Le registre « Potentia » des états de Provence, témoignage de près de trois siècles d'emploi administratif de l'occitan [Œuvre ou corpus]
Résumé
Le Livre des états de Provence, surnommé Potentia en raison de la potence qui orne sa reliure depuis le XVIe siècle, est un registre d’une cinquantaine de pièces des XIVe, XVe et XVIe siècles reliées à l’activité des états généraux de Provence, forme ancienne des parlements modernes et constituées par les provençaux eux-mêmes, figurant une sorte d’autoadministration de la Provence dans sa langue vulgaire et donc en occitan. Durant cette période, la Provence n’appartient pas encore directement au royaume de France, ce ne sera le cas qu’à partir de 1481, et c’est cette spécificité qui constitue l’un des intérêts principaux du recueil. Il s’agit également de l’une des sources les plus importantes d’autogestion locale pour l’époque et ce pour l’ensemble du territoire national. L'abondance de documentation y est telle que son étude relève à la fois de l’histoire politique, militaire, économique, fiscale, du droit et des institutions.
Le recueil est également un témoignage précieux du type d’utilisation dont l’occitan pouvait être l’objet chez les scribes et les juristes lettrés de cette période.
Autres version du titre :
< livre « Potentia » des États de Provence
Exemplaire conservé
1 exemplaire manuscrit connu :
- Archives départementales des Bouches-du-Rhône (Marseille), cote B 49
Note d’étude
Le registre Potentia est une ressource privilégiée de l’utilisation de l’occitan au sein des catégories sociales lettrées provençales des XIV, XV et XVIe siècles. Durant cette période le français n’y est ni la langue de communication courante, ni la langue administrative, ne commençant à s’imposer que vers la fin du XVe siècle en partie suite au rattachement direct de la Provence au territoire français en 1481. C’est ainsi le témoignage de presque trois siècles d’utilisation administrative de l’occitan qui est inscrit dans ce recueil. Ce témoignage est laissé par les états, non pas généraux ou provinciaux (puisque le territoire n’appartient alors pas pleinement à la France mais à des princes français : les rois de Naples, issus de la « seconde maison d’Anjou » ), mais de Provence.
Ce recueil renseigne ainsi sur l’histoire politique et militaire de la Provence à partir de 1390 et ce jusqu’en 1435 environ, date à laquelle la levée et l’organisation des troupes échappent en grande partie au contrôle des états, témoignant d’une diminution de l’influence de l'institution au profit du souverain.
L’histoire fiscale et administrative du territoire peut également être étudiée au travers de ce recueil, il est évidemment question de l’impôt et de la manière dont celui-ci est prélevé entre 1394 et 1523. Cependant, si ce sont bien les états qui consentent à l’impôt c’est le souverain qui exerce en pratique cette fonction. Il n’est donc pas rare de constater des décalages entre les sommes et tributs théoriquement levés et les sommes et tributs levés en pratique. Ces décalages peuvent d’autant plus se faire ressentir que la question de l’équité et de l’égalité devant l’impôt est souvent le sujet des discussions au sein des états. Cependant, si ces thématiques ne sont pas propres aux états de Provence, leur récurrence signifie très probablement l’insistance et les difficultés des gens du pays à faire respecter leurs ordonnances. Ces difficultés ont également joué de manière certaine un rôle important dans le processus de genèse de l’État moderne qui s’imposera peu de temps après l’abandon des états.
De plus, bien que l'administration du territoire soit ici exercée par des gens « du cru » on ne retrouve pas de manière exacte au sein du registre un occitan tel qu’il pouvait être parlé à l’époque. Ceci s’explique par le fait que le recueil est avant tout rédigé par des scribes ou des notaires lettrés ayant reçu une formation latine. Ainsi, si le recueil témoigne de l’usage de l’occitan administratif de l’époque un certain nombre de formes orales est parfois ignoré (comme cela était souvent le cas dans le langage employé pour les juristes) et la langue écrite s’apparente parfois plus à du latin qu’à de l’occitan : des mots comme redoubtables ou debte sont présents au sein du recueil et notent des lettres pourtant amuïes dans la prononciation et toujours utilisées en latin, témoignant de la notation d’un lexique sous l’influence du latin.
Le registre témoigne donc de l’histoire de la Provence pendant près de trois siècles, d’une époque où un parlement local s’exprimant en langue vulgaire participait à l’administration du territoire et qui verra son influence diminuer petit à petit au profit du souverain et cheminant avec logique vers une protestation en sus de l’ordonnance de Villers-Cotterêts (ou édit de Villers-Cotterêts) en 1539 qui imposera l’usage exclusif du français dans l’administration et la justice.
Editions et traductions
Éditions :
- Gouiran, Gérard. Hébert Michel. Le livre Potentia des états de Provence (1391-1523). Paris : Comité des travaux historiques et scientifiques, 1997, XCII-535 p. [Cote CIRDÒC CAC 6855] [Accessible sur Gallica]