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« Volèm l’occitan a la television » : Campanha per l'occitan a la television (1980-1982)
À l’orée des années 1980, la revendication pour la présence de l’occitan à la télévision devient l’un des grands enjeux de mobilisation du mouvement occitan. Dans un contexte où la télévision est encore un monopole d’État, cette mobilisation s’inscrit dans la vague des revendications occitanes engagées depuis de nombreuses années dans un rapport de force avec un État centralisateur accusé de maintenir les cadres d’un véritable « colonialisme intérieur » et refusant aux régions et aux « minorités nationales » qui les peuplent d’obtenir des moyens de reconnaissance et d’expression.
La campagne pour l’occitan à la télévision, sous le slogan « Volèm l’occitan a la television », initiée par l’Institut d’estudis occitans (IEO) apparaît comme l’une des plus importantes mobilisations de la période par son organisation, son large soutien, et aussi, à la faveur de l’arrivée au pouvoir de la gauche en 1981, parce qu’elle a débouché sur une concrétisation avec la création des premiers programmes en occitan sur les antennes publiques régionales. 

Télévision et cinéma : une problématique nouvelle pour l’occitan dans les années 1970

Massivement implantée dans le monde rural au cours des années 1960-1970, la télévision devient à l’orée des années 1980 un nouvel espace stratégique à occuper pour les acteurs engagés dans le « renouveau occitan » afin de rendre visible l’Occitanie, sa langue, sa culture et ses problématiques spécifiques. Déjà en 1966, la diffusion par l’ORTF du téléfilm de Stellio Lorenzi sur Les Cathares (dans la série La caméra explore le temps) avait constitué un des déclencheurs, unanimement ressentis et reconnus dans les témoignages de l’époque, d’une prise de conscience occitane assez massive au sein de la population des pays d’Oc. 
En 1977 le réalisateur provençal Jean Fléchet crée Téciméoc (Télévision, Cinéma Méridional et Occitan) afin de développer les conditions d’une production télévisuelle et cinématographique en occitan. La revue Téciméoc sera d’ailleurs un organe important de réflexion et d’échange pour le développement d’une production télévisuelle et cinématographique occitane. 
L’enjeu d’une grande mobilisation occitaniste pour l’occitan à la télévision semble avoir été mis en exergue par l’initiative d’un député socialiste du Lot-et-Garonne, Christian Laurissergues, à l’origine de la création en 1978 d’un intergroupe parlementaire sur les problèmes occitans (dont la constitution fut refusée par le bureau de l’Assemblée). Il adresse à plusieurs organisations occitanes en octobre 1979 un courrier au sujet du développement de l’occitan à la télévision. La question avait été traitée avec bienveillance par la Commission chargée d’apprécier la qualité des émissions de radiodiffusion et de télévision dans son rapport 1978-1979 : « Les régions ne se trompent pas sur l’importance et la valeur de telles actions. C’est pourquoi elles demandent que les langues régionales qui font partie du patrimoine culturel français aient leur place non seulement sur les antennes mais aussi sur les écrans de FR3… » Christian Laurissergues indique qu’il a obtenu un entretien avec le directeur général de FR3 mais que sans mobilisation, rien n’avancera. 
C’est sans doute en réponse à ce courrier que l’Institut d’estudis occitans, qui vient de mener une grande campagne d’opinion autour du thème « occitan langue nationale », se saisit de la question audiovisuelle. 

La campagne « Volèm l’occitan a la television » 

