Encore une fois tout semblait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles comme disait le grand Voltaire que peuchère je n’ai jamais lu son oeuvre.
Peut-être un jour quand je serai retraitée, c’est ce qu’ils disent tous : le jour où...
Quelqu’un frappe à la porte, Maître Bardot :
- Bonjour Jeanne. René n’avait pas de famille et comme vous êtes l’héritière de son bien tout le monde pense que c’est à vous de prendre en charge l’enterrement. Je sais que ce n’est pas simple : il était catholique et cette religion n’aime pas trop les suicidés !
- Je ne pense pas que René était tellement religieux! Je vais aller voir le curé de la paroisse. Il y a certainement dans la tombe de sa femme Rosette une place pour lui.
- Et non ! C’est à la mairie que vous devez aller.
- Je ferai tout ce qu’il faut pour qu’il ait un bon voyage de l’autre côté. Nous n’irons pas au funérarium comme pour l’Oncle Vincent. Et le verre de l’amitié se fera dans son jardin.
- Votre jardin maintenant !
- Par pour longtemps vous pouvez me croire !
- À bientôt Jeanne !
Je n’ai qu’une envie : aller au lit et me réveiller après l’enterrement ! Sûr que je n’ai pas pu le faire pour moi mais je vais le faire pour vous ! Et maintenant que tout est fini comme dans la chanson je peux vous l’assurer : tout s’est bien passé et René et sa femme « requiescant in pace » dans le cimetière communal.
Aujourd’hui c’est samedi et Mathilde arrive lundi 24 Juin à Fréjorgues. Pour le moment elle restera avec moi à la maison jusqu’à l’accouchement. Je n’ai rien dit à personne dans le village. Ce sera la surprise pour tout le monde, surtout le ventre. Heureusement que son homme n’est pas venu avec elle. Mais un jour il faudra bien et alors ce sera le scandale au village.
Bon et demain comment allons-nous nous retrouver ? Pour moi la rancune s’il y en a eu n’existe plus. Tant de choses ont changé dans ma vie depuis le mois d’octobre ! Peut-être que je suis une autre femme : plus jeune ou peut-être plus vieille...
Ce matin je suis allée à Béziers et j’ai acheté des rideaux pour la chambre de Mathilde : avec des fleurs jaunes et rouges et des oiseaux verts et bleus, le printemps et l’été sont entrés ensembles plein de joie dans la maison pour la Saint Jean ! Avec la machine ça a été vite fait : Hôtel 4 étoiles ! Et maintenant j’essaie de me souvenir ce qu'elle aimait le plus manger : la friture de poissons à la catalane, les côtelettes d’agneau, les haricots, la salade verte, le fromage de chèvre... Ça suffit pour commencer : il y aura tout dans le frigo. Cuire sera vite fait.
Maintenant c’est dimanche. Angèle la voisine amoureuse de René est venue me voir pour s’excuser de ce qu’elle m’avait dit.
- Ô Madame Jeanne je sais bien que vous ne l’avez pas tué et de toutes façons je me souviens de ce qu’il vous a fait dans votre jeunesse quand il a fait un enfant à la Rosette. C’est de sa faute si vous êtes restée vieille fille ! Mais vous comprenez maintenant qu’il n’est plus là je suis toute seule ! Ça me fait pleurer. Je lui ai apporté son dîner tous les jours depuis la mort de Rosette. Chaque fois je lui demandais ce qui lui plairait. Je connais les hommes, je suis restée quarante ans avec mon Edmond. Évidemment vous ne pouvez pas savoir parce que vous avez été seule toute votre vie. Ce n’est pas simple pour un homme d’être veuf et c’est pour ça que les femmes vivent plus longtemps que les hommes. Maintenant ma vie est une friche : plus de René pour discuter du village et des gens !
Je l’ai prise dans mes bras cette petite femme bravette avec son chignon cendré et je l’ai embrassée.
- Vous pouvez venir me voir quand vous voulez, ça me fera plaisir Angèle !
- Eh bé vous êtes bien brave ! Je n’aurais jamais cru qu’un jour ce serait possible de discuter avec vous comme avec une amie ! Je n’oublierai pas de venir Jeanne, avec plaisir !
Demain je dois être à dix heures du matin à Fréjorgues. Le bonheur s’infiltre partout dans mes veines. L’histoire recommence au début : demain nous serons toutes les deux sur la terrasse comme l’année dernière à la même date. Le retour de l’enfant prodigue !
