Auteur | Clément, Anne. Auteur, interprète Benichou, Julien. Compositeur Alranq, Perrine. Interprète Huang, Edda. Interprète Zinner, Lucas. Interprète Benichou, Daphné. Interprète | |
---|---|---|
Editeur | Cie Gargamèla CIRDÒC-Mediatèca occitana | |
Date d'édition | 2009 | |
Sujet | Feuilletons radiophoniques | |
Type de document | Sound document sonore | |
Langue | oci | |
Format | audio/mpeg son dématérialisé | |
Extent | 00:09:02 | |
Droits | © Cie Gargamèla © CIRDOC | |
Réutilisation | Creative commons = BY - NC - ND | |
Permalien | http://www.occitanica.eu/omeka/items/show/413 | |
Mise à jour de la notice | 2017-06-13 Marion Ficat | |
Accéder à la notice au format |
Texte de l'épisode 5 :
La porte-fenêtre de la terrasse était ouverte. Cela faisait un bon moment que nous étions assises toutes les deux : les mouches faisaient la ronde autour de la lampe et les moustiques la farandole. Mathilde ouvrit ses lèvres comme pour révéler le secret de sa vie et c'est un sourire qui s’épanouit sur son visage si beau. Je la regardais et j’attendais. Et la soirée semblait s'étirer sans but.
Au bout d'une heure je me suis levée pour prendre le journal et j’ai commencé à le lire – Le Midi Libre -, avec toute la poésie que nous connaissons bien – et alors j'ai entendu :
« Est-ce que je peux vous parler Jeanne ? »
« Bien sûr, rien ne me ferait plus plaisir. »
« Bon : je suis prête et je commence. Je suis née à Béziers il y a 19 ans. Je n'ai jamais vu mon père. Ma mère m'a dit un jour qu'elle l'avait foutu dehors parce que c'était un alcoolique et qu'il rentrait ivre chaque soir. Mais un autre jour, elle m'a dit que c'était lui qui l'avait abandonnée quand il avait appris qu'elle était enceinte. Je ne sais pas la vérité. Mais qu'elle qu'elle soit, ça ne change rien à ma vie : pas de papa ! Et je ne sais rien de lui, de sa vie et de sa famille. Ma mère était très jeune :18 ans. Elle n'avait pas d'argent et devait chercher du travail : j'ai été élevée par ma grand-mère, dans un coin de la ville, derrière la cathédrale. Ma mère trouva un travail à Marseille dans une boutique de vêtements. Le patron était un ami de mon grand-père, Monsieur Chauvet. Peut-être qu'il était amoureux de ma mère... Elle rentrait chaque mois. J'étais heureuse de pouvoir l'embrasser et j'aimais sentir ses mains sur ma peau. Je me rappelle qu'un soir je lui ai dit avant d'aller au lit : « si tu t'en vas demain matin, je ne veux pas le savoir, autrement je ne dormirai pas et je ne veux pas pleurer toute la nuit ! Demain je dois aller à l'école pour voir mes copines». J'aimais l'école et j'ai eu la chance d'avoir des instituteurs formidables. Pour les vacances ma mère m'emmenait, quand elle était avec nous, chaque jour à la mer avec la voiture de mon grand-père. J'aime beaucoup l'eau, la mer, et les mouettes. »
Mathilde commença à pleurer doucement. Je n'osai pas remuer. Le vent de la mer faisait danser le rideau de perles entre le salon et la cuisine. Le chat sauta sur mes genoux.
« Mathilde, tu veux une tisane de verveine du jardin ? » (sans faire attention, je l'avais tutoyée !) »
« Merci bien : je ne suis pas une amatrice de tisane. Un verre de lait plutôt ! »
Elle engloutit le lait sans respirer et puis :
« J'ai été très heureuse pendant des années. Et d'un coup tout a changé. Le malheur est arrivé. Mon grand père est mort quand j'avais 15 ans. Et un jour, il y a 2 ans, Monsieur Chauvet nous a appelé : ma mère n'était pas venue à la boutique depuis une semaine. Elle n'était pas à son studio non plus. La police fit des recherches poussées : rien. Nous sommes allées avec ma grand-mère chercher tout ce qu'elle avait laissé dans sa chambre. Nous avons payé le loyer. C'était l'année du bac. Tout s'était bien passé et j'avais décidé d'aller à l'université de Montpellier. Ma grand-mère, après tout ça, ne voulait pas rester toute seule à Béziers. Elle est allée dans une maison de retraite et elle est vite partie rejoindre son homme, l'an passé. Elle m'a laissé un peu d'argent mais pas beaucoup. Ce n'était pas possible pour moi de continuer l'université : je voulais apprendre la diététique et les études sont chères. »
« Comment es-tu arrivée chez moi ? »
« J'ai un ami dans votre village : nous avons vécu ensemble à Montpellier. Il s'appelle Jacques. Il m'a invité chez lui. Ses parents m'ont très bien accueillie. Mais je ne veux pas rester avec ce jeune : peut-être que dans quelques années nous nous retrouverons. On ne sait jamais. A l'heure d'aujourd'hui ma vie c’est moi qui doit me la choisir ! Après une nuit je suis partie : j'ai bu un café au Printemps et j'ai entendu un homme qui parlait de Jeanne Belcaire, qui était toute seule, qui n'avait pas de mari, pas d'enfants et qui avait un peu d'argent. Je ne savais pas où aller : j'ai réfléchi un moment et me suis dit : peut-être que cette dame a besoin de quelqu'un pour l'aider dans sa maison ? Et comme la vie ne m'a rien donné, mon chemin je dois le creuser toute seule, sans attendre qu'il me tombe du ciel. Et voilà, vous savez tout ! C'est sûr que j'ai un peu menti... »
C'était comme une histoire d'un autre siècle : un conte pour faire pleurer la grand-mère de ma grand-mère, le soir au coin de la cheminée. Mais de toute manière c'était la vie d'une fille d'aujourd'hui et cette fille, assise devant moi, me demandait l'hospitalité.
« Mathilde, tu peux rester chez moi, je suis d'accord. Demain sera un autre jour. J'ai décidé de voyager est-ce que tu veux venir avec moi rendre visite à un ami à Baltimore, USA ? »