Texte de l'épisode 7 :
Et maintenant nous étions dans l'avion. Dessous il y avait les champs, les villages et aussi les villes et autour de l’avion d'Airbus Industrie A319, les nuages blancs qui s'étiraient comme des tableaux de Michel-Ange : c'était la première fois que j'étais dans le ciel ! Mon coeur battait la chamade ! Mathilde semblait être aux anges et, du hublot, elle regardait la terre s'éloigner. Quel plaisir d'être avec cette petite, ce n’était peut-être qu’un rêve ! Tout le bonheur de la terre m'était tombé dessus et je n'avais rien demandé : j'avais l'amour d'une fille jolie et sans attaches et l'argent du tonton mort. Le malheur des autres faisait mon bonheur !
Dans l'avion il y avait un tas de retraités : ils étaient tous ensemble, les uns derrière les autres à l'entrée de la classe « économique ». Ils parlaient très fort et faisaient du bruit : ils riaient, chantaient « C'est un fameux trois mats fin comme un oiseau, hisse et ho Santiago » !
C'était un voyage organisé : « L'automne en Floride, Miami Beach en bordure de mer ».
Nos sièges étaient sur le côté droit, au milieu après les ailes. Deux sièges derrière il y avait un couple : le type très grand et maigre comme un «estockefish», 45 ans, les cheveux teints en blond, une bouche fine qui semblait aller d'une oreille à l'autre. La femme, grande aussi, les cheveux rouges, bien en chair et tout sourire. Sur le siège de l'autre côté de l'allée, était assis un homme de trente ans, mal habillé, les cheveux sales, le menton mal rasé, la bouche amère. Ils parlaient tous avec un accent très pointu. Leurs voix étaient d'un autre monde : j'avais l'impression d'entendre un film policier. Dans ma tête, tournait la chansonnette de l'école de mon village : « parisien, tête de chien, parigot, tête de veau » !
Les hôtesses nous servirent le dîner et pour commencer, l'apéritif. Pour fêter ce grand jour de départ, nous avons bu du champagne. Puis, nous avons mangé, ça n'était pas mauvais pour une « classe économique ». Les parisiens, eux, n'arrêtaient pas d'appeler l'hôtesse pour demander du whisky. Après le café j'ai commencé à dormir, un petit somme était bienvenu car nous étions levées depuis l’aube. Les retraités continuaient à parler et à rire.
Tout à coup le type crasseux commença à crier :
« Eh les vieux fermez-là, moi je suis Bécon les Bruyères et j'ai la haine. Tas de vieux clous ! »
Un grand silence tomba et tout le monde se retourna pour voir qui criait :
« J'veux m'saoûler – à boire l'hôtesse ! - tournez-vous les vieux, j'veux pus voir vos faces de clowns sinon j'réponds plus de rien. »
Le grand blond commençait à éclater de rire en criant :
« Va-z y Bécon les Bruyères, fais leur voir qui tu es ! »
L'autre se redressa et continua :
« Vous avez peur vieux bouts ? Nous on est jeune ! On fait l'amour et vous vous n'avez plus qu'à faire le mort ! A boire ! Et plus vite que ça ! »
« Wisky à gogo sur l'Atlantique ! À nos femelles qui nous attendent à Philadelphie ! »
Les gens (les vieux et les autres) se cachaient dans les sièges. La pauvre hôtesse ne savait plus que faire, et quand la pauvre femme passa dans l'allée, le type lui donna une grande tape sur le cul !
« Olé ! L'Amérique est à nous ! »
Quand quelque chose comme ça arrive en bas, sur la terre, ce n'est pas agréable mais enfin on peut toujours se dire qu'on peut arrêter la machine, ouvrir la porte et sortir. Mais tout en haut, dans le ciel au-dessus de la mer, que faire ?
Mathilde me prit la main :
« Jeanne, ils sont idiots et ivres ! Tu n'as pas peur ? »
Maintenant les types dansaient en chantant et en criant :
« R'gardez les vieux, nous on danse et on chante ! Eh! La femme ! Viens avec nous ! »
Mais la femme rousse ne voulait pas se lever pour danser.