Au lit Madame que demain tout va changer !
Maintenant je suis assise devant la sortie « arrivée » de l’aéroport. Évidemment comme tous ceux qui vivent à la campagne, les paysans, je suis arrivée une heure avant l’heure. Il faut bouger un peu Jeanne, aller boire un café et lire un journal.
Ça me plaît de regarder les voyageurs qui s’en vont on ne sait pas où, peut-être de l’autre côté de la terre. J’ai commencé à lire un article sur les vignes du Languedoc et ils disent que le vin est de mieux en mieux et qu’il y a beaucoup d’américains qui achètent des vignobles dans le pays.
- Jeanne ! Je suis là ! Viens m’aider, les valises sont lourdes !
- Mathilde ! Ma fille ! Si jolie !
Je la prends dans mes bras mais avec le ventre c’est pas simple. Nous nous embrassons sans arrêt tout en criant comme deux enfants :
- Est-ce que je peux t’appeler « maman » ?
- Pourquoi pas ? Ça me ferait plus tôt plaisir à mon âge ! Oh ! Tu as changé la couleur de tes cheveux et tu n’as pas grossi. Sans le ventre tu dois être maigre !
- Et tu as changé de look aussi : tu es plus comme une dame de la ville. Plus de cheveux gris, des jeans de jeune fille, une chemise pleine de couleurs. Mais je t’ai reconnue Madame Jeanne !
- Et moi aussi Mademoiselle Mathilde ! Tu es toujours belle ! Rentrons à la maison !
Nous sommes dans la voiture. Mathilde est tellement heureuse de voir le paysage. Ça a été la même chose pour moi quand je suis revenue il y a deux semaines. Tout semble petit ici mais avec un grand choix de couleurs et on peut voir la campagne et surtout les vignes de chaque côté de la route. Dans l’autre pays il n’y a que des autoroutes avec des arbres gigantesques et gris de chaque côté qui cachent le paysage. Mathilde est heureuse des couleurs de sa chambre et elle n’arrête pas de dire : cool ! so cool !
J’ai préparé le dîner sur la terrasse : la friture de poissons avec l’aïoli. Quand Mathilde revient elle s’est changée : une chemise longue, légère et claire que je n’avais jamais vue.
- Où as-tu trouvé cette robe ?
- C’est Fred qui me l’a achetée quand il est allé voir sa mère pour Noël à Montego Bay.
- C’est où ?
- Une ville de son pays la Jamaïque.
- Tu as une photo de Fred ?
- Non. Mais je pense que je ne veux plus le voir. À chacun sa route !
- Je croyais que c’était le père de ton enfant ?
- L’un n’empêche pas l’autre ! Mais si je suis revenue ici c’est que l’histoire était finie ! Cette vie ne me plaisait plus. Sûr que c’est un bel homme, intelligent et tout et tout. Mais le monde de la musique quand on n’est pas musicien ce n’est pas pour moi. Dans la vie je ne veux pas être derrière et je veux décider quel chemin suivre.
- Et ton enfant n’aura pas de père !
- Il aura la couleur de sa peau et quand il sera grand s’il veut il pourra aller rendre visite à son père à New York ou à Montego Bay. Et peut-être que je trouverai un autre père pour lui, qui sait ? Et Rémy ?
- Il sera ici la semaine prochaine. Il est retraité et si tout se passe bien nous allons vivre ensemble ici et ailleurs...
- Est-ce que j’aurais la chance de rester ici quand vous serez ailleurs ?
- Pour le moment c’est la fête de la Saint Jean et une fête que je n’ai jamais vue : le Total Festum. Tu vas aller te reposer et on ira danser.
La doctoresse me fait un sourire plein de bonté, cela fait des années qu’elle a suivi tout mon chemin de femme et surtout la ménopause ce changement dans la vie des femmes qui est la plus grande injustice (il y en a qui disent que pour les hommes il y a l’andropause mais personne n’en parle jamais) :
- Ma chère Jeanne quel plaisir de vous voir. Mais il vous faut faire attention les vingt ans sont passés et il ne faut pas trop remplir la coupe car le corps ne peut pas suivre.
- Qu’est-ce qui s’est passé ?
