L’Alsace, Elle attend. tableau de Jean-Jacques Henner (détail), 1871. Collection Musée national Jean-Jacques Henner.
Prisonnières de guerre, captives fascinantes, l’Alsacienne et la Lorraine, seules ou en couple, ont fait l’objet de nombreuses représentations sous la IIIe République. Figure allégorique de l’attente de la revanche, bien que détachée du territoire, l’Alsace-Lorraine est ainsi maintenue dans l’imaginaire français. Ce corpus d’imagerie officielle pousse à l’extrême l’idéologie des « petites patries » véhiculée par les institutions, notamment scolaires, de la IIIe République. Entre Le tour de France par deux enfants et le manuel d’histoire rédigé par Ernest Lavisse, l’image de la France donnée aux écoliers, loin d’exalter les différences territoriales, est celle d’un pays qui, par sa géographie et son histoire, vit depuis la nuit des temps dans l’unité et l’amour de la patrie. L’image de l’Alsacienne, qui se construit dès la défaite de 1870 ne cesse de se développer jusqu’au début du XXe siècle. Le mythe s’étiolera cependant pour être réactivé au moment de la guerre. Largement relayée et exploitée par les grands médias de l’époque (presse, affiches publicitaires, cartes postales), la figure de l’alsacienne en costume folklorique attendant mélancoliquement le retour des français – et s’exprimant toujours en français ! - suscita l’ironie de contemporains, comme ce passage du Journal d’une Femme de Chambre d’Octave Mirbeau (1900), où le cafetier breton apostrophe sa caissière : « tu n’as pas une tête de bretonne, tu aurais plutôt une tête d’Alsacienne... Si tu te faisais faire un joli costume d’Alsacienne hein ? Ça ferait un fameux coup d’œil dans le comptoir ? Une Alsacienne bien jolie, bien frusquée, ça enflamme les cœurs, ça excite le patriotisme » Pour les Alsaciens, le costume est bien compris comme une construction, stéréotype créé à la fin du XIXe siècle inspiré du costume en usage dans les environs de Strasbourg. Le témoignage de Charles Spindler sur novembre 1918 montre bien la fonction d’affichage idéologique que revêtait ce costume vis-à-vis des autorités françaises, plus que revendication d’appartenance identitaire : « La toilette de Marie-Jeanne est un peu longue, car sa maman tient à faire d’elle une Alsacienne absolument authentique, de la coiffe au bout des souliers. Enfin, elle est habillée : son costume de Mietesheim lui sied à ravir, et elle brûle maintenant du désir de se produire dans les rues de Strasbourg. Le temps s’est éclairci et lorsque nous débouchons dans la rue de la Haute-Montée, nous sommes frappés de l’éclat flamboyant des innombrables drapeaux qui cachent complètement les façades des maisons. Dans la rue, les Alsaciennes foisonnent, quelques-unes d’authentiques campagnardes des environs de Strasbourg et de Haguenau, le plus grand nombre des demoiselles travesties dans des costumes de fantaisie. Les Français, peu versés en la matière, font fête aux unes comme autres »