit confier la réalisation du buste de l'écrivain. Son œuvre est érigée en 1897 grâce à une souscription publique sur la promenade du Pré. Parallèlement, le mouvement moliériste piscénois animé par Albert-Paul Alliès attire le regard des élites parisiennes sur la ville. Celui-ci encourage la venue dans la cité des comédiens français, opérant pour l'occasion un semblant de pèlerinage autour des lieux et des reliques du comédien.

Indubitablement, Molière marque l'histoire de Pézenas. La cité languedocienne le lui rend d'ailleurs bien. Ville de Molière, elle propose durant toute l'année un ensemble de visites guidées sur les pas de l'auteur, scénovision voire festival (le festival Molière dans tous ses éclats se déroule depuis trois ans au mois de juin). Réciproquement, il semble que Pézenas, le Languedoc et la langue d'oc, ait également influencés le jeune comédien et dramaturge.

 

II/ Molière et le théâtre d'Oc

Jeune comédien quand il prend les chemins de l'errance loin de la capitale, Molière compose une importante production durant ses années languedociennes. La province est le cadre de la première représentation de nombre de ses pièces : l'Étourdile Dépit amoureux (1656, Béziers), la Jalousie du Barbouillé, ébauche de Georges Dandin, ou le Médecin volant, prélude au Médecin malgré lui, présenté une première fois en novembre 1655, au n°32 de la rue de Conti, Hôtel d'Alfonce. Ces quelques pièces ne sont qu'une infime partie des réalisations de Molière à cette époque, comptant au moins six autres farces, à la chronologie imprécise : Le Maître d'école ou Gros René petit enfant (1659), le Docteur Pédant (1660), Gorgibus dans le sac (1659, ébauche des fourberies de Scapin), la Casaque (23 décembre 1660). Les trois Docteurs rivaux (1661) et le Docteur amoureuxJoguenet ou Les Vieillards dupés, le Fagotier, et selon Grimarest, Les Précieuses ridicules.

Cadre d'une importante production, le Languedoc est également sujet et inspiration du contenu même de ces œuvres, qui témoignent pour la plupart de l'influence de la langue et de culture d'oc.

 

  • Molière et les Caritats/ Caritachs

Jeune comédien de passage dans la région, Molière s'est probablement rendu à Béziers au temps des Caritats. Les fêtes de Caritats sont dans le Bas-Languedoc une institution, notamment à Béziers où elles perdurent aujourd'hui. Pézenas à l'époque de Molière célébrait également les Caritats, une pratique qui se perpétua jusqu'à la fin du XIXe siècle.

Les Caritats, c'est le temps des corporations, du rassemblement des différents corps de métiers à l'occasion d'un défilé mêlant dans un même temps de fête, toutes les communautés de la ville. Ces différentes confréries font intervenir des personnages symboliques particuliers au cours de processions durant lesquelles elles prennent possession de la ville. Animaux totémiques, Camel (chameau de Béziers) et Polin (Poulain de Pézenas), danses des treilles et processions rythment la semaine de l'Ascension. Ces commémorations semblent trouver leurs origines au Moyen Âge. Les consuls des villes du Languedoc distribuaient alors aux pauvres les revenus des biens administrés par les établissements de charité (d'où le nom de Caritats) à l'occasion de l'Ascension. (Cf. ALLIÈS, Albert-Paul. Une ville d'états : Pézenas aux XVIe et XVIIe siècles, Molière à Pézenas. Montpellier, Éd. des Arceaux, 1951. P.235).

Au XVIIe siècle, les Caritats biterroises et leurs défilés sont l'occasion de représentations théâtrales en français et en occitan. Berceau d'une tradition théâtrales en oc ce théâtre dit de Béziers, dépasse les frontières de la cité révélant tout à la fois des auteurs locaux et servant de sources d'inspiration et d'émulation pour leurs contemporains.

Le théâtre des Caritats de Béziers est un théâtre majoritairement en occitan, langue maternelle pour bien des habitants à cette époque. Pourtant, et ce dès les années 1615-1620, le français s'insère progressivement dans la trame de ces réalisations. Les langues se partagent alors les rôles en fonction des fonctions de chacun. La mégère, le soldat français et la Paix sont ainsi en français dans les pièces de Béziers de cette période, tandis que Pépézuc et le Soldat Gascon sont occitans. Les auteurs biterrois, dont François Bonnet, circulent hors de l'aire purement locale. Bonnet se rend ainsi à Toulouse, pour y rechercher une plus large consécration. Le public assistant aux représentations est également bien plus cosmopolite que la seule population locale.

Parmi les visiteurs célèbres figure selon toute vraisemblance le jeune Molière. Les spécialistes ayant analysé les pièces recueillies du théâtre de Béziers et un ensemble de pièces de l'auteur parisien, notent ainsi un grand nombre de ressemblances entre des personnages et des situations déjà développées par des auteurs biterrois. Ainsi " la répugnante dégustation d'urine à laquelle se livre Sganarelle dans le Médecin volant [...] ne va ni plus loin ni plus bas, en ce genre de comique dégoûtant, que les licences ordinaires du Théâtre de Béziers" très certainement issue de la pièce La Pastorale du berger Célidor et de Florimonde sa bergère, de 1629. (cf. ALBERGE Claude, Les voyages de Molière en Languedoc. Montpellier : Presses du Languedoc, 1988). Auguste Baluffe voit de même dans "un monologue de 1635", la Boutade de la Mode (recueil de 1644) tel ou tel passage de l'École des Maris.

