Communication d'Estelle Ceccarini dans le cadre de la journée d'études ReDoc-LLACS : La collection «Messatges» de l'IEO 1945-1960, Montpellier, 27 janvier 2018.
Passionnée de langues, Estelle Ceccarini, maîtresse de conférence en études italiennes, a tout d'abord travaillé au département d'études italiennes de l'université d'Aix-Marseille.
Chercheuse en thoérie littéraire, littératures du monde et histoire culturelle, elle a grandi en Occitanie, entre Nîmes et la Petite Camargue, où elle a puisé l'inspiration poétique qui l'amènera finalement à écrire.
Désormais aussi poète, elle écrit en provençal comme en français et publie en 2015 un conte sur l'origine légendaire du cheval de Camargue : L’istòri dóu pichot chivau / L’histoire du petit cheval (L’aucèu libre 2015), ainsi que deux recueils de poèmes : Chivau/Chevaux (L’aucèu libre 2016) e Li piado dóu matin / Les traces du matin.
Bibliographie :
L’istòri dóu pichot chivau / L’histoire du petit cheval, éditions l’aucèu libre 2015
Chivau/Chevaux, éditions l’aucèu libre 2016
Li piado dóu matin / Les traces du matin, éditions l’aucèu libre 2018
Bien que n’ayant jamais connu d’unité politique dans l’Histoire, l’Occitanie est un espace géographique qui se définit par une communauté linguistique et culturelle de plus de dix siècles.
L’espace occitanophone occupe une grande partie du sud de la France métropolitaine et s’étend au-delà des frontières nationales en Espagne au sud (Aran) et en Italie à l’est (Valadas occitanas d’Itàlia).
Territoire sans frontières recouvrant trois états, cet espace a été matérialisé grâce aux recherches des linguistes, à commencer par Charles de Tourtoulon. Par la suite, les atlas linguistiques ont permis non seulement d’en définir les limites, mais aussi d’en connaître la dialectalité.
La pratique chantée dans le Sud Gascogne est particulièrement originale en France comme en Europe. Très peu connu du grand public, ce chant de la convivialité, « chant d’auberges », engageant « hautes et basses » a un nom savant : polyphonie ; c’est-à-dire une pratique vocale à plusieurs voix distinctes produites dans cette région en dehors de tout apprentissage musical savant. Ce savoir-faire de tradition orale est général dans les Pyrénées et le piémont basque et gascon (Béarn et Bas-Adour) ne franchissant pas, au nord, l'Adour.
Si le chant en solo existe, la polyphonie le recouvre dès lors que les chanteurs sont au moins deux. Très populaire, son existence se perd dans les brumes de la mémoire collective, les témoignages écrits les plus anciens signalant déjà son existence à la fin du XVIIIe s.
[imatge id=21610]La polyphonie est en effet une pratique éminemment sociale. Produite au sein de la communauté, en famille, entre amis ou connaissances ; au cours de fêtes, de repas, au café ou encore à l’église.
Le chant est l’affaire de tous : hommes comme femmes. Si la polyphonie était pratiquée au café dont les hommes représentaient autrefois la population quasi exclusive, les femmes se faisaient entendre à l'église ou dans le cercle familial, divisions sexuées qui se sont aujourd’hui estompées.
Actuellement, le réflexe polyphonique est toujours bien ancré. Il est la représentation musicale des valeurs de la société pyrénéenne traditionnelle, il y a peu encore essentiellement tournée vers l'élevage et donc la gestion de terrains communaux privilégiant les comportements collectifs aux comportements individuels.
Les années 1970 sont marquées par la contestation sociale et économique d’un certain modèle de l’état. De 1968 et la contestation de la France gaulliste aux chocs pétroliers et ses conséquences économiques et sociales, la période est un foisonnement de mouvements contestataires, alternatifs, à travers toute l’Europe, parfois favorables à l’usage de la violence.
Dans les pays d’Oc, cette période correspond au fameux borbolh créatif et idéologique qui voit la naissance de la Nouvelle chanson occitane, mais aussi la théorisation de certains concepts comme le Colonialisme intérieur, un des thèmes développés par Robert Lafont et largement repris par de nombreux théoriciens de la pensée occitane.
L’idée que dans le contexte étatique français, les pays d’Oc soient traités comme des pays colonisés - en plus de ce que l’on peut considérer comme une colonisation culturelle - sur le plan du développement économique, se répand. La stratégie économique des pays du Midi serait limitée à en faire des nids à touristes, envahis par l’industrie hôtelière et les promoteurs immobiliers, servant de jardin à Paris et sa banlieue. Des pays sans économie propre - détruite par les politiques agricoles françaises - tout juste bons à être placés sous tutelle.
Cette idée, associée à un contexte d’intense militantisme occitan, donne naissance à des comités d’action, des groupes de petite taille décidés à passer à la vitesse supérieure dans leur quête de reconnaissance de l’identité occitane, quitte à envisager l’action directe et le recours à la force.
Deux régions sont particulièrement touchées par ce phénomène. Le Languedoc, en proie à la crise viticole et possédant une tradition « rouge » de contestation sociale et le Périgord, pays hautement touristique. Tous deux se sentent dépossédés de leur patrimoine. Dans une moindre mesure Bordeaux, base arrière des groupes occitanistes, recrute beaucoup dans les milieux associatifs occitans et universitaires. Le Périgord notamment fait partie des régions occitanes où la langue et la culture sont demeurées vivantes, avec un Félibrige actif sans être politisé et une vie musicale et poétique occitane intense.
