Parcours :

Felip Gardy, poèta de la paciéncia / poète de la patience

 

 

Grand connaisseur de la littérature occitane, de l'âge baroque à nos jours, Felip Gardy s'est distingué au cours de sa carrière par une fine analyse du domaine, ayant fait progressé la recherche en lettres occitanes. L'érudition de l'homme, la qualité du critique, ont longtemps occultées l'œuvre littéraire de Felip Gardy, heureusement et justement mise à l'honneur il y a quelques années par ses pairs.

L'Ora de paciencia place dès les origines son œuvre sous le signe d'une maturité déjà sûre et affirmée, bien que son auteur ait alors tout juste 17 ans. Si comme toute chose, sa parole poétique sera amenée à évoluer, au gré des influences et des évolutions du poète, l'œuvre de Felip Gardy s'est composée en un tout cohérent depuis ses débuts.
Une parole brève mais dense, concrète mais exigente, aboutissant au lyrisme sans le feindre ou le forcer. Felip Gardy nous convie à une plongée dans un monde où couleurs, musique et odeurs, nous permettent d'accéder aux mystères du monde, sans jamais les révéler tout à fait, pour une lecture sans cesse renouvellée et porteuse de sens cachés. Un chant du monde, dans lequel le langage se fait guide, marqué par la permanence du vide et du temps.

Descobrir l'òbra / Découvrir l'œuvre

 

 

 

L'ombra es la filha de l'ombra

L'ombre est la fille de l'ombre

e sa maire primiera

et sa première mère 

d'ela sortís e dins ela dintra

elle sort d'elle et entre en elle 

coma lo riu se pèrd dins l'estelum

comme le ruisseau se perd dans les étoiles

abans de tornar secret

avant de revenir caché 

dins l'espés escur de sei fònts inabenablas 

dans l'obscur épais de ses sources inépuisables 

aquí la vida que comença

ici commence la vie

còr de fuelhas e d'erbas

cœur de feuilles et d'herbes

aquí la vida que finís

ici finit la vie

ponh mai que sarrat

poing refermé 

sus lei gravetas sens nombre dau temps

sur les graviers sans nombre du temps

   

l'ombra nais dau gisclar dei fuelhas

l'ombre naît du glissement des feuilles

maire pus mairala que totei leis ombras 

mère plus maternelle que toutes les ombres

mairalas

maternelles

l'ombra nais e creis 

l'ombre naît et croît  

d'un movement tan prim que se'n devinha 

d'un mouvement si léger dont on devine à 

pas

peine

a paupas 

à tâtons

que lo batecòr infinidament minuscul

poing refermé 

la lenta butada entre lei peiretas dau còs

le battement du coeur infiniment minuscule

gigant de la terra

la lente poussée entre les petites pierres du 

fins au moment

corps géant de la terre 

tan prim eu tanben

jusqu'à l'instant 

que de l'abséncia d'ombra

lui aussi si léger

s'enauça e carga sei formas espaurugadas

où de l'absence d'ombre

la debuta d'un còs que dessenhariá quicòm

la naissance d'un corps dessinant peut-être quelque-chose

de l'òme

de l'homme s'élève et charge ses formes apeurées

dins la patz sorna dau jorn

dans la paix ténébreuse du jour

Extrait de La dicha de la figuiera  de Felip Gardy, amb una version francesa de Joan-Ives Casanòva, Trabucaires, 2002.