Minerve, entre Cévennes et Montagne Noire, porte d'entrée du Parc naturel régional du Haut-Languedoc, attire chaque année touristes et curieux venus découvrir un site naturel grandiose, et une cité au riche patrimoine historique. (immersion totale sur les lieux du drame + Musée Hurepel).
Minerve constitue après Béziers et Carcassonne, le troisième fait d'armes important de la Croisade des Albigeois. Le siège qu'elle endure au cours de l'année 1210 marque également un tournant dans le conflit. Après une vague de succès rapides dans le camps croisé, on assiste de la part du camp méridional à un apparent sursaut. Alors survient l'épisode de Minerve et de son bûcher, le premier d'une longue série.
I/ Le roc de Minerve / Lo ròc de Menèrba
A/ Minerve, presqu'île de pierres
Minerve, capitale historique du Minervois, se dresse à près de 200 m d'altitude, une cité de pierre surplombant le causse. Comme tout droit sortie de terre, la ville domine les gorges de la Cesse et du Brian qui ont au cours des millénaires, dessiné ici des reliefs tortueux dans la roche, reliant la cité à ses environs au gré d'un ensemble de ponts naturels. De fait, le site de Minerve n'est à l'époque relié au nord que par un isthme d'une dizaine de mètres de large (cf.FERRER, Jean-Pierre. Le petit guide de Minerve, village du Minervois dans l'Hérault : à l'usage des écoliers, des collégiens et des visiteurs. [S.l.] : J.-P. Ferrer, 1990. P.17).
Ce site géologique d'exception offre a priori toutes les conditions d'un site protégé, une forteresse naturelle imprenable. De fait les seigneurs de Minerve y construisirent un premier castrum, château et village accueillant quelques dizaines d'âmes. Au IXe siècle, alors que l'autorité centrale de Carcassonne s'effrite au gré des luttes d'influences internes, les seigneurs de Minerve obtiennent que leurs terres soient érigées au rang de vicomté. La cité demeure toutefois vassale des comtes de Carcassonne, puis, à la faveur de l'achat d'une partie des terres par les Rois d'Aragons, elle passe également sous l'autorité de ces derniers, réunissant ainsi dans ses protecteurs, les principaux acteurs du drame cathare.
B/ Minerve et le catharisme dans le tournant des années 1208-1210
Au début du XIIIe siècle, alors qu'éclate la Croisade des Albigeois, le vicomte de Minerve porte le nom de Guilhem. Ce seigneur, dont les sources semblent indiquer qu'il ne se convertit pas lui-même au catharisme, semble toutefois avoir témoigné une certaine tolérance vis-à-vis des « bonshommes » qui trouvent en Minerve un abri (CORDES, Léon. Le petit livre de Minerve / Lo pichòt libre de Menèrba. [S.l.] : [s.n.], 1974 (Lodève) : impr. des Beaux-Arts). P.64). Parmi cette foule de cathares inconnus, se distingue un nom, celui du troubadour Raymond de Miraval.
Le catharisme, branche qualifiée d'"hérétique" par l'Église catholique, prend forme au milieu du XIIe siècle. Ses adeptes se font appeler vrais chrétiens ou Bons hommes. Le catharisme diffère du christianisme sur un certain nombre de points. Sont notamment rejetés les principes de l'incarnation dans la communion et le récit de la Passion du Christ, tandis que l'accent est mis au contraire sur la Pentecôte, la transmission de l'Esprit aux apôtres, ainsi que sur le consolament, l'imposition des mains, placé au cœur de leurs rituels (cf. Patrimoines en Minervois : Histoire, mémoires et territoire. « Minerve, 1210, de roc, de sang et de cendres ». Eté 2010. Pp.5-6).
Ces "Parfaits" trouvent dans le Midi de la France un terreau favorable à leur développement, où ils mènent une vie austère et dépouillées propre à leurs croyances. La prédication s'y fait dans la langue vernaculaire maternelle de leurs disciples, la langue d'oc. Portée originellement par des prédicateurs itinérants, l'Église cathare se structure progressivement se dotant d'une hiérarchie propre, sur le modèle des églises chrétiennes primitives et compte dans le Midi trois évêchés principaux : ceux de l'Albigeois, du Toulousain et du Carcassès, le Minervois dépendant de ce dernier. (cf. Patrimoines en Minervois : ibid).
Au tournant de 1208, le Pape Innocent III lance contre les cathares jugés hérétiques, une grande croisade à la suite de l'assassinat de son légat Pierre de Castelnau, aux environs de Saint-Gilles. Débute alors un conflit d'une vingtaine d'années (1208-1229), tant religieux que politique, conduisant tant à la disparition du catharisme qu'au rattachement du Languedoc à la couronne de France.
