Explorer les documents (8 total)

vignette_paratge.jpg
Quelle est la signification du mot « Paratge » ?
Centre interrégional de développement de l'occitan (Béziers, Hérault)

Votre question : Quelle est la signification du mot « Paratge » ?

Notre réponse :

Le terme d'ancien occitan « paratge » est relativement fréquent dans la poésie des troubadours où il revêt tour à tour le sens premier de « noblesse de sang » et le sens plus original de « noblesse de cœur » ou « de mérite ». Il est surtout connu par son emploi dans la Canso de la Crozada (ou « Chanson de la Croisade contre les Albigeois », XIIIe siècle), dont il représente la valeur centrale et qui continue de fasciner de nombreux auteurs contemporains pour son sens « patriotique ». La redécouverte du texte de la Canso au XIXe siècle – dans le contexte de l'éveil des nationalités en Europe et des premiers mouvements renaissantistes occitans – et surtout dans la seconde moitié du XXe siècle, a rendu le terme paratge très courant dans les discours occitanistes et chez les écrivains et artistes d'expression occitane.

Fol. 231 du manuscrit de la<i> Canso de la crosada</i>. Ce manuscrit contient un nombre très important d'occurences du mot « Paratge ». Bibliothèque nationale de France, manuscrit Français 25425

Le terme est réputé « intraduisible »1. Il donne lieu à des interprétations qui en ont fait évoluer le sens2. Paratge n'aurait donc pas d'équivalent dans d'autres langues : soit parce que le concept incarne les valeurs spécifiques à la civilisation occitane du Moyen Âge (définition idéologique), soit parce qu'il s'agit d'une invention littéraire liée à une œuvre en particulier (définition historique).

Si le terme échappe à une définition claire – ou du moins unique – c'est qu'il connaît une évolution dans son emploi. En partant des sources littéraires, le terme occitan est, à l'origine, assez proche du français « parage »3 avec lequel il partage l'étymologie latine par- (= pair, égal). Mais son emploi littéraire par les troubadours occitans fait évoluer le paratge occitan de façon originale : de qualité de naissance, le terme évolue dans sa signification pour désigner une vertu morale, celle de « noblesse d'âme » pourrait-on dire.
Enfin, une œuvre particulière – tardive sur le plan de la littérature courtoise occitane et à bien des égards exceptionnelle dans l'histoire de la littérature occitane du Moyen Âge –, la Canso de la Crozada (deuxième partie du texte, dite de l'Anonyme ou du Continuateur) utilise le terme paratge à une fréquence extraordinaire dans le poème. S'il désigne la qualité morale essentiellement attachée au jeune comte de Toulouse, paratge est également utilisé comme allégorie de la ville et de ses habitants, voire en valeur universelle. De façon surprenante, le poème du XIIIe siècle revêt une connotation patriotique pour ses lecteurs du XIXe et XXe siècle. Dans la Canso, le comte de Toulouse, son allié le roi d'Aragon, la chevalerie languedocienne en général, puis la population tout entière semblent se battre pour paratge érigé en valeur suprême et partagée.
Plus qu'un concept moral qu'il serait difficile de définir tant son emploi varie dans le poème, le terme devient davantage une forme « d'étendard ». La redécouverte et les interprétations patriotiques, voire identitaires, du poème de la Canso eurent une grande influence sur l'ensemble des mouvements de renaissance culturelle ou de revendication occitans (Félibrige, occitanisme d'après-guerre ou contemporain). Il est aujourd'hui courant dans le discours des promoteurs de la langue occitane au même titre que convivencia ou larguesa qui connaissent toutefois des origines et des significations distinctes mais font écho aux thèmes de vivre-ensemble, de laïcité, de tolérance.

1/ Définitions et interprétations de « paratge »

1-1/ Définitions historiques

  • François-Just-Marie RAYNOUARD, Lexique roman : ou dictionnaire de la langue des troubadours..., à Paris, chez Silvestre, tome quatrième, 1842 :
    « PARATGE, s. m., parage, extraction, rang, qualité. »

  • Paul FABRE, Petit dictionnaire de la littérature occitane du Moyen-Age : auteurs, œuvres, lexique, Montpellier, Centre d'études occitanes, 2006, Lo Gat Ros :
    « En ancien occitan, ce mot signifie 'noblesse, haute naissance' ; il désigne aussi l'ensemble des nobles. Dans la langue des troubadours, il a pris également le sens de 'noblesse de cœur' ».

  • Charles ROSTAING, « Le vocabulaire courtois dans la deuxième partie de la « Chanson de la Croisade des Albigeois », dans Mélanges de linguistique, de philologie et de littérature offerts à Monsieur Albert Henry, Strasbourg, 1970 :
    « Le sens de paratge est donc très clair : de l'idée de 'famille noble' on est passé à celle de 'noblesse', d'abord la noblesse de la naissance, puis celle de l'esprit ou de l'âme : c'est dans cette dernière acception que le mot est pris dans la Chanson. »

  • Linda PATERSON, Le Monde des troubadours : la société médiévale occitane de 1100 à 1300, Montpellier, Les presses du Languedoc, 1999 :
    « Paratge constitue évidemment l'éthique dominante du poème, et il y a fort peu d'exemple d'ailleurs que le concept de chevalerie transcende son aspect purement fonctionnel et militaire ; au contraire, ici la chevalerie semble prendre une valeur éthique. La meilleure définition de Paratge est peut-être ici le droit à son propre héritage : un droit qui n'est pas seulement celui d'un lignage noble, mais aussi de toute une société. L'éthique consiste à lutter pour ses droits propres et ceux de ses alliés, une différence notable avec l'éthique du vasselage dans les sources françaises de Flori. »