- Eh bien : vous étiez chez le notaire et une lettre du regretté René vous a effrayée et votre corps a crié : assez ! et vous êtes partie dormir un peu de l’autre côté. Mais tout va bien vous êtes revenue dans la vraie vie.
- Ah je me souviens ! Le René ne veut pas me laisser vivre en paix, la jalousie n’a pas de frontière.
- Vous allez prendre un peu d’herbe de la Saint Jean - le millepertuis car c’est la saison. Et n’oubliez pas de manger des protéines et de boire un verre de vin à chaque repas.
- Ne vous inquiétez pas, ça je sais le faire.
- Et s’il y a un problème appelez-moi, ce sera un plaisir pour moi de vous aider à reprendre tranquillement votre place dans le village. N’ayez pas peur : personne n’est allé crier dans les rues que vous aviez tué le pauvre René ! Cela faisait longtemps qu’il n’avait plus envie de traîner son malheur sur cette terre. A bientôt !
Trois heures après le déjeuner : il est temps de sortir du lit, de prendre une douche et de changer de robe… Dans l’entrée de la maison un petit papier sous la porte : « Si vous avez besoin d’aide je suis là ! Josette Soulages, votre voisine. » Je ne veux pas être une femme toute cassée, mais de toute façon elle est bien gentille cette voisine. Elle n’était pas là l’année dernière et la maison était à vendre : elle est peut-être venue pour la retraite. Je ne sais pas si elle est mariée…
Qu’est-ce que je vais faire avec la maison et les terres de René ? Peut-être que ce serait bon pour des logements sociaux parce que si je me souviens bien elle est très grande la maison de René. On pourrait faire 4 F2. Et pour les vignes j’ai une idée : on pourrait faire des jardins ouvriers pour ceux qui n’ont pas de terre. Ce serait très intéressant pour le village.
Je vais à la mairie peut-être que je trouverai le maire. Justement il est là :
- Bonjour Monsieur Bonelli, comment allez-vous ?
- Bonjour Mademoiselle Belcaire, quel plaisir de vous voir ! Heureuse d’être rentrée au pays ? Quel est le problème ?
- Voilà : René Delrieu m’a laissé sa maison et ses vignes.
- Très intéressant !
- Mais je n’en ai pas besoin. Je voudrais faire quelque chose pour le village. Je peux vendre la maison pour un euro symbolique à la mairie. Je pense qu’avec cette maison ce serait possible de faire des logements sociaux pour ceux qui en ont besoin. Qu’en pensez-vous ?
- C’est très généreux mais le problème c’est qu’au conseil municipal les élus ont peur que dans les logements sociaux, comme ils sont pour les pauvres, il n’y ait que de la « racaille ». Nous sommes une petite commune et la loi nous laisse libres pour ce qui est des logements sociaux. Nous n’avons pas d’obligation.
- Et moi qui croyais que les élus étaient généreux surtout avec les gens qui n’ont pas assez pour vivre.
- Mais ils ont peur qu’il y ait des étrangers venus d’on ne sait où pour s’installer ici. Vous avez vu les dernières élections ! Vous pourriez faire un « bed and breakfast » pour les touristes, ce serait bon pour le village et vous pourriez avoir des aides pour le faire.
- On verra. Pour les terres - il y a 10 hectares - peut-être que ce serait bien de faire un espace pour les jardins. Chacun pourrait avoir gratuitement un jardin et la commune donnerait l’eau.
- C’est une bonne idée. J’en parlerai au prochain conseil municipal. Mais peut-être que ceux qui vendent des légumes sur le marché ne seront pas contents. Evidemment tout cela est très généreux pour la commune mais les intérêts de chacun et les intérêts collectifs sont deux choses différentes.
- Merci Monsieur le maire. Appelez-moi quand vous aurez décidé sinon je vendrai tout et c’est sûr qu’il y aura des étrangers pour acheter les terres et la maison. A bientôt !
- Au revoir !
Et crac ! Un rêve de plus écrasé ! Tout d’un coup je me souviens de ce que me disait un ami : il y a des jeunes paysans qui ont fait des études et qui ne trouvent pas de terres pour travailler. Les retraités qui n’ont que de petites pensions aiment mieux vendre : c’est plus intéressant pour l’argent ! Sûr que faire un petit fermage pour un jeune serait une bonne chose. Il y a une association : « paysans d’ici et d’ailleurs ». Il me faut rencontrer l’association et tout ira tout seul. Ouf !
