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La date de publication du premier Armanac de Louzero pose problème. Cette publication annuelle en langue d'oc (dialecte du Gévaudan) est régulière depuis 1903. Cependant, un premier Armanac de Louzero avait été publié en format réduit en 1899. 

La publication de cet almanach se poursuit jusqu'à nos jours avec toutefois une interruption entre 1958 et 1969. Depuis 1970, il constitue un supplément annuel à la revue Lou Païs : revue régionaliste du Gévaudan et des Cévennes. Jusque dans les années 1950 il était entièrement en langue d'oc, il est aujourd'hui bilingue. 

Le n° 1 de l'Armanac de Louzero (1903) met en scène, sous forme de dialogue, l'ambition de ce nouvel almanach : « L'almanach patois. (...) Il faut que je te dise, Jacou, que ma fille était à Mende, hier, pour y vendre quelques fromages. Elle en a ramené une nouvelle : il paraît que l'on va faire un livre en patois. Tu ne l'as pas entendu dire ? 

— Jacou : Un livre en patois ? Non... Tu veux peut-être dire un almanach ? 

— Touèno : C'est ça : un almanach en patois. 

— Jacou : J'y suis maintenant, et comme disait l'autre : il suffit d'expliquer. Mais il te faut savoir, Touèno, qu'un almanach ce n'est pas un livre : un almanach, c'est un almanach... Il y a les fêtes, la pluie et le beau temps, les foires, les lunes, de petites choses pour amuser le monde, des proverbes, des contes, des chansons, des remarques... Souviens-toi, Touèno, qu'un livre il y en a beaucoup qui ne se baisseraient pas pour le ramasser, alors qu'un almanach en patois, tu verras qu'on s'y jettera dessus comme les brebis sur le sel... » (cité et traduit dans Dominique Blanc, « Lecture, écriture et identité locale : Les almanachs patois en pays d'oc (1870-1940) », voir bibliographie ci-dessous

Comme la couverture des premiers numéros l'annonce, cet almanach « Marco las fièiros, las festos, las lunos, las sesous, i o de contes, de prouberbis, de chansous, de farços, per fa passa lou tems al brabe mounde de nostre païs. » 

Selon le témoignage de Félix Buffière (1966, voir bibliographie ci-dessous), « lou Grelhet »/Félix Remize assurait l'essentiel de la rédaction de l'armamac : « Sous sa couverture de couleur, l'Armanac avait invariablement ses 64 pages. Il s'ouvrait par un calendrier détaillé et s'achevait par la liste des foires de la Lozère. Un « Catecisme de la Meirino » ou « del Peyri », un récit évangélique, un conte du pays, du diable, du renard et du loup, parfois un conte « biropassat » (traduit) de Grimm ou de Perrault : le tout entremêlé de savoureuses farces, de bons mots, de proverbes, de devinettes, de chansons, et clôturé par « l'ensenhadou » ou table des matières. » 

Parmi les collaborateurs réguliers du chanoine Remize, Félix Buffière cite Ange Peytavin, curé de Mialanes (qui signait Estieine). « Chontoclar » (Albert Brunel) fournissait régulièrement des chansons et illustrait l'Armanac. 

Origine de l'Armanac de Louzero : 

À la fin du XIXe siècle et pendant la première moitié du XXe siècle, il y a une grande vogue des almanachs en langue d'oc, liée au développement du Félibrige qui avait créé dès 1855 l'Armana prouvençau à Avignon. Celui de la Lozère a été réalisé en 1899, puis de façon régulière à partir de 1903 par Félix Remize (« Lou Grelhet ») (1865-1941). Ces almanachs eurent un très grand succès populaire, certains tirant à plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires. 

En savoir + sur Félix Remize : 

Félix Buffière, « Le chanoine Félix Remize », introduction à Félix Remize, Contes du Gévaudan, vol. 1, s.l., s. n., 1966 (CIRDOC CAB 353-1) 

Sur le mouvement des almanachs en langue d'oc :

Dominique Blanc, « Lecture, écriture et identité locale : Les almanachs patois en pays d'oc (1870-1940) », dans Terrain, n° 5, octobre 1985 (pp. 16-28) [disponible en ligne sur le site de Dominique Blanc, anthropologue, Ingénieur d'études à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales

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Mont-Segur. - Annada 06, n°07 (octòbre 1901)
Estieu, Prosper (1860-1939)
Perbosc, Antonin (1861-1944)

Revue littéraire occitane : n°7 d'octobre 1901 (6e année)

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Leon Còrdas
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Léon Cordes (Leon Còrdas en occitan) est un écrivain, homme de théâtre, militant pour la langue et la culture occitanes. Il fait partie des figures majeures de l'occitanisme contemporain, c'est-à-dire la génération, particulièrement active après 1945 qui œuvra à la fois à une renaissance linguistique de l'occitan, et à une pensée politique et culturelle pour l'Occitanie.