  • Robert LAFONT, La geste de Roland, tome 2 : Espaces, textes, pouvoirs, Paris, l'Harmattan, 1991 :
    « Étymologiquement paratge est formé sur par 'égal'. Il marque l'entente d'hommes qui se reconnaissent égaux entre eux. Le terme est d'origine aristocratique : il est apparu entre personnes 'de haut parage'. Il désigne la noblesse de sang et par suite d'âme. Mais il n'est pas généralement une qualité morale spécifique qui envahit la société, l'organise, lui donne un sens. Ce qu'il devient dans la seconde partie de la Chanson de la Croisade. »

  • Robert LAFONT, Prémices de l'Europe, Arles, Sulliver, 2007, Coll. Archéologie de la modernité :
    « C'est donc une valeur d'abord aristocratique, mais si elle signifie une égalité de rang en une classe, c'est dans la mesure où l'âme mérite la naissance. On reconnaît là l'idéal de la chevalerie dans sa pureté conquise, accessible à tout homme qui consacre sa vie à le servir. »

  • Miquèla STENTA, Larguesa : un art du don dans l'Occitanie médiévale, Montpellier, CRDP de l'Académie de Montpellier, 2011.
    « Paratge, c'est la noblesse de rang et d'esprit qui, dans ce cas, n'exclut pas la reconnaissance par le mérite, comme pairs, d'hommes d'origine humble. »

  • Miquèla STENTA, Les valeurs de la société de Cortesia : en pays d'Oc aux XIIe et XIIIe siècles, Meuzac, lo Chamin de Sent-Jaume, 2011. (à propos du concept de paratge dans le poème de la Canso)
    « Si paratge est cette noblesse de cœur, il est aussi un sentiment patriotique-national. (…) On se bat pour le défendre ou le rétablir ; il représente toute une civilisation. Il faut sauver paratge comme une patrie. »

  • Eliza MIRUNA GHIL, L’Âge de Parage : essai sur le poétique et le politique en Occitanie au XIIIe siècle, New York-Bern-Frankfurt am Main-Paris, Peter Lang, 1989.
    « Le terme de 'paratge' appartient à l'origine au vocabulaire du droit vassalique et nomme l'institution féodale qui règle l'héritage et le morcellement des fiefs. Il s'emploie, par exemple, pour préciser les obligations du fils aîné dans la famille noble à l'égard de son seigneur et de ses frères cadets. Dans la poésie courtoise le terme prend des connotations plus générales de valeur personnelle – par exemple, lorsqu'il est employé pour décrire la dame aimée dans la canso d'amour, qui est alors 'de gran paratge', 'd'aut paratge' ou lorsqu'il est employé par référence au sujet lyrique, dans le cas d'une trobairitz ('mos paratges', dit la comtesse de Dia). Il peut s'appliquer aussi, dans le sirventes, aux membres de la société courtoise qui partagent les valeurs morales chères aux troubadours et qui reçoivent l'appellation de 'om de paratge'.  Cette qualité n'est pourtant pas considérée comme essentielle, car c'est la noblesse de cœur (surtout amoureux) qui fait la valeur de l'individu et non pas celle de naissance. La fin'amor promeut ainsi, aux yeux d'une société différenciée hiérarchiquement, la possibilité morale d'une 'méritocratie'. »

1-2/ Définitions idéologiques

Qu'elles soient réellement fantasmées par les auteurs ou pensées dans l'idée légitime de bâtir une culture occitane contemporaine à partir de son héritage littéraire, les définitions que nous appelons par commodité « idéologiques » - sans jugement de valeur - affirment l'existence du concept de « paratge » au sein d'une partie de la société contemporaine, le terme fonctionnant comme un lieu de mémoire. Le terme est à ce titre fréquent dans la création artistique (littéraire, musicale, etc.). Parmi cette production idéologique, on peut signaler le texte célèbre de la philosophe Simone Weil : « L'agonie d'une civilisation vue à travers un poème épique » publiée en 19434.

  • Émile NOVIS (pseudonyme de Simone WEIL), « L'agonie d'une civilisation », dans Le Génie d'oc et l'homme méditerranéen : études et poèmes, les Cahiers du Sud, 1943 :
    « Le poète de Toulouse [l'auteur anonyme de la deuxième partie de la Canso] sent très vivement la valeur spirituelle de la civilisation attaquée ; il l'évoque continuellement ; mais il semble impuissant à l'exprimer, et emploie toujours les mêmes mots, Prix et Parage, parfois Parage et Merci. Ces mots, sans équivalents aujourd'hui, désignent des valeurs chevaleresques. Et pourtant, c'est une cité, c'est Toulouse qui vit dans le poème, et elle y palpite tout entière, sans aucune distinction de classes. Le comte ne fait rien sans consulter toute la cité, 'li cavalier el borgez e la cuminaltatz', et il ne lui donne pas d'ordres, il lui demande son appui ; cet appui, tous l'accordent, artisans, marchands, chevaliers, avec le même dévouement joyeux et complet. C'est un membre du Capitole qui harangue devant Muret l'armée opposée aux croisés ; et ce que ces artisans, ces marchands, ces citoyens d'une ville – on ne saurait leur appliquer le terme de bourgeois – voulaient sauver au prix de leur vie, c'était Joie et parage, c'était une civilisation chevaleresque. »

  • Fernand Niel, Albigeois et cathares, Paris, Presses universitaires de France, 1955, Que sais-je ?
    « Paratge (signifie) honneur, droiture, égalité, négation du droit du plus fort, respect de la personne humaine pour soi et pour les autres. Le paratge s'applique dans tous les domaines, politique, religieux, sentimental. Il ne s'adresse pas seulement à une nation ou à une catégorie sociale, mais à tous les hommes, quelles que soient leur condition et leurs idées. »

  • Paul OURLIAC, « Réalité ou imaginaire : la féodalité toulousaine », dans Religion, société et politique : mélanges en l'honneur de Jacques Ethel, Paris, Presses universitaires de France, 1983 :
    « L'unité du Languedoc existe par sa langue mais plus encore dans cette communauté d'idéal qu'exprime le « Paratge » : un idéal qui est fait de loyauté, d'équité, de fidélité, de respect du droit, tout ce qui oppose le Midi aux chevaliers croisés. »

