Frank Tenaille est un journaliste et musicologue né en 1948. Spécialisé entre autres dans les musiques traditionnelles, il est le fondateur du réseau « Zone franche », association de professionnels des musiques du monde.
Conseiller artistique de nombreux festivals, Frank Tenaille est membre de l'académie Charles-Cros et fut le directeur artistique de divers festivals, dont « Histoires d'Occitanie » en 1995, ou celui de Radio-France.
Journaliste presse, télé et radio, il est également l’auteur de nombreux ouvrages sur la musique, dont : Le Printemps de Bourges, histoire des musiques d’aujourd’hui (Gallimard), Chant et polyphonies corses (éd. du Layeur), Le Raï, entre bâtardise et reconnaissance (éd. Cité de la Musique), Le Swing du caméléon : musiques africaines 1950-2000 (Actes Sud, Prix de l'Académie Charles-Cros), Musiques et chants en Occitanie (éd. Layeur / Le Chantier).
La Fin’Amor ou Amour courtois est une conception de l’amour qui est développé au Moyen- Âge dans la littérature d’Oc par les troubadours. Il s’agit pour l’aimant de vouer à sa dame un amour inconditionnel, courtois, respectueux et soumis à ses désirs, afin d’obtenir peut-être en échange ses faveurs, qui permettent d’atteindre Jòi, la plénitude du contentement.
On désigne par trobar aussi bien l’ensemble de la production troubadouresque que l’acte de créer propre aux troubadours.
C’est du verbe trobar que provient le mot occitan trobador, trobadour en français. Un troubadour est un poète et un musicien du Moyen Âge dont la langue de prédilection est l’occitan, ou langue d’oc. Trobar ne signifie donc pas simplement, ainsi que notre regard rétrospectif pourrait nous inciter à le croire, « trouver » mais signifie précisément « trouver des mots et des sons », autrement dit, « composer ». Par extension, le terme désigne, sous une forme substantivée, l’ensemble de la production troubadouresque. Cette production emprunte plusieurs voies et les expressions trobar leu, trobar clus ou encore trobar ric apparaissent dans les chansons et autres textes. Elles se côtoient même de très près dans les genres dialogués que sont les tensons et les partiments quand deux troubadours discutent ou s’opposent au sujet de la meilleure façon de composer.
Les styles du trobar
Les théoriciens du trobar distinguent cependant trois grands styles.
Lo trobar lèu
Appartiennent au trobar leu, les troubadours dont l’ambition est d’être entendus par le plus grand nombre. Pour ce faire, ils mettent un point d’honneur à employer une forme, un style et des mots accessibles. Cette volonté de donner à leur chant une forme simple n’est jamais au détriment du fond. L’exigence de la simplicité de la forme apparaît comme la volonté de faire entendre au plus grand nombre des auditeurs l’excellence des idées et la puissance des sentiments composant le fond de leur création. Jaufre Rudel dont le rédacteur de la vida s’emploie à préciser qu’il fait des chansons au sujet de la comtesse de Tripoli « ab bons sons, ab paubres motz » (« avec de bonnes mélodies et de simples mots »), serait donc un des représentants de cette veine.
Lo trobar clus
Appartiennent au trobar clus, les troubadours considérant que l’exigence du fond doit être identifiée à l’exigence de la forme. Pour eux, la puissance de leurs idées ou la valeur de leurs sentiments ne sauraient être exprimés dans une langue et un style simples qui les desserviraient voire les abaisseraient. Dès lors, ils visent à ne toucher qu’un public choisi et mettent un point d’honneur à n’être compris que par quelques personnes particulièrement éclairées, gage, pour eux, de la valeur de leurs compositions. Pour ce faire, ils tendent vers l’hermétisme et emploient de nombreuses métaphores et procédés rhétoriques. On peut considérer que Rambaut d’Aurenga est un des meilleurs représentants de ce type d’ambition et Marcabrun avant lui.
Lo trobar ric
Le trobar ric quant à lui peut être considéré comme une variante du trobar clus. Le trobar ric ne vise pas forcément à l’hermétisme mais les procédés prosodiques employés sont si riches et si complexes parfois pour exprimer des idées simples qu’ils peuvent les rendre obscures et toucher par la bande à l’opacité. Arnaut Daniel peut être considéré comme un des meilleurs artisans du trobar ric.
L’imbroglio des styles
Le chant Faray un vers de dreit nien de Guillaume IX d’Aquitaine, construit sur une suite de contradictions, a donné lieu à diverses interprétations parfois très contradictoires elles aussi, d’autant que le comte de Poitiers est, faute de témoignage antérieur, le représentant de l’origine du trobar, époque où les différents styles du trobar n’en étaient très certainement qu’à leurs prémisses. Ainsi, faut-il voir dans ce « vers » un simple jeu rattachable au trobar leu, si l’on considère qu’il n’y faut pas chercher de sens caché ; une idée simple sur laquelle s’attache une recherche formelle telle que sa simplicité échappe, prémisse du trobar ric ; ou une idée aussi complexe que la forme qui s’y attache, prémisse du trobar clus ? Comme toujours quand il s’agit du premier troubadour connu, il est bien difficile de trancher.