Pour les mouvements revendicatifs occitans, c’est alors le temps des grandes campagnes d’opinion, souvent initiées et animées par un Institut d’estudis occitans à son apogée grâce aux nouvelles recrues militantes issues du renouveau occitan des années 1970, l’activisme de son secrétaire général Yves Rouquette et l’ambition de son secteur « Espandiment » (Développement). La campagne de mobilisation pour « l’occitan langue nationale » avait réunie en 1977 plus de 200’000 signatures. 
Sans doute l’approche de la campagne des élections présidentielles de 1981, au cours de laquelle la question de la réforme de l’audiovisuel public figurait parmi les grands thèmes du changement attendu, a-t-elle joué dans la mobilisation pour l’occitan à la télévision. Le candidat François Mitterrand fut d’ailleurs le premier destinataire - et soutien en retour - de la campagne.  Le 14 mars 1981, il prononce à Lorient un discours qui fait date, dans lequel il déclare que « le temps est venu d’un statut des langues et cultures de France qui leur reconnaisse une existence réelle. Le temps est venu de leur ouvrir grandes les portes de l’école, de la radio et de la télévision permettant leur diffusion, de leur accorder toute la place qu’elles méritent dans la vie publique. »
La campagne « Volèm l’occitan à la television » montre quant à elle la professionnalisation du mouvement occitan depuis le début de la décennie 1970. Elle est désormais conçue comme une campagne d’opinion à grande échelle, organisée et coordonnée par l’IEO qui profite alors d’un réseau de sections qui irrigue l’ensemble de l’espace occitan et au-delà, des réseaux parmi les élus locaux, les parlementaires, les syndicats. La sérigraphie artisanale a laissé la place à l’offset et l’on produit badges, briquets, autocollants par milliers. Un « responsable national de la campagne », le responsable du secteur Espandiment de l’IEO, est désigné. Des comités d’organisations se réunissent et des circulaires paraissent en amont des manifestations. On organise des cars depuis toute l’Occitanie, et aussi depuis Paris ou Lyon, pour alimenter les manifestations. 

Les manifestations de Toulouse et Marseille 

La première manifestation a lieu à Toulouse en novembre 1980. 
La plus importante est toutefois celle du 14 mars 1981, à un mois de l’élection présidentielle. Elle est coordonnée par l’IEO mais réunit déjà un collectif d’organisations, en particulier le mouvement politique Volèm Viure Al País (VVAP) et Action culturelle occitane (ACO). Résultat : 1’500 personnes occupent les locaux de l’antenne régionale de FR3 et sont délogées par les CRS. Dès la manifestation de Toulouse il est prévu de mettre la pression sur les différentes antennes régionales d’Occitanie. La section IEO du Cantal, très active, s’occupe de Clermont-Ferrand par une campagne de courriers adressés au directeur d’antenne et de recueil de soutiens des maires et conseils municipaux. Une autre manifestation unitaire et panoccitane est prévue à Marseille. 
Après l’élection présidentielle de mai 1981, la réforme de l’audiovisuel public fait partie de la feuille de route de la nouvelle majorité et les premières créations télévisuelles occitanes font leur apparition sur FR3 Toulouse. La loi sur la communication audiovisuelle fait entrer pour la première fois les langues de France dans les missions et les responsabilités de l’audiovisuel public. 
Dans les faits, l’entrée est toutefois assez symbolique, loin des enjeux d’une politique linguistique réelle. En octobre 1981 est créé le magazine Viure al País, tout premier programme en occitan à la télévision. Un magazine hebdomadaire de 15 minutes est créé en basque, à peu près autant pour le breton avec « Breiz O Veva » (26 min. hebdomadaire) et « An Tool Lagad (15 minutes hebdomadaires). Dans les régions concernées, les émissions dans les langues de leurs territoires ne dépasseront pas les 1 à 2% du volume des programmes. 
Une nouvelle manifestation est organisée en mai 1982 et rassemble davantage de manifestants, venus de toute l’Occitanie, avec 5’000 personnes à Marseille. Manifester à Marseille revêt un enjeu de taille à ce moment-là : son maire, Gaston Defferre, est alors ministre en charge de la décentralisation. La manifestation est désormais organisée par le « Collectif occitan pour l’audiovisuel » créé quelques mois auparavant et qui regroupe l’IEO, VVAP mais aussi des professionnels de l’audiovisuel avec Téciméoc. Au sein du collectif apparaissent des personnalités nouvelles qui marqueront l’histoire de l’audiovisuel occitan des décennies 1980-1990 comme le journaliste Jean-Pierre Laval ou le réalisateur Francis Fourcou. 
Le Collectif avait tenu une conférence de presse sur la question de l’occitan à la télévision au Parlement européen de Strasbourg en avril 1982, marquant là-aussi le déplacement de la question de l’État à l’Europe en construction, et qui sera l’une des évolutions du mouvement au cours de la période suivante. 