C’est l’heure d’appeler Rémy pour savoir comment ça s’est passé avec Mathilde.
- Allo, Rémy ?
- Comment vas-tu ma belle ? J’ai envoyé le billet à Mathilde. Elle sera dans ton pays lundi prochain.
- Tout va bien, le jour de la Saint Jean : on ira danser autour du feu.
- Attention de ne pas faire tomber le petit ou la petite on ne sait pas encore !
- Et toi Rémy tu arrives quand ? J’ai tellement besoin de te voir, d’être dans tes bras !
- Ça me fait plaisir, c’est la même chose pour moi ! Vilaine fille ! Quand tu es partie d’ici je pensais que peut-être c’était pour toujours et que j’avais perdu le soleil de ma vie !
- Arrête de raconter des bêtises ! Bon ! Ici j’ai eu des problèmes dans le village mais je pense que bientôt tout ira bien. Je ne peux rien te dire maintenant c’est trop compliqué. Ne te fais pas de souci je reviendrai avec toi à Baltimore pour t’aider avec ta maison.
- Tout va bien. Si c’est possible nous viendrons ici après les vendanges et repartirons pour le vin nouveau !
- Est-ce que tu as rencontré Mathilde et son homme ?
- Pas encore ! Ça ne semble pas possible de ne pas rester avec elle pour l’arrivée de l’enfant ! Je ne comprends pas ce qui se passe, on verra bien !
- À la prochaine et n’oublie pas de m’appeler demain !
Matin de Juin, matin de fête sur la plaine ! Le soleil rayonne. C’est mardi le jour du marché au village.
Je pourrais peut-être acheter des fleurs pour planter dans le jardin. Ça ferait plaisir à Rémy et à Mathilde .
J’y vais ! Je me souviens de ma grand-mère qui aimait tant les fleurs et tout ce qui poussait dans le jardin : les légumes, les arbres fruitiers. Elle faisait beaucoup de conserves pour l’hiver : des tomates, des haricots, de la ratatouille et aussi des confitures d’abricots, des fraises, des cerises… Et quand on venait le dimanche l’hiver on se régalait. Elle me disait : mon mari est mort mais quand je suis avec mes fleurs il me semble qu’il est encore avec moi : il aimait tellement le jardin !
Le marché n’a pas changé : le Bernard est toujours là, le poissonnier de Sète aussi, et la quincaillère de Béziers et tant d’autres. Mais il n’y a pas de monde pour acheter. Il me semble que les gens ne me voient pas ou qu’ils ne veulent pas me voir. Heureusement il y en a deux qui sont contents de m’embrasser : le Paul mon neveu et la Denise. Ils ont de jolies fleurs pour le jardin. Mais quand c’est le moment de payer, ils ne veulent pas un sou :
- Avec tout ce que tu as fait pour nous ! Il faut que tu saches qu’avec le bail si petit sur la vigne et les terres de l’Oncle Vincent nous pouvons vivre et ne plus crever de faim… Alors encore merci Tante Jeanne !
Ça me fait du bien d’entendre ces mots ! Les vendeurs d’huîtres de Bouzigues sont là aussi. J’aime tant les huîtres et je n’en ai pas mangé depuis dix mois. Ils ne les aiment pas trop de l’autre côté ! Une douzaine pour Madame !
Mais tout autour il n’y a que le silence. Tout d’un coup je me souviens : René s’est pendu hier donc aujourd’hui c’est un jour de deuil. Et c’est sûr qu’il y en a qui disent que c’est de la faute de la sorcière Jeanne !…
Je fais vite mes courses et je rentre à la maison. Onze heures du matin, temps d’aller chez Maître Bardot.
Je me promènerai une autre fois dans le village, je prends la voiture, je n’ai pas envie de rencontrer des gens. S’il y en a qui veulent me voir ils savent où je suis !
La voiture est gentille : elle démarre du premier coup. Mais il me faut retrouver le changement de vitesse ! Pas simple le premier jour !
Monsieur Bardot m’attend sur son devant de porte. Il n’a pas changé.
- Quel plaisir de vous revoir ! Comment ça s’est passé de l’autre côté ? Et votre filleule elle n’est pas revenue avec vous ?
- Elle sera là la semaine prochaine ! Merci encore pour toute l’aide pour la maison, les papiers… Sans vous je ne sais pas comment j’aurais fait, sûr que je n’aurais pas pu rester si longtemps loin du village.
