"Une grande chaîne de rochers qui commençant à sortir des bords de l'estang de Leucate s'élèvent et continuent jusqu'au pays de Sault duquel continuent vers le Midy jusques dans les Pirénnées". Ainsi était désignée la frontière constituée par les Corbières entre France et Espagne dans un manuscrit du XVIIe siècle, avant que l'actuel Roussillon ne vienne compléter l'hexagone.
I/ Naissance d'une frontière
Le massif des Corbières et les plaines environnantes, constituent depuis des siècles une zone de conflit lorsqu'en 1258, le Traité de Corbeil est signé par les rois de France et d'Aragon. Il entérine et stabilise pour un temps, les rapports de forces d'une zone longtemps disputée par les souverains et leurs vassaux, éternelle zone de passages, d'échanges mais également zone de marche.
La ligne de crête des Corbières, massif ancien parfois perçu comme un prolongement des Pyrénées, s'apparente alors à une frontière naturelle entre les deux royaumes, que le temps et les monuments militaires, contribueront à matérialiser sur le terrain.
Barrière naturelle dont le franchissement demeure aujourd'hui encore complexe, notamment dans son axe nord-sud, le massif des Corbières est par ailleurs progressivement doté au XIIIe siècle, d'un important système défensif constitué de châteaux et autres forteresses bénéficiant d'une situation idéale, comme autant de nids d'aigles défendant d'étroites gorges.
II/ Matérialisation de la frontière dans l'espace
Outre les textes et manuscrits évoquant le tracé de cette frontière, de nombreuses traces demeurent au cœur même des Corbières. Elles sont autant de matérialisations d'une ligne de démarcation dont l'existence aura duré près de quatre cents ans entre les deux pays, du Traité de Corbeil en 1258 à celui des Pyrénées en 1659, qui repousse la frontière entre France et Espagne au massif des Pyrénées. Bornes et toponymes perpétuent aujourd'hui encore le souvenir de cette époque durant laquelle le Roussillon n'était pas français, telle la borne de Bélesta ou des toponymes évocateurs tel Latour de France, village à l'origine dénommé Triniac.
Entre Bélesta, village occitan, et les contrées catalanes de l'Ille-sur-Têt ou de Montalba-le-Château dans le secteur de Pilou d'en Gil, demeurent différentes
quilhas maçonnées (bornes), datant de l'époque moderne. Face à ces bornes marquées du blason de France, fait face une croix pattée du "royaume d'Aragon". Un mégalithe se trouve également en un point-clé de cette ancienne frontière, tout comme le dolmen du podium Comitale dans le Sarrat d'Arcos (de l'occitan
arca – prononcez arco
– désignant un coffre ou un dolmen). À ces bornes, parfois disparues dont ne demeurent que les témoignages toponymiques, les différentes
lausas (bornes en occitan), vient s'ajouter un ensemble défensif conséquent de part et d'autre de la frontière nouvelle.
Aux lendemains de la signature du Traité de Corbeil en août 1258, le système défensif déjà en place dans les différentes vicomtés et comtés que compte la région, se précise et se renforce : Razès, Peyrepertuse, et bien entendu, le Fenouillèdes. Le roi de France consolide alors l'existant. Dans le Fenouillèdes, couloir d'entrée naturel du Roussillon vers le Languedoc, Caudiès est érigée en viguerie du Pays de Fenouillèdes et son château, Castel-Fizel, dont demeurent aujourd'hui encore quelques vestiges, vient asseoir le système de défense royal dans la région.
Ces différents points et châteaux assurent une triple fonction défensive consistant à protéger, observer, signaler. S'il demeure plusieurs vestiges de ces forts et bastions médiévaux et modernes, la toponymie elle-même, occitane comme catalane, demeure encore là-aussi la plus explicite dans ce domaine : espilh, mirail, gayte, bade, quardie, farahon. (le dernier catalan et non occitan). Ces différents châteaux et points fortifiés viennent compléter la défense formée par les cinq forteresses royales principales, souvent surnommées les Cinq fils de Carcassonne : Puylaurens, Peyrepertuse/ Quéribus/ Termes et Aguilar.
