La notion de colonialisme intérieur a été développée par plusieurs penseurs des minorités dans le monde, dont Robert Lafont pour le cas occitan. Il s’agit d’une situation dans laquelle, au sein d’un état, le centre dominant traite la périphérie, c'est à dire certains territoires éloignés ou de cultures différentes, comme des terres coloniales, exploitées économiquement et niées culturellement.
En 1963 le Comité occitan d'études et d'action définit le colonialisme intérieur dans le N°1 de son Bulletin d'information par:
- la fuite des ressources (produits du sous-sol ou de l'agriculture élaborés ailleurs, revenant sous la forme de bien directement consommables),
- l'exploitation de ces ressources par un grand capital extérieur à la région qui a détruit la vie financière régionale, et demeure maître en fait, sinon en droit, de l'Etat et du Pays,
- la réduction constante du marché du travail, la prolétarisation des occitans dans les régions sur-développées du Nord et la formation dans la région d'un sous prolétariat importé,
- la dépossession de la terre vendue à des immigrants, le remembrement de la propriété au détriment de l'autochtone, les progrès de l'absentéisme (propriétaires résidants hors Occitanie),
- l'écrasement du négoce régional,
- la soumission absolue par le moyen du pouvoir central et de ses décisions aux impératifs d'une politique économique nationale, puis européenne,
- l'ignorance, par la majorité des occitans eux-mêmes, de leur richesse culturelle contituée par la littérature et la pensée d'Oc du moyen-âge à nos jours,
- l'idée d'un laisser-aller, d'une nonchalance, d'un manque de sérieux de l'homme du Sud, traduisant une méconnaissance totale de la psychologie particulière de l'occitan.
Ce colonialisme est appelé intérieur à cause de l'égalité des droits politiques à l'intérieur de la nation française et d'une participation des occitans eux-mêmes à cette politique colonisatrice.
Sur ce sujet vous pouvez consulter :
Le manifeste de 1962 des écrivains occitans engagés contre le « colonialisme intérieur » (version manuscrite d’Yves Rouquette mis en ligne sur Occitanica)
L'article d'Alain Alcouffe : Le colonialisme intérieur
l'article de Christian Lagarde sur le site Glottopol
Ladrecht (en occitan, l’adrech est le versant nord d’une montagne) désigne un gisement de charbon au nord d’Alès, dont le principal puits s’appelait Destival. Au moment où cette vidéo est tournée, les charbonnages de France ont décidé la fin de l’exploitation du gisement auquel Destival permettait d’accéder, provoquant une lutte qui a un énorme impact régional. Le film montre ici une marche régionale organisée par la CGT à Alès. C’est l’un des épisodes de cette mobilisation qui sera documentée notamment grâce à l’ouvrage de Claude Mazauric et Jacques Dartigue, Ladrecht (Éditions sociales, 1982). Cet ouvrage revient sur l’histoire du bassin et des luttes ouvrières qui l’ont marqué jusqu’en 1981. Il rappelle en écho les luttes de Decazeville (décembre 1961- février 1962). Justement, l’un des animateurs de la grève de Decazeville, Francis Iffernet, est également engagé dans la lutte de Ladrecht.
Les occitanistes y prennent une part active, notamment lors de l’Université Occitane d’Été de 1980, qui comprend un déplacement à Ladrecht, ou par l’acte symbolique de Robert Lafont posant au fond de la mine le drapeau occitan à côté du drapeau français. La date d’écriture du livre de Mazauric et Dartigue ne leur permet pas de rendre compte de la fin malheureuse qui se produira fin 1984 : après le bassin minier de Decazeville, l’exploitation du charbon cessera en Cévennes comme ailleurs. Et les quelques tentatives de reconversion industrielle n’auront pas empêché le désastre économique et démographique qui a touché toute une région.
Revenons-en à la mobilisation autour de Ladrecht. Mazauric et Dartigue écrivent que, « treize mois durant [du 5 mai 1980 au 11 juin 1981], du fond du puits de Destival, à Alès, des mineurs soutenus par toute une région vont tenir tête à la direction alors giscardienne des Charbonnages de France et au gouvernement dont elle était l’exécutante, se battre pour obtenir la mise en exploitation du gisement de Ladrecht. » L’ouvrage donne également la chronologie des événements. En voici les grandes lignes :
1979
Décembre : création de Radio-Castagne par la CGT d’Alès
29 décembre– 2 janvier 1980 : première occupation du puits de Destival
30 décembre : refus des Charbonnages de France de la proposition CGT d’exploitation de Ladrecht
1980
janvier-mars : débats au Conseil Régional, vote d’un crédit de 11 millions de francs
21/02 : le Comité Régional du PCF décide un rassemblement de masse pour le 10 mai
10/05 : marche « Viure » sur Montpellier
19/07 : rassemblement sur le carreau de Destival à l’appel du PCF, participation des animateurs du manifeste Mon País escorjat, double baptême du mur de Ladrecht par un drapeau français et un drapeau occitan
24/10 : grève nationale dans les mines, marche sur Paris à l’appel de la CGT, marche sur la Préfecture de Nîmes
29/11 : marche régionale CGT sur Alès. C’est cette marche que montre la vidéo, avec un gros plan sur la banderole de tête « Vivre, travailler et décider au Pays », sur des visages d’élus, dont Émile Jourdan, maire communiste de Nîmes.
1981
13/03 : rassemblement CGT à Montpellier, grève générale
22/05 – 11/06 : une négociation CGT/charbonnages de France se conclut par un protocole d’accord qui marque la victoire
13/06 : immense fête à Ladrecht avec un spectacle pyrotechnique offert par la CGT devant la fresque réalisée par des artistes locaux affichant « Parlez de nous ».
1984 : fin de l’exploitation minière des Cévennes.