- Et merci pour votre confiance ! Asseyons-nous ! Vous voulez boire quelque chose ?
- Un peu d’eau, merci !
Nous buvons un verre d’eau fraîche, l’apéritif qui me plaît le plus.
- Pour commencer combien est-ce que je vous dois pour le toit ?
- Voilà la note ! Mais vous avez le temps !
- Voilà un chèque. Et encore merci ! Ça me rassure pour l’avenir car peut-être je partirai encore !
- Maintenant il nous faut parler d’avenir tous deux aussi : qu’allez-vous faire de la maison et des vignes de l’Oncle Vincent ? Vous avez une idée ?
- Mais sachez que je ne veux pas vendre !
- Et pourquoi ? C’est un peu tard pour avoir des enfants à soixante ans.
- Mais pour adopter il n’y a pas d’âge !
- Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Vous voulez parler de votre filleule, qui je le sais maintenant n’est pas votre filleule.
- Pourquoi pas ? Je peux le faire, j’ai le droit. Evidemment ce ne sera pas pour demain. D’abord la petite est enceinte et après quand le petit sera là, on verra.
- Lui donner la maison, pourquoi pas ! Mais les vignes ! Est-ce que son homme est un paysan ?
- Mathilde n’a pas de métier, peut-être que ça lui plairait d’être vigneronne. On dit que le temps de la vigne est de retour surtout dans notre pays.
- Bon pourquoi pas : c’est votre histoire, je n’y peux rien. Ce ne sera pas simple pour elle de travailler avec les paysans d’ici : c’est une femme et elle n’est pas née dans le village ! Et en plus il y aura d’autres choses que je ne peux pas dire aujourd’hui.
Mais vous pourriez louer la terre pour quelques années. Je connais quelqu’un qui serait intéressé. Je peux vous le présenter quand vous voudrez. Il fait du bon vin, c’est pour cela qu’il a besoin de plus de terres.
- Pourquoi pas ? Je suis d’accord.
- Et maintenant j’ai quelque chose de terrible à vous dire. Quelque chose comme une calamité. Excusez-moi mais je dois le faire !
- Ce n’est pas possible d’en parler un autre jour ? Je suis fatiguée par le voyage et tout ce qui est arrivé ici…
- Justement c’est la suite…
- Comment ? Vous me faites peur !
- Avant de se pendre René Delrieu a fait un testament nouveau.
- Oh non !
- Le 20 Juin à six heures :
Moi René Delrieu sans enfant, je laisse ma maison, les vignes que j’ai sur la commune (10 hectares) et l’argent de la banque à Jeanne Belcaire pour me faire pardonner tout le mal que je lui ai fait dans notre jeunesse….
Je ne sais pas ce qui s’est passé mais je me réveille dans ma chambre avec la Doctoresse Chevin à côté de mon lit…..
Quelqu’un tape à la porte en criant :
- Jeanne, Jeanne !
Sur l’escalier de l’entrée de la maison maigre, vieille et toute en pleurs la voisine de René, l’Angèle :
- Jeanne au secours ! René s’est pendu dans son garage et si je viens te voir c’est qu’il a laissé une lettre.
- Et alors ? C’est terrible mais je n’y peux rien, il est venu hier et je l’ai fichu à la porte. Je ne voulais plus entendre les histoires sur notre jeunesse qui m’ont fait tant mal.
- Lis cette lettre !
- Si tu veux mais maintenant c’est un peu tard pour faire quelque chose.
À mon village tant aimé,
Toute ma vie depuis l’école primaire j’ai été amoureux de Jeanne. Sûr que je l’ai abandonnée pour la Rosetta à 20 ans. Mais aujourd’hui la Rosetta est partie et je pensais que le rêve pouvait devenir réalité... Je viens d’apprendre qu’elle est amoureuse et qu’elle va se marier avec un américain. Donc je ne veux plus continuer à vivre. Quand les rêves sont morts il n’y a plus de raison de vivre.
Adieu à vous tous votre ami René le malheureux.
- Encore une fois je ne peux rien faire, ce n’est pas de ma faute. Il est venu me voir hier et il était furieux.
- Tout le monde va dire que c’est de ta faute !
Et l’Angèle furieuse s’en va. Huit heures du soir. Temps de téléphoner à Rémy.