Sources : 

Dossier « Campanha per l’occitan a la television » - Archives de l’IEO-Cantal (IEO15_DOS-002)
Occitania Libertaria
Peiregòrd es pas a vendre : la contèsta fàcia als promotors immobiliaris
Escarpit, David
Bertrand, Aurélien

Les années 1970 sont marquées par la contestation sociale et économique d’un certain modèle de l’état. De 1968 et la contestation de la France gaulliste aux chocs pétroliers et ses conséquences économiques et sociales, la période est un foisonnement de mouvements contestataires, alternatifs, à travers toute l’Europe, parfois favorables à l’usage de la violence.
Dans les pays d’Oc, cette période correspond au fameux borbolh créatif et idéologique qui voit la naissance de la Nouvelle chanson occitane, mais aussi la théorisation de certains concepts comme le Colonialisme intérieur, un des thèmes développés par Robert Lafont et largement repris par de nombreux théoriciens de la pensée occitane.

L’idée que dans le contexte étatique français, les pays d’Oc soient traités comme des pays colonisés - en plus de ce que l’on peut considérer comme une colonisation culturelle - sur le plan du développement économique, se répand. La stratégie économique des pays du Midi serait limitée à en faire des nids à touristes, envahis par l’industrie hôtelière et les promoteurs immobiliers, servant de jardin à Paris et sa banlieue. Des pays sans économie propre - détruite par les politiques agricoles françaises - tout juste bons à être placés sous tutelle.

Cette idée, associée à un contexte d’intense militantisme occitan, donne naissance à des comités d’action, des groupes de petite taille décidés à passer à la vitesse supérieure dans leur quête de reconnaissance de l’identité occitane, quitte à envisager l’action directe et le recours à la force.

Deux régions sont particulièrement touchées par ce phénomène. Le Languedoc, en proie à la crise viticole et possédant une tradition « rouge » de contestation sociale et le Périgord, pays hautement touristique. Tous deux se sentent dépossédés de leur patrimoine. Dans une moindre mesure Bordeaux, base arrière des groupes occitanistes, recrute beaucoup dans les milieux associatifs occitans et universitaires. Le Périgord notamment fait partie des régions occitanes où la langue et la culture sont demeurées vivantes, avec un Félibrige actif sans être politisé et une vie musicale et poétique occitane intense.

C’est dans ce contexte qu’apparaît le Comité d’Action Sarladais (CAS), autour de slogans comme « Le capital croque le Périgord » ou « Lo Perigòrd es pas a vendre » (le Périgord n’est pas à vendre). Ce dernier fait référence au rachat de fermes abandonnées et de terres par de riches « colons » empêchant l’installation de jeunes agriculteurs. On recense aussi l’utilisation plus marginale du slogan « Lo vent a bufat, l’Estat a pas paiat » (le vent a soufflé, l’État n’a pas payé) qui fait référence à une tempête ayant saccagé des noyers et aux promesses d’indemnisations des agriculteurs non tenues. De petits groupuscules fleurissent : outre le CAS apparaît également le « Front de Liberacion de la Val de Dròpt », tous deux tentés par l’action directe et les opérations coup de poing. Au sein de ces groupes, chaque membre ne connaît qu’une partie des autres membres, la clandestinité est de règle. Ils seront bientôt réunis dans la mouvance de « Volèm Viure Al País », qui prône alors l’action directe et une certaine forme de violence, en particulier dans le Sarladais et du côté de Sainte-Foy-la-Grande, avec des ramifications à Bordeaux, en Lot-et-Garonne et en Sud-Gironde. Il existe aussi un « Moviment Anarquista Occitan » (mouvement anarchiste occitan) en particulier en Périgord. Quelques petits journaux satiriques occitans sont également imprimés, comme Lo Pelharòt à Bergerac.

