Le Mouvement viticole de 1907 [Groupe et collectif]
Le mouvement viticole de 1907 autrement appelé “la révolte des Gueux” se déroula de mars à juin 1907 pendant lesquels eurent lieu de grandes manifestations - à cause de la crise du vin - qui toucha quatre départements du Sud de la France, le “Midi”.
Ce fut un mouvement de masse qui toucha toutes les classes sociales, un mouvement pacifique qui fut réprimé dans le sang, mais aussi un mouvement écologiste avant l’heure qui protesta contre le vin fabriqué chimiquement pour promouvoir au contraire le vin naturel. Ce fut aussi un mouvement qui opposa le Sud producteur de vin et le Nord producteur de betterave. Ce fut la mutinerie d’un régiment qui tint tête à son commandant et surtout la toute première crise de désespoir d’un pays dont la survie dépendait de ce vin qui ne se vendait plus.
En 1900 toute l’économie du Midi reposait sur la vigne, cette vigne qui implorait grâce. “Le Midi se meurt” s’écriait Marcellin Albert à Clémenceau.
Le vin ne se vend plus, il est même moins cher que l’eau. A Narbonne, dans les cafés, il s’achète à l’heure : 10 centimes pour boire tout ce que qui est possible d’engloutir en une heure !
Il faut remonter cinquante années en arrière pour comprendre la cause, le phylloxéra qui ronga le vignoble et fit basculer le marché. Au moment de l’épidémie qui s'abattit sur la production locale, on prit d’autres habitudes : importation en franchise de vin d’Ariège, plantation sur le littoral de vigne dans le sable (car l’eau tuait l’insecte), sucrage ou chaptalisation grâce au sucre de betterave rouge, mouillage des vins fabriqués chimiquement parfois sans grappe de raisin. Les vignes du Languedoc nouvellement plantées furent installées sur des surfaces beaucoup plus belles et avec des cépages plus productifs -carignan et aramon - qui amenèrent à la monoculture.
Tout cela aboutit à l'effondrement des cours du vin et la misère pour les plus pauvres.
Au tout début de 1907, Marcelin Albert, cafetier et vigneron à Argeliers, qui se battait depuis des années, fut enfin entendu. Avec les gens de son village et d’autres ils arrivèrent à 87 à Narbonne pour faire pression sur une commission d’enquête parlementaire qui se tenait pour réfléchir sur la crise du vin. Quelques jours après c’est le premier meeting à Sallèles-d’Aude, devant la Cigal -un homme un peu illuminé- il fut surnommé l’agitateur, avant de devenir plus tard l’Apôtre des gueux et enfin le Rédempteur.
Le mouvement prit de plus en plus d’ampleur : de villages en villages, se constituèrent des comités de défense de la viticulture, de villes en villes, chaque dimanche des rassemblements de plus en plus nombreux se mirent en place atteignant parfois les 100 000 personnes. Entre 70 000 et 80 000 à Montpellier le 9 juin 1907 !
Le député socialiste de Narbonne, rentra dans le mouvement le 5 mai, Ernest Ferroul, excellent orateur haranguant les foules : “Nous ne donnerons jamais ce que nous avons été capables de faire !” et il politisa la contestation reprenant une idée de Marcelin Albert en appelant à une grève de la taxe et à une démission des élus.
La suite fut dramatique. La démission des élus des “départements fédérés du Sud” représentait pour Paris une menace de séparatisme, et permit à Clemenceau le tout puissant président du conseil et ministre de l’intérieur de réagir.
A l’étonnement et l’incompréhension des vignerons, le gouvernement envoya ses troupes, au moment de l’arrestation de Ferroul, pour tirer sur la foule de Narbonne, ils tuèrent 6 personnes et laissèrent sur les pavés de nombreux blessés. Le 17e régiment d’infanterie, composé de soldats originaires du Languedoc, mis à l’écart à Agde à cause des événements, en apprenant le massacre se mutinèrent et marchèrent jusqu’à Béziers où ils furent accueillis chaleureusement par les manifestants. Les responsables du mouvement furent emprisonnés, Marcelin qui avait réussi à s’enfuir et qui donna des conseils à Clémenceau fut vu comme un traître. Le Rédempteur retourna à Argeliers incompris et méprisé par tous.
La sortie de crise fut possible grâce à des mesures qui assurèrent la pérennité du vignoble de table, grâce à la transformation des comités de défense en Confédération Générale, Les Vignerons du Midi (CGV) qui vinrent aider et organiser la production, participer à la création des premières coopératives et lutter contre la fraude ce qui mit fin au vin industriel. La grande guerre finit par s’arranger en sacralisant le vin comme “Vin de la Victoire” et en arrosant les tranchées avec.
Albert et Ferroul évoquèrent tour à tour les barons du Nord devant ceux du Midi, ils présentèrent le mouvement comme celui de la nouvelle résistance cathare, la langue d’oc parlée et comprise par toute la population florit sur de nombreuses pancartes et services pour surprendre les agents de Clémenceau, il serait faux, même si Ferroul avait agit ainsi, de voir le mouvement de 1907 comme une tentative autonomiste comme le fut présenté par ses opposants pour justifier l’emploi de la force.
C’est une bonne vision des choses comme le souligne Remy Pech “une révolte légale et même légaliste” qui voulut faire pression sur le Parlement afin de faire voter les nouvelles lois pour protéger le marché du vin, ce qui permettra finalement de sortir de la crise.
Il n’en reste pas moins que dans l’affect populaire il y a un attachement profond à cette période de l’histoire, une appropriation de ce passé comme fondement des luttes qui suivront.