II/ Le siège de 1210
A/ Simon de Montfort, seigneur de Carcassonne
Dans la longue série de batailles et de sièges qui émaillent le conflit cathare, le siège de Minerve de 1210 constitue chronologiquement le troisième événement important, derrière le sac de Béziers en 1209 et la prise de Carcassonne la même année (cf. BOYER, Charles. Le siège de Minerve : 1210. Carcassonne : E. Roudière, 1934. P.5).
Suite à ces deux faits d'armes et à la mort du seigneur Trencavel dans les geôles carcassonnaises, Simon de Monfort devient maître des terres du défunt vicomte. Dans les faits, ces terres nouvelles demeurent à conquérir. Le nouveau maître de Carcassonne - dont l'autorité n'est pas reconnue par Pierre II d'Aragon, son suzerain - doit également faire face à de nombreuses révoltes et à des trahisons au sein même de ses proches, comme Guiraud de Pépieux (cf. Patrimoines en Minervois, ibid, p12).
Ainsi, après les succès rapides des croisés dans les premiers temps du conflit, le début de l'année 1210 est marqué par un ralentissement tandis que côté Cathares et leurs alliés, les rangs se resserrent, une organisation nouvelle se met en place. Sentant le vent tourné, Simon de Montfort comprend qu'il lui faut consolider ses premières victoires (cf. BOYER, Ch. Ibid. P.5). Dans cette "Guerre des châteaux" qui débute, la zone Corbières / Minervois constitue la clé de voûte stratégique afin de tenir tout le pays. La chose est ardue, et c'est consécutivement à la défaite de Cabaret du mois de juin 1210, que Montfort entreprend le siège de la cité sur le roc, Minerve (CORDES, ibid. Pp.64-65).
B/ Le siège et ses légendes
À l'instar de bien des épisodes de la Croisade des Albigeois, le siège de Minerve nous est rapporté par La Canso ou Chanson de la Croisade Albigeoise, texte contemporain des événements, ainsi que via l'Historia Albigensis (Petri Vallium Sarnai monachi) et L'histoire anonyme de la guerre des Albigeois de Dom Vic et Dom Vaissette (Histoire générale de Languedoc, Toulouse, édit, Privat, 1874-1894, t.VIII, p.46.).
Le siège de Minerve nous y est retranscrit avec force détails, dont certains demeurent sujets à caution. En voici les grands traits. C'est au mois de juin 1210 que s'ouvre le siège de Minerve. Les troupes de Simon de Montfort prennent alors place aux pieds d'une cité réputée inexpugnable. Elles ont été rejointes par les troupes alliées narbonnaises, auxquelles certaines sources attribuent d'ailleurs la responsabilité du siège (dont Jean-Pierre Sarret), nouvel épisode de la lutte fratricide qui oppose Narbonne et Minerve, et dépasse les cadres du conflit albigeois. A leurs côtés, se trouvent également un légat du pape, Arnaud-Amaury, chef religieux de la croisade, Bérenger l'archevêque de Narbonne, les évêques de Riez, Raymond d'Uzès, Foulques de Toulouse, Raynald de Béziers et le chanoine Thédise de Gènes. Les forces en présence peuvent être estimées à 1000 d'un côté, contre 400 certainement du côté des assiégés. (cf.p.12, Guide du voyageur de Minerve).
Débute alors une guerre d'usure entre assaillants et assiégés. Les remparts sont attaqués par les catapultes et trébuchets menés sur place par les troupes croisées. Les trois mangonneaux et un pierrier géant, la Malavesina en occitan (Malvoisine en français), mitraillent de manière continue les murs de la cité. Le siège se poursuit ainsi durant sept semaines. Les Minervois, comme avant eux les Carcassonnais (cf. NELLI, René, Carcassonne d'heureuse rencontre, Aix-en-Provence : Edisud, 1980), sont finalement pris en défaut par le manque d'eau. La destruction du puits Saint-Rustique, leur principal point d'alimentation en la matière, les privent d'une denrée vitale, réel talon d'Achille des assiégés. (CORDES. Ibid. Pp.66-67).
A la mi-juillet face à une situation qui se dégrade progressivement, Guillaume de Minerve engage les pourparlers. "Le légat suggéra aux deux adversaires de rédiger par écrit et séparément les conditions de la reddition." Face aux demandes des assiégés, Montfort rejette toute conciliation. La capitulation minervoise advient finalement le 22 juillet après 7 semaines de siège. Le légat du pape se voit confier la mission de l'après : le sort des vaincus est placé entre ses mains. La conversion ou le bûcher telle est à grands traits, la politique du prélat. (BOYER. Ibid. P.13) De fait, ce sont près de 140 cathares qui sont menés au feu, constituant une triste première dans une série qui émaille par la suite l'ensemble de la Croisade.
La ville occupée par les croisés, devient possession de Simon de Montfort et avec elle, l'ensemble de la vicomté. Ce succès rapide après une série de déconvenues côté croisés, relance les troupes de Simon de Montfort sur les voies de la conquête. Ainsi Peyriac et Rieux, deux des principales villes du Minervois, qui avaient résisté jusqu'alors, ne tardent pas à succomber à leur tour (voir Douais, la soumission de la vicomté de Carcassonne Boyer p44).