Léon Cordes (1913-1987) est originaire du Minervois, de Siran dans l'Hérault. Mais c'est à Minerve, haut-lieu du drame de la Croisade contre les Albigeois, qu'il passe une grande partie de son enfance, "dans la maison maternelle où est encore présent le souvenir du papeta Bauron, sculpteur sur bois et poète d'Oc à ses heures et où vit Lo quenque (grand'oncle) qui est un conteur populaire dans la meilleure tradition." (Jean-Marie Petit, Leon Còrdas/Léon Cordes, ed. CIDO, voir bibliographie)

À partir des années 1930, Léon Cordes fait une série de rencontres décisives : Charles Camproux (jeune professeur à Narbonne, il publie le premier manifeste politique occitaniste Per lo camp occitan, en 1935), Ernest Vieu (homme de théâtre occitan très actif dans l'entre-deux-guerres), Roger Barthe, Max Rouquette, Pierre Azéma, etc.
À cette époque, "entre félibrige et occitanisme politique naissant, création et action culturelle, les pièces essentielles d'un échiquier se mettent en place où Cordes sera passionnément de la partie." (J.-M. PETIT, op. cit.). 

En 1934, la jeune garde occitaniste réunie autour de Charles Camproux, fonde le journal Occitania, "organ mesadier de la joventut occitana" et le premier "parti occitan". Léon Cordes, alors viticulteur à Siran, y est "delegat a la propaganda occitana païsana". Il écrit pour Occitania une série d'articles sur la question paysanne en Occitanie, "Tocas païsanas". A la fin de la décennie, alors qu'il est "cap-redactor" du journal toujours dirigé par Camproux, Léon Cordes semble avoir délaissé la question agricole pour intervenir désormais essentiellement sur la question théâtrale.

Le théâtre était pour Cordes une passion de jeunesse dans un Minervois où les troupes amateurs sont nombreuses. La région sera marquée dès 1928 par l'engouement suscité par la compagnie théâtrale d'Ernest Vieu qui joue les pièces populaires des félibres régionaux (Emile Barthe, Paul Albarel, Clardeluno, etc.).

En 1933, le jeune Léon Cordes suit la troupe et fait ses premières lectures de poèmes en public. Pour Cordes comme pour Ernest Vieu, acquis tous deux à l'occitanisme naissant, le succès populaire du théâtre félibréen les invite à considérer le théâtre populaire occitan comme un excellent moyen de diffusion de l'idée occitane auprès du public languedocien. Ils créent ensemble un Office du Théâtre d'Oc. Au cours des années 1930, Léon Cordes crée de nombreuses pièces. Entre 1936 et 1938, avec Prudòm de la luna, Cordes s'annonce comme un des plus grands écrivains de théâtre occitan du XXe siècle. De 1932 à 1987, il créera plus d'une vingtaines d'oeuvres théâtrale en occitan, la plupart ayant été jouées. 

Après la Libération, une série de catastrophes naturelles l'obligent à quitter le Minervois et la propriété viticole familiale. Il restera néanmoins toute sa vie un "poèta pagés", un poète-paysan.
En 1953, il vend la propriété viticole de Siran et s'installe à Montpellier. Engagé dans l'Institut d'Estudis occitans (IEO) créé en 1945 pour refonder l'action et la pensée occitanistes par les grands intellectuels qui domineront l'après-guerre, il prend en charge un projet de "laverie" destinée à financer le jeune institut.
Confronté aux difficultés économiques d'un tel projet, finalement peu soutenu par les dirigeants de l'Institut, il revient à l'agriculture en devenant maraîcher à Lattes. Il y bâtit la propriété de "l'Ortalana", où il vivra jusqu'à sa disparition.

À partir de 1969, parallèlement au grand mouvement populaire et créatif occitan qui touche toute la création (Nòva cançon, édition, jeune théâtre populaire d'Oc, etc.), Cordes renoue activement avec ses amours de jeunesse, le théâtre et la scène populaire, et joue un rôle actif pour le développement du théâtre occitan en Languedoc. Son interprétation du Sermon del curat de Cucunhan (version de l'écrivain et félibre carcassonnais Achille Mir) restera longtemps dans la mémoire collective des nombreux villages où il le joua.