 

  • Monsieur de Pourceaugnac
Des traits qualifiés de méridionaux par différents spécialistes, ainsi qu'une palette de personnages de Molière, comme Don Juan (double littéraire du Prince de Conti), semblent témoigner d'une influence de l'époque languedocienne sur l’œuvre de Molière, sans que celle-ci ne doive être exagérée.

Peu de sources en effet concernant la vie de Molière à cette période permettent de définir nettement l'empreinte du Midi, de sa culture et de sa langue – l'occitan – sur le jeune auteur. Parmi tous les exemples que nous pourrions donner, citons la pièce Monsieur de Pourceaugnac (créée en 1669), qui esquisse quelques souvenirs potentiels du passé méridional de l'auteur. Le personnage principal est un Limousin portraituré par Molière sous les traits du "parfait" provincial, source de ridicule et de comique. L'auteur y adopte les lieux communs de son époque sur l'opposition Paris/ province, que ses séjours dans le sud de la France ne semblent pas avoir nuancés.

La particularité de cette pièce, réside en fait dans l'intervention de la jeune Lucette, demoiselle originaire de Pézenas (Luceta est d'ailleurs un prénom fréquent dans cette zone). La jeune femme s'exprime dans un bon "languedocien", émaillé ici et là de gallicismes, certainement destinés à rendre les interventions de Lucette plus accessibles à un public parisien francophone. Celles-ci sont transcrites dans le texte en graphie phonétisante qui semble témoigner de la bonne connaissance orale de l'occitan par Molière, qui reproduit sans trop d'erreurs une langue entendue près de dix ans plus tôt au cours de ses séjours en Languedoc (cf. à ce sujet : MARTY, Jacqueline. « Quelques emprunts de Molière au Théâtre de Béziers : le canevas de Monsieur de Pourceaugnac » in Revue des Langues Romanes, LXXXI, I, 1975, Pp.43-66.).

Extrait de texte: Monsieur de Pourceaugnac, Acte I, scène VII. (Paris, 1669).

"MONSIEUR DE POURCEAUGNAC 
Qu'est-ce que veut cette femme-là ? 
LUCETTE 
Que te boli, infame ! Tu fas semblan de nou me pas connouysse, et nou rougisses pas, impudent que tu sios, tu ne rougisses pas de me beyre ? Nou sabi pas, Moussur, saquos bous dont m'an dit que bouillo espousa la fillo ; may yeu bous declari que yeu soun sa fenno, et que y a set ans, Moussur, qu'en passan à Pezenas el auguet l'adresse dambé sas mignardisos, commo sap tapla fayre, de me gaigna lou cor, et m'oubligel praquel mouyen à ly douna la man per l'espousa. "

 

III/ Théâtre d'oc et patrimoine vivant de la cité

Ville où s'illustra Molière, Pézenas est ville de théâtre. La tradition théâtrale est ici à la fois ancienne et récente, quoi qu'il en soit bien réelle en ce début du XXIe siècle, et ouverte à bien des expérimentations qui dépassent la seule commémoration d'un passé moliéresque.

 

  • Une tradition théâtrale d'importance en Piscénois

Au XIXsiècle, Pézenas outre le souvenir laissé par le passage de l'auteur du Tartuffe, prolonge et enrichit la tradition théâtrale qui est la sienne en ouvrant dans les murs de l'ancienne chapelle des Pénitents Noirs (fin XVIe siècle-1789) un théâtre dont la salle peut accueillir 500 personnes. Fermé en 1947, il accueillit en son temps les acteurs de la « Comédie Française » et bénéficie aujourd’hui d'une restauration.

En 1959, André Cros inaugure à Pézenas un Centre Culturel du Languedoc, et souhaite utiliser la ville comme décor de son Fuente Ovejuna. Quelques années plus tard naissent la Compagnie de L'Illustre Théâtre, proposant des visites nocturnes théâtralisées de la vieille ville, ou le Théâtre des Treize-Vents. Boby Lapointe, le comique et ami de Georges Brassens, est également piscénois. Les muses sinon grecques du moins occitanes, semblent inspirer ici les auteurs et comédiens de tous horizons.

 

  • Renouveau du théâtre d'oc à Pézenas

Le théâtre occitan est paradoxalement tout à la fois riche et méconnu, victime d'impressions trop rares ou depuis longtemps disparues. Il est pourtant le fruit d'auteurs variés, y imprimant leur style dans une représentation du quotidien de leurs contemporains riche en couleur, et une démonstration de la langue en action, trésor inestimable pour ceux qui souhaitent découvrir ou interroger ce patrimoine vivant.