C’est dans ce contexte qu’apparaît le Comité d’Action Sarladais (CAS), autour de slogans comme « Le capital croque le Périgord » ou « Lo Perigòrd es pas a vendre » (le Périgord n’est pas à vendre). Ce dernier fait référence au rachat de fermes abandonnées et de terres par de riches « colons » empêchant l’installation de jeunes agriculteurs. On recense aussi l’utilisation plus marginale du slogan « Lo vent a bufat, l’Estat a pas paiat » (le vent a soufflé, l’État n’a pas payé) qui fait référence à une tempête ayant saccagé des noyers et aux promesses d’indemnisations des agriculteurs non tenues. De petits groupuscules fleurissent : outre le CAS apparaît également le « Front de Liberacion de la Val de Dròpt », tous deux tentés par l’action directe et les opérations coup de poing. Au sein de ces groupes, chaque membre ne connaît qu’une partie des autres membres, la clandestinité est de règle. Ils seront bientôt réunis dans la mouvance de « Volèm Viure Al País », qui prône alors l’action directe et une certaine forme de violence, en particulier dans le Sarladais et du côté de Sainte-Foy-la-Grande, avec des ramifications à Bordeaux, en Lot-et-Garonne et en Sud-Gironde. Il existe aussi un « Moviment Anarquista Occitan » (mouvement anarchiste occitan) en particulier en Périgord. Quelques petits journaux satiriques occitans sont également imprimés, comme Lo Pelharòt à Bergerac.
Parmi les nombreuses impressions de cantiques spirituels en occitan (plus ou moins mêlé avec le français) du XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, nous pouvons citer :
Exposé dans de nombreux pays, connu du grand public pour ses œuvres, ses performances, ses interventions dans les médias, figure de l’avant-garde artistique (mouvement Fluxus notamment) Ben est sans conteste le plus connu des artistes engagés pour la reconnaissance et la promotion de l’occitan.[imatge id=21636]
Benjamin Vautier, alias Ben, est né à Naples en 1935. Voyageur jusqu’à ses 14 ans, il s’installe à Nice en 1949. C’est là qu’en 1958 il ouvre sa célèbre boutique de disques d’occasion, qui devient le lieu de rencontre et d’exposition de nombreux artistes, notamment ceux que l’on regroupera dans « l’école de Nice ». [imatge id=21637]
En 1974, Ben démonte son magasin pour le remonter à l’identique au Musée national d’Art Moderne qui l’achète pour l’intégrer aux collections nationales.
Créateur, provocateur, agitateur, volontiers mégalomane, ardent défenseur du débat et de la discussion, son art est un art de l’idée, qui provoque brusquement une nouvelle « matière à penser » dans l’esprit du spectateur. S’il ne se revendique pas comme « occitan », dans ses œuvres comme dans ses interventions publiques, Ben a régulièrement été un promoteur de la langue et d’une certaine revendication occitane, très influencée par sa rencontre et son amitié durable avec François Fontan.
C’est à Nice dès 1962 que Ben fait la connaissance de François Fontan (1929-1979), idéologue anticolonialiste dans les années 1950 et penseur du concept « d’ethnisme ». François Fontan est alors un homme de pensée et d’action occitaniste important, qui vient de fonder le Parti nationaliste occitan en 1959.
[imatge id=21639]Ben adhère au concept ethniste de Fontan et l’explore dans nombre de ses œuvres et dans son engagement pour la défense des cultures « indigènes », à commencer par la langue et la culture nissardes / occitanes. Ben revendique une action artistique et une pensée « ethnistes » et devient lui-même compagnon de route du mouvement occitan contemporain (participation aux manifestations Anem Òc des années 2000, don de création pour des affiches, des couvertures de livre, des radios, des événements occitans, etc.) Dans la droite ligne de la pensée de Fontan, il défend par son art « l’idée que les groupes linguistiques ont droit à leur indépendance et à un espace territorial sur cette planète. Selon lui l’oppression de ces peuples par des puissances coloniales et par des intérêts stratégiques et financiers provoque d’immenses souffrances chez les humains… [imatge id=21638]
En conséquence Ben soutien l’Occitanie libre et le concept d’un peuple basque libre, il est contre le génocide linguistique, contre la suppression des groupes linguistiques par les puissances dominantes.[1] »
Il a réalisé un site web dédié à l’ethnisme : http://ethnisme.ben-vautier.com/
À Nice il travaille avec les artistes du collectif Nux Vomica, investissant le contre-champ du Carnaval de Nice devenu vitrine touristique de la Ville, avec le char de la Ratapinhata, émanation de l’esprit populaire de Nice venu reprendre ses droits sur une culture et un imaginaire qui lui sont propres.
« P - Peinture et ethnisme (1985) : La situation de rapports de force de l’art mondial n’accepte pas la modernité des peuples minoritaires : la notion de modernité a été structurée de telle façon qu’elle élimine toute modernité des peuples dominés en dévalorisant leurs oeuvres qu’elle classe dans la catégorie de l’art dit primitif ou folklorique. Ce qui est injuste car je ne vois pas pourquoi un Français travaillant en 1985 ferait de l’avant-garde alors qu’un Meo ou un Kurde travaillant en 1985 ferait de l’art primitif. Bref, le domaine de l’art moderne reflète la situation mondiale des rapports de force entre ethnies. » (Note de Ben issue de ses billets d’information - devenus depuis ses fameuses « newsletters »).
[1] Jon HENDRICKS, « Ben : Pouvoir, ethnisme, politique » dans : Strip-tease intégral de Ben. Paris et Lyon : Somogy et Musée d’art contemporain de Lyon, 2000.