- Allo ! Rémy !
- Comment vas-tu amour de ma vie ?
- Je n’ai pas trop le temps de parler. Mathilde m’a appelée. Mathilde est enceinte et veut venir faire son petit chez moi. Le problème c’est qu’elle n’a pas un sou pour payer le billet d’avion. Est-ce que tu peux lui envoyer l’argent ou mieux prendre le billet et le lui envoyer à Philadelphie ou par internet ? L’adresse : Mathilde Delbas chez Fred Tiafran 23 45 Hillwiew Avenue Philadelphia. Et le téléphone: 410 587 90 87.
- Je vais le faire. Ne te fais pas de souci. Mais est-ce que tu es sûre de ce que tu fais ? Tu n’as jamais eu d’enfant et tout d’un coup tu vas te retrouver mère et grand-mère, ce n’est pas simple.
- Mais tu seras avec moi et je ne serais plus seule. Tu m’aideras. Et en plus le père du petit est noir, chanteur ou musicien, je n’ai pas compris. Je t’appelle bientôt. Et d’un autre côté il y a des problèmes au village. Je te raconterai tout ça la prochaine fois. Adieu et bises mon Rémy !
- Adieu ma belle !
Tout va bien. C’est bon de ne plus être toute seule. Et encore le téléphone. Qui peut appeler maintenant ?
- Mademoiselle Belcaire ?
- Oui c’est elle ! Que voulez-vous ?
- Ici la gendarmerie du village. Je sais qu’il est tard mais nous voudrions vous voir. Monsieur René Delrieu s’est pendu et a laissé une lettre qui parle de vous. Et en plus une voisine Madame Soulages a entendu une dispute entre vous, hier à deux heures.
- Et que puis-je faire ? Ce n’est pas moi qui l’ai pendu !
- Madame, si vous voulez nous pouvons venir vous voir chez vous.
- Demain matin ?
- Non maintenant. Avant de donner le permis d’inhumer il serait bon de parler avec la dernière personne qui l’a vu.
- Eh bien je vous attends !
Mais avant il me faut manger un petit bout et surtout boire un petit coup de vin. Un peu de jambon, de fromage avec une tranche de pain et une pomme reinette du Vigan. Ils sont déjà là avec la voiture de police.
Je commence à me demander si j’ai bien fait de revenir au village. Evidemment la mort de René n’est pas un plaisir pour moi. J’ouvre la porte. Une femme et un homme entrent. La femme je l’ai déjà vue : Madame Blanquet. L’autre, l’homme je ne l’ai jamais vu.
- Est-ce que nous pouvons nous asseoir ?
- Je vous en prie. Venez par ici sur la terrasse.
Ils se mettent chacun dans un fauteuil de jardin. Je vais chercher de l’eau et des verres à la cuisine.
- Vous avez une jolie maison Mademoiselle Belcaire ! Ne vous faîtes pas de souci nous aurons vite fait. Ce n’est que de la routine.
Je leur raconte notre histoire avec René depuis le début jusqu’à notre dispute d’hier sur le devant de la maison. Ils écrivent tout ce que je dis et s'en vont.
Je suis allée me coucher et j’ai dormi toute la nuit sans me réveiller. Aujourd’hui est un autre jour. Hier c’est le passé.
Bonjour tout le monde, adieu les souvenirs. Ma vie commence maintenant ! Le soleil brille sur mon toit tout neuf !
Donc il me faut appeler Mathilde. Je dois attendre six heures. Midi de l’autre côté. Peut-être que le matin elle a besoin de dormir un peu si elle est enceinte. Je ne veux pas décider avant ce que je vais faire avec elle.
De toute façon j’ai du travail dans la maison : il faut vider les valises. Surtout téléphoner au notaire pour savoir ce qui s’est passé avec le toit.
- Maître Bardot ?
- Bonjour. Madame?
- Jeanne Belcaire. Vous ne me reconnaissez pas? Quand même je ne pense pas que j’ai pris l’accent américain!
- Excusez-moi ! Sûr que je savais que vous étiez revenue : tout le village le sait : « l’américaine est revenue sans sa filleule! »
- Merci pour tout votre travail : le toit, les papiers, les impôts. Je voudrais savoir ce qui s’est passé avec le toit.
- Il y a eu un gros orage et le dessus du toit de votre maison s’est retrouvé dans le jardin. Mon maçon a bien travaillé. Il a changé les tuiles et tout réparé. Il a nettoyé votre jardin et j’ai tout payé.