1-3/ Sur l'importance de paratge dans la Canso de la Crozada

  • Yves DOSSAT, « La croisade vue par les chroniqueurs », dans Paix de Dieu et Guerre sainte en Languedoc au XIIIe siècle, Toulouse, Privat, Cahiers de Fanjeaux, n° 4, 1969.
    « L'auteur de la seconde partie de la Chanson est un adversaire résolu de la croisade et pour tout dire un partisan. Bien qu'il ne l'exprime pas ouvertement, il n'est certainement pas loin d'admettre que les croisés sont des suppôts de Satan. Pour traduire sa pensée, le continuateur introduit dans la Chanson des allégories qui représentent les qualités et les vertus des uns, les vices et les tares des autres.
    D'un côté se trouvent Paratge, la noblesse d'âme, le sentiment de l'honneur, les vertus d'un cœur généreux, inséparable de Pretz, le mérite personnel, qu'accompagnent le bon droit, Dreitz, la justice de la cause, Dreitura, la loyauté, Lialtatz. De l'autre l'orgueil, Orgolhs, l'esprit de démesure, Desmesura, la fourberie, Engans, la mauvaise foi, Falhimens. »

  • Philippe MARTEL, Les cathares et l'histoire : le drame cathare devant ses historiens : 1820-1992, Toulouse, Privat, 2002, coll. Catharisme.
    « En face [de l'Historia albigensis de Pierre des Vaux-de-Cenay], il y a la Chanson de la croisade, tout aussi engagée, surtout dans sa seconde partie, rédigée en occitan vers 1228 et qui est en fait un appel aux sujets du comte de Toulouse, au moment du dernier grand choc avec les croisés de Louis VIII. Ici encore, il serait vain d'attendre de notre auteur trop de nuances : les croisés sont des imposteurs et des usurpateurs, à l'ambition démesurée. Les seigneurs occitans, et notamment le jeune comte Raimond VII, représentent les valeurs courtoises – l'intraduisible Paratge par exemple – valeurs proposées à toute une population en guide d'idéologie « nationale » : l'état des liens féodo-vassaliques en pays d'oc ne permettant pas au poète-popagandiste de jouer uniquement de cette corde ('Nous suivons le comte parce qu'il est notre seigneur'), il faut compléter : 'Nous le suivons parce qu'il respecte les usages et valeurs du pays, et que ceux d'en face ne les suivent pas.' »

2/ Occurrences et emplois du terme

La Concordance de l'Occitan médiéval5 permet d'effectuer des recherches lexicales dans l'ensemble du corpus des textes littéraires en ancien occitan (corpus des Troubadours, corpus des textes narratifs en vers). La COM relève plus de 200 occurrences du terme paratge dans le corpus littéraire en ancien occitan (par comparaison « prètz » a plus de 2'300 occurrences sur le même corpus, larguesa ou dreitura, une centaine). À noter que le terme paratge apparaît 48 fois dans la seule Canso de la Crozada.

Assez fréquent chez le troubadours sans représenter pour autant une valeur centrale, l'expression « de (bon) paratge » désigne la qualité de naissance de la dame noble du poème au même titre que « de bon aire » ou « de bon linhatge ». Il s'applique de même pour qualifier la noblesse d'un chevalier, et par extension, la famille noble, la noblesse. Il prend également chez certains troubadours le sens de noblesse de cœur et de mérite. Il est surtout le concept essentiel de la Canso de la Crozada ou il peut désigner le comte de Toulouse et ses alliés, être une allégorie de la ville de Toulouse, résumer l'ensemble des valeurs morales positives à défendre et « à restaurer » face aux croisés.

Comtesse de Dia
Valer mi deu mos prètz e mos paratges
E ma beutatz, e plus mos fis coratges
« Mon mérite, ma haute naissance, ma beauté et plus encore mon cœur fidèle doivent me faire valoir. »

Girard de Roussillon
N'a baron chevaler de nul parage
N'i aie perdut home de son lignage
« Il n'y a pas de noble chevalier d'aucune famille qui n'ait perdu [dans la bataille] homme de sa parenté »

Guiraut de Bornelh 
Mot era dous e plazens
lo temps gay cant fon eslitz
paraties, et establitz ;
que.ls drechuriers conoissens
lials, francx, de ric coraties
plazens, larcx, de bona fe
vertadiers, de gran merce
establi hom de paratie
per cui fo servir trobatz
cortz e domneis e donars
amors et totz benestars
d'onor e gran drechura
« Il était doux et plaisant le temps joyeux où la noblesse fut choisie et créée ; car paratge fut conféré à ceux qui étaient justes et sages, loyaux, francs, au cœur noble, plaisants, généreux, de bonne foi, sincères, compatissants. C'est grâce à de tels hommes qu'on été inventés le service courtois, le domnei, la largesse, l'amour et toutes les coutumes agréables, selon l'honneur et le droit. »

Dans l'Ensenhamen d'Arnaut de Mareuil
Li borzes eissamens
An pretz diversamens ;
Li un son de paratge
E fan faitz d'agradatge
« Les bourgeois, de même, ont du prix diversement, les uns sont de grande famille, et agissent de manière agréable. »

La Vida de Peire Cardenal
Peire Cardinal si fo de Veillac, de la siutat del Puei Nostra Domna ; e fo d'onradas gens de paratge, e fo filz de cavallier e de domna...
« Pierre Cardenal était du Velay, de la cité du Puy-Notre-Dame ; il était d'une honorable famille de la noblesse, fils d'un chevalier et d'une dame... »

