Évidemment tout a changé pour moi. Je me suis habituée à ma vie de femme avec un homme et le sourire de l'amour sur ma tête. Je n'avais jamais imaginé qu'une chose pareille arriverait un jour dans ma vie de vieille fille : faire la cuisine, aller faire toute seule les courses dans un supermarché américain, commencer à comprendre et à parler un peu cette langue. Rémy me laissait sa voiture et je conduisais une voiture sans changement de vitesse.
Il m'a emmené visiter les musées de Baltimore : le BAM (Baltimore Art Museum) et le Walters Museum. Il y avait tellement de peintures françaises que je me sentais à la maison. Heureusement que Rémy était avec moi car peuchère la peinture n'a jamais été une chose importante pour moi. Une fois à Paris j'étais allée au Louvre mais ça faisait si longtemps.
Donc j'ai découvert au BMA Matisse, Van Gogh, Picasso, et ce qui m’a beaucoup émue Andy Warhol. Et au musée Walters j’ai aimé les paysages de Monet, Manet, Sysley, l'art du Japon, de l'Egypte, de la Grèce...
Tout ça me semblait un autre monde : pas évident d'imaginer des gens faisant des peintures et des sculptures toute la sainte journée. Quand on n'a pas appris à découvrir l'art enfant ce n'est pas simple de le découvrir et de le comprendre à la fin de sa vie.
Je ne sais pas ce qu’aurait dit l'oncle Vincent de me voir visiter les musées avec son argent !
Ce qui me plaisait le plus c'était d'aller me promener sur la Baie du Chesapeake où sont arrivés les Pilgrim Fathers d'Angleterre au début du 17ème siècle. Et aussi les soldats de la guerre de sécession près du Patamac. Rémy était heureux de me voir étonnée par tant de merveilles comme un enfant devant un nouveau jouet.
- Un jour nous irons à Washington. En face du Congrès il y a de très beaux musées de toutes sortes. Et tu découvriras un peu plus la peinture française et celle de toute l'Europe. Et les sculptures de Malhol qui vient de ton pays, Banyuls sur mer. Et nous irons passer une semaine à New York où il y a aussi des musées et surtout celui du Moyen Age, le Musée des Cloîtres. Et tu ne seras pas contente de voir qu'ils ont volé le cloître de Saint Guilhem le Désert et tant d'autres. Surtout celui de Saint Michel de Cuxa dans les Pyrénées Orientales. Tout en marbre rose. Mais ils ne l'ont pas volé, ils l'ont acheté donc il y a des gens du pays qui l'ont vendu !
Je faisais la touriste, l'amoureuse et la femme au foyer. Un jour je me suis réveillée. Il fallait que je retourne au village :
- Allo ! Jeanne Belcaire ? Monsieur Bardot, le notaire !
- Bonjour Maître ! Quel plaisir de vous entendre !
- Jeanne, rien qu'un petit problème...
- C'est grave ?
- Non : hier il y a eu un gros orage et le toit de votre maison est tombé au milieu de votre jardin. Ne vous faîtes pas de souci, j'ai demandé au maçon de venir et demain tout ira bien.
- Merci beaucoup. Et à bientôt. Demain je rentre au village.
- Bon voyage !
Rémy n'était pas content mais moi ça me faisait plaisir. Surtout que maintenant je savais que l'homme que j'aimais me suivrait.
- Ce n’est pas toi qui va réparer ton toit.
- Je veux voir ce qui est arrivé et suivre le travail, c'est ma maison !
- Dans un mois j'ai fini à l'université pour de bon, la retraite est arrivée…Si tu attendais on pourrait partir ensemble.
Pour la première fois nous n'étions pas d'accord. Rémy était tout blanc, sa voix tremblait et ses mains aussi. Les larmes n'étaient pas loin. Et moi je voulais partir, rentrer au village. J'étais sèche : la vieille fille était revenue.
Quand il a commencé à pleurer je me suis arrêtée. J'avais gagné ! C'est sûr que dans un mois il viendrait me rejoindre.
- Rien qu'un mois et puis tu viendras.
- Mais ce n'est pas possible pour moi de tout laisser ici, il faudra du temps. Je ne veux pas garder cette maison après la retraite. Je n'ai pas d'enfant et je ne sais pas ce que je vais faire des meubles et de tout le reste.
- Ne t'en fais pas je reviendrai avec toi à la fin de l'été...