Il publie dans les années 1970 des oeuvres majeures, comme le recueil de nouvelles Los Macarels (IEO, "A tots" : 1, 1974 et 2, 1982) ou son roman La Batalha dels teules (Presses du Languedoc, "Espandi occitan", 1979).
Touche-à-tout, très tôt intéressé par le cinéma, il participe au début des années 1980 à l'aventure de l'Orsalhèr, film de cinéma en occitan réalisé par Jean Fléchet (1982). Il adapte le scénario en occitan et surtout joue un de ses meilleurs rôles. 

Fidèle à Minerve, cité de son enfance et de son apprentissage, il monte à la fin de sa vie une production théâtrale ambitieuse sur le siège de la cité par les Croisés et le drame des hérétiques livrés au bûcher. Entièrement en occitan, le spectacle réunira plusieurs milliers de spectateurs deux années de suite. 

Léon Cordes disparaît en 1987, laissant derrière lui une oeuvre littéraire considérable : une vintaine de pièces de théâtre, quatre romans et nouvelles, huit recueils poétiques, auxquels il faut ajouter de nombrreux essais, scénarios, bandes dessinées, illustrations, poèmes-affiches.

En 1997, Joan-Maria Petit réunit l'ensemble de l'oeuvre poétique dans une nouvelle édition. Moins connue que l'oeuvre théâtrale ou romanesque, l'oeuvre poétique de Léon Cordes est alors redécouverte comme une oeuvre majeure, marquée par une "beutat despolhada" et une géopoétique personnelle originale. 
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L'opéra de Frontignan de Nicolas Fizes
Fizes, Nicolas (1648-1718)

L'Opéra de Frontignan est une oeuvre anonyme, attribuée à Nicolas Fizes (1648-1718), éditée pour la première fois en 1679 par Etienne et Paul Marret.

Cette pièce est considérée comme le premier opéra rédigé en occitan. Il aurait en effet été composé en 1678, juste après les célébrations de la paix de Nimègue et la représentation du premier opéra joué à Montpellier.

L'Opéra de Frontignan est ainsi une comédie lyrique à grand spectacle dont la musique est un arrangement des airs populaires d'alors. L'intrigue est quant à elle assez simple et classique, elle met en scène les amours de Nicolas et Françon contrariées par les désirs d'un veuf, encouragé par la mère de la jeune fille.

Nicolas Fizes a délibérément rédigé son opéra dans le parler de Frontignan et a joint à son oeuvre un petit lexique faisant la correspondance entre quelques termes issus du parler frontignanais et montpelliérain.

On ne connaît aujourd'hui cet opéra que grâce à quelques manuscrits. Aucun ouvrage de l'édition originale de 1679 n'a pu être conservé. Léon Gaudin fait part dans son ouvrage sur cet opéra de l'existence d'un imprimé, un in 8° de 64 pages composé en italiques et sorti des imprimeries de Daniel Pech. Toujours d'après Léon Gaudin, la bibliothèque de Montpellier aurait conservé une copie informe de cet imprimé, disparue aujourd'hui. A la bibliothèque de Toulouse est également conservé un manuscrit transcrit pour Jacques de Bardy, conseiller au Parlement de Toulouse et proche de Nicolas Fizes. Plus tardif, un manuscrit du XIX° siècle, de la main de Léon Gaudin est également conservé à la Bibliothèque de Montpellier.

Le manuscrit présenté ici a été acquis par le CIRDOC en 2005, provenant d'une bibliothèque montpellieraine. La mention manuscrite Tandon au dos de la page de garde pourrait laisser penser qu'il s'agit de la bibliothèque d'André Auguste Tandon (1759-1824), grand-père du botaniste Moquin-Tandon et auteur de fables en vers patois.

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Mistral, Frédéric (1830-1914)

Il est question de La Cansoun dis Àvi dans une lettre de Pierre Devoluy adressée à Frédéric Mistral datant du 29 mars 1906. L'expéditeur y fait part de ses impressions enthousiastes sur la chanson que Mistral vient de lui envoyer. Devoluy demande à Mistral s'il possède un air pour la chanter et pour qu'il la publie dès le prochain numéro du journal Prouvènço ! (Cf. Correspondance Frédéric Mistral - Pierre Devoluy : 1895-1913 / publ. et annotée par Charles Rostaing, 1984, p.687-688).