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1962 : les écrivains occitans s'engagent contre le « colonialisme intérieur »
Manifeste publié dans Los carbonièrs de La Sala, Vent terral, 1975, pp. 155-156 . La version présentée est la version manuscrite d’Yves Rouquette.
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De la RCP 323 en Pays de Sault au GARAE : pour une anthropologie autochtone en pays d’Oc
Dans le domaine des sciences sociales, les années 1960-1970 sont marquées par les « Recherches coopératives sur programme » (RCP), vastes enquêtes pluridisciplinaires qui se sont souvent avérées comme de véritables aventures collectives aux répercussions importantes sur les terrains étudiés.
De 1973 à 1978, sous la direction de l'archéologue Jean Guilaine, alors enseignant-chercheur à l’Université Paul-Sabatier de Toulouse, une RCP est menée dans le Pays de Sault (Pyrénées audoises). Par son importance pour la connaissance et la valorisation de la langue et des cultures de tradition orale, la RCP 323 apparaît comme le versant scientifique du grand mouvement de renouveau revendicatif et culturel qui emporte alors l’espace occitan autour de la dénonciation du « colonialisme intérieur » et la revendication au « Volèm viure al país ». Elle sera à l’origine de la création d’une institution, le GARAE, à Carcassonne.
Image : Daniel Fabre enregistre le conteur Pierre Pous, Bessède-de-Sault (Aude), 1973. Photo Jean-Pierre Piniès.

Les RCP et une nouvelle approche des sociétés locales dans les années 1960-1970

Ces programmes de recherche fondés sur le décloisonnement des disciplines et des approches, permettent d’embrasser une société comme un tout, quel que soit l’échelle du terrain étudié. La RCP consacré à Plozévet, petite commune de Bretagne entre 1961 et 1965, choisi pour sa situation d’isolat de « culture rurale intacte » fut déterminante pour l’évolution des sciences sociales en France et demeure une référence.
Côté occitan, c’est le pays de Sault qui devient le terrain d’une vaste enquête pluridisciplinaire conduite par Daniel Fabre dans le contexte du renouveau culturel occitan et du développement des revendications régionalistes. Daniel Fabre est d’ailleurs proche du mouvement occitan, en participant aux Universités occitanes d’été de Robert Lafont, penseur du concept de colonialisme intérieur et leader d’organisations militantes (IEO, COEA), et en publiant quelques textes articulant évolution des sciences sociales et problématiques occitanes.
La RCP 323, loin de constituer une seule affaire scientifique, est menée comme un des versants du mouvement qui marque l’action et la pensée occitane des années 1960 à l’orée des années 1980 autour d’un concept-phare : la lutte contre le colonialisme intérieur.

Une enquête anthropologique dans un contexte de “décolonisation” de l'Occitanie

La RCP 323 porte sur « l’Anthropologie et l’écologie pyrénéennes ». Daniel Fabre dirige l’équipe en pays de Sault, déterminé comme zone-pilote, de 1973 à 1978. Cette recherche collective et pluridisciplinaire engagea plusieurs jeunes ethnologues du Centre d’anthropologie des sociétés rurales de Toulouse dirigé par Daniel Fabre et Jean Guilaine et formera les bases de ce que certains appelleront l’école toulousaine. L’enquête en pays de Sault mobilisa jusqu’à 25 membres sur un total de 60 qui s’attachèrent à la RCP 323 sur les Pyrénées.

Dans les années 1970 l’anthropologie culturelle et sociale ne constituait par à l’université de Toulouse un cursus autonome. Elle était au carrefour de l’anthropologie biologique, de la dialectologie et des études occitanes. Aux côtés de l’Institut pyrénéen d’études anthropologiques, c’est via le vénérable Institut d’études méridionales que le lien de la nouvelle génération d’ethnologues et anthropologues avec la question linguistique et culturelle portée par l’occitanisme va se produire. Au sein de l’Institut d’études méridionales, Jean Séguy assure les cours de langue et l’écrivain René Nelli assure des cours réputés « inclassables » d’ethnologie méridionale.
Plus globalement, « le mouvement occitan de revendication identitaire, de défense de la langue et de la culture occitanes, qui se cristallise dans les années 1960 et gagne en puissance après Mai 68, imprègne les prises de position de Daniel Fabre et d’autres collègues ethnologues contre le colonialisme de l’intérieur, contre cet ethnocide (la référence à Jaulin est assumée) dont se serait rendu coupable un État français centralisateur, destructeur des particularismes locaux et des minorités nationales. » (Christine Laurière, La RCP 323 : une aventure collective en pays de Sault. ethnographiques.org, 32 - septembre 2016)