Pézenas, ville dans lesquelles traditions et coutumes demeurent particulièrement actives, proposent parallèlement une importante création théâtrale occitane contemporaine. Parmi les figures locales d'importance en ce domaine, notons bien sûr celle de Claude Alranq, acteur, auteur et spécialiste dans le domaine de l'ethno-sociologie, piscénois d'origine. Il investit l'ancienne Gare du Nord de la ville, cadre de ses recherches et créations théâtrales, puisant dans la langue et la culture d'oc, une inspiration depuis jamais démentie.

 

  • Claude Alranq et le Teatre de la Carrièra

Claude Alranq s'inscrit dans le renouveau théâtral occitan des années 1970. Le piscénois parcourt les routes du Languedoc pour présenter aux côtés d'autres jeunes acteurs occitans, leur jeune création, Mòrt e resureccion d'Occitania. De passage à Valros durant l'été 1971, Claude Marti assiste à l'une des représentations publiques de la pièce.

« Il y a là, sur la place, un camion asthmatique, beaucoup de décors en cartons, beaucoup de pancartes, et des gens qui s'agitent, se préparent au milieu de ce matériel pour le moins sommaire. Il fait beau, tout le village est là, les enfants, les femmes, les hommes, dans une atmosphère de petite fête.

Et la pièce commence. Incantatoire. Sous un linceul rouge marqué du drapeau occitan, il y a un mort. C'est M. Occitania, un petit viticulteur. Un tribunal est là qui disserte sur les causes de sa mort. Une sorcière apparaît : "Cessez vos trucs et manigances ! Occitania, je vais te ressusciter. Tu auras trois jours pour trouver les causes de ta mort. Si au bout de trois jours tu n'as pas trouvé, tu disparaîtras à tout jamais." C'était la pièce Mort et Résurrection de M. Occitania.

Et tout le monde est saisi, époustouflé, on n'avait jamais vu ça. On était devant un théâtre réellement populaire, qui touchait profondément les gens tout en étant très pédagogique. On voit des personnages que tout le monde reconnaît : Parloplan, le notable, Digeraplan, le banquier ; les gens se reconnaissent dans M. Occitania, ils rient, ils applaudissent, ils prennent parti ; un passage est en occitan, un autre est en français, comme dans la réalité vécue... ». Extrait de l'ouvrage Homme d'oc. Claude Martí, Michel Le Bris. Stock, Paris, 1975.

L'impact de Mòrt e ressuccion d'Occitania est réel, sur le public et la création théâtrale occitane elle-même, qui se renouvelle au contact d'une production qui bouleverse les codes et pratiques d'alors. La pièce conduit à la création de la compagnie Lo Teatre de la Carrièra, poursuivant et approfondissant les bases nouvelles posées par cette pièce fondatrice.

 

  • Vers un théâtre de civilisation

 

Depuis le tournant des années 1970, le théâtre contemporain occitan n'a eu de cesse de se développer, de se diversifier, mais également d'évoluer, prenant en compte les particularités de chaque époque traversée (place des femmes dans la société, rapport à l'Histoire et à la Mémoire...).

La fin des années 1970 s'accompagne ainsi d'une mutation d'un théâtre militant en un théâtre de civilisation. La production théâtrale s'accompagne dès lors d'un devoir de mémoire qui n'exclut pas la réactivation, la réappropriation et la recréation, et la recherche historique vient accompagner la démarche créative, proposant des pistes nouvelles quant aux sujets abordés, mais également la scénographie, les costumes et les décors.

 

Pézenas, cité dans laquelle la mémoire et l'actualité du patrimoine culturel immatériel est extrêmement vive, a vu fleurir une nouvelle génération d'auteurs et d'acteurs occitans, proposant une création puisant dans l'héritage de la ville, notamment ses traditions carnavalesques. Le Théâtre des Origines, compagnie née dans les rangs de la licence Acteurs Sud fondée par Claude Alranq, propose depuis près d'une dizaine d'année des créations où se mêlent traditions carnavalesques et arts de la rue, réinvestissant au cours de moments clés, telles la Saint Jean ou la Sant Blasi, les rues de la ville invitant la population à participer au renouveau de ses traditions en un rituel festif.

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Las ajustas setòrias
Centre inter-régional de développement de l'occitan (Béziers, Hérault)
"Lou Cétori es baraquetaïré
As plesis, mola pas jamaï;
Mès sustout ce qu'aima lou maï
Es de veïré un bon ajustaïré."
Jousèp SOULET – 1917
 
Un quatrain dont voici la traduction proposée par le Centre Culturel Sétois (cf. BLANC, Louis-Paul.Les joutes à Sète. Sète, Centre culturel sétois, 1968)
"Le Sétois avant tout aime sa baraquette
Il aime encore plus les plaisirs et la fête;
Son divertissement toutefois le meilleur
C'est voir et applaudir un superbe jouteur."