Canso de la Crozada : discours par lequel le troubadour Gui de Cavalhon accueille le jeune comte de Toulouse sur le chemin d'Avignon (laisse 154, vv.6-17)
Mons Guis de Cavalhon desobr'un caval ros
A dig al comte jove : « Òimais es la sasos
Que a grands òbs Paratges que siatz mals e bos, Car lo coms de Montfòrt que destrui los baros
E la Glèisa de Roma e la predicacios
Fa estar tot Paratge aunit e vergonhós,
Qu'enaissí es Paratges tornats de sus en jos
Que si per vos no.s lèva per tostemps es rescos.
E si Prèsts e Paratges no.s restaura per vos,
Doncs es lo mòrts Paratges e tots lo mons en vos,
E pòs de tot Paratge ètz vera sospeiços,
O tots Paratges mòria o vos que siats pros ! »
« Messire Gui de Cavalhon, monté sur un cheval roux, / a dit au comte jeune : « Voici le moment / où Paratge a besoin que vous soyez belliqueux et brave, / car le comte de Montfort qui détruit les barons / et l'Eglise de Rome et ses prédicateurs / couvrent Paratge de honte et d'ignominie / au point que Paratge est tellement tombé à la renverse / que s'il ne se redresse pas grâce à vous, il disparaîtra pour toujours. / Et si vous ne restaurez pas Mérite et Paratge / alors, par votre faute, sont morts Paratge et tout l'univers ; / et puisque de tout Paratge vous êtes la véritable espérance, / il faut que tout Paratge meure ou que vous soyez vaillant »

 

-----------------------------------------------------------

 

Notes : 

1. Philippe MARTEL, Les cathares et l'histoire : le drame cathare devant ses historiens : 1820­-1992, Toulouse, Privat, 2002, coll. Catharisme.

2. Sur l'évolution de l'interprétation de la Canso de la Crozada au XIXe et au XXe siècle, voir Philippe MARTEL, op. cit. : « Pour Mary­-Lafon et Peyrat, les valeurs de la civilisation occitane médiévale existaient d'abord par leur caractère démocratique et progressiste : elles annonçaient celles qui triomphent en France après la Révolution. Chez nos auteurs du XXe, ce caractère démocratique est second. Joi et Paratge définissent une éthique abstraite, pas un comportement social. Et surtout, ces valeurs sont immanentes, ancrées presque biologiquement dans l'homme d'oc, et échappent donc à l'histoire. »

3. « Qualité, extraction, haute naissance. » (TLFI) ; la parage est également un concept de droit féodal réglant les partages entre aînés et puînés.

4. « La civilisation qui constitue le sujet du poème n'a pas laissé d'autres traces que ce poème même, quelques chants de troubadours, de rares textes concernant les cathares, et quelques merveilleuses églises. Le reste a disparu ; nous pouvons seulement tenter de deviner ce que fut cette civilisation que les armes ont tuées, dont les armes ont détruit les œuvres. Avec si peu de données, on ne peut espérer qu'en retrouver l'esprit ; c'est pourquoi, si le poème en donne un tableau embelli, il n'en est pas par là un moins bon guide ; car c'est l'esprit même d'une civilisation qui s'exprime dans les tableaux qu'en donnent ses poètes. (...) Chaque civilisation, comme chaque homme, a la totalité des notions morales à sa disposition, et choisit. (...) Si l'intolérance l'emporta, c'est seulement parce que les épées de ceux qui avaient choisi l'intolérance furent victorieuses (...) L’Europe n'a plus jamais retrouvé au même degré la liberté spirituelle perdue par l'effet de cette guerre. »

5. Peter T. RICKETTS (éd.), Concordance de l'Occitan médiéval : Les troubadours. Les textes narratifs en vers [CD ROM], Brepols.



-----------------------------------------------------------


Essai d'un glossaire occitanien pour servir à l'intelligence des poésies des troubadours / Henri-Pascal Rochegude
Rochegude, Henri-Pascal de (1741-1834)
C’est en 1819 que parait sous l’anonymat l'Essai d'un glossaire occitanien pour servir à l'intelligence des poésies des troubadours. L'ouvrage, publié par Henri-Pascal de Rochegude, comporte une préface consacrée au langage des troubadours suivie d'un un lexique tiré de son anthologie de texte des troubadours. 
Consulter le document sur Google Livres
export (22).jpg
Le parnasse occitanien / textes présentés par Henri-Pascal Rochegude
>>Accéder au document sur Gallica

C’est en 1819 que parait sous l’anonymat, le Parnasse occitanien publié par Henri-Pascal de Rochegude. Cette anthologie de textes des troubadours est l'ouvrage qui amorce l'étude des grands textes en langue romane initiée à la même époque par François Just Raynouard.


Molinier, Guilhem

Ce document est disponible sur Rosalis, bibliothèque numérique patrimoniale de Toulouse.

1356 d'après le texte.

Version courte en prose. - Edition : J. Anglade, "Las Leys d'amors" : manuscrit de l'Académie des Jeux Floraux, Toulouse-Paris, 1919-1920. - Dépôt de l’Académie des Jeux Floraux (coté 500 006), décembre 2004.

Numérisation effectuée à partir d'un document original : Ms. 2883. Version courte en prose. Lettre historiée ou ornée manquante à la numérisation pour le folio 89 et le folio 105.

Sobregaya companhia dels VII trobadors de Tolosa

Académie des Jeux Floraux (Toulouse)

vignette_Albucasim.jpg
La Cirurgia, médecine et occitan au XIVe siècle
CIRDOC - Institut occitan de cultura

Résumé

Au Moyen Âge la médecine et la chirurgie sont encore balbutiantes lorsque Abu Al-Qasim (v. 940-v. 1013), Albucasis en occident, débute la rédaction de son grand-œuvre, Al-Tasrif (nom complet : Kitab al-Tasrif li man 'ajaza 'ani at-T'aleef). Cet ouvrage, somme du savoir médical et chirurgical de son temps, bénéficie des recherches et expériences menées par le médecin d'Al-Andalus. Al-Tasrif va constituer durant des siècles une source de référence dans le milieu médical et universitaire, bien au-delà des frontières de la péninsule ibérique.