L'ancien seigneur de Minerve, Guilhem IV reçoit en échange quelques terres nouvelles aux environs de Béziers. Il s'engage alors, puis son fils après lui, dans la résistance aux côtés des Trencavel. La Canso le place ainsi à Beaucaire en 1216 (La Canso de la Crozada, laisses 167 et 169. Réédition numérique de P.Meyer), siège qui voit la défaite de Simon de Montfort, et à Toulouse en 1219. Son ancienne vicomté, occupée par les troupes croisées, ne prendra pas part aux soulèvements. En 1242, la vicomté de Minerve est supprimée, devenant chef-lieu de bailliage. Dernière étape, le 11 mars 1258, le roi d'Aragon cède tous ses droits sur le Carcassès et le Minervois à Louis IX à l'occasion de la signature du traité de Corbeil. (Guide du Visiteur de Minerve p.13).
III/ Minerve, dans la légende
A/ Un siège légendaire
Cité inexpugnable, château de pierre au milieu des causses, mais surtout premier des bûchers de la Croisade, bien des images accompagnent l'épisode de Minerve. De fait, de nombreuses histoires vinrent enrichir la légende du Siège de la capitale Minervoise.
Dans son Òme de Menèrba, dont la trame puise dans le légendaire local, Léon Cordes revient notamment sur l'une des épisodes clés de l’événement. Ainsi l'histoire voudrait que d'une trahison serait advenu la fin du siège. Une fille de Minerve, qui avait son ami dans les troupes de Montfort (comptant en effet des troupes locales, notamment les alliés narbonnais), aurait ainsi confié aux croisés le talon d'Achille de la ville : le manque d'eau et la réserve principale constituée par le puits. (CORDES. Ibid. Pp.66-67). Le puits, élément clé dans la stratégie poliorcétique, a marqué l'imagination populaire aussi bien que celle des auteurs, et de fait, l'on trouve de bien nombreuses versions de l'épisode Minervois : Jeanne Boujassy, J. de la Cave, Georges Bordonove...
"Monument" du patrimoine oral et musical occitan, le chant du bouvier, Lo Boièr, serait pour certains, un souvenir du bûcher de Minerve, entonné par les cathares durant leurs derniers moments. Ils soulignent à ce propos l'ambivalence d'un chant aux paroles parfois burlesques interprété comme un chant sacré. Ces mêmes paroles seraient d'ailleurs ambiguës à dessein, afin de cacher leur véritable nature aux troupes de l'Inquisition. Toutefois, la nature religieuse de ce chant reste à démontrer. René Nelli le classe ainsi dans les chants de métier, d'ailleurs postérieur à la croisade. (cf. NELLI, R. Ibid. P.72).
Les légendes touchent également le patrimoine naturel local, fortement propice à débrider les imaginations. La cité de Minerve possède notamment plusieurs grottes, celle de l'Aldène notamment dont l'histoire inspira en son temps l'auteur occitan Achille Mir au XIXe siècle : « Passejado dal 17 d'octobre 1884 a la groto de Minerbo ». Une grotte également dite de Minerve, de Fauzan ou de la Coquille, qui inspira d'ailleurs une trentaine d'année plus tôt, le poète narbonnais Hercule Birat (cf. La semaine du Minervois du 8 août 2013, pp.7-10). Le minervois Léon Cordes rapporta dans son Pichòt libre sus Menèrba, une légende sur l'une de ces balmas (grotte en occitan). L'histoire voudrait qu'une d'entre elles, aménagée en souterrain, permette via la sacristie de circuler sous la ville. Ces grottes ne contiendraient-elles pas les trésors et réserves de toutes sortes des cathares réfugiés dans la ville avant 1210 ? (cf. CORDES. Ibid. P.60).
Bibliographie
BOYER, Charles. Le siège de Minerve : 1210. Carcassonne : E. Roudière, 1934. (Cote CIRDOC : CAC 6508).
CORDES, Léon. Le petit livre de Minerve / Lo pichòt libre de Menèrba. [S.l.] : [s.n.], 1974 (Lodève) : impr. des Beaux-Arts). (Cote CIRDOC : 988.94 MIN).
FERRER, Jean-Pierre. Le petit guide de Minerve, village du Minervois dans l'Hérault : à l'usage des écoliers, des collégiens et des visiteurs. [S.l.] : J.-P. Ferrer, 1990. (Cote CIRDOC : CBB : 417-21).
NELLI, René, Carcassonne d'heureuse rencontre, Aix-en-Provence : Edisud, 1980. (Cote CIRDOC : 988.97 CAR).
Patrimoines en Minervois : Histoire, mémoires et territoire. « Minerve, 1210, de roc, de sang et de cendres ». Eté 2010. ( Cote CIRDOC : H3).
La semaine du Minervois. N°du 8 août 2013, pp.7-10