L'identité d'une ville se construit fréquemment autour d'un ensemble de mythes fondateurs, de marqueurs symboliques réunissant sa population. Ville jeune, Sète naît réellement avec son port en 1666. C'est tout naturellement que le port, les canaux qui font de Sète la Venise languedocienne, la baleine de sable - son emblême, et les produits locaux faisant la part belle aux fruits de la mer - pensons à la tielle - soulignent le caractère maritime de celle qui fut au départ une île entre mer et étang.

Aux rangs des symboles et mythes fondateurs figurent sans conteste les joutes nautiques, pratiquées une première fois lors des Fêtes accompagnant la fondation officielle de la ville. Si Sète n'en est pas le berceau originel, les joutes nautiques de la ville se sont progressivement hissées vers les sommets de la pratique.

 

I/ Aux origines était le port

La naissance de la pratique des joutes à Sète, accompagne celle de son port, officiellement inauguré le 29 juillet 1666 (cf. TREMAUD, Hélène. Les joutes languedociennes. Paris, éd. Maisonneuve et Larose, 1968). Pour son baptême, la ville de Sète reçu les joutes en présent. Ce seraient des pêcheurs d'Aigues-Mortes qui auraient pour l'occasion initiés les habitants locaux à cette pratique sportive durant ces journées particulières.

Les joutes nautiques semblent exister depuis la haute antiquité. De part le monde et à toutes les époques, des témoignages oraux ou archéologiques attestent de l'existence de cette forme de divertissement. En France plusieurs types régionaux cohabitent, mais les joutes de Sète bien que n'étant pas les plus anciennes, sont à l'heure actuelle les plus connues et les plus actives. Les joutes françaises s'organisent généralement sur le principe suivant : deux hommes (rarement des femmes) se font face, postés sur une plate-forme à l'arrière d'une barque. Chacun au moment du croisement de ces deux embarcations, tente alors de faire tomber son adversaire à l'aide de lances de bois.
 
Il n'est pas impossible de voir dans les joutes nautiques, à l'instar des tournois d'antan, les réminiscences de ces entraînements au combat et d'affrontement des chevaliers qui marquèrent les temps de paix. Les joutes nautiques en perpétuent d'ailleurs le vocabulaire : joute, jouteurs, pavois, lance, quintaine... le lexique et l'imaginaire chevaleresque entourent aujourd'hui encore les fêtes nautiques. Les jouteurs de Sète, chevaliers intemporels dont le succès demeure source d'admiration.
 
Pays de mer, Sète adopte sans surprise les joutes nautiques, dans cet espace où l'ennemi vient plus souvent de la mer (ce fut le cas notamment en 1710 avec l'attaque anglaise de son port)(cf. Sous la direction de Jean Sagnes. Histoire de Sète. Toulouse, Éd.Privat, 1991.P.94). Pour d'autres auteurs cependant, les joutes nautiques seraient par nature plus dans le divertissement que dans l'affrontement ou le caractère militaire. Les origines en seraient ainsi égyptiennes, du temps des Nautonniers conducteurs de barques sur le Nil (un bas-relief d'Akhethetep en est la principale source) (cf. BLANC, Louis-Paul. Les joutes à Sète. Sète, Centre culturel sétois, 1968. P5).

 

A/ Principe et outils d'une pratique entre sport et traditions

 

Les règles :

Le but des joutes est donc simple, faire tomber à l'eau son adversaire. Afin que l'opération se fasse sans incidents ni tricheries, un ensemble de règles encadra progressivement la pratique. Il est ainsi interdit de faire tomber son adversaire faire l'avant, d'appuyer son genou ou son pavois sur la tintaine, ou de toucher de sa lance une autre partie que le centre du pavois (et ce pour ne pas blesser l'adversaire).

Alors que les barques s'apprêtent à se croiser, les jouteurs sont prêts au combat, pavois sur le bras gauche, placé devant la poitrine, lance dans la main droite, passée horizontalement sous l'aisselle ; en position, pied gauche vers l'avant, genou fléchi pour supporter le poids du corps, pied droit en arrière, jambe tendue. En Provence, le coup se porte encore droit, tel qu'il devait l'être également à ses débuts à Sète. Placé sur une tintaine progressivement plus large, le Sétois doit à présent faire davantage appel à son sens de l'équilibre qu'à une question de force pure. Le premier faisant tomber son adversaire à l'eau a donc gagné.

Si aucun ne tombe au bout de trois passes consécutives, la victoire se décide alors au point. Un jouteur parvenant à faire chuter trois adversaires de suite accédera au tour de revanche, et étape après étape, à la finale.

 

Matériel

- La barque : Les barques des joutes, peintes de blanc et aux couleurs de leur équipe (rouge ou bleue) comptent chacune un patron, un aide-patron (le barreur) ainsi qu'une équipe de douze rameurs afin d'assurer relais et repos (8 rameurs en permanence). Il est à noter qu'en complément de l'équipage, qui assure la circulation de la barque, figurent les jouteurs, placés à l'arrière du bateau, mais également deux musiciens placés à l'avant de celui-ci.

