Les premiers Félibres vont voir dans le dynamisme de la renaixença littéraire catalane un modèle pour leur aventure littéraire et linguistique. Les liens historiques de la Catalogne et des pays d’Oc sont nombreux. La présence du roi Pèire d’Aragon aux côtés des Toulousains face aux “Français” lors de la bataille de Muret en 1213 a été un motif fort de l’historiographie méridionale au cours du XIXe siècle. Le mythe occitan, celui de l’âge d’or littéraire des troubadours, n’est pas non plus totalement absent chez les intellectuels catalans qui souhaitent donner de l’éclat à leur langue en réinstaurant des “Jocs florals” à Barcelone, lointain écho à ceux institués à Toulouse au XIVe siècle et auxquels les poètes catalans concouraient déjà.
Conscient de cette filiation, Frédéric Mistral adresse en 1861 à ces poètes un rayonnant “sirventés”, “I troubaire catalan”. Au-delà du titre, le poème tout entier rappelle les gloires médiévales des troubadours, villes libres attachées au droit et à la liberté, et l'égorgement par les “noirs corbeaux” venus du “septentrion” aux temps de la croisade.
Et le poème se termine sur une défense de la langue aux accents de libération nationale :
"Car, de mourre-bourdoun qu'un pople toumbe esclau,
Se tèn sa lengo, tèn la clau
Que di cadeno lou deliéuro."
"Car, face contre terre qu’un peuple tombe esclave,
S'il tient sa langue il tient la clef
Qui le délivre des chaînes".
C’est naturellement vers la Provence des félibres que se tourne Víctor Balaguer, quand il doit s’exiler de 1865 à 1867. En reconnaissance, les Catalans offrent aux félibres la fameuse coupe d’argent, œuvre du sculpteur Fulconis, qui représente l’amitié de la Catalogne et de la Provence qui se donnent le bras. Le présent inspirera le chant identitaire de la renaissance félibréenne, “Coupo santo” dont le “nosto nacioun” fera couler beaucoup d’encre.
Mais l’idée des deux nations sœurs va rester pour Frédéric Mistral et les félibres un motif littéraire. Le mouvement provençal s’éloigne ensuite du destin catalan jugé trop politique, comme en témoigne la lettre de Mistral à Balaguer, échangée quinze ans après la réception des félibres à Barcelone :
“Je ne diffère de manière de voir avec vous que sur la ligne de conduite que vous indiquez à notre Renaissance littéraire. Vous voulez, si je vous ai bien compris, que la littérature provençale ou limousine devienne l’apôtre d’un idéal philosophique et politique... Je ne partage pas cette opinion.”
En 1868 les félibres sont invités aux Jocs florals de Barcelone. La fraternité occitano-catalane demeurera un mythe littéraire plus qu’un projet politique.
Les liens entre la Catalogne et les mouvements occitanistes n’en seront pas moins importants au cours du XXe siècle.