Page frontispice contenant les armes ainsi que la devise de Gaston Fébus en bas de page. <br> Extrait du ms. H 95, feuillet 1 de la Bibliothèque de la faculté de médecine de Montpellier

Les collections de la Bibliothèque interuniversitaire de Montpellier, ville à la longue tradition universitaire et médicale, conservent deux exemplaires de l'ouvrage, l'un dans sa version latine (le manuscrit H89), le second en occitan (le manuscrit H95), unique manuscrit de l'ouvrage d'Albucasis connu dans cette langue.

Le manuscrit H95 riche de 215 planches illustrées représentant quelques-uns des instruments chirurgicaux de l'époque, est un document précieux pour l'histoire et la linguistique occitanes. Sa paternité demeure pourtant source de questionnements. La commande de cet ouvrage serait attribuée à Gaston III de Foix-Béarn, plus connu sous le nom de Gaston Fébus ; à son père, Gaston II de Foix-Béarn ou bien à sa mère durant la quasi regence qu'elle administra après la mort de son mari. Ces hypothèses s'appuient sur les différentes marques produites sur le document et les inventaires de leurs héritiers.

Autres versions du titre :

< La Chirurgie d'Albucasis
< La Cyrurgia
< La Cirurgia
< L'Albucasis

Présentation du contenu

Manuscrit en parchemin de 70 feuillets à 2 colonnes, précédés et suivis de 3 feuillets de garde en papier moderne.

Daté de la seconde moitié du XIVe siècle, le manuscrit présente au bas de sa première page, un écusson aux armes de Foix et de Béarn, ainsi qu'une banderole portant le cri de guerre du comte Gaston III de Foix-Béarn (1343-1391).

Description complète : notice Calames http://www.calames.abes.fr/pub/#details?id=D01040719

Accéder au document numérisé : http://occitanica.eu/omeka/items/show/11898

Histoire du manuscrit et possesseurs successifs

Les origines du manuscrit H95, unique exemplaire connu d'Al-Tasrif en occitan, aujourd'hui conservé par la Bibliothèque interuniversitaire de Montpellier, demeurent sujettes à caution.
La liste suivante, qui indique l'histoire du manuscrit sur la base des études les plus récentes, est donc susceptible d'évoluer.

1/ Les vicomtes de Foix-Béarn, Gaston II et Gaston III

Divers éléments concourent à attribuer la paternité du manuscrit H95 aux vicomtes de Béarn : Gaston II (1308-1343) ou plus probablement son fils Gaston III (1343-1391), plus connu sous le nom de Gaston Fébus.

Daté de la seconde moitié du XIVe siècle, le manuscrit présente au bas de sa première page un écusson aux armes de Foix et de Béarn ainsi qu'une banderole portant le cri de guerre du comte Gaston III de Foix-Béarn (1343-1391).

Les collections de la Bibliothèque Sainte-Geneviève conservent par ailleurs un exemplaire de l'Elucidari (Ms. 1029), traduction occitane du De proprietatibus rerum de Barthélémy l’Anglais, qui semble le fait du même mécène que le manuscrit H95 de Montpellier. Or, l’exemplaire de l'Elucidari présente en prologue quelques vers qui indiquent que l'entreprise de traduction avait été lancée pour un jeune comte de Foix nommé Gaston, ce qui suggère une commande de la Chirurgie par la même famille.

Fébus et un écuyer (en bas à droite) portent devant le trône de Dieu le haume au cimier du comte de Foix. <br> Extrait du ms. 1029 de la Bibliothèque Sainte-Geneviève de Paris, feuillet 1

2/ La famille d'Albret

Les archives départementales des Pyrénées-Atlantiques conservent différents inventaires mobiliers de la famille d'Albret, vicomtes de Béarn à partir du XVe siècle, attestant la présence dans leurs collections de différentes traductions en occitan des œuvres d'Albucasis.

Enfin l'étude des inventaires mobiliers de la famille d'Albret, lointains héritiers de Gaston Fébus, révèle une présence tant de l'Elucidari que de la Chirurgie dans les bibliothèques béarnaises. Des manuscrits entrés bien avant le règne des Albret sur la vicomté. L'inventaire de 1533, du temps d'Henri II d'Albret, porte ainsi sous le numéro 14 la mention suivante : "Autre livre commensant : Les paroles de "Albucassin, en mauvais langaige"; ou selon les indications données plus loin à l'article 18 de l'inventaire établi par le maître d'hôtel Jehannot de Laborde, « en langage du midi de la France ». Telle est en tout cas la déduction faite par Charles Rahlenbeck en 1882, lors de la publication de l'inventaire de Pau. Poursuivant son analyse du document, il note la présence à l'article 15, d'un ouvrage intitulé "Le palays de Sagesse, escript en parchemin", dans lequel il pense identifier « l'Elucidari de las proprietatz de totas res naturals », compilation encyclopédique débutant par une pièce allégorique dont voici les premiers vers : "Comensa le palaytz de Savieza, fayt a istancia del noble princep Guasto, compte de Foysh."

3/ La Bibliothèque interuniversitaire de Montpellier

Le manuscrit H95 a tout naturellement trouvé sa place dans les collections de la Bibliothèque interuniversitaire de Montpellier, riche d'une longue tradition universitaire et scientifique. La capitale héraultaise constitue en effet avec la Sorbonne l'une des plus anciennes universités de l'Hexagone, sa fondation remontant au début du XIIIe siècle. La médecine figure au titre de ses enseignements, les traces de sa pratique étant d'ailleurs ici plus précoces encore. Elle est en effet attestée dès 1137 à Montpellier.

Si Rahlenbeck voit dans l'exemplaire occitan de la Chirurgie présent dans les collections de la famille de Navarre, le manuscrit H95 aujourd'hui conservé à Montpellier, le parcours exact des deux ouvrages, Chirurgie comme Elucidari, entre le XVIe siècle et leur lieu de conservation actuel n'est pas à ce jour connu. Leur trace se perd ainsi au début du XVIIe siècle. Poursuivant son analyse des inventaires de la famille de Navarre, Rahlenbeck souligne ainsi que durant les premiers mois de l'année 1621, alors que la vicomté de Béarn est définitivement rattachée au royaume de France et que Louis XIII règne sur le royaume depuis Paris, l'ancienne cour des rois de Navarre et notamment leur bibliothèque, font l'objet d'une série de pillages.