- Le pavois : il s'agit de deux pièces de bois jointes par des liteaux cloués. Elles sont généralement faites de bois sec, léger mais dur, ce qui explique une préférence marquée pour le peuplier. Les pavois mesurent 3 cm d'épaisseur environ et 71 cm de longueur. Ces pavois portaient autrefois les armes de la ville ainsi que les devises suivantes : « Vive le roi » et « Vive les mariés » ou « Vive la jeunesse » selon les cas. Celles-ci tendent à évoluer. Il n'est pas rare de ne voir aujourd'hui que les seules mentions R.F. (République Française) et Ville de Sète.
 
- La lance : de bois léger, en général du pin, elle mesure 2m75 de long, et s'affine progressivement jusqu'à la pointe, munie d'une couronne de fer (à pointes). De nos jours les lances sont généralement peintes de blanc, avec souvent un grand liseré, bleu ou rouge, qui va en tournoyant de la poignée jusqu'à la couronne finale. Il permet durant le jeu de définir si le jouteur ne pratique pas la lance « courte », en prenant sa lance bien plus au centre que ce que les règles l'autorisent.
 
- La tintaine ou quintaine : La tintaine est-elle la seule plate-forme sur laquelle se hisse les jouteurs, ou le bateau dans son ensemble ? Les opinions divergent sur le sujet, tout comme sur l'origine du terme tintaine. Certains textes anciens, mentionnent l'existence de barques-tintaines, d'autres de barques-quintaines. Il est probable que le terme original quintaine est été progressivement modifié en tintaine par les jouteurs locaux, empruntant ainsi à l'occitan la forme « ten-té », tiens-toi. Au Moyen Age, le mot quintaine figure dans le lexique chevaleresque. La quintaine est alors un mât d'exercice, progressivement transformé en un mannequin du nom de « faquin de quintaine ». Une miniature du XVe siècle présente d'ailleurs un exemple d'entraînement d'un jouteur nautique s'apprêtant à frapper de sa lance un mât placé sur la rive.
 
- Le costume : tout de blanc vêtus, les jouteurs portent parfois un canotier sur la tête. C'était autrefois un bonnet recouvert de dentelles. Les cocardes de couleur semblent elles aussi avoir disparues : celle de la jeunesse comportait alors deux rubans, l'un blanc, l'autre bleu, rouges et verts pour les mariés. De fait, la coutume de s'habiller entièrement de blanc, est assez récente, et apparaît aux alentours du XIXe siècle. Auparavant, les jouteurs pratiquaient en costume, ceux-ci tirant toutefois sur le blanc, marquant par celui-ci et des couleurs différenciées, leur appartenance à un groupe spécifique, jeune ou mariés. Il n'était pas rare alors d'y voir de la couleur, fréquemment rouge ou bleue. Le blanc moderne est en fait le signe d'une évolution plus générale, prenant en compte les nouvelles règles vestimentaires rencontrées dans les autres sports, tout en limitant l'apport d'un confort qui se ferait au détriment de la « prestance » des jouteurs. Celle-ci demeure d'ailleurs d'importance, le débraillement d'un des participants pouvant lui faire l'objet d'une observation de la part du jury. Les joutes demeurent ainsi dans leur déroulement et dans le règle, une pratique entre sport et traditions, comme en témoigne d'ailleurs son déroulement particulièrement codifié et ritualisé (cf. à ce sujet : PRUNEAU, Jérôme. Les joutes languedociennes. Paris, L'Harmattan, 2003. P.62).
 

 

II/ Une pratique entre sport et traditions

À Sète, les joutes se déroulent dans le Canal royal, ce bras d'eau relayant la ville à l'étang de Thau, creusé par Riquet à l'époque de Louis XIV et de son ministre Colbert. Un espace délimité par le pont National et le pont Legrand, et que s'approprient pour un temps les jouteurs. Leur pratique s'inscrit alors pleinement dans la ville, sa vie quotidienne et son histoire, en ce cadre d'exception qui renvoie aux origines et aux pères fondateurs de la ville. L'espace d'ailleurs se modifie le temps de la fête. Des gradins, ouverts à tous et gratuits, permettent aux spectateurs de tous horizons de s'installer pour regarder l'affrontement.

 

A/ Le temps de l'avant

Le déroulement des fêtes était autrefois extrêmement ritualisé. Le 23, habillés de propre les jouteurs partent prendre possession du drapeau, avant de se rendre à la Mairie recevoir les dernières consignes. La journée du 24 est le temps des visites et des invitations aux personnages de marques, qui reçoivent pour l'occasion un long ruban bleu et rouge nommé livrée. Le soir, un tour de ville en musique et drapeaux se déroule aux lueurs des flambeaux, avant qu'à minuit, les jouteurs n'entonnent une sérénade devant l'église consacrée à Saint-Louis.
 
Le lendemain matin, dès huit heures, les jouteurs se rendent à la mairie, de là, tout le groupe, officiels comme participants, se rendait autrefois à la messe de neuf heures. Après un passage par la Mairie où était annoncé l'horaire des joutes, le spectacle sur le Canal royal pouvait prendre place (il est arrivé que ces joutes se déroulent également dans le port, au lieu dit « le cul de bœuf » (cf. BLANC, Louis-Paul. Ibid. P.12).
 
