Sourdure est Ernest Bergez.
Actif au sein de plusieurs formations aventureuses et dévouées aux expériences soniques (Kaumwald, Tanz Mein Herz, Orgue Agnès), Ernest Bergez développe depuis une dizaine d’années une forme hybride et idiosynchrasique de live électronique. Cherchant toujours la potentielle faille dans le réservoir des formes sonores connues, il s’est façonné une approche radicale de la composition à partir des logiques du collage et du détournement ; rencontre violente, combinaison incongrue, conflit d’échelle, asymétrie…Sous le nom de Sourdure, il s’attaque à l’immense friche des traditions musicales et orales d’Auvergne (airs populaires, bourrées, chansons de réveillés, marches de noces…) pour construire une musique composite, difforme, au delà des marges, mais étrangement et solidement ancrée dans le présent. Il aborde ce répertoire avec un esprit de recherche, dans ce qui s’apparente à une mise à l’épreuve totale : transformation des carrures rythmiques, dérive des tonalités, déclinaison des textes, mélanges d’instrumentariums, mais aussi révolution dans ses propres façons de faire. Des airs originaux, Ernest Bergez extrait un panel de caractéristiques : cadence, accentuation, couleur harmonique, micro-motifs, ornements, pour décliner à l’envie de nouvelles tournures mélodiques. La chanson devient un objet expérimental et l’appropriation une forme d’écriture.
Architecture à plusieurs strates, l’instrumentarium hybride de Sourdure repose sur quatre pôles : la voix qui « porte », le violon qui « tire », l’électronique qui « entoure » et la podorythmie (rythmes battus aux pieds) qui fait « avancer » le tout dans un mouvement hypnotique. Fiction sonore biscornue, chanson à potentiel polysémique, en français ou en occitan, chaque morceau est une enclave autonome, dotée de son microclimatémotionnel propre.
Ernest Bergez pratique une forme bricolée et spontanée de live électronique qui combine les manipulations de la musique concrète avec les techniques du dub jamaïcain et les assauts de la noise music. Les sonorités brutes de l’électronique côtoient des sons collectés au quotidien : motifs rustiques de violon, ébauches de chansonnettes, conversations chapardées à la volée, fragments de musiques anonymes. Derrière cette pratique en conglomérat, il y a le vœu de rapprocher le musical de la vie et d’ancrer l’écriture dans le vécu immédiat. La présence fantomatique et surréelle des sons « fixés » est utilisée comme un miroir, mais un miroir déformant et hasardeux qui ouvre un espace potentiel à la complexité des émotions humaines.
Dans la continuité de cette démarche, il s’intéresse aux musiques et danses traditionnelles du Massif Central (et du monde occitan par extension). La pratique du chant, du violon et de la danse alimente sa réflexion et son travail autour de la conscience modifiée dans l’acte musical (impact physique par combinaison de bourdon, mouvements cycliques, durées longues et effets de cadence, ritournelle comme « énonciation territoriale » spontanée et intime). Un modèle se profile : une musique toujours pareille, toujours différente.
Formé à l’ENM de Villeurbanne, puis au CEFEDEM Rhône Alpes, Ernest Bergez est Titulaire d'un Diplôme d'État de professeur en musiques actuelles amplifiées. Au cours de sa formation, il a suivis un « tutorat artistique » avec Jérôme Noetinger. Il enseigne actuellement au CRA.P à Lyon et intervient au Cefedem Rhône Alpes.
"Subrevida c’est la « survie » et mon premier 33 tours 30 cm, produit dans un premier temps à compte d’auteur, dans un précoce souci d’indépendance. Il est enregistré du 22 au 30 décembre 1977, puis mixé les 2, 3 et 4 janvier 1978, au studio TANGARA à Toulouse, tout près de la barrière de Paris. Ce studio est alors, si mes souvenirs sont exacts, une sorte de garage aménagé où officiait François Artige, preneur de son et talentueux futur Guitars Doktor de la place toulousaine et au-delà. Il joue de la cithare dans cet album où Gérard Benassayag – qui entre autres avait été un temps le bassiste de Michel Polnareff et d’Esther Galil – intervient à la basse électrique, au violoncelle, aux percussions et aux chœurs, au cours du mixage également, pour seconder François, et se charge des arrangements. Philippe Didillon y joue du piano et de la guitare (électriques et acoustiques), des percussions. De la guitare jazz de Richard Abad jaillit le chorus de la chanson-titre : « Subrevida ». Dominique et Eva Coste, ainsi que Colette Lacoste, assurent dans la bonne humeur les chœurs dans la dernière chanson, « Yabumbé », sans doute aucun la plus déjantée de l’opus. Bien sûr, je chante et joue de la guitare acoustique, sur des textes à moi (dont un que je cosigne avec l’ami Gégé Benassayag) ou des poèmes de Léon Cordes, Jean Boudou, Dominique Décomps, Jean Rigouste. Enfin, last but not least, René Roux, dit « Doudou », qui sera connu plus tard sous le pseudonyme de Paul Personne, m’accompagne à la batterie (son premier instrument, me confie-t-il) et à la guitare électrique : il faut écouter son solo dans « Montpelhièr », sur la face B, il déchire vraiment !
Ce premier LP – qui est encore vendu et écouté de nos jours – est une belle aventure humaine et, s’il n’est pas toujours bien enregistré ni bien chanté (c’est l’époque où François fait ses premières armes, avec peu de moyens, et moi aussi !), il dégage une grande sincérité et beaucoup de force, de vitalité. En tout cas, c’est ce que l’on me dit souvent : « ce disque a la pêche ! ». Sa première version, couverture blanche, référencée CC78006 (« CC » pour Choravox Corélia), contient cinq photos du Sénégalais Michel Bocandé, prises lors d’une fête du Front autogestionnaire où j’ai été invité à chanter, vraisemblablement en 1977. La pochette et l’encart intérieur sont fabriqués à la fameuse Imprimerie 34 de Toulouse, de laquelle je suis proche en ce temps-là.
« Subrevida » sort donc en 1978, j’en assure moi-même la promotion et la diffusion (pas facile !), puis il ressort quelques mois plus tard sous le label Revolum (sis au 32 rue Pagès à Toulouse), grâce au soutien de Rosine de Peyre et Michel Berthoumieux, deux aventuriers de la culture occitane qui croient en moi comme ils croient en beaucoup d’autres …
Je ne connaissais rien, alors, au monde de la chanson, de la musique, au monde tout court. Je me suis jeté à l’eau, de l’énergie et du désir à en revendre. Je n’ai pas de regrets, au contraire. Mais que sont tous ces copains et amis devenus ?"
-Éric Fraj