Note de contenu

Le manuscrit comporte sur le premier feuillet les armes et la devise de Gaston Fébus « Febus avant » . Il reprend le dernier volume de l'ouvrage original et se divise en trois livres abordant chacun une thématique selon le plan suivant :
- la cautérisation
- les opérations de taille
- fractures et luxations

Note d'étude

Scène de diagnostic et d'échange soigneur/soigné, un des apports fondamentaux d'Albucasis à la médecine. <br> Extrait du ms. H 95, feuillet 95recto, Montpellier, Bibliothèque de la faculté de médecine.

1/ L'auteur et le contexte de rédaction

L’auteur du traité Abū al-Qāsim Khalaf ibn Abbās al-Zahrāwī, est né aux alentours de 936 après Jésus-Christ (940 pour certaines sources), Albucasis vit dans la banlieue de la capitale cordouane d'Al-Andalus, dans la ville d'El Zahra et officie en tant que médecin et chirurgien à la cour califale. Cordoue est alors une capitale rayonnante. Bien que placée à l'extrémité ouest du monde musulman et qu'ayant pris progressivement son indépendance vis-à-vis des califes de Bagdad ; Al-Andalus demeure au cœur d'un important réseau de relations avec les Orients arabes. À compter du Xe siècle, Cordoue est ainsi un centre de confluence des savoirs grâce au soutien porté par les souverains Omeyyades en faveur des arts, sciences et lettres. Leur règne représente dans ces différents domaines un véritable âge d'or. Sous Abd-ar-Rahman III (891-961), la ville voit émerger une nouvelle tradition médicale et accueille l'une des grandes écoles de médecine de ce temps, face aux capitales arabes de Bagdad, d'Ispahan, du Caire...

C'est dans ce contexte, alors qu'il officie à la cour d'Al-Hakam II, qu'Albucasis rédige l'un des ouvrages scientifiques médiévaux majeurs de son époque, le Kitab Al-Tasrif li man 'ajaza 'ani at-T'aleef, aussi connu sous le nom d'Al-Tasrif. Véritable encyclopédie médicale en 30 volumes et 1500 pages, l'ouvrage rassemble l'ensemble des connaissances de l'époque sur la question, ainsi que les récentes découvertes chirurgicales faites par Albucasis suite à ses recherches et travaux de dissection. Afin d'illustrer son propos, il insère dans son traité de chirurgie des schémas explicatifs décrivant notamment les instruments inventés par ses soins, ce qui constitue pour l'époque une démarche innovante. Le traité offre également une place plus importante au rapport soigneur/soigné préfigurant davantage une sorte de phase assez proche du diagnostic moderne. L'ensemble connaît très vite un grand succès, tout particulièrement le dernier tome. La renommée et les idées de la Chirurgie vont en effet progressivement dépasser les frontières d'Al-Andalus, suite à la traduction latine de l'ouvrage.

Représentation iconographique des instruments chirurgicaux inventés par Albucasis. <br> Montpellier, Bibliothèque de la faculté de médecine. ms. H 95, feuillet 20verso

2/ Diffusion de l’œuvre au Moyen Âge

La Reconquista
débute dès 722 dans le nord de la péninsule ibérique. En 1085, Tolède tombe aux mains des troupes du roi Alphonse VI de León et Castille. Les chrétiens découvrent sur place une activité intellectuelle solidement établie ainsi qu'une importante communauté mozarabe (les chrétiens d'Al-andalus) qui va faciliter la transmission des savoirs. La tradition culturelle et scientifique de Tolède se perpétue des siècles après la Reconquista, et tout au long des XIIIe et XIVe siècles, on ne cesse de copier et de traduire des manuscrits arabes. C'est dans ce contexte que Gérard de Crémone venu de Lombardie, s'installe dans la cité castillane et réalise la traduction en latin de nombreux manuscrits arabes. Le lombard produit ainsi le manuscrit 0 du traité d'Albucasis.

La traduction latine favorise la diffusion de l'ouvrage en Occident où son succès ne se démentit pas durant tout le Moyen Âge. D''éminents médecins et chirurgiens comme Pietro Argallata, mais également Guy de Chauliac, Roger de Parme, Guillaume de Salicet... usent et citent les travaux de leur prestigieux prédécesseur. Durant près de cinq siècles, le traité d'Albucasis figure aux programmes des Universités de Salerne et de Montpellier.

3/ La langue de l'Albucasis

Rédigé dans la variante languedocienne de l'occitan, probablement celle du parler de Foix, le manuscrit H95 semble être le fruit d'une traduction littérale à partir, non pas du texte original en arabe, mais de l'une des traductions latines de la Chirurgie, possiblement le second manuscrit conservé à Montpellier (cote H89ter). Le recours à l'occitan, langue maternelle du commanditaire de la traduction, ouvrit au XIVe siècle de nouvelles perspectives à la production occitane écrite, l'invitant à explorer de nouveaux territoires, notamment dans le domaine lexical.

Éditions et traductions

Éditions

- Tourtoulon, Charles de. « La Chirurgie d'Albucasis traduite en dialecte toulousain (bas pays de Foix) du XIVe siècle », Revue des langues romanes, 1, 1870, p. 3-17 et 301-307.

- La Chirurgie d'Albucasis (ou Albucasim), texte occitan du XIVe siècle, éd. Jean Grimaud et Robert Lafont, Montpellier, Centre d'études occitanes de l'Université Paul-Valéry, 1985, 284 p.    