- Donc je vous dois de l’argent. Quand vous voulez je peux venir au bureau.
- Il y a aussi d’autres choses dont nous devons discuter ensemble : qu’allez-vous faire de la maison de votre oncle et de ses vignes ? 20 hectares c’est beaucoup de terres dans un pays de bon vin ! Le Sud de France est de plus en plus connu. Peut-être que j’ai trouvé quelque chose qui serait bien pour vous et le village. Nous en parlerons tous les deux. Quand pourriez-vous venir ?
- Je voudrais attendre un peu. Il y a tant de choses à venir dans les jours qui arrivent ! Je vous appellerai en fin de semaine.
- N’attendez pas trop : on ne sait jamais… A bientôt Jeanne !
- Au revoir Maître Bardot !
Et maintenant un petit thé à l’orange, celui qu’aime mon homme américain si lointain ! Quel plaisir d’être sur la terrasse sur une chaise de jardin en toile rouge sous le soleil pas encore trop chaud ! Avec un petit brin de vent qui court dans les arbres du jardin : le chêne toujours vert été comme hiver et le pin aussi.
Ce n’est pas l’heure d’appeler Rémy qui doit toujours être à l’université. Tout d’un coup je me réveille : le « jet lag », le décalage horaire ! J’ai dormi deux heures !
Je vais chercher le téléphone, le numéro, j’ai peur. Il faut que je sache que maintenant ma vie est avec Rémy. De toutes façons il faut choisir : Mathilde ne sera jamais ma fille mais demain Rémy sera mon mari !
- Allo ! Mathilde ?
- Jeanne ! Quelle merveille d’entendre ta voix ! Comment vas-tu ? Ça fait longtemps que tu es retournée au village ?
- Et toi Mathilde, qu’est-ce que tu fais? Tu dois tout me dire car je me fais du souci. Qu’as-tu fait pendant tout ce temps ?
- Si tu veux tout savoir : je suis heureuse mais toujours perdue. Encore une fois je ne sais plus où j’en suis.
- Mais qui est le père de ce petit que tu attends ?
- C’est compliqué. Peut-être que c’est mieux d’attendre de se voir pour te raconter l’histoire. Est-ce que je peux venir chez toi ?
- Qui est le père de l’enfant ?
- Un musicien.
- De musique classique ?
- Non : de jazz africain si tu veux tout savoir ! Noir ! Fred Tiafran.
- Et tu veux venir avec lui au village ? Je ne sais pas si tu le sais mais au village pour les dernières élections la droite/droite et la gauche étaient à 49/51% !
- Et alors ?
- Je pense que ce serait mieux que tu viennes toute seule.
- Ça tombe bien : il a du travail et ne peut pas venir. Mais moi je veux venir.
- Et quand l’enfant arrivera sûr qu’il ne sera pas blanc !
- Jeanne, tu me déçois. Je te croyais plus ouverte au monde moderne ! Tu le sais bien que la terre est de plus en plus petite.
- Moi je le sais mais dans le village ils ne le savent pas encore. Donc si tu venais seule tout serait bien. Quand est-ce que tu arrives ?
- Il y a un problème : je n’ai pas un sou pour acheter le billet d’avion.
- Et ton homme il n’a pas d’argent pour toi, la mère de son enfant ?
- Un jour peut-être quand il sera connu comme musicien. Mais on n’y est pas encore. Dans ce pays les artistes n’ont pas d’aide pour vivre. Pas « d’intermittent du spectacle » !
- Donc où est-ce que je dois envoyer l’argent pour le billet ?
- Sur la banque de Fred, un virement.
- Je pense que le mieux est de demander à Rémy qu’il prenne ton billet pour te l’envoyer. Donne-moi ton adresse. Je viendrai te chercher à Montpellier.
- Alors : Mathilde Delbas chez Fred Tiafran 23 45 Hillview Avenue. Philadelphia US.
- Trop compliqué ! Je demanderai à Rémy de t’appeler demain matin. A bientôt.
- Bises !
- Dis-moi c’est un garçon ou une fille ?
- Je n’ai pas voulu savoir : on découvrira ensemble ! Ciao !
Peut-être que je suis trop vieille mais je n’ai pas pu dire non ! Temps d’appeler Rémy….