« A boire ! A boire ! »
Mais les hôtesses ne venaient plus. Et tout à coup le capitaine de l'avion est arrivé avec son habit bleu et doré et son chapeau. Il n'était pas seul : de l'autre côté il y avait un autre homme, un stewart.
« Asseyez-vous Messieurs. Nous ne sommes pas dans un dancing et nous vous prions de rester tranquilles. »
« Eh capitaine ! On a payé ! On fait c'qu'on veut non ? »
« Si vous voulez repartir à Paris par le prochain avion, libre à vous... »
« Eh ! Tu vas pas nous faire peur avec ton uniforme ?! »
« Vous voulez être attachés à votre fauteuil pour la fin du voyage ? »
Le capitaine sortit les menottes de sa poche et tout changea.
« Capitaine, vous avez gagné, on s'tait ! »
« Les hôtesses ne vous donneront plus à boire et nous vous retrouverons à Philadelphie. Outrages à passagers... »
Tout d'un coup le silence fut roi avec le bourdonnement de l'avion. La peur de la police avait fait son effet. La vie continua dans la « classe économique », mais les retraités étaient moins bruyants. Les deux parisiens se turent sans dire un mot de plus et commencèrent à ronfler, bouche ouverte : le whisky faisait son travail ! Il y avait encore 5 heures avant l’atterrissage. Mathilde, fatiguée, dormait comme une enfant. Je choisis de regarder un film : Harry Potter à l'école des sorciers, en français. Ça me plut beaucoup. Puis je suis restée les yeux ouverts rêveuse : peut-être que j'étais idiote d'essayer de revoir Rémi après 35 ans ! Mais de toute manière c'était une bonne occasion pour voyager avec ma petite Mathilde. On verrait bien, le déluge ne me faisait pas peur.
L'avion commença sa descente pour l'atterrissage : et les fromages de chèvre de ma soeur que j'avais cachés dans un tupperware, est-ce qu'ils les trouveraient dans la valise à la douane ?
Texte de l'épisode 6 :
Le lendemain c’était le jour de l'automne. Les vendanges étaient terminées. J'allais voir le notaire. Je lui dis que je voulais vendre les vignes qui n'étaient pas louées quand je reviendrai. Si quelqu'un cherchait... Il me dit :
« Avec la crise les seules terres qui se vendent sont celles où l'on peut construire des maisons pour les retraités et les touristes. Mais on ne sait jamais : un riche américain pour faire un vin spécial... »
Pour le moment, l'argent de l'oncle suffirait pour faire la fête avec Mathilde : il y en avait assez. Je ne voulais le dire à personne, mais, sur le papier personne n’entendra : 500 000 euros !
De toute manière il me fallait écrire un mail à Rémy à Baltimore avant d'acheter les billets d'avion. Heureusement, Mathilde – qui était très heureuse de partir avec moi – parlait anglais et fut d'une grande aide : Rémy était professeur à UMBC- University of Maryland Baltimore County Campus. Sa maison était à Catonsville dans le comté, pas dans la ville de Baltimore. Enfin, nous avons trouvé son numéro de téléphone.
J'avais honte, mais il me fallait l'appeler : il n'y avait pas d'autre choix pour partir. Je ne l'avais pas vu depuis 10 ans. La dernière fois il était venu pour l'enterrement de sa mère (encore, ça ne finira donc jamais ! Mais cette fois là c'était dans le cimetière, l'enterrement, pas dans le Vire, les pieds dans l'eau avec l'urne !). Et l'heure pour appeler ? Comment savoir quand il travaillait ? Avec le décalage horaire ce n'était pas facile : six heures de moins.
« Je pense que le mieux c'est de l'appeler le matin : j'ai vu sur la carte que l'université est proche de sa maison qui est sur Hill View numéro 875. »
« C'est à la campagne ? »
« Non mais ça doit être une maison avec un jardin comme on peut en voir à la TV. »
« Il nous faudra louer une voiture, autrement nous serons bloquées loin de la ville ! Je veux voir du monde ! »
« Donc nous appellerons à deux heures de l’après midi : il sera huit heures du matin pour lui ».