- Peut-être. Mais moi je ne veux pas te quitter. Je veux vivre avec toi. Tu dois savoir que je t'aime. Je le savais déjà quand on était jeunes mais j'ai eu peur : tu étais tellement pleine de ton pays. Ce n'était pas possible d'imaginer Jeanne vivant dans un autre pays, si loin de son Occitanie.
Il m'a prise dans ses bras et puis il est allé acheter un « crab cake » avec un coup de vin rouge pour me faire plaisir. J'étais devenue une enfant gâtée.
Ensuite on a pris les billets et allez! : je partirai demain et lui dans un mois.
Quand nous nous sommes quittés à l'aéroport il m'a donné une petite boîte. Dedans une bague avec une pierre bleue : un saphir... J'étais fiancée et lui pleurait de bonheur et de tristesse de me laisser.
Une fois assise dans l'avion je commençais à réaliser tout ce qui avait changé dans ma vie depuis une année. Le souvenir de Mathilde était loin mais je pensais souvent à elle, au plaisir que nous avions eu à vivre ensemble, à faire le voyage pour l'Amérique toutes les deux. Ça m'aurait fait tellement plaisir si elle était venue avec moi dans les musées. Une étoile filante dans ma vie ! Mais j'étais sûre de l'avoir aidée à faire son chemin de femme. Mais quel était l'homme qu'elle avait choisi : un homme bien ou une racaille !
Paris, Montpellier, mon amie Claire m'attendait à l'aéroport.
- Alors Madame l'américaine, qu'est-ce que ça fait de revenir au village? Est-ce que tu parles la langue après une année dans le pays ?
- Je commence à me débrouiller et je peux sortir seule.
- Et l'amour est enfin arrivé dans ta vie ? Ce Rémy était tellement beau quand il avait 20 ans. Evidemment c'est un peu tard d'être amoureuse dans l'automne de sa vie ! Le plus important c'est que ça existe et que tu sois heureuse. Pour cela il n'y a pas d'âge.
Quel plaisir de la revoir, nous sommes amies depuis l'école primaire. Elle est mariée, elle a deux enfants et elle a travaillé toute sa vie à la mairie, secrétaire. Maintenant elle est retraitée et avec Jacques son mari qui était instituteur, ils font des voyages organisés un peu partout dans le monde et chaque fois qu'ils reviennent ils font une soirée avec des films sur le dernier pays découvert.
J'aurais pu faire ça avec Baltimore. Une prochaine fois ! Mais quand Rémy sera ici nous ferons une soirée sur l'histoire du Maryland, ce sera très intéressant... et différent.
Maintenant je suis devant ma porte. Je rentre et sur la table un tas de courrier. Sur le dessus une lettre dont je reconnais l'écriture et mon cœur se met à battre…
J'ouvris la porte de la maison et devant moi, une fille, dans ses vingt ans peut-être, les cheveux noirs, les yeux verts, la peau brune, grande et mince, une valise à la main, qui me demande avec un beau sourire et une douce voix :
-« Madame Jeanne Belcaire ? »
-« Oui, c'est moi ! Que voulez-vous ? »
-« Vous vous souvenez de Marie Delbas, ma mère ? »
-« Peut-être, c'est possible... »
-« Vous étiez ensemble au collège dans les années... »
-« Et que fait votre mère aujourd'hui ? »
-« Pécaire, elle est morte, la pauvre, l'an passé et elle m'avait toujours dit : si un jour tu as des problèmes, va t'en voir mon amie Jeanne Belcaire, elle t'aidera."
-« Moi ? Comment pourrais-je vous aider : je n'ai pas de travail pour une fille comme vous, je suis seule et surtout, je pense que maintenant que je suis à la retraite je veux voyager. »
- "Peut-être que vous pourriez me loger ? En échange du gîte et du couvert j'entretiendrai l'intérieur mais aussi l'extérieur, je vois que vous avez un joli jardin."
- "Je peux le faire toute seule !"
- "Madame, soyez gentille, je n'ai pas d'endroit où aller !"
Il y eut un silence : ça me faisait peine de laisser cette fille dehors.... Peut-être que c'était vrai, que sa mère était au collège avec moi. Puis, sans réfléchir plus :
- "Entrez : vous dormirez ici cette nuit et demain vous chercherez un endroit où aller !"
J'essayais de trouver sur le visage de cette jeune fille une ressemblance quelconque avec une femme que j'aurais pu connaître dans ma jeunesse : rien. Je lui montrai la salle d'eau, et l'emmenai dans la chambre d'amis.
- "Installez-vous ici et je vous appellerai pour le dîner. Maintenant, j'ai des choses à faire."
- "Pour l'enterrement de votre tonton Vincent ?"
