Dans cette région également, les archives témoignent d’une implantation du violon relativement importante dès l’Ancien régime.
Les enquêtes des années 70 et 80 ont mis en lumière une spécificité du territoire gascon. Il abrite en effet une grande proportion de violoneux ayant reçu l’apprentissage d’un professeur de violon classique et ayant donc adopté des techniques du jeu savant (vibrato, démanché* permettant de jouer des mélodies ayant un ambitus*plus grand) en complément de leur autodaxie et de leur style routinier. De la même manière de nombreux joueurs de violons gascons avaient à des degrés divers des notions de solfège. La maîtrise des savoir-faire et connaissances de la musique savante étaient pour eux valorisante. De plus, en leur donnant accès aux partitions du répertoire
extrarégional des bals champêtres, elle leur a permis de former des orchestres avec, entre autres, piston, clarinette et batterie pour interpréter les danses à la mode.
*Démanché : possibilité pour le violoniste de déplacer sa main le long du manche afin de jouer dans plusieurs registres (aigus ou graves). Généralement le violon populaire utilise ce qui est convenu de dénommer la 1ère position (la main demeurant en bout de manche, dans le registre grave du violon). Toutefois dans certains cas on peut rencontrer des techniques de démanché dans les traditions populaires. Dans certaines traditions populaires des registres aigus sont également obtenus avec un accordage plus aigu et non académique du violon, sans avoir à utiliser des techniques de démanché (accordages aigus avec cordes courtes en Roumanie, accordages avec lacet en Béarn...).
*Ambitus : étendue entre le degré le plus grave et le degré le plus aigu qui est utilisé dans une pièce musicale ou que l'instrument a la possibilité de jouer.
Voici quelques récits de vie et extraits du répertoire de quelques joueurs de violon gascons :
Fernand Tarrit
Capture d’écran extraite du document n°1572 (fonds COMDT)
Fernand Tarrit est de Sos en Lot-et-Garonne. Fils d’un artisan carrossier, il exerce plusieurs métiers en rapport avec la mécanique, dont celui de chauffeur de taxi. Il commence à jouer à la fin de la guerre de 1914-1918 et achète son premier violon en 1919 pour faire danser les gens. Pendant deux ans, il prend des cours auprès de Tauzin de Sos qui a notamment été violoniste à l’orchestre du Capitole. Avec sa femme qui joue de la batterie, il anime les noces et les bals du samedi et du dimanche. En 1934 il crée son premier orchestre (violon, cornet à pistons, saxophone ténor et batterie) puis, au bout de deux ans, fonde un trio avec un accordéoniste (violon, batterie, accordéon). Avec ses différentes formations, il joue dans le Gers, les Landes, la Gironde et le Lot-et-Garonne un répertoire hétéroclite composé de danses aussi bien traditionnelles qu’à la mode. Il arrête de jouer au début de la Seconde Guerre mondiale mais sillonne à nouveau les routes pour animer les bals clandestins organisés à partir de 1943. Il met un terme à son activité de musicien de bal en 1964.
Joseph Roméo
D’origine espagnole, Joseph Roméo émigra enfant en Agenais avec sa famille. A 16,18 ans il décide d’apprendre le violon et des rudiments de solfège avec un professeur qu’il ne gardera que quelques mois. Il débute l’animation des bals peu après. De 1920 à 1932, il mène en Agenais une activité de musicien parallèlement à son métier de coiffeur qui l’oblige à beaucoup se déplacer. A cette époque, il interprète, le plus souvent seul, un répertoire gascon (rondeau, courantes, cordon-bleu), des danses en couples (polka, mazurka, valse, etc.) et le quadrille. Il déménage à Auterive en 1933 et adapte son répertoire à la demande en jouant des javas, pasos-dobles, fox-trots, charlestons. Lorsque cela était possible, il faisait jouer son orchestre pour lequel il écrivait les harmonisations et orchestrations. Ses occasions de jeu étaient principalement les noces et les bals des cafés de village.
Soucieux de sauvegarder et transmettre son savoir, il a transcrit son répertoire, conservé ses partitions de bal champêtre et les photographies témoignant de son activité de musicien. Il s’est également auto-enregistré en 1979 et a déposé l’ensemble de sa documentation au COMDT.
Marcel Lagardère (1907-1987)
Capture d’écran extraite du document n°1622 (fonds Lo Pifre)
Marcel Lagardère est originaire de la région de Saint-Michel-de-Castelnau (Gironde) où pendant quarante-huit ans il est métayer à Quatepans. Au moment de l’enquête, il occupe les fonctions de palefrenier depuis 12 ans. Il apprend le violon à l’âge de 14 ans et fait son premier bal deux ans plus tard. Il a pour maîtres deux musiciens qui ont appris la musique oralement – Jean Capes de la région de Lerm-et-Musset et Destouesse d’Allons –, puis un « chef de musique » de sa région. Il joue jusqu’en 1939 pour les noces et sous contrat toute l’année (à part en période de carême) pour les bals organisés par la jeunesse. S’il a souvent joué seul, il lui est aussi arrivé de faire équipe avec un jeune trompettiste et un joueur de vielle à roue.