Le cérémoniel, s'il a évolué depuis les débuts, demeure d'importance en ce qui concerne les joutes sétoises, tout comme le costume. Les jouteurs en se pliant à ces règles, soulignent leur appartenance à ce groupe spécifique. La fréquence des tournois, et l'évolution même de la pratique au fil des siècles, ont quelques peu mis à mal le respect de ce cérémonial. Les fêtes de la Saint-Louis, constituent malgré tout en ce domaine, un temps à part.

 

B/ L'importance de la musique

La musique est un des éléments indissolubles de la fête elle-même. Elle en ponctue les principaux moments, défilés comme tournois, et accompagne son histoire. Signe de cette importance, il existe d'ailleurs une chanson spécifique aux joutes, dont les paroles et l'origine demeurent l'objet de spéculations. Elle était pour Toussaint Roussy, une création de Lully (cf. Blanc. Ibid. P.30 ). Elle serait pour d'autres auteurs et analystes, non pas du XVIIe mais du XVIIIe siècle, C.Ponsonailhe voit dans l'opéra l'ancêtre de cette chanson, et ce serait ainsi « annoté comme timbre dans l'opéra « dé Frountignan » » que figurerait l'air des joutes, dont l'auteur serait donc l'auteur occitan et félibre Nicolas Fizes.

Les paroles, quelle qu'en soit l'auteur réel, constituent une importante source d'information sur cette pratique qui a aujourd'hui quelque peu évoluée. En voici une version (il en existe effectivement différentes variantes) :
Source. Louis-Paul Blanc, Les joutes à Sète, Sète, Centre culturel sétois, 1968 [?] : 
« Maridas, tenes bous ben
Aïci ya la jouïnessa qu'arriba
Anbé soun Cap de Jouven
Naz en l'er et jarret qué tiba
Pabihoums, ajustaïres
Et pioï lous tambourinaïres
Sans oublida l'aoubï
Que nous buffara tout yoï.
 
Mariés, tenez-vous bien,
Voici la jeunesse qui arrive
Avec son Chef de jeunesse
Nez en l'air et jarret tendu
Pavillons, jouteurs
Et puis les tambourineurs
Sans oublier le hautbois
Qui nous jouera tout aujourd'hui.
 
Sus la Tintaïna, maridas
Quaou-ès-aquei que se y azarta ?
Seres toutes désquihas,
Couma dè capoutchins de carta.
Ne toumbarès à l'aïga
Aplatis cuom una palaïga
E coularès à foun
Coum'una balla de ploum.
 
Sur la Tintaine, mariés
Quel est celui qui se hasarde ?
Vous serez tous enlevés,
Comme des capucins de cartes,
Vous tomberez à l'eau
Aplatis comme une sole
Et vous coulerez au fond
Comme une balle de plomb.
 
Sitôt douna lou signaou
Buff'aouboï ! La barqu'es en routa,
Pioï très salus couma caou,
E chaqu'ajustaïre s'arbouta ;
Quante béou cop de lança !
La tintaïna ne balança
Ya'un pavès de crebat
Maï dégus ès pas toumbat.
 
La jouinessotta das blus
Que risié d'aou pabihoum routché,
Avié pariat détch escus
Qué né toumbarien aoumen doutché ;
Yé l'an jougada grisa,
Yan fach bagna la camisa
La lanc'é lou pavès !
Lou Gaoutché m'a toumba très !
 
La petite jeunesse des bleus
Qui riait du pavillon rouge
Avait parié dix écus
Qu'il en tomberaient au moins douze ;
On l'a leur a joué grise
On leur a fait mouiller la chemise
La lance et le pavois !
Le gaucher en a tombé trois !
Las ajustas de Sant Louis
Es quicon qué jamaï nous lassa,
Tout Ceta sé réjouis
E lous estrangès benou'en massa !
Tant qu'aouren lou Bourdigou
Achès pas paou qué finigou
Aquel joc sé fara
Tant que Ceta durara !
 
Les joutes de Saint-Louis
C'est quelque chose qui jamais ne nous lasse
Tout Sète s'en réjouit
Et les étrangers viennent en masse !
Tant que nous aurons le Bordigue
N'ayez pas peur que cela finisse
Ce jeu se fera
Tant que Sète durera !

Présente lors des défilés durant lesquels elle accompagne la procession, la musique est par ailleurs omniprésente au moment des passes, dont elle rythme le cours et qu'elle semble illustrer, commenter.

Le répertoire des hautbois et des tambours traditionnels, se compose d'un ensemble d'airs bien connus des participants et de leurs spectateurs réguliers. Ils ont de fait peu changé au fil du temps, se transmettant de génération en génération. Durant les défilés, seront interprétés de préférence « La marche de l'Académie », « Larose » « Toete », « Cauvy », appellations parfois floues qui renvoient à leur compositeur. « La valse du chef de gare » rappelle que longtemps, les joueurs de hautbois venaient de loin pour mettre en musique les fêtes de Sète.