Pierre Devoluy est à l'époque rédacteur en chef du mensuel Prouvènço ! Auriflour de la causo felibrenco. La Cansoun dis Àvi sera effectivement publiée dans le n°16 du 7 avril 1906, signée par Frédéric Mistral, à Maillane le 27 mars 1906. La chanson y est précédée d'une petite introduction indiquant : « Èr : mescladis de E ièu quand la veirai

 Ié dirai...

e de Eisabèu

Ti boutèu

Soun plen de sarriho... »

Ce numéro de Prouvènço ! est conservé à la médiathèque du CIRDÒC (cote magasin AF).

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La Pastorale de Fos (Lo teatre de la Carrièra)
Alranq, Claude (1947-....)
Les textes ci-dessous, écrits par Claude Alranq, sont tirés de la publication de La Pastorale de Fos (Paris : P.J. Oswald, 1975).

L'histoire de La Pastorale de Fos

À Pamparigouste - que la légende méridionale livre comme le pays du monde à l'envers - les personnages les plus caractéristiques de la mémoire populaire proven­çale se sont donnés rendez-vous.
La pastorale y convie ses gardians de Camargue, ses bergers de la Crau et les pêcheurs de la « Venise Pro­vençale » ; le théâtre marseillais y convoque son Chi­chois ; l'histoire régionale y délègue un Nostradamus mythique, la Fête-Dieu d'Aix, ses « La Badache » et « La Besoche »... Mais, cette fois, ce ne sera pas pour la galéjade, car il y est question de vie ou de mort. Le droit de vivre occitan va-t-iI supporter la sauvage et brutale réappari­tion de la Tarasque ? Ce coup-ci le monstre n'est plus de crocs et d'écailles. Il est manipulé par la « Confrérie des Entarasqués », une sorte d'inquisition de triste mé­moire dans l'âme méridionale.
Pamparigouste pollué, exproprié, embétonné, vidé de sa personnalité culturelle voit parallèlement arriver dans son « terraire » un peuple en bleu de travail, sans pays : les boumians de l'âge moderne. Les deux peuples s'épient. La crise sévit. Les entarasqués poussent à l'affrontement.
Mireille, la pamparigoustienne, rencontre « Boumian », « l'estrangier »...
Une pastorale nouvelle pousse dans les bourgeons de l'actualité, faisant éclater les masques de la duperie et retrouvant dans le dépassement de la classique pas­torale religieuse, la promesse de sa continuité et la flamme carnavalesque et païenne de ses origines.