Avant d'aller nous coucher nous avons fait un tour sur les sites de « voyages économiques ».
Pour Baltimore, ça n'était pas simple et très long :
Montpellier/Paris puis Paris/Philadelphie et, pour terminer Philadelphie/Baltimore. Et en plus ça coûtait 1700 euros, c'était le moins cher.
Nous avions la nuit pour réfléchir. C'était la première fois de ma vie depuis que j'avais quitté la maison de ma mère que je pouvais dire « bonne nuit » à quelqu'un dans ma maison en ayant des projets de vie avec cette personne. Peut-être que Mathilde, jolie comme elle l'était, trouverait bientôt un homme et me laisserait tomber comme un vieux crouton : mais aujourd'hui c'était la vie « d'ici et maintenant » comme ils disent les intellos, qui m'intéressait.
Le lendemain matin nous avons parlé des papiers : les passeports. Nous avons appelé la préfecture : pour moi tout allait bien. Mathilde, elle, avait un passeport biométrique tout neuf : j'étais très surprise que cette petite ait ça.
« Le jour de ma majorité j'ai voulu être libre de me laisser l'occasion de partir quand ça serait possible et de laisser ce vieux monde. »
« Mais tu sais Mathilde que ce n'est qu’un voyage de trois mois que nous allons faire. Puis nous reviendrons. »
« On verra bien : je pense que tout est possible à mon âge ! J'ai toute la vie devant moi et je veux la déguster . »
Bon : je n'avais rien à dire.
C’était deux heures : « Allo Rémy. C'est Jeanne. Jeanne Belcaire ! »
« Ah ! Jeanne, ça fait plaisir d'entendre ta voix et surtout ton accent. Et la langue occitane, ici ce n'est pas simple de trouver quelqu'un pour la parler. Quel bon vent ?... »
« Rémy, je voudrais venir te voir à Baltimore. Je suis retraitée et j'ai envie de voyager. Et j'aimerais beaucoup te revoir. Tu es un ami pour moi depuis toujours. »
« Jeanne, ça me ferait plaisir aussi. Mais je travaille et tu seras seule à la maison. Tu t'ennuieras toute la journée et en plus tu ne parle pas la langue d'ici. »
« Rémy : je ne suis pas seule ! »
« Comment ? Tu as un homme ? Enfin ?! Et moi qui croyais... »
« Non : ma filleule est venue vivre avec moi ! »
« Quelle filleule ? Je ne la connais pas ! »
« C'est la fille d'une amie de collège, Lucienne. Sa mère est morte et aujourd'hui elle est venue vivre avec moi. »
« Et elle ne travaille pas ? »
« Elle voudrait apprendre la diététique. Elle commencera l'an prochain »
« Bon ! Etrange ! Tout ceci me fait plaisir. Je vous attends : prenez les billets et je viendrai vous chercher à l'aéroport BWI Baltimore. J'attends les horaires. Je te fais la bise : à bientôt ! » « Je te fais aussi la bise et je t'appellerai vite ! »
Mathilde dansait sur la terrasse tellement heureuse ! Puis, elle vint me faire un bisou. Et nous avons valsé toutes les deux en chantant « la mazurka sous les pins »
« Comment connais-tu cette chanson ? »
« Une institutrice nous a appris quelques mots d'occitan et des chansons aussi ! »
Une heure après nous avions pris les billets électroniques : le premier octobre nous serions à Catonsville Maryland.
Le petit recueil de mots et expressions ci-joint ne prétend pas à l'exhaustivité. Il est le fruit de travaux de collectage entrepris par différents enquêteurs des années 1940 à nos jours, synthétisés ici par le CIRDÒC. Vous pouvez vous-même y contribuer en laissant un message de commentaire ci-dessous.
L'ensemble des mots et expressions occitans des lotos constitue un répertoire en perpétuelle création, à variation géographique et historique. L'appel des numéros est souvent accompagné d'épithètes en occitan qui animent les phases de jeu. La signification de ces expressions est liée à la symbolique du numéro, à la sonorité de son énoncé, ou à son graphisme.