La RCP 323 est donc conduite par des personnalités engagées dans le mouvement occitaniste de façon conscientes et assumées. Dans un article paru en 1972 (Annales de l’Institut d’estudis occitans) Daniel Fabre et Jacques Lacroix appelaient déjà à un programme de « décolonisation de l’anthropologie ». Non seulement ces anthropologues carcassonnais revendiquent leur qualité « d'indigènes », plaident pour une « anthropologie autochtone », corollaire régional pour une décolonisation de l'anthropologie, mais ils ne dédaignent pas mettre en cause eux aussi le colonialisme intérieur, l’aliénation linguistique, l’ethnocide culturel. Au cours de la décennie 1970, marquée en Occitanie par un grand mouvement de renouveau créatif et revendicatif et par le succès des revendications et d’organisations prenant de plus en plus part à la vie politique régionale et nationale, des ethnologues autour de Daniel Fabre et Jacques Lacroix vont articuler les grandes thématiques de l’époque (colonialisme intérieur, révolution régionaliste, décentralisation, etc.) à leur discipline :
- 1972, « Pour une anthropologie occitane. Propositions pour la décolonisation de l’anthropologie », Annales de l’Institut d’études occitanes, II (6), p. 71-85 ;
- 1975, « Pour une anthropologie des collectivités rurales occitanes », Communautés du Sud, vol I, Paris, U.G.E. 10/18 ;
- Bidart Pierre, Blanc Dominique, Drulhe Marcel, Fabre Daniel, Holohan Wanda, Lacroix Jacques, Morin Françoise, Rivals Claude, 1977, « L'anthropologie des minorités nationales dans les pays industrialisés », Bulletin du Musée Basque, n° 78, p. 177-190.
- Fabre Daniel, (président et rapporteur), 1978, « Les minorités nationales en pays industrialisés », L'Anthropologie en France. Situation actuelle et avenir, Colloques internationaux du Centre national de la recherche scientifique, n° 573, Paris, CNRS, p. 293-314.
 
Ces ethnologues occupent le terrain de la recherche et produisent des oeuvres dont certaines feront date :
- 1972 Aspects des collectivités rurales en domaine occitan. Etude anthropologique en pays de Sault, Toulouse, Université Paul Sabatier.
- 1973, La Vie quotidienne des paysans du Languedoc au XIXe siècle, Paris, Hachette-Littérature.
- 1974, La tradition orale du conte occitan. Les Pyrénées audoises, T I, Paris, Presses Universitaires de France.
 

Postérité : la naissance du GARAE à Carcassonne

Suite à la RCP 323 qui s’inscrit dans un moment d’engagement pour les ethnologues carcassonnais, dans le nouveau contexte politique et institutionnel de 1981, ils créent le Groupe audois de recherche et d’animation ethnographique (GARAE).
La création du GARAE advient alors même que s'éteignent les échos de cette revendication d'une anthropologie occitane, au même titre que les revendications régionalistes dans le mouvement intellectuel et social.
Jean-Pierre Cavaillé, chercheur toulousain spécialiste de la question occitane contemporaine, impute ce désengagement à l'impossibilité pour l'ethnologie indigène de s'implanter en tant que telle dans les institutions de recherche et plus largement à la stigmatisation encourue par ce type de démarche (et plus encore quand elle est conduite par des amateurs), parce que soupçonnée de servir une conception fermée de l'identité et de prêter le flan à la politisation. Il envisage d'ailleurs la Mission du patrimoine ethnologique, créée à la fin du mandat giscardien en 1980, comme le moyen de tenir le phénomène en respect.
Christiane Amiel, ethnologue et chercheuse au GARAE, met l'abandon de la posture militante des anthropologues carcassonnais sur le compte de l'échec du dialogue avec les occitanistes d'alors, et le présente comme le résultat d'une incompréhension qui a amené les uns à se détourner des autres et réciproquement.