III/ Focus sur Quéribus : des cathares à la forteresse royale
Les 5 fils de Carcassonne :
Une fois l'hérésie cathare mise à bas et les domaines des souverains languedociens entrés dans l'escarcelle française, les anciens châteaux dits encore parfois "cathares" sont tout particulièrement mis à profit. La clé de voûte demeure Carcassonne, le siège de la sénéchaussée.
Quéribus figure après 1258, au rang de ces forteresses royales. Nid d'aigle placé sur un éperon rocheux dominant les plaines du Fenouillèdes et du Roussillon à l'extrémité du massif des Corbières, et défendant le passage du Grau de Maury entre Languedoc et Roussillon, l'histoire de Quéribus (Le Rocher des Buis) est étroitement liée à celle des seigneurs de Fenouillèdes dont il est au Moyen Âge, l'une des possessions. Une première mention de celui-ci est faîte dans le testament de Bernard de Tallefer, comte de Besalu, Fenouillèdes et Vallespir au début du XIe siècle.
Quéribus fut l'un des bastions-clés de cet ensemble de forteresses. Dernier avant-poste avant l'Espagne, il s'inscrit dans une plaque tournante de culture et d'échanges, une zone qui dès l'Antiquité et le Haut Moyen Âge, suscita les appétits.
La destinée du château de Quéribus suit de près celle de sa région, et sa "subordination" complexe, aux jeux vassaliques alors en cours dans la région, entre famille de Toulouse, Carcassonne, Narbonne, Barcelone... Il fut le dernier rempart des Parfaits cathares de 1240-1241 à 1256, alors que successivement, les différents châteaux tombaient aux mains des croisés. Avant 1256, la situation est d'ailleurs tendue entre la France et la vicomté de Fenouillèdes, qui menace directement celui-ci de conquête. Sur la ligne de crête des Corbières, Quéribus est le dernier château "indépendant", et focalise sur lui les derniers feux de la croisade.
Le château est alors sous la protection de Chabert de Barbeira lui-même hérétique, institué semble-t-il dans ses fonctions par Pierre de Fenouillet, seigneur légitime de ces terres. Le siège de Quéribus débute en mai 1255, mené officiellement par Pierre d'Auteil, sénéchal de Carcassonne mais dans les faits, par l'ancien seigneur faydit (occitan d'exilé, dépossédé), Olivier de Termes. La fin du siège, quelques semaines plus tard selon les calculs les plus restrictifs, en faveur des troupes croisées, et la signature du traité de Corbeil trois années plus tard, convertissent le dernier bastion cathare en une de ces forteresses royales chargée de défendre la région contre les invasions espagnoles.
La paix des Pyrénées et l'entrée du Roussillon dans le giron français, met fin au rôle militaire de la forteresse. Laissé à l'abandon à compter de cette date, le château de Quéribus a fait l'objet d'un classement au titre des monuments historiques en 1907. Grâce à cette reconnaissance, il bénéficie depuis 1951 d'un important programme de restauration. On peut y découvrir aujourd'hui encore des vestiges de son rôle défensif mais également de la vie quotidienne de ses habitants : citerne enduite destinée à récupérer les eaux précieuses lors d'un siège, corps de logis...
Conclusion
Depuis cette époque, la question de la construction européenne et la naissance d'eurorégions dont les contours dépassent le cadre traditionnel des nations, ouvrent la voie à de nouveaux échanges et rapprochements culturels. De fait, du temps même où les frontières marquaient effectivement et matériellement la limite des territoires et constituaient une rupture dans l'espace, les échanges n'en étaient pas moins existants. Telle est la réalité du Fenouillèdes et des Corbières, zone de marche et d'échanges plutôt que de rupture.
BIBLIOGRAPHIE
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