Film noir et blanc muet réalisé par Michel Cans à Saint-Pons-de-Thomières dans les années 1950. Fait partie de la collection "Les villages de l'Hérault dans les années 1950".
Le CIRDÒC conserve à Béziers l'ensemble des films tournés par Michel Cans dans une soixantaine de villages de l'Hérault dans les années 1950. Les bobines 16 mm d'origine ont été transférées d'abord sur VHS et ont été ensuite numérisées entre 2010 et 2011.
L’ensemble du fonds et des droits qui y sont attachés ont été cédés par le réalisateur au CIDO entre 1989 et 1991. Le CIDO en a ensuite fait don au CIRDOC en 2000.
Occitanica va vous permettre progressivement d'accéder à l'ensemble de ce fonds audiovisuel en ligne. Ces documents illustrant la vie des villages de l'ouest héraultais ont acquis avec les années un intérêt patrimonial, mais aussi sentimental pour les habitants de l'Hérault. Ces archives brutes sont des films non montés et muets, tournés la plupart du temps en noir et blanc.
On peut y voir par exemple la Fête-Dieu à Cesseras, le carnaval à Laurens ou Boujan, la danse des treilles à Montblanc, la fête à Nissan, des Agathoises portant la coiffe, etc.
Texte de l'épisode 5 :
La porte-fenêtre de la terrasse était ouverte. Cela faisait un bon moment que nous étions assises toutes les deux : les mouches faisaient la ronde autour de la lampe et les moustiques la farandole. Mathilde ouvrit ses lèvres comme pour révéler le secret de sa vie et c'est un sourire qui s’épanouit sur son visage si beau. Je la regardais et j’attendais. Et la soirée semblait s'étirer sans but.
Au bout d'une heure je me suis levée pour prendre le journal et j’ai commencé à le lire – Le Midi Libre -, avec toute la poésie que nous connaissons bien – et alors j'ai entendu :
« Est-ce que je peux vous parler Jeanne ? »
« Bien sûr, rien ne me ferait plus plaisir. »
« Bon : je suis prête et je commence. Je suis née à Béziers il y a 19 ans. Je n'ai jamais vu mon père. Ma mère m'a dit un jour qu'elle l'avait foutu dehors parce que c'était un alcoolique et qu'il rentrait ivre chaque soir. Mais un autre jour, elle m'a dit que c'était lui qui l'avait abandonnée quand il avait appris qu'elle était enceinte. Je ne sais pas la vérité. Mais qu'elle qu'elle soit, ça ne change rien à ma vie : pas de papa ! Et je ne sais rien de lui, de sa vie et de sa famille. Ma mère était très jeune :18 ans. Elle n'avait pas d'argent et devait chercher du travail : j'ai été élevée par ma grand-mère, dans un coin de la ville, derrière la cathédrale. Ma mère trouva un travail à Marseille dans une boutique de vêtements. Le patron était un ami de mon grand-père, Monsieur Chauvet. Peut-être qu'il était amoureux de ma mère... Elle rentrait chaque mois. J'étais heureuse de pouvoir l'embrasser et j'aimais sentir ses mains sur ma peau. Je me rappelle qu'un soir je lui ai dit avant d'aller au lit : « si tu t'en vas demain matin, je ne veux pas le savoir, autrement je ne dormirai pas et je ne veux pas pleurer toute la nuit ! Demain je dois aller à l'école pour voir mes copines». J'aimais l'école et j'ai eu la chance d'avoir des instituteurs formidables. Pour les vacances ma mère m'emmenait, quand elle était avec nous, chaque jour à la mer avec la voiture de mon grand-père. J'aime beaucoup l'eau, la mer, et les mouettes. »
Mathilde commença à pleurer doucement. Je n'osai pas remuer. Le vent de la mer faisait danser le rideau de perles entre le salon et la cuisine. Le chat sauta sur mes genoux.
