Né à Sète en 1936, Yves Rouquette est une des figures majeures de la modernité littéraire occitane. Qualifié par Robert Lafont dans la Nouvelle histoire de la littérature occitane , (PUF, 1970) de « plus important des écrivains de sa génération », celle qui se réunit à la fin des années 1950 autour de la revue Oc, il se fait alors connaître par une parole poétique violente et libératrice – on parlera des « poètes de la décolonisation » – et son rôle actif dans les mouvements occitanistes, dont il fut un des leaders principaux. Mais l'oeuvre d'Yves Rouquette ne pourrait se réduire à un projet militant de libération par la parole occitane. Ses textes sont empreints d'un lyrisme magnifique.
Auteur d'une œuvre prolifique - poésie, roman, nouvelle, essai, théâtre, traductions – il est un poète de la parole. Il avoue que le « choc décisif » qui est pour lui la poésie, s'est fait à seize ans en entendant à la radio Apollinaire et Cendrars : « ce que la voix dit est beaucoup plus visible que ce que les yeux lisent ».
Par sa parole poétique, il donne voix aux mythologies populaires immémoriales autant qu'aux aspirations du « peuple occitan » contemporain : « du poète [la jeunesse] exige qu'il fasse flamber son désir, qu'il dénonce, qu'il accuse, qu'il annonce un pays habitable. » (texte de 1971).
Dès son premier recueil paru en 1958, Yves Rouquette marque par une langue ciselée, directe, au besoin violente, qui puise délibérément dans l'expression sociale et populaire, l'oralité, le naturel de la parole vivante. Avec Yves Rouquette, le poète occitan est une voix collective, voix populaire, voix contemporaine et immémorielle : dès son premier recueil, L'Escriveire public, il définit le poète comme travailleur d'utilité publique.
"Photo Georges Souche, extraite du portfolio fòto-poesia "Arbres" (éditions Cardabelle)"
Tu païs vegetal | Toi pays végétal |
darrièr image d’innocéncia | dernière image de franchise |
ont l’aranha ven pausar de nuòch e de matin | où l’araignée soir et matin |
son fil de mel per aplanir las còstas | pose son fil de miel pour aplanir les côtes |
o encantar l’espèra del sabaud | ou enchanter l’attente d’un crapaud |
Tu païs d’arbres cambiadisses | Toi pays d’arbres changeants |
ont ven s’escriure nòstra istòria | où vient s’écrire notre histoire |
en paraulas de folhum | en paroles de feuillage |
en sasons de raices de brancas | en saisons de racines et de branches |
en segondas de ribièira | en secondes de rivière |
Païs dobert païs tampat | Pays ouvert pays fermé |
dins tos carrairons de falguièira | dans tes sentiers de fougère |
comols d’odors e de tropels | pleins d’odeurs et de troupeaux |
tos bòsques delembrats quitaràn pas de dire | tes bois dans leur oubli ne cesseront de dire |
la misèria e la patz d’un monde que morís | la misère et la paix d’un monde qui se meurt |
mas demòra ras de tu | mais il reste au ras de toi |
de tas ancas sobeiranas | dans tes hanches souveraines |
un sanglòt de saba coma una odor de carn | un sanglot de sève comme une odeur de chair |
una vida del ras de temps | une vie au ras du temps |
un espèr de sabla e d’aiga | un espoir d’eau et de sable |
per pastar nòstra talent | pour pétrir notre faim |
Yves Rouquette, L'escriveire public - (Ed. IEO). Pp 54-55.
Avèm trocejat los miralhs | Nous avons brisé les miroirs |
Avèm alucat tant d'incendis | Nous avons allumé tant de feux |
I a de sang sul monde tot | Il y a du sang sur le monde entier |
Vaquí lo temps dels argusins | Voilà le temps des argousins |
lo temps del grand renegament | le temps du grand reniement |
lo temps de la paur viscerala | le temps de la peur viscérale |
Vaquí lo temps | Voilà le temps |
ò mon Dieu | ô mon Dieu |
de ta cara | de ta face |
Ives ROQUETA, Òda a la Santa Cara, Pas que la fam / La faim, seule - 1958-2004, Letras d'òc, 2005
« Quin parlar de la poësia d'Ives Roqueta, après pro d'autes ? Coma ua hami de mots jamei arregolada, qu'ei cò qui's senteish de tira, en tot léger. Enrasigada totun dens l'istòria de las letras d'òc, ligada aus davancèrs com aus contemporanèus.
E los vèrs, pòc a pòc, que'ns van díser l'amor de la vita e amuishar los sendèrs de la mort. »
« Comment parler de la poésie d'Yves Rouquette, après bien d'autres ? Comme d'une faim de mots jamais rassasiée qui se ressent immédiatement, dès la première lecture. Enracinée cependant dans l'histoire de la littérature occitane, liée à ses prédécesseurs comme aux contemporains.
Et les vers, peu à peu, vont nous dire l'amour de la vie et nous découvrir les sentiers de la mort. »
Joan Eygun, Préface, dans Pas que la fam / La faim, seule - 1958-2004, Letras d'òc, 2005.
In Yves Rouquette, Morceaux choisis dits par l'auteur, Montpellier : Occitània Produccions, 2008
L'escriveire public - Extrach 2. Poème lu par Muriel Batbie-Castell
Ives ROQUETA, Pas que la fam / La faim, seule : 1958-2004 , Letras d'òc, 2005