- Abū'l Qāsim Halaf Ibn 'Abbās al-Zahrāvi detto Albucasis, La chirurgia. Versione occitanica della prima metà del Trecento, Firenze, Malesci, 1992.

vignette_occitanica-noir.jpg
Le Boeci : la plus ancienne œuvre littéraire en occitan
CIRDOC - Institut occitan de cultura
Le Boeci est un poème allégorique, paraphrase en langue occitane du traité stoïcien et néoplatonicien Consolatio philosophiae du philosophe et homme politique latin Anicius Manlius Severinus Boethius dit Boèce (480?-524). Il a vraisemblablement été composé en Limousin aux alentours de l’An Mil. Ce poème sur la vie de Boèce est connu par un manuscrit fragmentaire de 258 vers décasyllabes conservé au sein d’un recueil de manuscrits du fonds ancien de la Bibliothèque d’Orléans.
Le fragment du Boeci est considéré, avec la Canso de sancta Fides de Agen (Chanson de Sainte Foi d’Agen), comme une des plus anciennes œuvres littéraires composées en langue occitane.

Autres versions du titre :

Le manuscrit ne comportant aucun élément de titre, les différents éditeurs et critiques ont forgé différents titres depuis le début du XIXe siècle. Le titre Boeci est aujourd’hui adopté comme titre conventionnel (titre uniforme) [1].

Formes rejetées :

< Poème en vers romans sur Boèce (F. Raynouard, 1817)
< Boèce (P. Meyer, 1872)
< Boecis (V. Crescini, 1926)
< Fragments de la Vie de Boèce en langue romane

Exemplaires conservés :

Le Boeci est connu par une seule copie fragmentaire copiée à la fin d’un recueil de textes religieux conservé à la Bibliothèque d'Orléans : « Jérémie et Ézéchiel, suivis de sermons, du Cantique des cantiques et d'un fragment de la Vie de Boèce en langue romane ».

Le Poème commence au milieu de la page 269 et s’arrête à la page 275 par un mot coupé. Les 21 premiers vers (page 269) sont d’une écriture plus archaïque que le reste du fragment.

Provenance :

Le manuscrit provient de l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire (abbaye de Fleury), dont la bibliothèque compose une importante partie du fonds ancien de la Bibliothèque d’Orléans, transféré lors de la Révolution française.

Mentionné au XVIIIe siècle par l’abbé Lebeuf dans l’une de ses Dissertations sur l’histoire civile et ecclésiastique de Paris, il est découvert par François Raynouard en 1813 dans les collections de la Bibliothèque d’Orléans.

Description du manuscrit :

Au sein d’un recueil, parchemin, 275 p. (XIe s.). Le Boeci a été copié à la fin du manuscrit (p. 269-275) sur des feuillets laissés blancs.

Identifiant (cote) :

Bibliothèque municipale d'Orléans, ms. 444 (ancienne cote : n° 374).

Description détaillée :

Voir la description complète du manuscrit dans le Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France (sur le site du Catalogue collectif de France : ccfr.bnf.fr) :

http://ccfr.bnf.fr/portailccfr/jsp/index_view_direct_anonymous.jsp?record=eadcgm:EADC:D18013076

Étude :

1. Contenu du Boeci :

Le Boeci est un poème inspiré du traité De Consolatione Philosophae, rédigé par Boèce dans sa prison de Pavie, après qu'il ait été emprisonné en 520 par Théodoric le Grand, roi ostrogoth d'Italie et héritier de fait des empereurs romains d'Occident. Le fragment conservé, qui n’évoque que le début de la Consolatio Philosophae, constitue sans doute le commencement d’une œuvre beaucoup plus volumineuse. Initialement traité de morale stoïcienne influencée par le néoplatonisme, dépeignant de façon allégorique la consolation apportée au phisolophe incarcéré par la Philosophie, qui dialogue avec lui en abordant des concepts tels que la souffrance, la consolation, le déterminisme, la liberté, la providence, la justice ou la vertu. Boèce sera exécuté en 524 au terme de quatre années de détention. 

Si ce texte occitan est l’imitation d’une œuvre morale très célèbre au Moyen Âge, Robert Lafont et Christian Anatole ont fait remarquer que son auteur fait preuve d'un projet poétique : « L’auteur occitan a mêlé à ce texte de tradition cléricale des notations plus populaires qui appartiennent à la légende du saint. Il a surtout laissé aller son imagination à décrire l’échelle symbolique qui apparaît à Boèce peinte sur le vêtement de Dame Philosophie. Ce n’est pas un clerc seulement, mais un poète de métier. » De fait, en paraphrasant un texte allégorique mais aussi partiellement autobiographique, l'auteur se place à mi-chemin entre un traité de philosophie morale reformulé et une hagiographie de Boèce, considéré selon la tradition chrétienne comme un saint de l'Église catholique, bien qu'il n'ait jamais été canonisé. 

Le poème commence par un appel aux jeunes hommes dissipés (v. 1-19), puis évoque l’emprisonnement de Boèce (v. 20-157) et se termine avec l’apparition de la Dame (v.158-258). Le vers 258 est tronqué au début du second mot : « De pec… »

2. Le Boeci ou l'acte de naissance de la littérature occitane :

La plupart des historiens de la littérature occitane ont fait du Boeci une des plus anciennes œuvres d’expression occitane aux côtés de la Canso de sancta Fides de Agen.