- "Comment le savez-vous ?"
- "Tout le village en parle, ils disent que maintenant vous êtes riche !"
- "Rien n'est encore décidé ! Mais vous avez raison, l'enterrement est pour demain."
- "Je vous aiderai pour recevoir la famille"
J'ai fermé la porte et suis allée dans le salon où je me suis assise : tout ça ne semblait pas vrai ! Qui était cette fille ? Et cette Marie Delbas ? Aucun souvenir de cette fille au collège ni ailleurs. Peut-être que c'était son nom de femme mariée ? Les rêves s'en étaient allés, la réalité m'emplissait la tête et me faisait mal.
Le téléphone sonna : sur l'appareil s'affichait le nom de Maître Bardot, le notaire de l'oncle Vincent :
- "Mademoiselle Belcaire ?"
- "Bonjour Maître Bardot, comment allez-vous ?"
- "Mademoiselle, j'ai besoin de vous voir : il est temps de lire le testament de votre oncle."
- "Peut-on le faire aujourd'hui ?"
- "Tout de suite : votre oncle a demandé que le testament soit lu à la famille, c'est à dire vous et votre cousin Paul, avant l'enterrement !"
- "Ah bon ?"
- "Votre cousin Paul sera dans mon bureau à 4 heures : je vous y attendrai aussi."
- "Je viendrai, soyez sans crainte, Maître Bardot !"
Je posais le téléphone. Et maintenant, qu'allais-je faire de cette fille ? La laisser seule dans la maison avec les chats ? Non, je n'avais pas confiance : elle viendrait avec moi et m'attendrait dans la salle d'attente du notaire. Quelle histoire !
- "Mademoiselle Delbas !"
- "Mon nom est Mathilde, Mathilde Delbas."
- "Mathilde, c'est un joli nom. Mathilde vous viendrez avec moi chez le notaire ou si vous voulez je vous déposerai devant le supermarché et je reviendrai vous chercher après mon rendez-vous."
- "Je n'ai pas d'argent pour acheter quoi que ce soit au supermarché !"
- "Alors vous viendrez avec moi et m'attendrez dans la salle d'attente du notaire."
Je commençai à suer et trembler : qu'est-ce que j'avais fait d'ouvrir la porte et laissé entrer dans ma maison une fille que je n'avais jamais vu ? Peut-être que ce serait bien de lui demander ses papiers ? On peut être courageux mais sans être complètement naïf ! Ou peut-être que Mathilde était la fille que je n'avais pas pu avoir? Quand j'étais jeune, ce n'était pas possible d'être « fille-mère », la seule solution était de rester « vieille fille » comme disaient les bonshommes au Café du Printemps.
Allons ! Encore le téléphone...
Second et dernier épisode d'une émission consacrée à l'édition 2011 du festival "Les voix de la Méditerranée" de Lodève.
L'originalité de cette édition est de mettre en valeur les jeunes poètes de langue occitane.
L'émission se compose d'entretiens avec Jean-François Mariot, Jean-Paul Creissac, Magali Bizot-Dargent, et de captations des spectacles.
Pour des questions de droits, les extraits musicaux diffusés dans cette émission ne peuvent être mis en ligne, ils ont donc été coupés de l'enregistrement.
Émission réalisée lors d'un stage de formation de l'établissement d'enseignement supérieur d'occitan APRENE. Stage pour partir à la rencontre de Frédéric Mistral et Célestin Freinet.
Pour des questions de droits, les extraits musicaux diffusés dans l'émission ne peuvent être mis en ligne, ils ont donc été coupés de l'enregistrement.
Deuxième émission réalisée à Montagnac, lors d'une rencontre organisée par l'association Rivatge sur cet instrument emblématique qu'est le hautbois du Bas-Languedoc. Elle est constituée d'entretiens avec des joueurs et connaisseurs de l'autbòi qui partagent leurs expertises sur cet instrument.
Pour des questions de droits, les extraits musicaux diffusés dans l'émission ne peuvent être mis en ligne, ils ont donc été coupés de l'enregistrement.
Émission réalisée lors du colloque Robert Lafont, La haute conscience d'une histoire, organisé par Gardarem la tèrra, qui s'est déroulé les 26 et 27 septembre 2009 à Nîmes. Plusieurs professeurs, historiens et connaisseurs, portent hommage et reviennent sur le parcours et les idées de Robert Lafont.
Pour des questions de droits, les extraits musicaux diffusés dans l'émission ne peuvent être mis en ligne, ils ont donc été coupés de l'enregistrement.