« Mathilde, tu veux une tisane de verveine du jardin ? » (sans faire attention, je l'avais tutoyée !) »
« Merci bien : je ne suis pas une amatrice de tisane. Un verre de lait plutôt ! »
Elle engloutit le lait sans respirer et puis :
« J'ai été très heureuse pendant des années. Et d'un coup tout a changé. Le malheur est arrivé. Mon grand père est mort quand j'avais 15 ans. Et un jour, il y a 2 ans, Monsieur Chauvet nous a appelé : ma mère n'était pas venue à la boutique depuis une semaine. Elle n'était pas à son studio non plus. La police fit des recherches poussées : rien. Nous sommes allées avec ma grand-mère chercher tout ce qu'elle avait laissé dans sa chambre. Nous avons payé le loyer. C'était l'année du bac. Tout s'était bien passé et j'avais décidé d'aller à l'université de Montpellier. Ma grand-mère, après tout ça, ne voulait pas rester toute seule à Béziers. Elle est allée dans une maison de retraite et elle est vite partie rejoindre son homme, l'an passé. Elle m'a laissé un peu d'argent mais pas beaucoup. Ce n'était pas possible pour moi de continuer l'université : je voulais apprendre la diététique et les études sont chères. »
« Comment es-tu arrivée chez moi ? »
« J'ai un ami dans votre village : nous avons vécu ensemble à Montpellier. Il s'appelle Jacques. Il m'a invité chez lui. Ses parents m'ont très bien accueillie. Mais je ne veux pas rester avec ce jeune : peut-être que dans quelques années nous nous retrouverons. On ne sait jamais. A l'heure d'aujourd'hui ma vie c’est moi qui doit me la choisir ! Après une nuit je suis partie : j'ai bu un café au Printemps et j'ai entendu un homme qui parlait de Jeanne Belcaire, qui était toute seule, qui n'avait pas de mari, pas d'enfants et qui avait un peu d'argent. Je ne savais pas où aller : j'ai réfléchi un moment et me suis dit : peut-être que cette dame a besoin de quelqu'un pour l'aider dans sa maison ? Et comme la vie ne m'a rien donné, mon chemin je dois le creuser toute seule, sans attendre qu'il me tombe du ciel. Et voilà, vous savez tout ! C'est sûr que j'ai un peu menti... »
C'était comme une histoire d'un autre siècle : un conte pour faire pleurer la grand-mère de ma grand-mère, le soir au coin de la cheminée. Mais de toute manière c'était la vie d'une fille d'aujourd'hui et cette fille, assise devant moi, me demandait l'hospitalité.
« Mathilde, tu peux rester chez moi, je suis d'accord. Demain sera un autre jour. J'ai décidé de voyager est-ce que tu veux venir avec moi rendre visite à un ami à Baltimore, USA ? »
Oeuvres publiées conservées aux CIRDOC
Manuscrits de Jules Seuzaret conservés au CIRDOC
- le ms. 173 contenant :- le ms. 634(2) contenant
Manuscrits inédits
Ref. biographiques
Texte de l'épisode 4 :
Et toute la nuit j'ai vu courir des cauchemars à califourchon sur des mules : mes aïeux, communistes du côté de mon père et huguenots des Cévennes du côté de ma mère, étaient furieux. Le matin, mes cheveux étaient dressés sur ma tête : il me fallait réfléchir : comment faire pour ne rien laisser après mon dernier souffle. Je ne pouvais pas digérer la chose entendue chez Maître Bardot : après moi, l'église catholique et romaine allait tout avaler, les papistes !
Puis, il y eut la cérémonie au funérarium : le choix de l'urne, rouge et jaune. Les amis de Vincent qui n'étaient évidemment pas des jeunes ont chanté le « se canta » et leurs petits enfants ont chanté avec eux : le monde changeait, peut-être que les troubadours revenaient, hourra !
Je pense que tout ceci aurait fait plaisir à l'oncle.