Une présentation  

Cette pièce a été créée après quatre mois d'enquêtes et d'animations sur la région de Fos-Etang de Berre, en col­laboration avec les centres culturels de Martigues et Arles. C'est une peinture de l'industrialisation qui s'empara de cette zone de 1970 à 1973 et ses conséquences actuelles sur la population locale.
Cette région est marquée par de fortes traditions culturelles. La Crau, le pays d'Arles, la Camargue sont le berceau de la culture provençale. Tout autour, des formes de jeu plus carnavalesques, suscitées directement par la fête méridionale ( « Fêtes Dieu » de Aix et de Salon; « Théâtre Marseillais », etc.) imprime à cet héritage un caractère très populaire. Des coutumes antérieures au christianisme et à la romanisation (la tarasque par exem­ple) continuent à réveiller des manifestations folkloriques plus profondes qu'un simple asservissement régional au goût touristique.
C'est également dans cette région que les « mouvements nationalitaires provençaux » - du nationalisme français et provincialiste du Martégal Maurras au fédéralisme d'un Mistral, de « l'escola felibrenca » conservatrice et passéiste au félibrige rouge d'un autre Martégal Hughes - ont vu naître leurs principaux dirigeants.
Dans cette flore culturelle complexe, toujours très imprégnée par l'idéologie régionaliste des « petits et moyens producteurs » locaux s'opère donc une industrialisation et une urbanisation soudaines que les gouvernants présen­taient comme un modèle international de technicité et d'en­vironnement.
De fait allions-nous assister à une assimilation de ces phénomènes, ou à un nouvel exemple d'impérialisme éco­nomique, culturel, voire politique ?
La pièce apporte la réponse livrée par une enquête sur le terrain, en tout lieu et tout milieu. Certes, elle ne prétend pas être exhaustive mais elle est le reflet théâ­tralisé de cette réalité à un moment donné.
Pourtant, sur le plan formel, elle n'est aucunement le décalcage pointilleux et réaliste de l'actualité. Si la pièce s'en tient scrupuleusement aux lois et aux significations du phénomène évoqué, elle laisse néanmoins emporter son propos par une théâtralisation qui puise abondamment dans l'univers baroque des références locales.
Les jeux, les situations, les personnages sont très liés au patrimoine. Ainsi la forme culturelle choisie est l'an­cienne mais très populaire pastorale provençale. Ce genre littéraire cherchait à travers la fable de Marie, de Joseph et de la naissance du Christ à peindre une fresque de la vie provençale. Nous adaptons et revenons aux sources en ramenant la fable liturgique à hauteur d'homme: l'aventure d'une fille du pays avec un ouvrier étranger à la région sert d'alibi pour évoquer la chronique d'un certain aménagement. Ce qui naîtra ne sera pas fils de Dieu mais l'enfant menacé des hommes à un moment crucial de leur émancipation.
Le propos de cette pastorale moderne est donc essen­tiellement profane. Il l'est même jusqu'à la démentielle quotidienneté de sa crèche électronique, transposant le mystère de la nativité dans l'horizon parqué des cités de béton. C'est pourquoi il peut renouveler la classique pas­torale religieuse, car en retrouvant la dimension populaire et ses problèmes sociaux il se retrempe dans les jeux théâ­traux qui ont présidé à ses origines mais que les répressions d'Église et d'État ont expurgés comme suppôts de l'enfer.
1609: le concile de Narbonne défend de représenter dans les églises, la nuit de Noël, les prophéties et les ber­gers, d'y faire voler des pigeons, etc.
1677 : édit de Louis XIV interdisant les compagnies théâtrales des « confrères de la passion »
1725: le concile d'Avignon prohibe définitivement les Noëls pour leurs « vains bavardages et jeux de mots mal­sonnants».
Cette tentative théâtrale est donc à la fois une reconquête du patrimoine occitan et une marche en avant dans l'actua­lité.
Un certain folklore a cristallisé « l'âge d'or » de la pas­torale sous forme de santons. Ces icônes sociaux ne révèlent plus de miracles autres que ceux du commerce et du passé, mais ils font partie de l'imagerie provençale et populaire. C'est une raison suffisante pour leur redonner vie. Nous l'avons fait en les plongeant dans l'idéologie actuelle des couches régionales qui assurent leur continuité historique, et nous avons voulu les faire sursauter « jusqu'au sub­conscient » en les confrontant au retour de la tarasque à visage d'industrie et de béton.
Entre les dents de la Tarasque, préfèreront-ils vendre leur patrimoine pour se trouver une place au soleil dans un pays où ce soleil ne sera plus car ils l'auront eux-mêmes mis à l'encan ?
Entre les dents de la Tarasque préfèreront-ils lutter en brandissant leur droit de vivre jusqu'à la haine de tout ce qui leur est étranger (et peut-être jusqu'à finir sous le même drapeau que ceux qui leur ont volé celui de la Provence) ?
Entre les dents de la Tarasque, choisiront-ils de lutter en brandissant leur droit de vivre avec les Boumians, ces parias méprisés de la pastorale de jadis, ces ouvriers craints de la pastorale d'aujourd'hui ?
Et la Tarasque est-elle mauvaise en soi ?
Ce sont là questions d'avenir et en Provence quelle céré­monie est-elle plus significative de l'engagement sur le futur que la millénaire tradition du « cacha-fuàc » !
Pour le solstice d'hiver (Noël), l'ancien (le vieux jour, celui qui meurt) portait la bûche au feu avec le benjamin (le jour nouveau, celui qui naît et se développe), renouve­lant ainsi clarté et saisons et resserrant dans le mystère du moment les liens de la communauté familiale.
Sous la pression de l'histoire, le « cacha-fuàc » conserve le pouvoir sacré de faire sourdre la lumière d'où jaillira le printemps, mais scellera-t-il dans la sève montante une « communauté de sang » oubliant parjures et concussions de certains de ses enfants ou scellera-t-il une nouvelle communauté, celle de lutte, qui n'oublie pas, juge et frappe ?

La méthode de travail du Teatre de la Carrièra

Poursuivant sa recherche dans le sens d'un théâtre populaire contemporain enraciné dans la réalité occitane, « lo teatre de la Carriera » a créé la pastorale de Fos après deux mois d'enquêtes et deux mois de représentations et d'animations critiques auprès de la population concernée.