Durant les joutes elles-mêmes, un couple de musicien est installé dans chacune des barques, à l'avant de celle-ci. On les distingue visuellement par leur tenue. Galons, rouges ou bleus, ornent leur veste blanche, et sur leur tête comme sur celle du commissaire, ils portent un canotier. Les musiciens accompagnent la passe en sonnant si l'on peut dire « la charge ».

A la musique occitane traditionnelle, hautbois et tambours (aubòi e tambornet), s'est progressivement ajoutée celle des bandas, ces groupes d'influence espagnole. Aux avants-postes pour annoncer l'arrivée des jouteurs, elles sonnent le départ du défilé avec « la festa de l'issanka » (cf. LOPEZ-DREAU, C., in Bulletin de la Société d'Etudes Histoiques de Sète et sa région, Frontignan, 1998, Pp.183-188), chanson traditionnelle sétoise.

 

C/ Le temps de l'après, la convivialité

Les joutes terminées, vient la remise des prix, puis la fête célébrant les vainqueurs. C'était autrefois le temps de la dédicace de madrigaux à ces dames, rappelant les origines chevaleresques et courtoises des joutes. De tout temps, et en dépit d'une évolution profonde de cette pratique entre le XVIIe siècle et nos jours, la fin des joutes fut également l'occasion de repas et d'échanges entre les différents sociétés participantes, en faisant un réel moment de convivialité et de rencontres entre les jouteurs sétois. Après l'affrontement sur les eaux, vient le temps de la réconciliation sur terre, autour d'un verre de « pastaga ».

 

III/ Évolution d'un tournoi

Depuis ses origines, les joutes, pratique vivante, ont évolué à Sète comme ailleurs. Comme toute pratique profondément ancrée dans l'histoire et l'évolution d'un groupe social en particulier, et d'une communauté dans son ensemble, les joutes se sont adaptées, aux nouveaux modes de vie, aux réalités économiques et sociales nouvelles.

La fin du XVIIIe siècle semble marquée par le tournant d'un combat par équipe, à une lutte d'individu à individu, dont les modalités s'ordonnance dès lors sur la base du hasard d'un tirage au sort. Un temps, l'opposition nouvelle, bascule de celle de deux groupes d'âge, groupe des jeunes célibataires face aux hommes mariés, à celle de métiers, de quartiers, voire de communautés : lutte entre quartier-haut et la Bourdigue, pêcheur de haute-mer et pêcheur d'étang. 

Le début du XXe siècle, marqué en 1902 par la création de la première société de jouteur, la « Société des jouteurs cettois » opère une nouvelle évolution (cf. DI NITTO, Paul-René. C'était Cette. Ch.III. Montpellier, Espace Sud, 1996. P.171). Progressivement le jeu se codifie de plus en plus (on passe à un nombre limité de passes, cinq puis trois), emprunte aux sports leurs caractéristiques (le blanc de la tenue, le caractère compétitif qui augmente quand croît le nombre de sociétés), sans perdre malgré tout, son identité réelle.

 

Personnages et temps forts de cette pratique

Saint-Louis de 1891, deux femmes sur la tintaine. Cette année-là, les joutes jusque-là réservées aux seuls jouteurs locaux, s'ouvrent régionalement, avec la création du tournoi du Lundi. L'édition de 1891 est également marquée par la participation de deux sœurs, Anne et Elyse Sellier, toutes deux originaires de la Pointe Courte. L'Éclair du 2 septembre 1891 fait le résumé de cette joute particulière, qui vit s'affronter les deux sœurs (Anna envoyant sa sœur mais aussi un autre jouteur, dans les eaux).

Quelques jouteurs célèbres :

  • Barthélémy Auvenque, dit le Terrible, l'un des premiers champions historiques des joutes sétoises, Don Quichotte de l'Ancien Régime, qui fit le défi de jouter conre le pont levis en bois qui traversait le canal royal à son époque.

  • Hilaire Audibert dit l'Espérance, originaire du Quartier Haut, qui se démarqua en portant habit noir et cravate blanche sur la tintaine, fut gravement blessé (il manqua perdre un œil) et Martin le Gaucher, de la Bordigue, sont successivement les champions des joutes au XIXe siècle.

  • Louis Vaille dit le Mouton, premier XXe siècle, dix fois triomphateur de la Saint louis entre 1904 et 1923 (cf. BLANC. Ibid. P.35). Un homme d'une importante corpulence, il pesait aux alentours de 150 kg, qui souffrit d'un manque de popularité très certainement lié à cette physionomie hors du commun.

  

Conclusion

Codifiées différemment, empruntant aux sports modernes son organisation, les joutes nautiques n'en demeurent pas moins traditionnelles dans leur forme et leur respect d'un certain cérémonial, bien que la fréquence accrue du nombre de tournois diminue d'autant l'intérêt portée aux défilés. Cependant les joutes de la Saint-Louis demeurent un temps à part. Elles sont surtout partie prenante de l'identité sétoise et contribue hier comme aujourd'hui, à la bonne vie de la cité et à la sociabilisation entre communautés. L'ensemble des cérémonies, défilés, rites qui entouraient et entourent toujours la pratique des joutes, contribuent à l'affirmation d'un groupe social unifié.