Au moment de partir, quand les discours furent terminés, la vieille Julia voulut chanter (certains disent que quand elle était jeune, elle était amoureuse de Vincent) cette chanson cévenole que j'aimais tant :
Quand un jour tu sentiras que l'âge réveille
De plus en plus en toi des souffrances diverses
Las de bêcher ce sol ingrat comme un désert
A l'appel du repos tu tendras l'oreille
Le temps aboutira ton corps devenu trop vieux
Et par dessus ta tombe
Et dominant la plaine
La pointe d'un cyprès
Laissera voir le ciel
Le temps aboutira
Ton corps devenu trop vieux
Alors on t'enterrera dans la terre en friches
Toute fleurie d'immortelles
à deux pas de ton mas
Où l'on entend si fort
Souffler la tramontane
Alors on t'enterrera dans la terre en friches
L'astre qui nous réchauffe et nous ensoleille
Sera ton compagnon
L'été comme l'hiver.....
Nous l'avons laissée terminer la chanson seule et nous sommes partis.
Nous sommes allés tous ensemble avec l'urne et j'ai fait ce que m'avait demandé Vincent : j'ai éparpillé les cendres dans le ruisseau de la Vire. Je ne sais pas si j'avais le droit ! Les gens étaient surpris mais disaient : C'est lui qui l'a voulu. Il est parti tranquille, sans souffrir : aller se coucher le soir, et sans se réveiller le matin, dormir pour l'éternité....Cocagne !
Puis nous sommes rentrés à la maison où Mathilde nous attendait avec l'apéritif. Elle avait une jolie robe grise. Tout le monde m'a demandé qui était cette fille si jolie : j'ai continué d'affirmer que c'était ma filleule, la fille d'une amie d'école, Lucienne. Mathilde ne disait rien, elle faisait simplement des sourires à tout le monde.
J'avais décidé que j'aurais une discussion avec elle dans la soirée.
-« Et que vas-tu faire maintenant que tu as de l'argent, Jeanne : la charité, la vie, l'artiste ? Tu as une jolie voix ! Il te faudrait essayer d'aller au conservatoire de Montpellier. On ne sait jamais.... Il n'y a pas d'âge pour chanter et surtout pour se faire plaisir. » •
Celui qui me disait tout ça était René - mon amoureux! - dont, pécaire, la femme, Rosette était morte l'an passé et qui c'était sûr aurait bien aimé trouver une compagne de son âge, surtout avec un peu d'argent. Souvenir! souvenir : peut-être qu'il me plaisait quand j'étais jeune mais aujourd'hui...
Le cousin Paul et Denise, sa femme, étaient très contents de l'accord que nous avions conclu chez le notaire :
- « Merci Jeanne pour le loyer si bas : avec les problèmes de la viticulture peut-être qu'il me faudra tout arracher et faire un potager. Denise ira vendre sur le marché. » • «
Sûr que ça me plaira plus que de travailler au supermarché ! ».
« On essayera le bio, aujourd'hui il n'y a que ça qui marche, et encore plus pour le vin... Et toi, que vas-tu faire de ton temps, des terres et de la maison de Vincent ? Il t'a laissé de l'argent ? «
"Oui ! Je ne peux rien te dire de plus aujourd'hui. Mais je te promets que si un jour je vends les terres, c’est toi qui seras le premier informé."
« Merci pour tout ! »
À 8 heures tout le monde était parti : le dernier à s'en aller était René. Il vint me faire une bise, il avait bu un coup et me dit sur le pas de la porte :
« Si un jour tu en as assez d'être seule, ça me ferait plaisir de vivre avec toi. Tu sais bien que je t'aime depuis toujours ! » «
Tais-toi grand imbécile ! Une fois ça suffit : c'est ce que j'ai toujours fait dans ma vie ! Adieu ! »
Je fermai la porte sur ce pauvre René. Nous avons fait le ménage et avons mangé un morceau.
« Et maintenant Mathilde, il est temps de parler. Si vous voulez rester avec moi, je dois savoir d'où vous venez et tout ce que vous avez fait dans votre vie. »
« Je ne sais pas si je peux : j'ai peur... » « Vous n'avez pas le choix, sinon demain il me faudra vous demander de partir. »
« Non ! Je veux rester ici. Je me sens si heureuse avec vous. C'est comme si j'étais avec une mère, vous comprenez... »