L'enquête

Elle a été menée en collaboration avec des habitants de la région de Martigues sur les divers aspects du sujet traité, en tout lieu et tout milieu (les traditions provençales en Camargue, dans la Crau et le pays d'Arles Critique de la vie quotidienne dans la zone du « grand Fos » - Étude de l'implantation du complexe sidérurgique et de ses conséquences - Aménagement, pollution, environne­ment, etc.).
Des journées de synthèse étaient régulièrement tenues et ouvertes à tous et leurs conclusions confrontées à des conférences publiques où des spécialistes étaient invités.
Un bulletin hebdomadaire diffusant le calendrier des enquêtes et le compte rendu des réunions était envoyé à toute personne désireuse de suivre le travail entrepris.
Des animations ponctuelles visant à soulever des « dis­cussions sur le vif » auprès de gens directement impliqués étaient également produites (marché, comités d'entreprise, associations diverses, etc.).

La création 

Après une synthèse finale classant les problèmes ren­contrés et restituant l'horizon culturel vécu, une fable dramatique était présentée et soumise à un débat public (ainsi que la première écriture de la pièce dans une deuxième période). Des lycéens et des jeunes travailleurs s'associaient alors au travail de réalisation et prenaient des rôles importants lors des quatre premières soirées critiques. Cette façon de procéder quadruplait le public martégal et amassait un matériau critique très positif pour s'attaquer (uniquement avec les professionnels de la troupe, cette fois), à une deuxième version de la création, cette fois en Arles.

Assimilation de la critique

Tour à tour baptisé « Calendes Martégales », « Pampa­rigouste » et « Pastorale de Fos », la pièce poursuivait son chemin sur ce schéma d'intervention et d'assimilation de la critique dans diverses localités vivant le « phénomène Fos».

Crédits (lors des premières représentations en 1975) :

Texte : Claude Alranq
Mise en scène : Jean-Pierre Agazar et Claude Alranq
Régie : Jean Hébrard
Distribution :
Jean-Pierre Agazar : Codon
Claude Alranq : Chichois
Catherine Bonafé : Bartomieta
Marie-Hélène Bonafé : Mireille
Anne Clément-Bénichou : Fée Titène / La Badache
Jean-Marie Lamblard : Nostradamus
Mohamed Rabia : Boumian
Charles Robillard : Le préfet
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Teatre de la Carrièra joue "Mort et Résurrection de M. Occitania" à Bédarieux en 1970
Teatre de la Carriera (Arles, Bouches-du-Rhône)

Aux lendemains de Mai 1968, Claude Alranq et le Teatre de la Carrièra (le « Théâtre de la Rue » en occitan) font irruption sur les places des villages et villes d’Occitanie avec un théâtre d’un nouveau genre, populaire, social et occitan, et une pièce emblématique, Mort et Résurrection de M. Occitania, farce tragique qui révèle à la société occitane les causes du « mal méridional » dans un contexte de crise de la viticulture languedocienne et des débuts d’un mouvement massif qui convergera sous le mot d’ordre « Volèm viure al país ».

Cette photographie, issue des archives du Teatre de la Carrièra conservées au CIRDOC, nous montre l’esprit de cette compagnie qui représenta pour des milliers de spectateurs une véritable révélation théâtrale et de prise de conscience culturelle.

Le chanteur Claude Marti évoque cette expérience dans son livre Homme d’Oc (Paris : ed. Stock, 1975) : « Et tout le monde est saisi, époustouflé, on n’avait jamais vu ça… Il y a là, sur la place, un camion asthmatique, beaucoup de décors en carton, beaucoup de pancartes, et des gens qui s’agitent, se préparent au milieu de ce matériel pour le moins sommaire. Il fait beau, tout le village est là, les enfants, les femmes, les hommes, dans une atmosphère de petite fête. Et la pièce commence. Incantatoire. Sous un linceul rouge marqué du drapeau occitan, il y a un mort. C’est M. Occitania, un petit viticulteur. Un tribunal est là qui disserte sur les causes de sa mort. (...) On était devant un théâtre réellement populaire, qui touchait profondément les gens tout en étant très pédagogique. (...) Les gens se reconnaissent dans M. Occitania, ils rient, ils applaudissent, ils prennent parti ; un passage est en occitan, un autre est en français, comme dans la réalité vécue… »

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Tarascon : procession de la Tarasca
Carte postale représentant la Tarasque de Tarascon traînée au bout de son écharpe par une petite sainte Marthe.
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