Si le GARAE naît d’un désamarrage de l’ethnologie occitane de l’occitanisme, il se raccroche en revanche à l’héritage carcassonnais en matière d’ethnographie (Groupe d’études régionalistes et de folklore audois créé en 1937 et sa revue, Folklore, active depuis 1938, travaux et enseignement de René Nelli, etc.)
Dans la foulée de création du GARAE est mise sur pied une exposition et  son catalogue paru en 1982, Un demi-siècle d’ethnologie occitane : autour de la revue Folklore, aux éditions du Garae : y sont mis en valeur les travaux que mènent alors les Carcassonnais et en scène leur parenté avec les centres d'intérêt des ethnographes de la génération 1930 (le GAEF, la revue Folklore, etc.).
Quelque chose d'une autre militance, légitimée par les grands ancêtres, est alors en train de s'inventer, de s'expérimenter, qui loin de rompre avec les lieux (qui sont tout à la fois leurs terrains d'enquêtes et le lieu où ils ont choisi de vivre), permet de s'y inscrire et d'y agir autrement.

S’il y a une rupture entre les environnements idéologies et militants de la RCP 323 dans les années 1970 et ceux du GARAE dans les années 1980, la continuité est assurée, autour de Daniel Fabre et d’une nouvelle génération d’ethnologues et d'anthropologues qui continuent à faire évoluer le regard porté, par l'ethnologie du proche, sur les cultures occitanes et autres.

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L'intervention d'Yves Rouquette au Musée Fenaille dans le cadre du festival l'Estivada de Rodez en 2012

Invité en juillet 2012 dans le cadre du festival L'Estivada de Rodez, l'écrivain Yves Rouquette déclame ici plusieurs de ses poèmes et y raconte des anecdotes liées à des rencontres faites tout au long de sa vie, depuis la cours intérieur du Musée Fenaille à Rodez.

Dans une grande solennité, conférent à cet instant une aura toute particulière, l'écrivain y déclame des extraits du Cant dels millenaris et de la suite poétique Diusses primièrs.
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« L'Immortèla », une chanson devenue hymne

L'Immortèla, una cançon venguda imne.

La cançon De cap tà l'immortèla es l'òbra mai coneguda del grop bearnés Los de Nadau, vengut Nadau en 1986. Fa partida del tresen album del grop, L'Immortèla, sortit en cò de Ventadorn, lo grand labèl occitan del temps. Ben que cançon de creacion, De cap tà l'immortèla es venguda en solament un quarantenat d'annadas, una cançon vertadierament  populara dins los païses d'òc, sovent gaitada coma tradicionala. 

L'immortèla abòrda la question de la dralha de recerca per tal de retrobar la lenga perduda. Constituïs donc una traca de contracant de la cançon contestatària que s'ataca au sistèma acusat d'aver destruït aquela lenga. La lenga e çò que s'i restaca (lo país, la cultura perduda) i son representats per la metafòra d'una flor, l'Immortèla, nom occitan de l'edelweiss dins Pirenèus, planta supausada ne pas jamai morir e ne pas crànher la gelada nimai las tempèris, qualitats transpausadas sus la lenga que, ben que maltractada, ne morís pas. Lo narrator es representat coma un cercador, qualqu'un qu'escalada la montanha en cèrca de la lenga-flor. L'accent es mai mes sus la desmarcha de questa e las dificultats d'aquela desmarcha, que non sus la quita flor (la libertat, qu'ei lo camin) e suls espers totjorn renovelats que convidan a anar mai luènh a malgrat lo descoratjament (après lo malh un aute malh, après la lutz ua auta lutz)

La cançon pren plaça dins un album globalament bastit sus un ton revenficatiu e militant, dins l'esperit general de la Novèla cançon occitana de las annadas 1970, que Los de Nadau ne'n foguèt un dels gropes emblematics. Dins aquel moviment artistic e musical, la cançon servís a desnonciar çò que releva del "colonialisme interior", concèpte popularizat mai que mai per Robèrt Lafont e aplicat a Occitania, suls plans cultural, economic e politic. Lo ròtle jogat per l'escòla de la Republica a partir de la fin del sègle XIX dins la desconstruccion a l'un còp de la competéncia lingüistica e del patrimòni cultural de las populacions dels païses d'Òc es larjament mesa en avant, coma la cançon-títol Mossur lo regent, pareguda dins lo primièr album eponim en 1975. Los de Nadau s'inscrivon plenament dins aquel moviment jusc a la debuta de las annadas 1981, onte l'amòrça d'una decentralizacion emai las evolucions dels gostes e dels genres amorçaràn lo declin d'aquel primièr atge de la Novèla cançon occitana. Los de Nadau, puèi fòrt lèu Nadau, coneis de prigondas mudanças d'efectiu, d'estíle e de prepaus qu'acocharàn d'un grop diferent tot en estant la seguida del primièr. De cap tà l'Immortèla quitarà d'èsser enregistrada al disc, avant de far sa tornada a la debuta de las annadas 1990 sus l'enregistrament video Nadau en Companhia, que capta la prestacion del grop al Zenit de Pau en 1993. La cançon tòrna paréisser jos una fòrma leugierament diferenta. Lo branlo del debit rapide de 1978 s'es ralentit, en meteis temps coma ganhava en solemnitat. Lo cant de marcha es vengut un imne.