 

BIBLIOGRAPHIE

BLANC, Louis-Paul.Les joutes à Sète. Sète, Centre culturel sétois, 1968.

DI NITTO, Paul-René. C'était Cette. Ch.III. Montpellier, Espace Sud, 1996.

LOPEZ-DREAU, C., in Bulletin de la Société d'Etudes Histoiques de Sète et sa région, Frontignan, 1998, Pp.183-188.

PRUNEAU, Jérôme. Les joutes languedociennes. Paris, L'Harmattan, 2003.

Sous la direction de Jean Sagnes. Histoire de Sète. Toulouse, Éd.Privat, 1991.

TREMAUD, Hélène. Les joutes languedociennes. Paris, éd. Maisonneuve et Larose, 1968
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Las vidèoguidas eAnem
Centre interrégional de développement de l'occitan (Béziers, Hérault). Auteur
Kaleo design. Metteur en scène ou réalisateur

Aquesta seria de vidèoguidas en occitan escricha e producha pel CIRDÒC propausa de descobrir lo patrimòni cultural e toristic de la region Lengadòc-Rosselhon amb 48 filmòts d'animacion tematics d'une durada de 2 a 3 minutas.

Produch mercé al sosten del FEDER en Lengadòc-Rosselhon.

ROUX, Antonin
Lou Felibre dau Dardailhoun
Soubeiran, Benaset

Antoine Roux (Lunel-Viel, Hérault, 13 novembre, 1842, Lunel-Viel, 11 janvier 1915) était un vétérinaire qui a mené une carrière politique de notable dans sa ville natale. Membre du Félibrige latin, il composa de nombreux poèmes d'inspiration bucolique exaltant l'amour du terroir ainsi que des pièces de théâtre. Ses œuvres majeures restent deux recueils d'inspiration villageoise, La cansoun dau Dardailhoun (1896) – un volume de 350 pages dans lequel le félibre chante toute la région qui s'étend des Cévennes à la mer et depuis les Saintes-Maries jusqu'à Montpellier – et les Pescalunetas (1912).

Éléments biographiques

Fils d'un maréchal-ferrant et petit propriétaire, l'écolier Antoine Roux suit assidûment l'école du village jusqu'à l'âge de treize ans. Ayant des aptitudes pour le travail intellectuel, son père l'envoie dans un pensionnat de Montpellier, où il se découvre une merveilleuse facilité à apprendre les vers de Corneille et de Racine. À 17 ans, il passe d’une institution libre de Montpellier à l'école vétérinaire de Lyon. Pour ce jeune étudiant enivré de la lumière du Midi, c'est un exil que ce départ pour les brumes de la Saône et du Rhône. Il retourne dans son village natal à 21 ans. Étroitement lié au monde agricole lunellois, il fait partie, pendant 20 ans, du Conseil municipal de Lunel-Viel. En 1870, il est nommé adjoint, puis maire en 1878. Il démissionne un an après, le 23 février 1879, ayant tout à tour éprouvé les joies et les déboires de la vie publique. Au décès d'Auguste Malinas en 1873, il avait été envoyé au Conseil Général par les électeurs républicains du canton de Lunel, mais il n'avait pas sollicité le renouvellement de son mandat, cédant sa place à Paul Ménard-Dorian. Après cette incursion dans le domaine politique, il se livre tout entier à la littérature. Estimé de tous ses concitoyens, il s'éteint à l'âge de 72 ans. La rue principale du centre ancien de Lunel-Viel porte son nom.

Engagements dans la Renaissance d'oc

C'est chez les Vidal, des parents, pharmaciens à la Croix-Rousse (Département du Rhône) qu'il se prend d'enthousiasme pour la littérature d'oc en découvrant les œuvres de l'abbé Fabre et Mirèio de Mistral. Son premier poème languedocien fut la traduction de l'Hymne de l'enfant à son réveil de Lamartine, couronnée par la Société des Langues Romanes en 1875. En 1880, il publie un poème savoureux où se trouvent esquissées les tribulations d'un officier d'état civil, Lou mera de vilage e lou véla e l'anel. Imitateur de Molière et adaptateur de Regnard, il était persuadé que le théâtre pouvait contribuer au développement de la langue d'oc. La scène du Grand Théâtre de Montpellier fait applaudir frénétiquement l'ensemble de ses œuvres, telles Lou Testament d'un Sarra-piastras (1881) ou Lous Caramans ou lous dous bessouns (1886). Son œuvre fut saluée par Frédéric Mistral, Alexandre Langlade, Roque-Ferrier et Charles de Tourtoulon. Vice-président de la société du Félibrige Latin – dont il a toujours été un des plus vaillants soutiens – Officier d'académie, c'était aussi un collaborateur de la Revue des langues romanes.

Brunot, Ferdinand (1860-1938). Collecteur
Dialecte limousin
Brunot, Ferdinand (1860-1938). Collecteur
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