René Nelli (1906-1982) est né à Carcassonne. Son œuvre est vaste et diverse : historien des troubadours et des cathares, philosophe de l’amour et de la liberté, ethnographe de la culture d’oc... Son engagement dans l’occitanisme date de la première heure, il participe à la création de la Société d’études occitanes puis de l’Institut d’études occitanes en 1945. Très jeune il rencontre Joë Bousquet qui deviendra son maître. Il participe à ses recherches esthétiques et poétiques, et crée avec lui la revue Chantiers en 1928. Il collabore également avec les Cahiers du Sud, fréquente les hermétistes de Montségur (Lanza del Vasto, Déodat Roché) et se passionne pour les études ethnologiques, écrivant régulièrement pour la revue Folklore.
Il est aussi et par dessus tout, poète occitan. Son œuvre poétique puise dans ces rencontres et amitiés successives, mais également dans son abondante entreprise de recherche. Elle est tout à la fois inspirée par l’héritage d’un passé traditionnel que par le surréalisme, auquel il adhère au contact d’André Breton et de Paul Éluard dans les années 1920. Sa poésie joue le jeu des échos et des correspondances. Chaque mot y fait sens, et les sens sont multiples. Son recueil poétique Arma de vertat, publié en 1962 fait date dans l’histoire des lettres occitanes ainsi que le poème dramatique Beatris de Planissolas en 1971.
"Photo Georges Souche, extraite du portfolio fòto-poesia "Arbres" (éditions Cardabelle)"
E lo tendre amètlier ont lo cèl se rescond coma un mèl, |
Ce gracile amandier où le ciel semble faire son miel, |
mai es prigonda la prima, mai alestís sa mervelha : | plus le printemps est profond, plus sa merveille s'allège. |
entre sas flors - que lo vent s'i incarne ò s'i vele l'abís – | Dans ses rameaux - que le vent s'y incarne ou s'y voile l'abîme – |
es son non-res qu'al solelh pilhan d'avuglas abelhas. | c'est son néant qu'au soleil pillent d'aveugles abeilles. |
Car de tan luenh es tornat que pòt pas trescambar l’aparéncia | Car il revient de si loin qu’il ne peut surmonter l’apparence |
de sa beutat esvalida, dont voldriá frànher la càrcer, | de son étale beauté dont rien de brise la chartre, |
e, que siá mirat o que mire, una meteissa astrada |
et – qu’il regarde ou soit vu – un destin trop égal à lui-même |
càmbia son arma infinida per las colors d’un esgard. | réduit son âme infinie au coloris d’un regard. |
« E lo tendre amètlier », dins Renat Nelli, Vesper de la luna dels fraisses (Ed. IEO, 1962).
Lo crit d'aquel aucèl fiala son arabèsca |
Le cri de cet oiseau file son arabesque |
que s'enrona al rodet fosforejant de l'aiga. | qui s'enroule au rouet phosphorescent des eaux. |
Que venga a se desrompre un arbre se revèla | Qu'il vienne à s'interrompre : un arbre se révèle |
bufant entre sos dets l'alen de las colors. | soufflant entre ses doigts l'haleine des couleurs. |
Un arbre que s'avugla a trucas d'aparéisser | Un arbre qui s'aveugle à force d'apparaître |
e de se susvolar dins lo temps de paciéncia | et de se survoler dans le temps de patience |
sens regard per fugir amb lo cors de las causas |
sans regards pour s'enfuir dans le décours des choses |
ont son còr adejà desavançant deman | où son coeur est déjà - comme il sera demain - |
se pren dins mai de sòm que ne cal per dormir... | pris dans plus de sommeil qu'il n'en faut pour dormir... |
Arma continuosa que lo freg divin | Âme continuée qui sens le froid divin |
lo sentes destrencar de tu l'amor passida | retrancher de l'Amour chaque instant qui le fane |
- Com l'abís a jamai que se fotografia | - Comme un gouffre à jamais qui se photographie |
del pus prigond de son estela d'origina - | du plus profond de son étoile originelle - |
Respira tendrament dins la foscor profana | Respire tendrement avec la nuit profane |
l'ombra d'aquela mòrt ont Dieus fa lo maitin... | cette ombre de la Mort où Dieu fait le matin. |
« Lo crit d’aquèl aucèl », dins Renat Nelli, Arma de vertat (Ed. IEO, 1952).
« J’ai cru longtemps que la poésie de René Nelli était difficile. J’avais tout simplement le tort de croire qu’il fallait chercher à la comprendre. Je me trompais : Autant chercher à comprendre la vie, la mort, l’être, le néant - paysages philosophiques où sa muse se retrouve parfaitement chez elle. »
Jean Larzac, préface de : René Nelli, Obra poetica occitana (1940-1980), IEO, 1981
E lo tendre ametlièr.. Poème lu par Muriel Batbie-Castell.
Lo crit d'aquel aucèl. Poème lu par Muriel Batbie-Castell.