L'Immortèla es cò sèc venguda una cançon emblematica del grop, puèi de la musica occitana tota, puèi per fin del moviment occitanisa que l'a rapidament assimilat a un "imne" occitan oficiós als costats del Se Canta e de la Copa santa, que tenon tanben aquela dimension. Escapant als sieus autors, ven una cançon populara occitana coma s'aviá totjorn existit.  La cançon es represa sus mantun disc de Nadau a partir de las annadas 1990, emai sus tots lors DVDs. Lo grop l'interprèta a cada concèrt dempuèi las annadas 1990, de còps en fin de serada, de còps en introduccion. Constituïs a cada còp un ponch d'òrgue indeniable de la prestacion e es represa en còr per lo public. Es tanben entonada per las manifestacions occitanistas e autres eveniments reivindicatius.

Paraulas de la cançon

Sèi un païs e ua flor
(E ua flor, e ua flor)
Que l'aperam la de l'amor
(La de l'amor, la de l'amor)
Haut Peiròt, vam caminar, vam caminar
De cap tà l'immortèla
Haut Peiròt, vam caminar, vam caminar
La païs vam cercar
Au som deu malh, que ia ua lutz
(Que ia ua lutz, que ia ua lutz)
Qu'i cau gurardar los uelhs dessus
(Los uelhs dessus, los uelhs dessus)
Haut Peiròt, vam caminar, vam caminar
De cap tà l'immortèla
Haut Peiròt, vam caminar, vam caminar
La païs vam cercar
Que'ns cau traucar tot lo segàs
(Tot lo segàs, tot lo segàs)
Tà ns'arrapar, sonque las mans
(Sonque las mans, sonque las mans)
Haut Peiròt, vam caminar, vam caminar
De cap tà l'immortèla
Haut Peiròt, vam caminar, vam caminar
La païs vam cercar
Lhèu veiram pas jamei la fin
(Jamei la fin, jamei la fin)
La libertat qu'ei lo camin
(Qu'ei lo camin, qu'ei lo camin)
Après lo malh, un aute malh
(Un aute malh, un aute malh)
Après la lutz, ua auta lutz
(Ua auta lutz, ua auta lutz)
Haut Peiròt, vam caminar, vam caminar
De cap tà l'immortèla
Haut Peiròt, vam caminar, vam caminar
La païs vam cercar

Enregistraments

L'Immortèla, Ventadorn, 1978, sous le titre De cap tà l'Immortèla.

Nadau en companhia, VHS, 1993.

S'aví sabut, CD, 1995.

Nadau en companhia, CD en public au Zénith de Pau, avec chœurs et orchestre 1996.

Nadau a l'Olympia, VHS, 2000.

Nadau en companhia, Hèsta de las Calandretas, zénith de Pau, VHS, 2002.

Nadau a l'Olympia, DVD, 2005.

Nadau, Olympia 2010, DVD et CD, 2010.

Nadau, Zénith de Pau, 2017, DVD et CD, 2017.