Les troubadours occitans initièrent au Moyen Âge une révolution esthétique et idéologique qui ne cesse de nourrir, dans le monde entier, la pensée et la création contemporaines. De la peinture de Soulages à la poésie d'Ezra Pound, Dylan ou Bashung...en passant par les joutes musicales des Fabulous Troubadours toulousains ; cette exposition vous propose un cheminement dans les géographies et les flux de l'art du trobar, du XIIe à nos jours.
Exposition réalisée par le CIRDOC en collaboration avec Claude Sicre, Amic Bedel et l'Ina (Institut national de l'audiovisuel)
Jean Mouzat naît à Tulle le 24 novembre 1905. Très tôt, il est influencé par l’oeuvre majeure de Joseph Roux, La Chansou Lemouzina, « légende des siècles du Bas-Limousin» qui, sur le mode lyrique, fait renaître la grande époque des troubadours et celle des papes limousins d’Avignon. Marqué de cet exemple littéraire, le jeune Jean Mouzat baigne par ailleurs dans le parlé limousin, tullois en particulier. C’est toutefois la langue et la culture anglaises qui baliseront son parcours professionnel dans un premier temps : promu professeur d’anglais en 1925 dans la Sarthe puis à Revel (Haute-Garonne), il part deux ans plus tard comme assistant de langue française à l’université de Belfast. Là-bas, il compose ses premiers poèmes en langue d’oc autant qu’en français, publiant déjà les Chansós de davans lo jorn qui obtiendront un prix de l’Académie des Jeux Floraux de Toulouse.[imatge id=21649]
C’est ensuite le retour en France avec l’agrégation d’anglais qui portera Jean Mouzat jusqu’à Lyon puis Paris, non sans avoir été entre-temps mobilisé pour le service militaire d’abord, puis pour la « drôle de guerre » entre avril 1939 et juillet 1940. Mais c’est la recherche universitaire qui l’attire : en 1949, le voilà inscrit sur le registre des thèses de la Faculté des lettres de Paris pour La vie et l’oeuvre de Gaucelm Faidit, une étude critique et traduction des poèmes de Gaucelm Faidit, troubadour du XIIème siècle dit « d’Uzerche ». La thèse sera finalement soutenue - et publiée en 1965.
Il explique lui-même l’évolution de sa pensée :
« Lorsque j’entrai à la faculté, je choisis l’anglais comme premier sujet d’étude, peut-être pour mieux courir le monde. Aussitôt après mes premiers certificats de licence, j’abordai l’ancien provençal et la littérature médiévale de langue d’Oc. Tout d’abord parce qu’elles m’ouvraient un passionnant domaine, avec l’attrait d’une poésie étrange et belle et de cette civilisation disparue du cheval, de l’épée et du luth qui enchante si fort l’esprit romanesque et romantique de la jeunesse. De plus, ces études me rattachaient à mon pays natal, car pour le Limousin cette époque fut l’âge d’or de ses plus belles gloires. Né et nourri à la jonction des terres de Ventadour, de Turenne et de Comborn, à la croisée des chemins que parcoururent Guillaume IX, le premier troubadour, et Bernart de Ventadour dans ses voyages, près du tombeau de Marie de Ventadour dans l’abbaye de Tulle, les troubadours et leurs inspiratrices sont l’archéologie de la ville et de ma province. La langue qu’ils chantaient, toujours reconnaissable, toujours vivante, je l’entendais résonner dans ma famille, dans les rues, dans les hameaux. Serait-il blâmable de se rattacher à son lignage ? »
Il expose cette idée forte, déjà, dans l’Apel a la jòinessa intellectuala de Lemosin en 1943 : « alumar un rotal de fe et d’amor » (allumer un brasier de foi et d’amour) pour défendre et illustrer « lo país patrial », développer « l’espression espirituala de la patria », « la saviessa d’un vielh pòple de laboraires e de bargiers » (la sagesse d’un vieux peuple de laboureurs et de bergers), accomplir « lo dever d’onor en gardar l’eiretatge », et enfin « reviscolar l’Occitanía, la comunautat miegjornala e mediterrana de nòstras raças de solelh » (la communauté méridionale et méditerranéenne de nos races de soleil)...[imatge id=21650]
Suite à la publication de sa thèse, différentes conférences lui permettent de faire mieux connaître, en France et à l’étranger, la littérature limousine et occitane du Moyen Âge. Ses travaux le porteront jusqu’à l’université du Minnesota aux États-Unis, où il occupe le poste de maître de conférence de juillet 1966 à juin 1967. C’est en 1968 qu’il sera finalement titularisé à la Faculté des lettres et sciences humaines de Limoges. Élu en 1969 président de la Société des Lettres, Sciences et Arts de la Corrèze, il se consacrera ensuite à ses activités bénévoles jusqu’à la fin de sa vie.