L’émergence de l’occitan comme langue d’écriture se déroule dans un processus long, peu perceptible dans la documentation, qui s'opère entre le VIIIe et le XIe siècle. Le Boeci comme la Chanson de Sainte Foi marquent un tournant dans la mesure où la langue occitane y est autonome, contrairement aux documents antérieurs, où le conflit avec le latin est évident. Le cas de l’émergence de la scripta occitane est original : « Paradoxalement, la première des écritures ainsi mise en point ne fut pas administrative, mais poétique. En effet, la première charte dont la rédaction soit fondée sur l’emploi exclusif et autonome de la langue d’oc est datée d’avril 1102. D’autres chartes présentent à des dates plus anciennes des fragments qui, noyés dans le latin, se laissent identifier comme romans, mais dans un phrasé général qui ne s’est pas démarqué de l’usage du latin. (...) Ainsi, ce sont selon toute vraisemblance le poème sur Boèce et la Chanson de sainte Foi qui constituent aux alentours de l’an Mil la première affirmation nette de la romanité d’oc face à la tradition écrite latine. »

À partir de cette époque, la langue occitane comme langue d'écriture, de pensée et de création va se développer au point que moins d'un siècle plus tard, avec Guilhem IX et les premiers troubadours, le rapport de force entre le latin et l'occitan aura basculé en faveur de la seconde pour l'innovation poétique. À propos du fragment du Boeci, Robert Lafont écrit : « nous sommes aux sources d'une littérature nouvelle, déjà maîtresse de sa forme. »

Notons cependant que le Boeci ouvre davantage la voie à une prose religieuse d’expression occitane qu’à la lyrique des troubadours « qui s’opposeront tant à l’ancienne culture latine qu’à la nouvelle création poétique cléricale. » En effet, les topos de la Fin'Amor n'apparaissent encore nullement dans cette oeuvre nourrie des dialogues de Platon et de la pensée de saint Augustin, qui se rattache clairement à la culture de l'Antiquité chrétienne.

3. La datation de l’œuvre :

La datation du Boeci a donné lieu à beaucoup de spéculations depuis le XVIIIe siècle où Court de Gébelin (Discours préliminaire du Dictionnaire étymologique de la langue française, 1773-1782), le faisait remonter au IXe siècle.

La plupart des spécialistes s’accordent cependant sur la datation proposée dès le XIXe siècle par François Raynouard puis Paul Meyer, c’est-à-dire entre la fin du Xe siècle et plus probablement le premier tiers du XIe siècle selon l’étude linguistique très poussée de Vladimir Rabotine, dont les conclusions sont confirmées par les critiques postérieurs (René Lavaud et Georges Machicot, 1950 ; Christian Anatole et Robert Lafont, 1970). L’étude de Vladimir Rabotine, qui conclut à l’antériorité du Boeci sur la Chanson de Sainte Foi d’une vingtaine d’années, confirme que le fragment en occitan sur Boèce est bien « le plus ancien monument littéraire de la langue d’oc ».

L’étude de la langue du poème permet de l’attribuer à un auteur de la région limousine, sans doute un clerc de l’abbaye Saint-Martial de Limoges, grand foyer d’écrit religieux d’expression occitane. La copie aujourd’hui conservée à la Bibliothèque d’Orléans a sans doute été réalisée dans la même abbaye avant de rejoindre la librairie de l’abbaye de Saint-Benoit-sur-Loire.

Éditions et traductions :

1/ RAYNOUARD , François. Choix des poésies originales des troubadours, t. II, Paris, 1817. 
Aussi : RAYNOUARD (François), Fragment d’un poème en vers romans sur Boece…, Paris, 1817.

Première édition complète du texte et traduction française.

En ligne sur Occitanica : consulter le document.

2/DIEZ, Friedrich. Altromanische Sprachdenkmäler, Bonn, 1846, p. 39-72.

3/ BARTSCH, Karl, Chrestomathie provençale, Elberfeld, 1868.

4/ MEYER, Paul, Recueil d’anciens textes bas-latins, provençaux et français, Paris, 1877, 23-32

En ligne sur Gallica : consulter le document. 

5/ HÜNDGEN, Franz, Kritische Ausgabe des altprovenzalischen Boëthiusliedes unter Beifügung eines Commentars, Oppeln 1883.

Édition jugée « peu satisfaisante » par Vladimir Rabotine.

6/ CRESCINI, Vincenzo. Manualetto provenzale per uso degli alunni delle Facoltà di Lettere, Verona ; Padova, 1892, p. 1-5.

7/ APPEL, Carl. Provenzalische Chrestomathie, Leipzig, 1895, p. 147-151.

8/ BARTSCH, Karl. Chrestomathie provençale, 6e éd. entièrement refondue par Eduard Koschwitz, Marburg, 1904.    

9/ BOSELLI, Antonio. Il Boecis in antico provenzale secondo la lezione dell'apografo orleanse, Roma, 1903.

10/ LAVAUD, René, MACHICOT, Georges. Boecis : poème sur Boèce (fragment), Toulouse, Institut d’Études Occitanes, 1950.

Nouvelle édition et traduction française littérale.

vignette.jpg
Le « Boèce » provençal : une étude linguistique de Vladimir Rabotine
Rabotine, Vladimir
Cette étude linguistique du Boeci, adaptation du De Consolatione Philosophae du philosophe et homme politique latin Boèce, plus ancienne œuvre occitane connue (début du XIe siècle), est le fruit d'une thèse présentée en 1930 à la faculté de Lettres de Strasbourg par Vladimir Rabotine.
Alors que les études de philologie romane étaient déjà à un stade avancé, peu d'études avait été menées sur la langue du Boeci, permettant notamment de prouver son origine limousine et d'affiner sa datation.
Dans sa thèse, Vladimir Rabotine se borne donc à une étude purement linguistique : phonétique d'abord puis morphologique.   

Voir toutes les ressources en lien avec le Boeci publiées dans Occitanica
v-patrimoni-la-civilisation-en-heritage.jpg
Patrimòni occitan : la civilisation en héritage (film documentaire)
Leclerc, Mathias. Metteur en scène ou réalisateur
Centre interrégional de développement de l'occitan (Béziers, Hérault). Auteur
Altaïr-Prod. Metteur en scène ou réalisateur
Ce film de 26 minutes réalisé à l'occasion du Xe Congrès de l'Association internationale d'études occitanes (Béziers, juin 2011) propose un parcours au sein de la civilisation occitane du Moyen Âge : littérature, pensée, sciences, trois cents ans de « création en marche » dont l'héritage fonde le patrimoine occitan et une part de la culture européenne moderne.