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« Les travailleurs immigrés et les mouvements régionalistes en France : Alliés dans un combat culturel contre le colonialisme intérieur », Robert Lafont (Juin 1975)
Lafont, Robert (1923-2009)
Ce texte a été publié pour la première fois en juin 1975 dans Le Monde diplomatique. Robert Lafont y analyse les proximités entre le traitement des ouvriers « provinciaux » au XIXe siècle par les élites politiques et économiques françaises et celui des ouvriers immigrés des années 1960-1970.
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« La révolte des colonisés de l’intérieur », reportage de Serge Mallet sur la grève des mineurs de Decazeville (France Observateur, 11 janvier 1962)
Mallet, Serge (1927-1973)
Reportage publié dans France Observateur du 11 janvier 1962, traduit en occitan par Yves Rouquette et publié dans Los carbonièrs de La Sala, Vent terral, 1975, pp. 69-79.
La version présentée ici est la version occitane manuscrite d' Yves Rouquette.
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Maurice Roux, regard sur un pays en mutation
Roux, Maurice (1933-2015)
Le photographe Maurice Roux (1933-2015), par ailleurs inséminateur pour l’élevage bovin, est très vite en lien avec le mouvement occitan des années 1960 et 1970. Sensibilisé aux thèmes occitanistes - disparition de la langue, fin d’une civilisation - il va profiter de son travail lui permettant un contact sensible et permanent, de ferme en ferme, avec les paysans du Gers, pour constituer un corpus incroyable documentant la fin de la civilisation paysanne à travers des enquêtes sonores mais aussi des milliers de clichés photographiques, qui ont une immense valeur tant ethnologique qu'esthétique.
L'Association Maurice Roux a bien voulu mettre à la disposition du CIRDOC-Institut occitan de cultura une partie de ces collections inédites, afin qu'elles soient numérisées et inventoriées. L'ensemble des archives photographiques de Maurice Roux est désormais conservé aux Archives Départementales du Gers.
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« Tabò ou la dernière Sainte-Barbe » : le Teatre de la Carrièra solidaire des mineurs occitans
Teatre de la Carrièra

Tabò ou la dernière Sainte-Barbe
(1974) est la troisième pièce occitane du Teatre de la Carrièra. Elle a pour cadre la question de la liquidation des bassins miniers, déjà évoquée par la première pièce, Mort et résurrection de Mr Occitània. 

Tabò ? C'est le cri de guerre des Cévenols, depuis les Camisards jusqu'aux « pichots » se battant sur les rives du Gardon. La Sainte-Barbe ? La sainte patronne et la fête traditionnelle des mineurs, aujourd'hui devenue aussi journée de lutte. Pourquoi la dernière ? Sur les 21 puits cévenols, 17 ont déjà été fermés. En 1977, l'État fermera le dernier, à moins que...

Théâtre de combat ? Un théâtre régional qui part des problèmes quotidiens, qui les traite en étroite collaboration avec les travailleurs et qui les restitue dans la peau culturelle du peuple d'Oc.
Folklore ? Un enracinement dans le patrimoine occitan. Une fierté reconquise et brandie dans une recherche théâtrale contemporaine.
Théâtre de rue ? Un théâtre jouable en tout lieu, afin de rencontrer le public populaire. 

La pièce ? L’histoire d'un jeune mineur amoureux de Barbara, la fille du directeur de la compagnie, à l’heure de la liquidation du bassin minier, de la « crise de l'énergie », des soi-disant reconversions, du record de chômage, du « Grand Parc touristique », au milieu d'un paysage hanté par l'histoire, les légendes et les chants du « Pays Raïol ». Cette présentation met en évidence un jeu qui apparaît  constant dans le Teatre de la Carrièra entre réalité sociale, souvenirs d’Histoire et mythes populaires. Ainsi la pièce évoque-t-elle les conflits politiques dans les Cévennes du XIXe siècle, particulièrement aigus dans le bassin minier. Le titre de Tabò avait également été utilisé antérieurement pour un roman par l’auteur Julien Brabo, de son nom de plume Jan Castagno, imprimeur et éditeur, né le 26 octobre 1859 à Saint-Martin-de-Valgalgues, et mort le 31 janvier 1938 à Alès. La culture populaire orale est présente çà et là : allusion à la Romeca, supposée hanter les puits, utilisation de la berceuse « Sòm sòm… », connue sur l’ensemble de l’espace occitan. Comme la plupart des pièces de La Carrièra, le texte en a été écrit par Claude Alranq. Les premières pièces étaient conçues pour pouvoir être adaptées au public, avec des changements possibles de textes. Là aussi, à plusieurs reprises, les didascalies insistent sur cette adaptabilité. Par exemple, le tableau 4 « est conçu de façon très souple, afin de l’adapter aux conditions particulières de chaque bassin minier et de l’actualiser selon la conjoncture ».
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